Étude sur Samuel

Silo

Le jeune Samuel était au service de l’Éternel devant Éli.

(1 Samuel 3.1)

C’était à Dieu, nous l’avons dit, que la mère avait fait abandon de son enfant ; heureusement pas au vieux Éli.

Bien que réunissant en sa personne les fonctions du juge à celles du grand-prêtre, Éli n’exerçait, en fait, à peu près plus d’autorité. Il n’en avait aucune, en particulier sur ses fils. Ces deux jeunes hommes, entre lesquels peut-être il s’était flatté de partager ses deux charges, étaient profondément pervertis. Mais leur père était si faible, si indulgent à leurs péchés, qu’il en était venu à les honorer plus que Dieu lui-mêmev Qu’un enfant comme Samuel soit placé dans un tel milieu pour y être élevé dès l’âge de trois ans, cela peut, à première vue, nous sembler plus qu’imprudent. Anne ignorait-elle ces circonstances ? C’est peu probable : elles étaient connues de tout Israël. Ce qui justifie cette mère, c’est qu’en réalité elle compte fort peu sur Éli. Que dit-elle en lui amenant Samuel ? Non pas : Je te remets mon enfant ; mais bien : « Je veux le prêter à l’Éternel ; il sera toute sa vie prêté à l’Éternel. » Il devient, désormais, un dépôt sacré. Éli n’aura le droit d’y toucher que pour essayer de préserver Samuel des chutes dont il n’a pas su garder ses propres fils.

v2.29.

Après cela, rien ne nous interdit de supposer que les rapports du vieux prêtre avec le jeune lévite aient été bienfaisants. Le vieillard connaissait la loi très suffisamment pour l’enseigner. Il savait prier et montrer l’exemple de la prière. La douceur, la piété lui manquaient moins que la vigueur. Il doit avoir donné à son élève une bonne instruction religieuse. Remarquez seulement que, sur ces points, nous sommes réduits à des suppositions. La peinture des premières années de Samuel est faite avec une sobriété extraordinaire et que nous regrettons presque. L’enfant n’est point un de ces prodiges de savoir ou de vertu, tels qu’on les aime dans les romans. Pas même un prodige de piété : la première fois qu’il entendra la voix de Dieu, il ne la reconnaîtra point ; nous allons le voir. A ne juger que d’après nos idées modernes et d’après les exigences de la jeunesse d’aujourd’hui, ses journées ont dû se suivre avec une monotonie désespérante. Tout ce que nous savons, c’est ceci : « L’enfant fut au service de l’Éternel devant le prêtre Éli… Samuel faisait le service devant l’Éternel… Le jeune Samuel était au service de l’Éternel devant Éliw. » Il paraît qu’il n’y avait pas autre chose à dire, si ce n’est peut-être encore cette simple remarque : « Il grandissait auprès de l’Éternelx, » et une courte observation sur son costume : « Il portait un éphod de lin » – c’était le signe du vêtement sacerdotal ; – « sa mère lui faisait chaque année une petite robe et la lui apportait »y – c’était le souvenir et le cadeau de la maison paternelle.

w2.11, 18 ; 3.1.

x2.21.

y2.18, 19.

Quelles fonctions pouvaient bien lui être dévolues dans ce service de l’Éternel ? Peut-être préparer et nettoyer les lampes du sanctuaire ; ouvrir et fermer les portes du tabernacle, ou du moins de la maison qui le remplaçaitz ; assister Éli dans quelques travaux matériels relatifs aux sacrifices ; apprendre et réciter la loi. En somme, à peu près toujours la même chose. Il aurait pu dire probablement, en rappelant le passe-temps de Joas :

z3.15.

… Quelquefois à l’autel,
Je présente au grand prêtre ou l’encens, ou le sel.

