Fondé sur le Roc

Chapitre 3

Etant dans le chemin, l’Eternel me conduisit

Genèse 24.29

La parole de l’Epître aux Romains, chapitre 8, verset 28 : « Toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu, de ceux qui sont appelés selon Son dessein », est une promesse divine faite à l’enfant de Dieu qui veut croire et obéir même sans comprendre. Ce n’est que plus tard qu’il constate qu’en effet toutes choses ont concouru à son bien et que pendant l’accomplissement du devoir le plus humble, alors qu’il cherchait à honorer son Maître, Dieu était en train de le former en vue de l’avenir.

Quand Israël sortit d’Egypte, ce fut avec beaucoup de richesses. De même, en regardant en arrière, le chrétien peut constater la main de Dieu, Son éducation et Sa fidélité dans combien de circonstances qui ont contribué à l’enrichir d’expériences diverses dans les choses humaines autant que divines. Je tiens à en rappeler quelques-unes pour lesquelles je ne serai jamais assez reconnaissant.


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Mon travail m’isolait quelque peu de ma famille. Il m’arrivait de me sentir seul de mon espèce, au milieu de mes frères et sœurs. L’emploi de mes journées et les devoirs qui m’incombaient étaient bien différents des leurs ; mais cela m’a donné la possibilité d’acquérir cette grâce essentielle à tout serviteur de Dieu : l’amour des âmes, et cela grâce au travail que je pus accomplir dans les bas-fonds d’Edimbourg. Je m’y rendais le soir pour des réunions en plein air ou dans des salles d’évangélisation. J’appris à plaider avec les âmes pour leur salut. Je fus ainsi forcé de me lancer en pleine eau, de faire toutes sortes d’expériences au contact de l’immense misère que recelaient nos bas-fonds. Une telle activité nous sort de nous-mêmes et nous apprend le vrai service auprès des autres.

Lorsque je fis mes études à Glasgow, j’appris et j’entendis souvent répéter que les deux caractéristiques du serviteur de Dieu sont : connaître la Bible et connaître le cœur humain. Ainsi Dieu savait, en me conduisant par un chemin qui n’était pas de mon choix, qu’Il allait me donner l’occasion d’acquérir ce que certaines études de théologie ne donnent pas et que même souvent elles empêchent : un cœur brûlant pour Dieu, l’amour des âmes et l’ardent désir d’en sauver autant que possible.

C’est ainsi que dès les premiers jours de mon service pour Dieu, je me donnai entièrement à l’action directe auprès des âmes. Ce fut d’emblée une chose convenue entre Lui et moi.

La défectuosité du service de beaucoup de chrétiens provient souvent de l’absence de l’amour des âmes et du travail intensif auprès d’elles. Il en résulte que cette lacune donne le temps de s’occuper de choses stériles et sans utilité spirituelle.

Quelques années plus tard, étant à Genève, je vis aussitôt des possibilités d’évangélisation dans cette ville. Immédiatement ma pensée fut d’entreprendre une œuvre dans le genre de ce que j’avais vu en Ecosse, ou d’en suggérer l’initiative à ceux qui en avaient la possibilité. Mais je rencontrai de l’incompréhension, sans me rendre compte de ce qui l’inspirait. On s’opposa à un plan qui, mis à exécution, aurait certainement porté de bons fruits. On préféra des soirées récréatives à de bonnes réunions d’évangélisation pure et simple ; on préféra intéresser, amuser même le public, et le retenir de cette façon, plutôt que de sauver les âmes et les amener à Christ pour en faire, à leur tour, des instruments pour Son service. Bien entendu, je ne prétends pas que rien ne se faisait pour Dieu à Genève. Je parle seulement d’une expérience personnelle et précise d’il y a trente ans ; l’avenir me donna raison.

Mais si cet amour des âmes et le besoin d’insister en temps et hors de temps rencontrèrent à cette occasion incompréhension et refus de coopération, Dieu ne permit pas que le zèle qui m’animait s’éteignît ; Il ouvrit des portes ailleurs. Il en a toujours été ainsi dans ma vie : Dieu a continuellement frayé un chemin. Où Il voit le don de l’amour des âmes, Il crée aussi les possibilités de l’exprimer. Ce besoin d’action auprès de mes semblables, qui m’avait rempli de zèle pour le travail dans les bas-fonds d’Edimbourg et ensuite de Glasgow, a toujours, depuis lors, trouvé une issue. Où les hommes nous tournaient le dos — et combien de fois ne l’ont-ils pas fait ! — Dieu a toujours éclairé le chemin de la clarté de Sa face (Nombres 6.24 à 26).

