Tout d’abord, nous avons disposé le plan de cet ouvrage de façon que l’ordre des livres qui se suivent soit le plus favorable au profit du lecteur. Nous n’avons rien voulu présenter qui soit désordonné ou indigeste, de peur que l’amas grossier d’une œuvre sans ordre ne fasse penser au désordre d’une foule mise en émoi par un grand bruit. Mais puisqu’on ne peut gravir un lieu escarpé qu’en s’élevant peu à peu, par paliers, jusqu’au sommet, nous aussi, nous avons disposé par ordre les étapes de notre montée, nous avons adouci la pente abrupte que doit gravir notre intelligence, non pas tant en taillant à vif dans le roc qu’en aplanissant doucement le chemin ; ainsi nos lecteurs progresseront dans leur ascension sans presque avoir l’impression de monter.
[6] Nous publions en petits caractères les passages plus techniques et les excursus, que l’on peut sauter dans une première lecture, réservés à une étude systématique.
Après cet exposé qui constitue le premier livre du traité, le livre suivant s’étend sur le mystère de la génération divine. Ainsi ceux qui doivent être baptisés au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit n’ignoreront pas le sens véritable que revêtent ces noms. Ils ne mélangeront pas la signification des mots, mais ils percevront chacune des personnes telle qu’elle est et telle qu’elle doit être appelée. Ils reconnaîtront parfaitement par notre exposé que la vérité elle-même correspond au nom employé et que ce nom est l’expression de la vérité.
Après ce bref et simple rappel démontrant l’existence de la Trinité, le troisième livre, bien qu’avec discrétion, commence pourtant à entrer dans le vif du sujet et à y progresser. Car le Seigneur met autant que possible notre foi à la portée de notre intelligence par des exemples de sa puissance lorsqu’il énonce, touchant sa personne, une phrase qui dépasse la perception de notre intelligence et nous dit : « Je suis dans le Père et le Père est en moi » (Jean 14.10)[7]. Ainsi ce que la nature limitée de l’homme ne peut saisir sera atteint par la foi qui dès lors, est une connaissance conforme à la raison : car on ne peut ni croire en Dieu de soi-même, ni prétendre que la foi qui saisit la puissance de Dieu n’est pas une foi raisonnable.
[7] Le livre III ne parle de ce texte que d’une façon accidentelle. L’essentiel du livre porte sur Jean 17.1-6.
Le quatrième livre débute par l’énoncé des doctrines hétérodoxes et rejettent ces erreurs qui discréditent la foi de l’Eglise. Il expose cette déclaration perfide[8] que plusieurs hérétiques ont faite récemment, et démontre que ceux-ci ont défendu l’unité de Dieu à partir de la Loi avec duplicité, faisant ainsi preuve d’une incroyable impiété. Bien au contraire, tous les écrits de la Loi et des prophètes sont là pour l’attester : c’est un blasphème de confesser un Dieu unique sans confesser aussi le Christ Dieu. C’est également une imposture de proclamer que Dieu n’est pas unique, après avoir confessé le Christ, fils unique de Dieu.
[8] Lettre qu’Arius, réfugié chez Eusèbe de Nicomédie, envoya en 321 à Alexandre d’Alexandrie, pour se défendre contre l’accusation d’hérésie.
Le cinquième livre reprend dans le même ordre les arguments des hérétiques pour les réfuter. Car s’ils prêchent un Dieu unique, en s’appuyant sur la Loi, ils sont dans l’erreur ; ils se trompent aussi quand ils confessent l’existence d’un seul vrai Dieu, à partir de cette même Loi : ils le font pour repousser la naissance du Christ Seigneur par la clause restrictive qu’il n’y a qu’un Dieu à la fois unique et vrai ; car là où l’on reconnaît la naissance, là aussi on comprend la vérité.
