Sermons prêchés pendant la guerre

Quelques leçons à recueillir de la guerre

Toutes choses concourent ensemble au bien de ceux qui aiment Dieu.

Romains 8.28

Que de choses sont arrivées depuis le dernier dimanche où j’ai occupé cette chaire ! Quel déchaînement de calamités, que nous étions tous bien éloignés de prévoir, notamment ceux d’entre nous qui, il y a quelques semaines, sont partis en toute sécurité pour aller goûter le repos des vacances ! Certes, nous n’ignorions pas qu’une menace de guerre planait sur toutes les nations de l’Europe, mais nous nous étions laissé persuader qu’à force d’être menaçante et désastreuse pour tous les peuples, en vertu de la solidarité qui les unit aujourd’hui, une guerre générale était devenue presque impossible. Nous savions qu’en réalité aucun peuple ne veut cette guerre, à moins qu’il ne se soit laissé tromper, et nous pensions que cette volonté des peuples s’imposerait aux gouvernants eux-mêmes et les obligerait à refréner leurs ambitions homicides. Faut-il tout dire ? nous avions confiance dans les sentiments chrétiens professés par les hommes de qui dépendait surtout la question de paix ou de guerre, notamment de l’empereur d’Allemagne, et nous disions : il ne voudra jamais assumer devant Dieu, devant l’humanité, devant ses propres sujets, devant sa propre conscience, cette effrayante responsabilité d’être l’auteur principal d’une conflagration européenne. Nous nous trompions : l’impossible est arrivé, l’Europe est en feu ; des centaines de milliers d’hommes qui n’ont aucune raison de se haïr, qui au fond ne se haïssent pas, se ruent les uns sur les autres pour s’entre-détruire. Le sang coule à flots déjà ; de graves et douloureux événements se sont produits ; d’autres, plus graves encore, sans doute, se préparent. Il n’est pas de famille ici représentée qui n’ait eu à se séparer avec larmes d’un, ou dans la plupart des cas, de plusieurs de ses membres, et qui ne tremble pour leur vie ; hélas ! il en est qui sont déjà dans le deuil ! Dans cette détresse qui nous est commune, il me semble que nous avons surtout besoin de paroles qui nous réconfortent et qui nous apaisent, en élevant nos regards, au-dessus de la scène changeante et sanglante des combats, vers la volonté souveraine et paternelle de Celui qui tient entre ses mains les destinées de l’humanité, celles de notre patrie, celles de chacun de nous et de chacun des nôtres. Telle, est l’admirable et célèbre sentence de l’apôtre Paul que je me propose de méditer avec vous : « Toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu. » C’est bien difficile à croire aujourd’hui, m’objecterez-vous peut-être. Je le reconnais ; mais plus cette foi est difficile, plus elle est nécessaire et plus elle sera bienfaisante. C’est dans des heures sombres comme celles que nous traversons que la foi manifeste toute sa puissance et qu’elle glorifie Dieu.

I

La première vérité que j’infère de notre texte, c’est que Dieu gouverne les événements ; c’est que sa Providence n’est pas une illusion ni un vain mot ; autrement l’apôtre n’aurait pu affirmer que toutes choses travaillent au bien de ceux qui l’aiment. Certes, mes frères, nous sommes ici en face d’un grand mystère ; nous sommes pareils à un homme qui marcherait sur une crête étroite, entre deux pentes rapides qui l’une et l’autre conduiraient aux abîmes. Car, si nous disons : toutes choses arrivent par la volonté de Dieu et conformément à cette volonté, nous faisons de Dieu l’auteur du mal ; et d’autre part, si nous disons : la volonté de Dieu n’est pour rien dans ce qui se passe ici-bas ; les événements ne dépendent que des lois inflexibles de la nature et des passions ingouvernables des hommes, nous exilons Dieu du monde et nous aboutissons à une sorte d’athéisme pratique. Allons tout droit à la question qui trouble nos consciences et qui étreint nos cœurs. La présente guerre est-elle ou non voulue de Dieu ? Je commence par répondre sans hésiter : non. Dieu ne veut pas le mal ; il ne commande, ni ne permet, ni ne suggère à personne de le faire. Ceux qui ont déchaîné ce fléau sur l’Europe, en mêlant à l’expression de leur épouvantable résolution des paroles religieuses, ont prononcé un blasphème que je veux croire involontaire. La France a fait les plus sincères efforts pour conserver la paix à l’Europe et à elle-même. Ce fait incontesté nous inspire plus que tout autre calme et confiance, dans nos périls actuels. Mais, si vous me demandez : « Ce grand malheur est-il arrivé sans que Dieu l’ait permis en un certain sens ? Dieu a-t-il cessé d’être le roi des nations et le maître des événements ? Par la guerre, sommes-nous sortis de son empire pour entrer dans un domaine où Satan règne seul ? » je suis obligé de répondre encore : cela non plus n’est pas vrai. C’est Satan qui crible Job de maux et de calamités ; mais il ne le fait qu’autant que Dieu le laisse faire, et Dieu a soin de lui dire : « Jusqu’ici et pas plus loin. » Ce sont les principaux des Juifs ; c’est Caïphe, c’est Ponce-Pilate, qui condamnent et font mourir le Saint et le Juste, et c’est la puissance des ténèbres qui agit par eux ; mais ils n’ont rien pu faire en dehors de ce que Dieu avait prévu, permis, ordonné même. Sois béni, ô Père céleste, de ce que nous ne cessons jamais d’être entre tes mains et de dépendre de ta seule et souveraine volonté !

