[1] Avant d'entrer dans mon récit, je dois faire une observation indispensable, pour que personne ne pense que Jésus-Christ notre Sauveur et Seigneur n'est que d'hier, à cause du temps où il a paru dans sa chair.
Afin qu'on ne soupçonne point sa doctrine d'être récente et étrangère, œuvre d'un homme nouveau et en tout semblable aux autres, il faut nous expliquer brièvement sur cela. [2] Sans doute il n'est pas contestable que notre Sauveur Jésus ait récemment manifesté sa présence à tous les hommes ; il est très sûr également qu'il a surgi un peuple qu'on n'avait jamais vu, non pas petit et faible, ni resserré dans quelque coin de la terre, mais le plus nombreux, et aussi le plus religieux de tous, indestructible et invincible parce qu'il reçoit sans cesse le secours de Dieu ; il a fait son apparition en masse, à l'heure mystérieuse des volontés divines ; c'est le peuple que tous honorent du nom du Christ. [3] Un prophète fut frappé d'étonnement, en le voyant d'avance dans l'avenir par l'illumination de l'Esprit divin, et il s'écria : « Qui a jamais entendu ou raconté rien de semblable ? Voici que la terre a enfanté en un seul jour et qu'un peuple est né d'un seul coup. » Il insinue même en quelque sorte le nom futur de ce peuple : « Mes serviteurs seront appelés d'un nom nouveau qui sera béni sur la terre. »
[4] Mais si, à n'en pas douter, nous sommes d'hier, si le nom récent de Chrétien n'est connu que depuis peu parmi toutes les nations, notre genre de vie, nos mœurs inspirés par les principes de la religion, n'ont rien de récent et n'ont pas été inventées par nous : dès les premiers temps de l'humanité, pour ainsi dire, elles furent adoptées d'instinct par les hommes pieux d'autrefois. Nous allons le montrer.
[5] Le peuple juif n'est certes pas un peuple nouveau, tous lui accordent l'honneur de l'antiquité ; ses livres et ses écrits nous apprennent que dès les âges anciens quelques hommes, clairsemés et peu nombreux, ne laissaient pas d'être éminents en piété, en justice et dans toutes les autres vertus. Plusieurs d'entre eux ont vécu avant le déluge ; d'autres ont existé plus tard, tels les fils et les descendants de Noé, tel Abraham que les fils des Hébreux se glorifient d'avoir pour chef et pour premier père. [6] Tous ceux dont la justice est ainsi attestée, depuis Abraham en remontant jusqu'au premier homme, on peut sans sortir de la vérité les appeler des chrétiens ; ils l'ont été en fait, sans en porter le nom. [7] Ce nom signifie en effet que le chrétien, grâce à la connaissance et à la doctrine du Christ, se distingue par la modestie, l'équité, la force du caractère, la virilité de sa conduite, la confession et le culte d'un seul et unique Dieu souverain ; or aucun de ceux dont nous parlons n'a rien à nous envier en tous ces points. [8] Ils n'ont pas plus que nous pratiqué la circoncision, ni pas plus que nous l'observance du sabbat ; ils ne furent pas astreints aux défenses relatives aux aliments, ni aux autres prescriptions que Moïse, le premier de tous, commença à introduire dans un but symbolique, pour ceux qui devaient suivre, et dont aujourd'hui les chrétiens ne se soucient guère. Cependant ils ont fort bien connu le Christ de Dieu : Abraham l'a vu, Isaac a reçu ses oracles, il a parlé à Israël, et il s'est entretenu avec Moïse et les prophètes qui vinrent plus tard ainsi que nous l'avons montré. [9] C'est pourquoi dans l'Écriture on trouve que ces amis de Dieu sont honorés du nom de Christ selon la parole : « Ne touchez pas à mes Christs et ne faites pas de mal à mes prophètes. » [10] Il faut clairement conclure de ceci que la forme de religion la plus antique et la plus primitive de toutes, trouvée par ces hommes pieux, contemporains d'Abraham, est celle même qui est annoncée depuis peu à toutes les nations par la doctrine du Christ.
[11] Si l'on prétend qu'Abraham reçut beaucoup plus tard le précepte de la circoncision, on peut répondre que bien auparavant il avait été déclaré juste à cause de sa foi ; la divine parole dit en effet : « Abraham crut à Dieu et cela lui fut imputé à justice » [12] Le patriarche était donc juste avant la circoncision, au jour où Dieu, c'est-à-dire le Christ, Verbe de Dieu, lui apparut et lui fît cette prédiction concernant ceux qui dans la suite des âges devaient être justifiés de la même manière que lui, disant en propres termes : « Et en toi seront bénies toutes les nations de la terre » ; et encore : « Il sera chef d'une nation grande et nombreuse, et en lui seront bénis tous les peuples de la terre ». [13] Il est facile de voir que ces promesses se sont réalisées en nous, car Abraham a été justifié par la foi au Christ, au Verbe de Dieu, qu'il avait vu lui-même. Il s'est éloigné de l'idolâtrie de ses pères et des erreurs premières de sa vie ; il a reconnu le Dieu unique et souverain, et il l'a honoré par des œuvres de vertu, non point par l'observance de la loi mosaïque qui est postérieure. C'est à un tel homme qu'il a été dit que toutes les tribus de la terre et toutes les nations seront bénies en lui. [14] Aujourd'hui, c'est dans les œuvres des seuls chrétiens répandus dans l'univers entier, qu'on trouve, plus clairement reproduite que dans tout discours, la forme de la religion d'Abraham.
[15] Quel motif a-t-on, par suite, de nier que nous, postérieurs au Christ, nous n'ayons un seul et même genre de vie, une même religion que ces antiques amis de Dieu ? Non, elle n'est ni nouvelle ni étrangère, et à dire vrai, elle nous apparaît la plus ancienne et la seule véritable forme normale du culte divin, cette religion que nous puisons dans la doctrine du Christ. Mais cela suffit.