Or nous suivrons le même chemin qu’ils ont utilisé pour refuser la vraie foi : nous enseignerons, d’après la Loi et les prophètes, non pas deux dieux, ni un vrai Dieu solitaire, mais que le vrai Dieu est Père. Ainsi nous prendrons garde de ne pas altérer la foi en un Dieu unique, sans pour autant nier la naissance du Fils. Mais comme d’après eux, le nom de Dieu est assigné par convenance plutôt qu’attribué par essence à un Seigneur « créé » plutôt que « né », nous prouverons la vérité de sa divinité par le témoignage des prophètes ; de sorte qu’après avoir reconnu au Seigneur Jésus-Christ le titre de vrai Dieu, la vérité de sa divinité, liée chez lui à la naissance, maintienne dans notre intelligence la notion du Dieu unique et véritable.
Le livre sixième dévoile maintenant toute la fourberie du dogme hétérodoxe. Car pour donner foi à leurs dires, ces faux docteurs condamnent les thèses impies d’hérétiques tels que Valentin, Sabellius, Mani, Hiéracas. Ils détournent donc à leur profit le saint enseignement de l’Eglise pour mieux voiler leurs déclarations sacrilèges. Après avoir corrigé au mieux les affirmations des impies et les avoir atténuées par une explication ambiguë, ils étouffent la saine doctrine en faisant mine de condamner l’impiété.
Mais nous, après avoir mis au jour les dires et affirmations de chacun d’eux, nous exposons les saints enseignements de l’Eglise. Nous ne permettons pas de croire que ceux-ci aient le moindre point commun avec les hérésies condamnées. En condamnant ce qui doit être condamné, nous adoptons la seule formule à laquelle on puisse honorablement donner son adhésion : le Seigneur Jésus-Christ est le Fils de Dieu. Nous enseignons ainsi cette vérité qu’ils s’obstinent à nier, alors que le Père en a donné témoignage, alors que le Christ en a fourni la preuve par toute sa personne, alors que les Apôtres l’ont prêchée, alors que les hommes attachés à Dieu la croient, alors que les démons la proclament, alors que les Juifs l’avouent par leur refus d’y adhérer, alors que les peuples ignorants la reconnaissent. Non, maintenant, il n’est plus permis de douter de ce qu’il n’est plus possible d’ignorer !
Vient ensuite le septième livre ; il dispose l’énoncé de la controverse en question selon la démarche d’une foi parfaite. Car par un exposé correct et sincère de la foi authentique, il commence par mettre aux prises dans un débat Sabellius *, Hébion * et ces prédicants qui n’annoncent pas le vrai Dieu. Il recherche pourquoi Sabellius a nié l’existence avant tous les siècles de ce Fils que les autres affirment avoir été créé ; car Sabellius ne veut pas convenir que le Fils existait, tout en ne doutant pas que le vrai Dieu ait agi dans un corps humain. Or les autres nient la naissance du Fils et le prétendent une créature, tout en ne comprenant pas que les œuvres du Christ soient les œuvres du vrai Dieu.
Leur contestation assure notre foi ! Car tandis qu’il refuse l’existence du Fils, Sabellius triomphe du fait que c’est le vrai Dieu qui a œuvré dans le Christ : et, pour l’Eglise, il triomphe sur ceux qui nient l’existence du vrai Dieu dans le Christ. D’autre part, lorsque d’autres, à l’encontre de Sabellius, démontrent que le Christ existant avant tous les siècles, a toujours agi, ils triomphent avec nous contre Sabellius qu’ils condamnent, car ce dernier reconnaît le vrai Dieu, mais refuse le Fils de Dieu. Hébion, lui, est vaincu d’un côté comme de l’autre, puisque Arius prouve que le Fils existe avant tous les siècles, et que Sabellius affirme l’action du vrai Dieu dans le Christ. Tous sont vaincus en se terrassant les uns les autres. A l’encontre de Sabellius, à l’encontre de ces prédicants qui donnent au Christ le nom de créature, à l’encontre d’Hébion *, l’Eglise rend témoignage que le Seigneur Jésus Christ est vrai Dieu, issu du vrai Dieu, né avant tous les siècles et engendré dans le temps comme homme.