Ce qui nous inspire cette confiance et cette action de grâces, c’est que nous savons que la volonté de Dieu va toujours et exclusivement au bien : seconde affirmation contenue dans notre texte. Elle est l’évidente conséquence de l’amour de Dieu, de sa sainteté, de toutes ses perfections. Lorsque Dieu laisse les hommes faire une chose qui est mauvaise en soi, comme la guerre, il pense en bien ce que les hommes ont pensé en mal, selon l’expression de Joseph expliquant à ses frères les voies de Dieu. Il a fait du plus grand crime qui ait jamais été commis sur la terre, le meurtre de son Fils unique, l’instrument principal de ses desseins de miséricorde envers l’humanité. Il peut et il veut de même faire servir à l’avancement de son règne la guerre actuelle, d’autant plus criminelle qu’elle est plus ouvertement condamnée par l’Evangile et par la conscience de l’humanité moderne. Que cette conviction et cette espérance soient notre meilleure source de consolation et l’objet principal de nos prières !

Mais quel est ce bien que Dieu a en vue, et qu’il sait tirer du mal lui-même ? – Il importe beaucoup de nous entendre sur ce point. Ce bien que Dieu recherche pour nous n’est pas surtout, n’est pas nécessairement ce que nous désirons si ardemment : le relèvement, l’accroissement de notre patrie et la réparation du grand dommage qu’elle a subi il y a bientôt un demi-siècle. Nous pouvons désirer ces avantages pour elle et exposer nos désirs à Dieu, mais Dieu n’a pas promis cela. On l’invoque des deux côtés : comment accorderait-il à tous la victoire ? Aux yeux de Dieu, c’est-à-dire en vérité, le bien de la créature faite à son image, c’est de le connaître, de l’aimer, de lui appartenir ; et par conséquent le bien d’une nation, si elle s’est éloignée de Dieu, c’est de revenir à Dieu ; si elle a péché contre Dieu, c’est de confesser ses péchés et de s’en repentir ; si elle est en proie à des vices qui la déshonorent et qui la dégradent, c’est d’être délivrée et purifiée de ces vices ; si elle a perdu la foi, c’est de retrouver la foi. Voilà la grâce qu’il faut surtout souhaiter pour notre peuple, et que nous pouvons toujours implorer, certains d’être d’accord avec la volonté de Dieu. De là vient que la promesse de notre texte s’adresse, non pas à tous les hommes, mais à ceux qui aiment Dieu. Ceux-là seuls peuvent apprécier et solliciter une bénédiction comme celle que je viens de définir, et qui est la seule que Dieu ait promise. Dieu, comme nous l’avons rappelé, veut toujours le bien. Si nous n’aimons pas Dieu et si par conséquent nous voulons le mal ; si nos cœurs sont dominés par l’ambition, la convoitise, l’injustice, la haine, comment serions-nous d’accord avec Dieu et par conséquent avec l’univers, dont Dieu est le Créateur et le Maître souverain ? Comment toutes choses concourraient-elles à notre bien ? Il serait plus vrai de dire qu’aussi longtemps que nous ne nous sommes pas repentis et que nous n’avons pas reçu un cœur nouveau, toutes choses sont contre nous, même nos satisfactions apparentes et nos succès d’un jour. Celui qui n’aime pas Dieu est l’anathème de la création, comme celui qui n’aime pas Jésus-Christ est l’anathème de l’Eglise. Je vous en conjure donc, mes frères, en ces jours où tant de choses que nous voyons, que nous entendons, que nous lisons, nous tentent et nous poussent à la haine, revenons à l’amour de Dieu, le Père de tous, à l’amour de Jésus-Christ, le Sauveur de tous, à l’amour des hommes, même de nos ennemis, qui découle de l’amour de Dieu et de Jésus-Christ. Ainsi, à travers les émotions et les vicissitudes de la guerre, il y aura pourtant tout au fond de nos âmes, une paix qui ne pourra nous être ravie.