A la veille des réunions de réveil de 1913-1918, qui devaient conduire à tant de glorieux développements, mais susciter aussi tant d’opposition, de résistance et de jalousie, quelqu’un m’envoya le texte suivant de l’Ecriture : « Voici, parce que tu as peu de puissance et que tu as gardé Ma Parole, que tu n’as pas renié Mon Nom, J’ai mis devant toi une porte ouverte que personne ne peut fermer » (Apocalypse 3.8). Dieu savait que j’en aurais besoin ! Cette promesse s’est réalisée dans ma vie, et dans les circonstances les plus difficiles. Dieu a toujours pris soin de Son œuvre ; et quand, à un certain moment, une véritable coalition se forma pour anéantir l’œuvre de l’Ecole Biblique, Dieu S’en servit pour l’enraciner, pour l’affermir et lui donner son élan mondial d’action biblique.

Voilà pourquoi le début de toute vie chrétienne a une telle importance. Heureux les jeunes convertis qui sont bien dirigés dès leurs premiers pas par des aînés qui ne recherchent pas leurs propres intérêts, ni ceux d’un groupement religieux, mais seulement le bien des âmes et la gloire de Dieu !


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Je pouvais non seulement donner mes soirées libres à l’évangélisation ou à l’étude de la Bible, mais encore à l’activité de notre Eglise. Nous étions extrêmement privilégiés d’avoir pour pasteur le Rev. George Wilson, l’un des fondateurs du mouvement de Keswick, à ce moment-là peut-être la sommité ecclésiastique, spirituelle et biblique la plus en vue — et l’Ecosse en a toujours été riche. Un auditoire venant de loin assistait à ses cultes. Leur richesse et leur puissance biblique étaient merveilleuses, Christ était glorifié, Son œuvre magnifiée et Sa Parole honorée.

Encore aujourd’hui, je suis conscient de l’influence de son enseignement. Il donnait à la vie naissante de ses jeunes catéchumènes une inspiration durable et un but précis en leur faisant découvrir Christ dans toutes les Ecritures. Il avait une façon originale de présenter la Parole, unissant une grande richesse à une grande simplicité. Sa vie de prière était le secret de l’onction de son ministère.

En plus de cela, tout en étant docteur en théologie et une sommité dans l’Eglise nationale de notre pays, il comprenait les jeunes. Il nous aimait, et avec fidélité ; il nous disait la vérité quand il le fallait pour notre bien ; il nous donnait des conseils en vue de notre intérêt et non du sien ou de celui de son Eglise.

J’ai placé sa photographie sur la cheminée de mon bureau et, quand je la regarde, je me souviens tou- jours de l’incident suivant : Lors de notre dernière réunion de catéchumènes avant notre réception comme membres de l’Eglise, il nous réunit dans son bureau et il nous dit : « En entrant dans l’Eglise, vous prenez vos responsabilités, et vous n’avez pas le droit de vous appeler chrétiens si vous n’avez pas amené une âme à Christ. » Dans une Eglise officielle et formaliste, ce langage était fort. Je sais combien il m’a frappé, et je ne l’ai jamais oublié. Le lendemain, en prenant la Cène pour la première fois, assis à côté de ma chère mère qui priait pour moi, j’ai demandé à Dieu de faire de moi un gagneur d’âmes jusqu’à la fin.

Mais cet élan devait être mis à l’épreuve. Si nous avions comme pasteur un homme de Dieu puissant dans les Ecritures et dans la foi, il n’en était pas de même de l’Eglise entière, de ses membres et de son organisation.

Nous étions quatre amis qui avions passé notre catéchuménat avec bénédiction et joie. Nous nous étions consacrés à Dieu de tout notre cœur pour Son service dans l’Eglise aussi bien que dans les bas-fonds. Quant à moi, j’estimais que l’Eglise devait aller dans les bas-fonds, afin d’amener les bas-fonds dans l’Eglise. Mais il y a forcément choc quand un zèle ardent de jeune converti fait irruption où la piété n’est qu’une forme, où l’Eglise vit de son glorieux passé, où la capacité et les possibilités de service pour Dieu dans le monde sont neutralisées, étouffées même par un système trop vaste et trop raide, par des membres fidèles, mais qui ne sont pas eux-mêmes sauvés, qui n’ont pas expérimenté le salut par grâce et le don du Saint-Esprit. Et il y eut choc ! Là encore, notre pasteur prouva sa sagesse et sa patience à l’égard de ces jeunes gens bouillants pour Dieu dans un cadre glacé par le formalisme.