Nous avons donc affirmé, selon la Loi et les Prophètes, d’abord que le Christ est Fils de Dieu, et ensuite vrai Dieu, dans le mystère même de l’unité divine. Personne ne doutera alors qu’il sied parfaitement à une saine doctrine de confirmer par l’Evangile, la Loi et les Prophètes et d’enseigner à partir du texte évangélique : le Christ est Fils de Dieu, il est vrai Dieu. C’est pourquoi il est tout à fait normal qu’après avoir montré le bien-fondé du nom de Fils à propos du Christ, nous démontrions qu’il est vrai Fils de Dieu, bien que, selon le sens commun, cette appellation de Fils entraîne la certitude de sa véritable nature divine.
Mais pour ne pas laisser à ceux qui lui refusent le titre de véritable Fils unique de Dieu une occasion de tremper ou d’induire en erreur, nous prouverons même cette foi en sa qualité de propre Fils de Dieu, en nous appuyant sur la vérité de sa divinité. Nous le mettrons en lumière : il est Dieu, celui que nous affirmons Fils de Dieu, et nous le montrerons selon ces différentes modalités : son nom, sa naissance, sa nature, sa puissance, ses propres paroles. Il est tel qu’on le nomme : s’il n’était pas nommé de ce nom, il n’y aurait pas eu pour lui de naissance ; ne pas être né l’aurait privé de sa nature ; sans nature, rien ne pouvait être chez lui le support de sa puissance ; sans puissance, il n’y aurait rien en lui pour appuyer la déclaration de sa vérité. Nous montrerons donc la vérité de chacun de ces attributs par des preuves tirées des Evangiles ; ainsi la déclaration de sa vérité n’estompera pas sa puissance ; sa puissance révélera sa nature ; sa nature découlera de sa naissance et sa naissance tiendra à son nom. De la sorte aucune calomnie ne sera possible à l’impiété, car en attestant lui-même la vérité de sa naissance, notre Seigneur Jésus-Christ nous enseigne sa divinité, vrai Dieu, né du vrai Dieu, comme le dévoilent aussi son nom, sa naissance, sa nature et sa puissance.
Les deux livres précédents avaient surtout pour but de confirmer la foi des fidèles dans le Christ, Fils de Dieu et vrai Dieu. Le huitième livre est tout entier consacré à démontrer l’unité de Dieu, non pas en prétendant que le Fils de Dieu n’est pas né, mais en prenant garde de ne pas introduire par cette naissance deux dieux dans la Divinité.
Il expose tout d’abord par quels moyens les hérétiques, qui ne peuvent tout de même pas la nier, cherchent pourtant à minimiser la véritable doctrine de Dieu Père et de Dieu Fils. Il réfute leurs sottises et leurs allégations ridicules fondées par exemple sur des passages tels que : « Or la multitude des croyants n’avait qu’un cœur et qu’une âme » (Actes 4.32), ou encore : « Celui qui plante et celui qui arrose ne font qu’un » (1 Corinthiens 3.8), ou bien : « Je ne prie pas pour eux seulement, mais pour ceux-là aussi qui, grâce à leur parole, croiront en moi, afin que tous soient un, comme Toi, Père, tu es en moi et moi en Toi ; qu’eux aussi soient un en nous » (Jean 17.20-21). Ces textes, selon eux, affirmeraient plutôt l’accord des volontés et la concorde entre le Père et le Fils que l’unité de leur divinité.
Mais nous, prenant ces passages dans leur vrai sens, nous montrerons qu’ils expriment la foi en la naissance divine du Fils. Reprenant toutes les affirmations avancées par le Seigneur, nous enseignons, d’après les déclarations des Apôtres et le sens exact que leur donne le Saint-Esprit, le mystère plénier et parfait de la majesté du Père et de son Fils unique : le Fils compris dans le Père et le Père connu dans le Fils nous révèlent la naissance du Fils unique et la vérité en lui d’une nature divine parfaite.