II

Après avoir posé ces principes, venons aux applications ; indiquons quelques-uns des bienfaits qui peuvent découler et qui déjà même commencent à découler pour nous de la guerre actuelle, malgré la tristesse et même l’horreur qu’elle nous inspire ; montrons quelques-unes des formes du bien que Dieu peut et veut tirer d’un si grand mal.

Une première conséquence, un premier fruit salutaire de la calamité présente, c’est d’unir étroitement les Français les uns aux autres. Nos ennemis escomptaient nos divisions ; prenant leurs sinistres espérances pour des réalités, ils ont raconté, publié, affiché même, assure-t-on, que la France était en proie à l’anarchie, que la mobilisation s’y faisait fort mal et s’y heurtait aux plus grands obstacles ; que le président de la République était assassiné, et autres inventions du même genre. Grâce à Dieu, celles-ci ont été, de tous points, démenties par les faits : en face du péril commun, les partis qui, hier encore, étaient si fort animés les uns contre les autres, ont paru cesser d’exister comme par enchantement ; les sentiments des Français ont été unanimes comme les votes de leurs représentants ; les pères de famille, comme les jeunes gens, sont accourus sous les drapeaux sans un retard, sans un murmure ; si les femmes ont pleuré, elles sont prêtes, elles aussi, à servir la patrie, soit en soignant les blessés et les malades soit en accomplissant, autant qu’elles le peuvent et par un généreux redoublement d’efforts, ces travaux indispensables à la vie nationale que leurs époux, leurs fils et leurs frères ont dû tout à coup déserter. Il y a là un grand bien, qui pourrait en douter ? Ces faits prouvent que chez ce peuple français, souvent si sévèrement jugé par les autres et par lui-même, il y a encore de l’étoffe, des ressources, de l’espérance, puisqu’il y a du cœur et du dévouement.

Seulement, pour que cette union entre les Français soit pour nous un légitime sujet de joie, il faut qu’elle dure et qu’elle survive à la crise actuelle ; il faut, par exemple, qu’après que le sang de nos fils aura coulé avec celui de leurs frères catholiques sur les champs de bataille, personne ne songe plus à dire que les protestants ne sont pas de vrais et bons Français ; et si nous avons nous-mêmes des préjugés et des antipathies à l’égard de ceux qui sont d’un autre culte ou d’un autre parti, il faut que nous les bannissions tout-à-fait de nos cœurs. Il faut aussi que l’union des Français soit fondée sur un amour commun pour la patrie, et non sur une haine commune pour l’étranger ou pour telle nation étrangère, car ce dernier sentiment ne doit pas durer et, pour dire toute notre pensée, il n’est jamais bon, jamais chrétien. C’est pour aimer, et non pour haïr, que le Dieu qui est amour nous a créés et qu’il nous a régénérés en Jésus-Christ. Entre l’amour de la famille et l’amour de la patrie, il peut y avoir collision momentanée ; hélas ! il y a bien quelque chose de cela en temps de guerre ; mais, en principe, il n’y a pas opposition ; au contraire, la patrie est la famille agrandie ; en général le meilleur fils, le meilleur mari, le meilleur père, sera aussi le meilleur citoyen et le meilleur soldat. Il en est de même de l’amour de l’humanité à l’égard de l’amour de la patrie ; si ces deux généreux sentiments paraissent se combattre aujourd’hui, c’est par l’effet d’une situation anormale et violente. Nous nous défendrons, puisqu’il le faut, contre une nation qui, trompée par ses chefs, nous a injustement attaqués, mais nous ne consentons pas à vouer une nation quelconque à l’exécration et à l’anathème. Nous persistons à penser que les nations sont sœurs, qu’elles sont faites pour s’aimer et non pour se jalouser et se haïr, pour se compléter mutuellement et s’entr’aider, et non pour s’entre-détruire. Nous persistons à croire au triomphe du bien sur le mal, de l’humanité sur la barbarie, de la justice sur la violence. L’idéal de paix universelle, qu’après et d’après la Bible elle-même nous n’avons pas cessé de proclamer et d’appeler de nos vœux, nous paraît plus éloigné de nous que jamais, je le sais ; mais Dieu peut se servir de cette guerre elle-même pour en hâter la réalisation.