En tout cas, Samuel servait humblement, tranquillement. A ce modeste apprentissage il a gagné d’être agréable à l’Éternel et aux hommesa. Peut-on, mes amis, vous rendre un témoignage égal à celui-là ? Vous inquiétez-vous d’être agréables à Dieu, ou vous suffit-il d’être à la mode et de recueillir des applaudissements ? Tâchez-vous d’être agréables aux hommes ? Non pas de les flatter, vous m’entendez-bien ; mais d’user avec eux de prévenance et d’amabilité ; de vous réjouir avec ceux qui se réjouissent, de pleurer avec ceux qui pleurentb ? Tenez-vous pour devoir d’être agréables à vos parents, à vos frères et à vos sœurs ? Ou pensez-vous que ce soient là des œuvres surérogatoires, et qu’une jeune fille qui se conduit bien, un jeune homme qui ne commet rien contre la morale ont parfaitement le droit d’être grognons ? Vous vous tromperiez fort : Ils doivent se rendre agréables, à l’exemple de Samuel et de cet autre enfant avec qui le fils d’Anne a tant de ressemblances. Soumis à ses parents, Jésus croissait en sagesse, en stature et en grâce devant Dieu et devant les hommesc.

a2.26.

bRomains 12.15.

cLuc 2.51-52.

Il y a plus encore. L’habitude de l’obéissance a valu à notre Samuel une conversation avec Dieu, une révélation, telle que depuis longtemps il ne s’en était point produit de semblable en Israël. C’est à cette nouvelle scène que nous assistons maintenant.

La Parole de Dieu avait cessé de se faire entendre parmi le peuple. Les visions étaient devenues rares. Comme aux jours de Jésus-Christ, il ne se faisait pas beaucoup de miracles « à cause de leur incrédulitéd. » On vivait, on végétait plutôt, dans une sorte de torpeur morale que bien peu de fidèles avaient la force de secouer. Éli, certes, n’était pas un homme de réveil. S’il s’acquittait correctement de ses fonctions, ce qui est, après tout, fort probable, il était une triste preuve que les fonctions ne remplacent pas la vie ni les meilleurs fonctionnaires les vrais ministres de Dieu. Son atonie était telle, que nous l’en voyons à peine sortir quand un prophète, d’ailleurs inconnu, vient lui annoncer les plus terribles jugements de Dieu contre sa maison. Les menaces n’ont amené aucune réforme durable. Les fils étaient toujours aussi coupables, le père aussi indulgent, et le peuple continuait à se détourner de la loi… Qui pouvait bien être le « prêtre fidèle » annoncé comme devant agir bientôt selon le cœur de Dieue ? Serait-ce le jeune Samuel ?

dMatthieu 13.58.

e – 2.3.

En attendant, c’est bien de lui que l’historien va nous entretenir, et l’on ne saurait méconnaître un grand art de narration dans cette alternance entre les douloureuses scènes de la maison d’Éli et les fraîches peintures qui font vivre l’image de Samuel. On dirait, écrit le Dr Blaikie, « les quelques espaces d’azur qui charment encore nos regards, lorsque le firmament est déjà tout assombri par la tempêtef. »

fThe first Book of Samuel, p. 37.

Au moment où nous sommes arrivés, Samuel aurait atteint, d’après Josèpheg l’âge de douze ans. Il n’y a rien là d’impossible. Il fallait pour « ouvrir les portes de la maison de l’Éternel » plus que les forces d’un petit enfant. Surtout, nous ne pensons pas qu’une communication pareille à celle qui va suivre eût été adressée à un adolescent incapable d’y rien comprendre.

g – Antiq. V, 10, 4.

Une nuit, le vieillard reposait auprès de son jeune pensionnaire. Ils occupaient, selon toute apparence, un appartement dans le voisinage immédiat du tabernacle, comme, plus tard, les prêtres eurent leurs chambres dans l’enceinte même du temple. L’aube n’était pas loin de poindre, car « la lampe de Dieu n’était pas encore éteinte » – c’est-à-dire qu’au moins une des lampes du chandelier d’or brûlait dans le lieu saint, ou dans la pièce destinée à le remplacer. On dort bien, à douze ans, durant cette heure qui termine la nuit et qui amène tout doucement le jour. Samuel était précisément plongé dans ce profond sommeil, quand son nom, tout à coup prononcé, le réveille en sursaut.