Or, en ce qui concerne les points essentiels au salut, on ne saurait se contenter d’apporter pour satisfaire notre foi, les seuls textes qui sont ceux que les hérétiques utilisent ; car par la tournure séduisante qu’ils leur donnent la plupart du temps, ils dénaturent les affirmations encore mal étayées de nos dires, à moins que la futilité évidente des propositions qu’ils nous opposent, ne consolide notre foi, du fait même que leurs arguments sont parfaitement ridicules.
C’est pourquoi le livre neuvième tout entier se propose de réfuter tous les textes dont les impies ont fait usage pour contester la naissance de Dieu, le Fils Unique. Oubliant l’économie du « mystère caché dès l’origine des temps » (Colossiens 1.26), ils ne se souviennent pas de l’affirmation de foi présentée par l’Evangile : le Christ est Dieu et homme.
Car ils refusent d’admettre que notre Seigneur Jésus-Christ est Dieu, semblable à Dieu, et en tant que Fils de Dieu, égal à Dieu le Père, qu’il est né de Dieu, et que, par le fait même qu’il est né, il existe dans la vérité de l’Esprit. Ils tentent alors de s’appuyer sur ces paroles du Seigneur : « Pourquoi m’appelez-vous bon ? Dieu seul est bon » (Luc 18.19), comme si, n’acceptant pas d’être appelé bon, le Seigneur fournissait la preuve que seul le Dieu unique est bon ! Il se situerait donc hors de la bonté de Dieu qui seul est bon, et serait hors du vrai Dieu qui est unique ! A ce texte, ils en ajoutent encore d’autres pour justifier les arguments que leur souffle leur impiété : « La vie éternelle, c’est de te connaître, Toi le seul vrai Dieu, et celui que Tu as envoyé, Jésus-Christ » (Jean 17.3). Selon eux, le Christ avouerait donc que seul le Père est le vrai Dieu ; lui-même ne serait pas le vrai Dieu, ni même Dieu ! Car cette réserve : « le seul vrai Dieu » serait limitée à l’Auteur que désigne cet attribut !
Or, continuent-ils, il n’y a pas à douter du sens de ces paroles, puisqu’ailleurs le Christ nous dit aussi : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même, mais seulement ce qu’il voit faire au Père » (Jean 5.19). S’il ne peut rien faire qu’en imitant le Père, on peut en déduire la limite de sa nature. En effet, la Toute-puissance et une activité soumise à l’action d’un autre ne sauraient aller de pair. Le simple bon sens nous montre la différence entre pouvoir tout faire de soi-même et être dans l’impossibilité d’agir ! Cette différence est telle que le Christ a pu affirmer : « Le Père est plus grand que moi » (Jean 14.28). Cet aveu catégorique met donc fin à toute opinion contraire, car ce serait une folie impie d’attribuer l’honneur et la nature de Dieu à celui qui les refuse. De fait celui-ci songe si peu à s’attribuer ce qui est le propre du vrai Dieu qu’il rend à son sujet ce témoignage : « Pour ce qui est du jour et de l’heure, personne ne les connaît, ni les anges dans le ciel, ni le Fils, mais le Père seul » (Marc 13.32). Puisque le Fils ignore ce que seul le Père connaît, le Fils qui ignore est donc d’une toute autre nature que le Père qui sait. Car une nature sujette à l’ignorance ne possède pas la puissance et la majesté de celle sur qui l’ignorance n’a pas prise.
A cela nous montrerons que ces citations scripturaires ont été ainsi comprises d’une manière totalement sacrilège par un esprit perverti et dépravé ; nous expliquerons les raisons de ces paroles du Seigneur, d’après la nature des interrogations qu’elles supposent, en fonction du temps où elles furent dites et selon l’économie de l’enseignement du Christ. Nous replacerons ces paroles dans leur contexte plutôt que de leur imposer un autre contenu.