Une autre leçon que nous devons recueillir de nos malheurs actuels – car, pour tout chrétien et pour tout ami de l’humanité, la guerre est toujours un grand malheur, – c’est le dévouement le renoncement à nous-mêmes, l’esprit de sacrifice. Nous en avons chez nos chers soldats un exemple qui nous émeut jusqu’aux larmes. N’objectez pas qu’ils sont bien obligés d’obéir à des ordres supérieurs et de faire leur métier ; je réponds que, par leur empressement patriotique, ils font de ce métier un service libre et volontaire. Il est impossible de ne pas faire un certain rapprochement entre la façon dont ils exposent leur vie et le don que Jésus-Christ a fait de la sienne, si grand que soit le contraste à d’autres égards. S’il y a un sacrifice qui surpasse le leur, c’est celui des mères et des épouses qui les laissent partir, qui donnent à la patrie ce qui leur est plus cher qu’elles-mêmes et qui, si grande que soit leur angoisse, ne consentiraient pas, au jour où tous les Français valides vont au péril, à ce que leurs fils et leurs maris fussent exclus de cet honneur. Chers frères et chères sœurs, nous sommes tous au presque tous appelés aujourd’hui à offrir des sacrifices de ce genre, les plus coûteux et les plus douloureux de tous ; je compte donc que nous ne reculerons pas devant les moindres et qu’après avoir donné nos enfants, nous n’épargnerons ni notre argent, ni notre peine. Il y aura beaucoup à faire et beaucoup à donner, non seulement pour soigner les blessés et les malades, qu’il faut à tout prix conserver et arracher à la mort, toutes les fois que cela n’est pas impossible, mais pour aider tant de familles momentanément privées de leurs chefs et de leurs soutiens naturels. Pourvoir à leurs besoins, veiller à ce que leurs anxiétés ne soient pas aggravées par des privations et des souffrances matérielles, ce ne sera pas exercer la bienfaisance, ce sera payer une dette sacrée entre toutes. En même temps que nous ferons face, à ces dépenses et à ces appels extraordinaires qui résultent de la guerre, il ne faudra pas laisser languir et dépérir nos œuvres anciennes : diaconats, orphelinats, maisons de santé, asiles pour la vieillesse ou pour l’enfance, car elles seront devenues plus nécessaires que jamais. Et nos Eglises, nos œuvres d’évangélisation, nos Missions, les négligerons-nous ? Ne faut-il pas qu’il soit pourvu aux besoins des âmes en même temps qu’à ceux des corps ? que les espérances et les consolations de l’Evangile soient portées aux malades, aux blessés, aux mourants, aux familles en deuil ? Ne faut-il pas que nos Missions continuent leur saint travail et que les païens d’au-delà des mers ne puissent pas supposer que désormais les chrétiens d’Europe les abandonnent, parce qu’ils ont assez à faire à s’entre-tuer ?

Voici donc quelle est notre perspective pour la saison prochaine, obligations accrues, redoublées, ressources notablement amoindries, car en temps de guerre, toutes les fortunes périclitent et les rentrées des fonds, pour dire le moins ne sont ni régulières, ni certaines. Le problème est-il donc insoluble, la tâche irréalisable ? – Non, si la foi et l’amour chrétien nous remplissent et nous possèdent. Il y a longtemps que l’apôtre Paul a écrit, au sujet des chrétiens de Macédoine, que leur profonde pauvreté s’était répandue en libéralités extraordinaires. Pour pouvoir donner beaucoup d’un côté, il faudra retrancher beaucoup de l’autre ; retrancher, non pas à l’œuvre de Dieu, mais à nos plaisirs, à nos conforts, à nos satisfactions égoïstes, à nos économies. J’ose espérer que cela nous coûtera peu. Durant la saison qui va s’ouvrir, personne ne voudra s’amuser pendant que le sang coule ; personne ne voudra faire bonne et joyeuse chère, alors que tant de familles manquent du nécessaire parce que leurs hommes valides combattent pour la patrie ; personne ne voudra mettre de côté pour lui-même, alors que la France se saigne aux quatre veines et s’endette pour longtemps afin de garder son indépendance et son rang parmi les nations. Mes frères, si nous apprenons cette leçon-là, celle de la vie sérieuse et employée au bien d’autrui, celle du dévouement et du sacrifice ; si nous retenons cette leçon et si nous continuons à la mettre en pratique après, que la crise actuelle sera passée ; celle-ci nous aura apporté des bénédictions qui ne seront pas moindres que les douleurs qu’elle nous cause et les anxiétés où elle nous jette.