Je ne sais pas, mes amis, ce que vous eussiez fait à sa place, et je ne veux pas vous le demander. Mais je tiens à tous signaler la discipline que ce jeune homme a su exercer sur lui-même. Sur son corps, puisque nous le voyons à quatre reprises se lever avec empressement pour répondre à la voix qui l’appelle. Sur son humeur, car trois fois il se trouve que son empressement n’a servi de rien, et qu’il n’est point demandé par Éli, ainsi qu’il l’avait cru. Il y a quelque chose de si naïf, de si joli, dirais-je, dans la façon dont il aborde son père adoptif. – « Me voici, car tu m’as appelé. » Est-ce que je puis faire autre chose que de venir, et de venir tout de suite ? – Et pourtant, Éli ne lui veut rien du tout. Éli n’aurait pas mieux demandé que de le laisser dormir et de continuer à dormir lui-même. Deux fois la voix reprend ; deux fois de nouveau le nom de Samuel est crié ; deux fois il se trompe encore, dans la promptitude de son obéissance. Nous ne pouvons nous étonner qu’il n’ait pas su discerner la parole de l’Éternel ; Éli, le prêtre expérimenté, ne le savait pas non plus ! Ce n’est que la troisième fois que le jour enfin se fait dans son esprit. Il donne alors ses instructions à Samuel, et celui-ci va s’y conformer avec une scrupuleuse docilité. Notons pourtant ici, à l’honneur du sacrificateur, qu’il ne laisse paraître aucune jalousie. Humainement parlant, il y aurait eu de quoi. Être mis de côté, sur son âge avancé, au terme d’une longue carrière, et se voir préférer un tout jeune homme, presque un inconnu, c’est dur au cœur naturel. Éli aurait refusé de donner ses conseils à Samuel, que nous n’aurions pas trouvé cette conduite fort extraordinaire.

L’Éternel revient à la charge. « Parle, » lui dit alors celui qu’il poursuivait avec une si paternelle sollicitude. « Parle ! ton serviteur écoute. »

Toute la vie de Samuel est dans ces quatre mots. Si grande que soit l’autorité dont il sera plus tard investi, jamais il ne se permettra d’imposer à Israël ses opinions ni ses volontés. La Parole de Dieu décidera seule ; pour lui, il n’en sera que le serviteur. Il pourra la prêcher aux autres avec d’autant plus de force, qu’il aura commencé par l’écouter avec déférence et par obéir sans objections. Lorsque le peuple lui demandera d’établir un roi, il s’y refusera tout d’abord. Il protestera indigné contre cette atteinte portée à la théocratie. Puis, quand Dieu lui aura dit : « Écoute la voix du peupleh » cette voix deviendra pour lui celle du Seigneur, et il cédera. Quand il versera les larmes les plus sincères sur Saül rejeté, Dieu lui commandera d’aller oindre un berger que rien au monde ne désignait à son attention. Il ira ; il oindra David ; il s’exposera vaillamment au courroux du fils de Kis. Jusqu’à sa blanche vieillesse il n’aura pas d’autre devise que celle de son enfance : Parle ; ton serviteur écoute !

h8.7.

Mes amis, ne sera-ce pas aussi la vôtre ? N’objectez pas, je vous en prie, que Dieu ne parle plus. Qu’il n’emploie pas de nos jours le même genre de révélation qu’au temps de Samuel, c’est possible. Mais vous ne nierez pas qu’il y ait aujourd’hui trois livres où le Seigneur vous parle. La nature d’abord. Ne sauriez-vous pas la comprendre ? Lorsque, dans des vacances d’été, vous parcourez quelques vallées ou vous escaladez quelques cimes de nos Alpes, ne discernez-vous pas la voix de Dieu, tantôt dans l’incomparable majesté d’un coucher de soleil, tantôt sur la plaine immaculée du glacier, ou dans le silence imposant de la forêt ? « Ce n’est pas un langage dont le son ne soit pas entendui. » – La conscience, ensuite. J’espère que la vôtre n’est pas cautérisée et que vous n’êtes pas parvenus à la rendre muette. Je veux bien qu’elle ne vous dise pas toujours des paroles agréables. Mais elles sont salutaires, du moins ; c’est un message de Dieu. – La Bible enfin, et surtout. Si je ne croyais pas de toute mon âme que Dieu nous parle par elle, je laisserais là certainement nos études, et j’aimerais mieux les remplacer par le plus vulgaire des métiers. Or c’est surtout quand nous ouvrons ce livre que j’ai besoin de répéter, en votre nom comme au mien : « Parle, tes serviteurs écoutent ! » Non ! ce qui manque ce ne sont pas des voix de Dieu ; ce sont des oreilles attentives, des esprits dociles et des volontés soumises qui consentent à s’intéresser à autre chose qu’au plaisir ou à l’ambition.

iPsaumes 19.4.