Il y a, semble-t-il opposition entre ces textes : « Le Père est plus grand que moi » (Jean 14.28) et : « Mon Père et moi, nous sommes un » (Jean 10.30) ; entre ces paroles : « Nul n’est bon, si ce n’est Dieu seul » (Luc 18.19) et : « Celui qui m’a vu a vu aussi le Père » (Jean 14.9). On ne peut trouver un contraste plus marqué entre : « Père, tout ce qui est à moi est à toi » (Jean 17.10) et : « Pour qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu » (Jean 17.3) ; ou bien entre : « Je suis dans le Père et le Père est en moi » (Jean 14.11) et : « Pour ce qui est du jour et de l’heure, nul ne les connaît, ni les anges dans le ciel, ni le Fils, mais le Père seul » (Marc 13.32). C’est qu’il faut distinguer en chacun de ces textes l’annonce de l’économie divine et l’affirmation par le Christ de sa puissance naturelle dont il est conscient. Or ces paroles sont prononcées par la même personne, et pourtant elles traduisent des valeurs relatives aux différentes manières d’exister qui se trouvent dans le Christ et qui sont alors considérées séparément [chacune des deux natures qui existent dans le Christ]. On peut très bien, sans affront au vrai Dieu, présenter le mystère de la foi évangélique sous les différents angles de la cause et du temps, de la naissance et du nom.
Le dixième livre se propose le même but : affermir la foi. Par une sotte interprétation, les hérétiques se servent de certaines circonstances et de certains textes de la Passion pour ravaler la puissance de la nature divine du Christ Jésus, le Seigneur. Ces mêmes textes seront donc repris pour démontrer qu’ils leur ont donné une interprétation totalement sacrilège et que ces paroles, tombées de la bouche du Seigneur, attestent la vraie et parfaite majesté qu’il possède en lui-même. Car ils s’abusent par ces paroles qui, bien que saintes, deviennent impies : « Mon âme est triste jusqu’à la mort » (Matthieu 26.38). Ils pensent donc que la béatitude et l’incorruptibilité divine ne peuvent exister en celui dont l’âme est dominée par l’angoisse d’une tristesse qui l’oppresse : la Passion inévitable l’épouvante au point de lui arracher cette prière : « Père, s’il se peut, que cette coupe s’éloigne de moi ! » (Matthieu 26.39). Le Christ, disent-ils, semble de toute évidence craindre la souffrance : il prie le Père de l’éloigner de lui ; assurément la peur de la souffrance est le mobile ce sa prière : la violence de la douleur a eu tellement raison de sa faiblesse, au moment du crucifiement, qu’il s’écriait : < ; Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Matthieu 27.46). Allant jusqu’à pousser ce cri de détresse, accablé sous le poids de la Passion, privé du secours de son Père, il avait rendu l’esprit sur ces mots : « Père, je remets mon esprit entre tes mains » (Luc 23.46). Ainsi, bouleversé par la terreur d’exhaler son dernier souffle, il aurait confié son âme à la protection de Dieu le Père : c’est donc que n’ayant plus aucun espoir de se sauver, il s’est vu forcé de se confier à autrui.
Mais ces hommes dont la sottise et l’impiété dépassent la mesure, incapables de comprendre qu’il n’y a rien de contradictoire dans ces mêmes demandes émanant d’une même personne, ne s’attachent qu’aux mots et laissent de côté le motif qui les a fait prononcer. Car c’est bien différent de dire : « Mon âme est triste jusqu’à la mort » (Matthieu 26.38) et : « A présent vous verrez le Fils de l’homme siéger à la droite du Tout-Puissant » (Matthieu 26.64). Une chose est de supplier : « Mon Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi ! » (Matthieu 26.39), et autre chose d’affirmer : « Ne boirais-je pas le calice que mon Père m’a donné ? » (Jean 18.11). « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Matthieu 27.46) est d’un tout autre ton que : « Je te le dis, en vérité tu seras aujourd’hui avec moi dans le Paradis » (Luc 23.43). Et la note est bien différente entre : « Père, je remets mon esprit entre tes mains » (Luc 23.46) et : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font » (Luc 23.34).
Incapables de comprendre les paroles divines, ils s’embourbent dans l’impiété. Et comme sont tout à l’opposé : le trouble et la liberté d’esprit, le désir de souffrir et la demande de soulagement, la plainte et l’encouragement, l’abattement et la supplication confiante pour autrui, ils ne tiennent aucun compte de l’affirmation de la nature divine du Christ, et emploient pour donner du poids à leur impiété, des actions et des paroles motivées uniquement par l’économie du salut.