Il ne nous a pas découragés, même quand notre zèle outrepassait la sagesse et quand, au Nom de l’Eternel, nous aurions eu la tendance de « briser les autels de Baal ». Mais la majorité et le système devaient l’emporter, et voici comment : Notre société de jeunesse tomba entre les mains de ceux qui voulaient unir Christ et Bélial, l’Eglise et le monde, pactiser, ménager les gens et les choses au détriment de la vérité et de l’Esprit de Dieu. Des soirées théâtrales, des clubs de football furent organisés, et nous les condamnions avec la dernière énergie ! La crise se produisit un dimanche.

J’étais moniteur de l’Ecole du dimanche, et je devais à mon tour introduire notre réunion préparatoire. Après avoir prié avec mes camarades et préparé ainsi le témoignage que nous nous proposions de rendre, je ne pus m’empêcher de décharger mon cœur au lieu de traiter le sujet indiqué ; je m’adressai directement à tous les moniteurs et monitrices et fis une réunion d’appel à la conversion. Quelques-uns d’entre eux n’avaient pas expérimenté le salut par grâce et n’étaient pas nés de nouveau. Je leur expliquai qu’avant d’enseigner les enfants, nous devions nous-mêmes être enseignés de Dieu, devenir comme de petits enfants et nous convertir. On peut deviner le résultat : il y eut scandale et protestations ! … Tandis que mes trois camarades et moi nous retirions pour prier et louer Dieu, les autres se consultèrent et critiquèrent. Notre cher pasteur se trouva dans une situation difficile ; mais là encore, le serviteur de Dieu ne chercha pas ses propres intérêts.

Plutôt que de pactiser avec le monde, mes trois amis quittèrent l’Eglise. L’un se rattacha à un milieu religieux moribond et exclusif où son zèle s’éteignit. Les deux autres s’occupèrent de la Mission pour employés de chemin de fer. Quant à moi, je quittai l’Ecole du dimanche, mais continuai à assister au culte. Du reste, je n’ai jamais envoyé ma démission de l’Eglise nationale dont je suis encore membre. Sur le sage conseil du Dr Wilson, je me donnai de plus en plus aux réunions d’évangélisation dans les bas-fonds.


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Notre Eglise, malgré sa raideur, était un centre missionnaire, et notre pasteur avait à cœur la cause des missions. Le Rev. William Dalgetty, missionnaire aux Indes, était à ce moment en vacances en Ecosse. Un dimanche soir, il donna une conférence dans notre église de St-Michael. Le temple, si spacieux et si beau, était rempli. Le missionnaire s’adressa surtout à la jeunesse, plaidant pour les païens. A la fin de son discours, il fit — chose inconnue dans cette Eglise — appel à tous ceux qui voulaient donner leur vie au service de Jésus-Christ parmi les païens et les invita à se lever. Jamais je n’oublierai ce moment sacré et solennel. Et dans le silence profond qui régnait dans l’église, où chacun prenait sa décision devant Dieu, je sentis la main de ma mère se poser légèrement sur mon genou. Elle avait deviné le travail du Saint-Esprit dans mon cœur, elle voulait s’y associer, encourager son fils. Ce toucher suffit et, sans hésiter davantage, je me levai, à côté d’elle, la tête baissée. Du haut de la chaire, le missionnaire me vit et me dit : « Que le Seigneur vous bénisse ! » Dès ce moment, je sus que la bénédiction du Maître de la moisson était sur moi.

Dieu soit béni pour la fidélité de ce missionnaire ! Dieu soit béni pour ce toucher de la main de ma mère ! Si léger fût-il, il m’aida à prendre ma décision. A ce moment même, Dieu savait quelles seraient les conséquences de cet acte d’obéissance et de consécration. Il savait que l’un des fruits de cette réunion missionnaire dans cette Eglise nationale formaliste serait la diffusion de Sa Parole et la prédication de Son Evangile en de nombreux pays. A Lui seul en soit toute la gloire !