Revenons à Samuel. Qu’a-t-il entendu dans cette nuit mémorable ?

En premier lieu, l’annonce d’un jugement qui frappera le peuple entier d’Israël. Ensuite, avec des détails effrayants, la prédiction d’une catastrophe qui détruira la maison d’Éli. La patience de Dieu est arrivée à son terme. Ce n’est pas seulement un malheur isolé qui va se produire ; c’est une série d’infortunes : « Je commencerai et j’achèveraij, » dit l’Éternel. En d’autres termes : J’irai jusqu’au bout. Eli ne peut prétexter, pour s’excuser, son ignorance des faits. Il a très bien vu les crimes de ses fils ; s’il ne les a pas réprimés, c’est que l’énergie lui a fait défaut. Aussi l’indignation de l’Éternel est arrivée à un tel point qu’il prononce un serment : « Je jure que jamais le crime de la maison d’Éli ne sera expié, ni par des sacrifices ni par des offrandes. » – En vérité, je ne sais pas de sentences plus terribles. Je ne me sens pas le droit de chercher à expliquer ; je m’incline. Je vois le Dieu des miséricordes qui s’interdit le droit de pardonner ; je me trouve en face d’un châtiment qu’il est devenu impossible d’éviter. Je m’efforce avec vous d’en tirer instruction, et de comprendre qu’il est quelquefois trop tard.

j3.12.

Pauvre Samuel ! Le matin est venu ; il lui faut communiquer ces nouvelles à celui qu’il aime comme un père. Il n’a pas le droit de les cacher, maintenant qu’Éli le somme, par ce qu’il y a de plus sacré, de lui faire savoir toute la vérité. Mais c’est amer de voir cette tête blanche se courber sous le poids d’une malédiction qu’il n’est plus au pouvoir de l’homme de repousser. Éli plie, en effet, sous la terrible sentence. Seulement, il plie un peu comme le roseau, et sa soumission, si réelle qu’elle soit, nous apparaît sous un jour beaucoup moins noble que celle de Job dans une épreuve analogue. Il nous y manque l’humiliation, le repentir. Cela nous empêche d’admirer sans réserve l’exclamation du malheureux père : « C’est l’Éternel, qu’il fasse ce qui lui semblera bon ! » On y surprend je ne sais quel accent de fatalisme ; ce n’est pas celui de la foi.

Dieu, au surplus, attend encore quelque temps avant d’exécuter sa menace. Ce qu’il fait pour les plus grands pécheurs, pour les contemporains de Noé, par exemple, et pour les Cananéens, il le fait à bien plus forte raison pour un serviteur comme Éli, qui n’a pas toujours démérité. Profitons de cette période d’attente, pour examiner rapidement encore la conversation de l’Éternel avec son futur prophète.

Nous y rencontrons tous les principaux éléments des révélations de Dieu à ses serviteurs en général. Laparole et la vision sont indiquées comme les deux moyens employés par le Seigneur pour se faire connaître. D’abord la parole. Un simple appel : Samuel ! Samuel ! La vision ensuite. Nous ne saurions dire ce que Samuel a vu. Mais il a vu quelqu’un ou quelque chose, car l’historien appelle sans ambage « vision » ce qui est apparu à cet enfantk ; et cinq versets plus haut il a écrit : « L’Éternel vint et se présenta. » Alors la parole a repris : enseignement direct, menace, annonce de l’avenir. Pour conclure, c’est au ministre de Dieu à parler à son tour, pour apprendre à d’autres oreilles ce que les siennes ont entendu. En résumé, donc, quatre éléments de la révélation : Appel du Seigneur, réponse de son serviteur, communications personnelles à lui adressées par l’Éternel, répétition fidèle, ordinairement détaillée, faite par le prophète de ce qui vient d’être prononcé par la bouche de Dieu.

k3.15.