III

Mais ces leçons ne seront vraiment apprises, ces fruits de l’affliction ne sont acquis et durables, que si Dieu en est l’auteur et le garant. C’est dire que le premier effet des détresses actuelles doit être le retour à Dieu, la repentance, le réveil de la foi et de la prière. Ah ! je le sais, la guerre peut produire, et a produit en réalité dans beaucoup d’esprits, des impressions tout opposées. « Puisque Dieu permet ces désastres, disent-ils, ces épouvantables conflits où des millions de créatures faites à son image épuisent toutes leurs forces à s’entre-détruire, Dieu n’est pas bon, ou il n’est pas puissant ; en d’autres termes, il n’y a point de Dieu. » Ce n’est pas là ce que vous pensez, mes frères puisque vous êtes ici : le choix entre la foi et l’incrédulité dépend avant tout d’une attitude volontaire de l’âme et nous nous prononçons résolument pour la foi. Nous ne prétendons pas expliquer les voies divines, mais nous affirmons que l’homme n’a pas le droit d’imputer à Dieu le mal dont il est l’auteur responsable et que, quand il le fait, il ajoute au crime le blasphème. Il y a au fond de nos consciences un « quoi qu’il en soit » opiniâtre : quoiqu’il en soit, Dieu est bon ; quoi qu’il en soit, Dieu règne. Quoi qu’il en soit, il fera tourner toutes choses au bien de ceux qui l’aiment ; quoi qu’il en soit, Jésus-Christ est le Sauveur, et la promesse de la vie éternelle ne trompe pas. Etant dans ces sentiments, la guerre, quoiqu’elle ne vienne pas de Dieu, nous parle de la part de Dieu. Elle nous dit l’odieux caractère et l’effrayante puissance du péché ; elle nous porte par conséquent, non pas à imputer tout le mal à nos adversaires, mais à confesser nos péchés ; car nous aussi, nous avons ouvert nos cœurs à l’égoïsme, à la convoitise, à l’injustice et à la haine ; nous avons mérité, par notre mondanité et par nos vices, que la main de Dieu s’appesantît sur nous, et chacun de nous a sujet de s’écrier en se frappant la poitrine : « O Dieu ! sois apaisé envers moi qui suis pécheur ! » En même temps, qu’elle nous rappelle nos péchés, la guerre nous dévoile tout ce qu’il y a de superficiel et d’inconséquent dans notre christianisme. Pour que, près de deux mille ans après Jésus-Christ, des exterminations mutuelles soient possibles entre des peuples appelés chrétiens et se fassent plus en grand que jamais, il faut que, malgré toutes nos professions de foi et toutes nos œuvres de religion et de bienfaisance, nous ayons encore à apprendre l’A B C de l’Evangile ; ô Dieu, rends-le nous, révèle-le nous à nouveau dans sa fraîcheur et dans sa beauté, ton Evangile de pardon, de grâce, de paix, de consécration à Dieu et aux hommes, d’amour universel ! Nous en avons d’autant plus besoin que la guerre nous fait toucher du doigt et éprouver par expérience l’instabilité de tout ce qui est terrestre, la caducité de nos biens, le lendemain incertain pour tous, la mort partout présente. Comment ne pas nous, détacher de tout le reste pour nous réfugier dans l’espérance éternelle, nous jeter dans les bras de notre Père céleste et saisir sa promesse, qui ne confond point ? La guerre nous fait trembler à chaque instant pour la vie de ceux qui nous sont les plus chers ; nous avons trop de raisons pour les croire exposés au péril, mais nous ne savons pas au juste où ils sont et nous avons peu ou point de nouvelles d’eux. Comment notre vie ne deviendrait-elle pas une prière de tous les instants, par laquelle nous ne cessons de recommander à Dieu, et ces vies si précieuses, et le sort de notre chère France, et les intérêts de son règne, et l’avenir de l’humanité ? Enfin, la guerre est pour nous une cause perpétuelle de tentations : tentations, tantôt au découragement, tantôt à la colère et à la haine ; nous qui sommes inactifs et impuissants, nous courons le risque de vouloir d’autant plus de mal à nos ennemis que nous pouvons moins leur en faire. Par là encore, la guerre nous appelle à demeurer dans la communion du Seigneur, à implorer constamment son Esprit de grâce, afin qu’il purifie nos cœurs de toute passion mauvaise et qu’il fasse de nous des chrétiens qui en tout temps aiment Dieu, et par conséquent aiment les hommes. Alors toutes choses, même la guerre, concourront par quelque côté à notre bien.

Amen.

Petit-Temple, 23 août 1914.

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