Une autre influence par laquelle Dieu agit dans ma vie à ce moment-là fut l’amitié que me témoigna le Rev. R. MacCheyne Paterson, missionnaire de l’Eglise d’Ecosse au Punjab. Passant ses vacances à Edimbourg, il m’invita souvent chez lui. Par sa vie spirituelle et son exemple, il me communiqua un grand désir d’aller aux Indes comme missionnaire. Mais à ce moment-là, la plupart des Sociétés missionnaires n’acceptaient comme candidats que ceux qui avaient fait les études de théologie traditionnelles, ce qui est du reste une cause de faiblesse spirituelle pour beaucoup d’entre elles. Néanmoins mon ami multiplia ses démarches avec tant de persévérance qu’il fut bientôt convenu que j’irais avec lui aux Indes comme aide-missionnaire. Nos moments de prière à deux, ses récits émouvants des besoins spirituels des Indes laissèrent une profonde impression dans mon cœur.

C’est à ce moment-là que se présenta une nouvelle occasion de service d’une valeur spirituelle inappréciable et dont je n’aurais jamais pu profiter si je n’avais pas été simple employé de banque.


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Le Dr R.-A. Torrey arriva en Ecosse. Il y présida de grandes missions de réveil, en commençant par Edimbourg. Notre pasteur était membre du Comité d’organisation des réunions. De nouveau il m’encouragea, comme un fidèle berger qui ne cherche rien pour lui-même et son Eglise, mais qui désire par dessus tout le plus grand bien de son troupeau.

Je ne pourrai jamais assez dire combien grand a été mon privilège d’assister à ces réunions et d’avoir contact avec le Dr Torrey, et quelle a été son influence sur ma formation spirituelle.

J’avais beaucoup de temps libre, tandis que mes frères et nos amis étaient nécessairement accaparés par leurs études et ne pouvaient pas suivre régulièrement ces grandes manifestations d’évangélisation qui ont littéralement remué l’Ecosse. Quand ma sœur aînée me proposa d’aller chanter avec elle dans le chœur de quelques centaines de voix, j’acceptai son offre avec empressement. Une fois membre du chœur, je fus appelé à être « worker » dans les secondes réunions, c’est-à-dire à prier avec les personnes désireuses d’accepter le salut et qui demandaient un entretien. Si je mentionne ce souvenir, c’est qu’il est une preuve de plus du fait que tout jeune chrétien, qui se soumet à Dieu, accepte la voie droite de la soumission et obéit sans discuter dans les petites choses de la vie, peut être parfaitement sûr que c’est alors que commencent ses « études ». Car dès ce moment, Dieu emploie toutes les circonstances de sa vie pour les faire concourir à la formation de Son enfant. L’avenir en donne la preuve.

Si l’influence de mon pasteur a laissé des traces ineffaçables dans ma vie, l’influence et l’exemple du Dr Torrey, et le souffle puissant de l’Esprit de Dieu dans ces vastes assemblées ont déposé dans mon cœur ce besoin, cette nécessité impérieuse que l’apôtre Paul exprime ainsi : « Malheur à moi, si je ne prêche pas l’Evangile ! »

Ayant bénéficié de cette formation spirituelle, il n’est pas étonnant qu’à mon arrivée en Suisse, en août 1906, j’aie été immédiatement conscient de l’absence, dans la foi de beaucoup de chrétiens, d’un solide fondement biblique. Ma tante et moi, nous nous mîmes à prier que la grâce accordée à notre cher pays d’Ecosse soit aussi répandue sur le continent. Et cette grâce fut donnée dans sa plénitude au moment des grandes missions de réveil, avant et pendant la première guerre. Si quelques-uns, avec peu d’intelligence spirituelle, mais avec parfois beaucoup de jalousie dans le cœur, s’opposèrent à ce mouvement de réveil, ceux qui connaissaient la pensée du Seigneur et les besoins des âmes reconnurent le souffle d’en haut et les moyens choisis par Dieu. Pourquoi ne pas en convenir ? Pourquoi résister au Saint-Esprit, à ce qu’Il donne et ce qu’Il fait ? Pourquoi élever un mur de préventions contre ce qu’Il approuve ?

Dieu soit béni pour cette préparation des réunions du Dr Torrey, pour la part active qu’il m’a été donné de prendre dans une telle manifestation spirituelle. Ma responsabilité en a été accrue, et ce souvenir a toujours été pour moi une inspiration et un stimulant. Ceux qui, par étroitesse mentale et ignorance spirituelle, ont refusé ces moyens de grâce, l’ont fait à leur propre détriment.

Aujourd’hui, quand je pense à cette banque, à mon pupitre, aux chiffres sans fin qu’il fallait aligner et transcrire, aux sommes d’argent dont j’étais responsable, au travail routinier, au salaire dérisoire, je rends grâces à Dieu pour Son chemin. Il a dit : « Si vous obéissez volontairement, vous mangerez le meilleur du pays. »

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