Ainsi en a-t-il été dans maintes occasions pareilles à celle qui nous occupe. Voyez Élie dans la caverne du mont Horeb. « Que fais-tu ici ? » lui demande le Dieu de ses pères. Il répond en exposant sa détresse : « J’ai été extrêmement ému à jalousie, parce que les enfants d’Israël ont abandonné ton alliance… Ils cherchent à m’ôter la vie. » Mais il faut sortir de cet abattement. L’ordre est donné au Thischbite de retourner à son ministère, en même temps qu’il apprend à en découvrir bien des fruits jusqu’alors cachés : sept mille hommes, dont la bouche n’a point embrassé Baal. Il en est de même pour Ésaïe, au jour de son investiture. Il a contemplé Jahveh sur son trône ; il a entendu les séraphins qui chantaient en chœur sa sainteté ; et à la pressante question : « Qui enverrai-je ? » il se hâte de répondre : « Me voici, envoie-moi ! » Chargé, dès lors, d’un mandat divin, il publie à Juda et dans Jérusalem les secrets qui lui ont été découverts. Avec d’autres formes, d’autres expressions, nous assistons à un développement analogue dans la vocation de Jérémie. La grande différence qu’il faut relever en faveur de Samuel, c’est qu’il était beaucoup plus jeune qu’aucun de ces prophètes éminents, lorsqu’il fut honoré pour la première fois des confidences du Très-Haut.

C’est ainsi qu’il fut amené à connaître l’Éternel. Les instructions de sa pieuse mère l’y avaient certainement préparé. Mais elles n’avaient pas suffi. Entendre parler de Dieu, c’est beaucoup. Ce n’est point encore assez. Il en faut arriver à l’entendre parler lui-même. La piété traditionnelle qui peut être puisée au foyer domestique est d’un prix immense. Néanmoins elle est impuissante à sauver une âme ; il y faut substituer la foi personnelle, le contact direct avec le Sauveur. Or cette piété-là manquait encore au fils d’Anne quand il arriva chez Éli. Elle ne put guère lui être communiquée par ce prêtre débile, qui avait oublié de « ranimer le don de Dieul. » Elle naquit à cette heure matinale où le Seigneur choisit l’enfant de douze ans pour lui faire part de ses desseins. Il n’y eut, dès ce moment, plus d’intermédiaire, pas même sa mère bien-aimée, entre l’Éternel et lui. Alors fut créé un rapport intime entre son Père céleste et son âme ; quelque chose de semblable à ce qui s’est passé chez les habitants de Sichar, lorsqu’ils ont pu rendre ce témoignage : « Ce n’est plus à cause de ce que tu nous as dit que nous croyons ; car nous l’avons entendu nous-mêmes, et nous savons qu’il est vraiment le Sauveur du mondem. » Assurément, cette foi dut progresser encore. Elle n’avait pas atteint d’emblée les sommets. Mais c’est bien à partir de ce jour que la Bible ne peut plus écrire de Samuel ce qui avait été vrai au milieu de la nuit : Il ne connaissait pas l’Éternel.

l2 Timothée 1.6.

mJean 4.42.

Il importe énormément, mes amis, que vous sachiez où vous en êtes à cet égard ? Vous contentez-vous, en fait de piété, de celle de votre père, de votre mère ? Croyez-vous, parce qu’ils possèdent leur Sauveur que vous le connaissiez aussi ? Vous arrive-t-il de fuir les heures de recueillement et de tête-à-tête où il voulait vous enseigner à faire sa connaissance ? Tant que vous persisterez à les éviter, votre foi ne sera qu’empruntée et manquera de solidité. Au premier choc un peu grave, elle chancellera ; peut-être, s’écroulera. C’est pour en être restés à une religion si incertaine, que tant de jeunes gens sont aujourd’hui les portraits d’Éli, ou même de ses fils.

Vous l’aurez compris : la première vision de Samuel marqua la fin de son enfance. La jeunesse, désormais, a commencé pour lui. Jeunesse fort sérieuse, assurément. Son père adoptif est rejeté de Dieu ; la maison qu’il avait considérée comme la sienne est vouée à une destruction que rien ne doit plus conjurer. Si la pensée aborde par moments son esprit que Dieu le destine à devenir, d’une manière quelconque, le successeur d’Éli, nous n’en serons point surpris. Après une vocation aussi exceptionnelle, il peut supposer, sans présomption, que ce sera dorénavant à lui de faire connaître à ses concitoyens les secrets de l’Éternel.

Une préparation lente et cachée lui était encore nécessaire. Elle se poursuit sous la tutelle de Dieu bien plus que d’Éli, et trois simples traits nous en donnent le résumé.

En premier lieu, dit le texte, « il grandissaitn. » Absolument comme il est écrit de Jean-Baptiste : « L’enfant croissaito. » Les hommes de Dieu doivent grandir. Ils ne sont pas soustraits à la loi du développement ; et il faut bien que ce fait, qui nous semble si banal, ait quelque importance, puisque nous le voyons nettement signalé dans les biographies du premier et du dernier prophète de l’ancienne alliance, du précurseur de David et du précurseur de Jésus-Christ. Ils ont eu à progresser, à se développer, quant à l’esprit, à l’âme et au corps, de la même façon qu’un de nous.

n3.19.

oLuc 1.80.

Ensuite, ou plutôt en même temps, « l’Éternel était avec Samuel. » Ah ! que cette présence du Seigneur est nécessaire pour que le progrès ne suive pas une mauvaise voie. Car enfin on peut grandir dans le mal autant que dans le bien. Il y a des jeunes gens qui avancent du côté du ciel. Il y en a qui progressent du côté du monde. Les uns et les autres grandissent. Seulement les seconds ont échappé volontairement à la main qui aurait su tout ensemble les guider et les retenir. L’Éternel n’est plus avec eux.

Dieu, enfin, ne laissa tomber en terre aucune des paroles de Samuel. Ne trouvez-vous pas que c’est tout ensemble très admirable et très effrayant ? Figurez-vous un peu ce qu’il adviendrait ; si Dieu ne laissait pas tomber à terre une seule de vos paroles. Toutes les niaiseries, toutes les futilités, toutes les sottises que vous débitez dans l’espace d’un seul jour, conservées si soigneusement que pas une seule ne se perde ! Ne vous rassurez pas, s’il vous plaît, en vous persuadant que cela ne sera point. Cela sera au contraire ; cela est au jour du jugement, dit Jésus, « les hommes rendront compte de toute parole vaine qu’ils auront proféréep. » Il faut bien, pour cela, qu’elles ne soient pas tombées en terre. Les paroles de Samuel, du moins, dites en présence et de la part de Dieu, méritaient de ne pas être perdues. Il causait moins, je le soupçonne, que beaucoup de nos jeunes contemporains. Mais ses causeries étaient plus utiles, assaisonnées d’un meilleur sel. Ce n’était pas non plus un de ces talents de serre chaude qui sont prêts à parler à tort et à travers sur n’importe quel sujet. En revanche, ce qu’il disait portait coup. Bon gré mal gré, on écoutait et l’on retenait. A mesure qu’il gagnait des années, on percevait dans sa parole ce quelque chose d’indéfinissable, qui se sent plus qu’il ne s’explique, et qui s’appelle l’autorité. C’est là aussi ce que les auditeurs de Jésus ont bien vite remarqué dans ses discours, en notant par là même combien ils différaient de ceux des scribesq. Les uns s’en irritent, sans doute ; les autres en font leur profit. Rien ne se perd.

pMatthieu 12.36.

qMatthieu 7.29.

Ainsi Samuel grandissait. Éli, au contraire, allait diminuant et s’effaçant d’année en année. N’étaient son grand âge et son sacerdoce, à peine l’eût-on encore honoré. – Dieu était avec Samuel. Hélas ! Il semblait que Dieu fût contre Éli, tant ce juge déconsidéré avait mis peu de soin à restaurer le culte profané de l’Éternel. – Les paroles de Samuel ne tombaient point en terre. Celles d’Éli, s’il en prononçait encore, n’éveillaient plus d’écho, ni dans le peuple ni dans le cœur de ses fils. C’était une voix éteinte, presque morte. Le contraste entre cet astre qui se couche au milieu de sinistres vapeurs, et cette pure étoile qui éclaire un ciel encore bien chargé de nuages, nous apparaît comme une des leçons les plus saisissantes de cette époque troublée.

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