C’est pourquoi nous nous attacherons à démontrer tout ce que contient le mystère de l’âme et du corps du Seigneur Jésus-Christ ; nous ne laisserons rien dans l’ombre, nous ne tairons rien. Mettant posément en relation toutes ces paroles avec chacune des circonstances dans lesquelles elles ont été prononcées, nous montrerons que le Christ a fait preuve d’une confiance qui ne s’est jamais alarmée, d’une volonté qui n’a jamais reculé, d’une paix qui n’a pas connu le murmure. Sa prière n’a pas été tournée vers lui, mais il a imploré le pardon pour les autres. Ainsi nous confirmerons la foi en toutes ces paroles du Christ par l’enseignement complet du mystère de l’Evangile.
La gloire de la résurrection elle-même n’a pas retenu ces hommes dont il y a vraiment de quoi désespérer, qui enseignent à comprendre de travers la religion. Ou bien, en proclamant la dignité du Ressuscité, ils ont trouvé là des armes à mettre au service de leur impiété, ou bien ils ont transformé la révélation de ce mystère en outrage à Dieu.
Ils citent cette parole : « Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu » (Jean 20.17) et prétendent : puisque le Père est le même pour Lui et pour nous, par cet aveu de mise en commun, le Seigneur avoue qu’il n’est pas vraiment Dieu unique : créé comme nous, il se soumet nécessairement au Dieu créateur, et seule l’adoption l’élève à la dignité de fils. Bien plus, on ne saurait voir en lui aucun caractère spécifique de la nature divine, si l’on s’appuie sur cette parole de l’Apôtre : « Mais lorsqu’il cira : Tout est soumis, c’est évidemment à l’exclusion de celui qui lui a soumis toutes choses. Et lorsque tout lui aura été soumis, alors le Fils lui-même sera soumis à celui qui lui aura tout soumis, afin que Dieu soit tout en tous » (1 Corinthiens 15.27-28). Etre soumis révèle la faiblesse de celui qui est soumis et la puissance de Celui qui exerce la souveraineté.
Le livre onzième traite donc de cette question ; avec le plus grand respect envers Dieu, il prouve, en se servant de ces mêmes paroles de l’Apôtre, que non seulement la sujétion du Seigneur ne porte aucune atteinte à sa divinité, mais qu’elle établit par elle-même la vérité du Dieu qui est né, engendré de Dieu. Or du fait que le Père est son Père et le nôtre, et que Dieu est son Dieu et le nôtre, nous y gagnons beaucoup et lui n’y perd rien. Car lorsque cet être qui est né homme et qui a souffert toutes les misères de notre chair monte vers notre Dieu et Père, c’est, en tant qu’homme avec notre humanité, qu’il monte pour être glorifié en Dieu.
Nous avons présent à l’esprit ce qui se pratique d’habitude en toutes sortes de disciplines : les élèves commencent par s’appliquer longtemps à exercer leur intelligence par une fréquentation prolongée des rudiments de base et ce n’est que plus tard qu’ils mettent en œuvre les notions qu’ils ont emmagasinées. De même ceux qui se destinent au métier des armes, ne prennent une part active à la guerre qu’après s’être bien entraînés dans des combats simulés. Les avocats ne s’aventurent dans les procès du barreau qu’après s’être exercés à plaider sur des thèmes scolaires. Le marin intrépide se familiarise avec son navire dans des eaux calmes et familières, et ensuite seulement, affronte les tempêtes de l’océan immense et hostile.
Telle est la conduite que nous avons pris soin de suivre dans cette étude de si haute importance et si lourde de conséquences pour la foi. Car tout d’abord, par une entrée en matière facile à comprendre, nous avons instruit une foi encore fragile, lui apprenant ce qu’il fallait croire sur la naissance, le nom, la divinité, la vérité de Jésus-Christ ; ensuite, progressant tout doucement, nous avons encouragé l’intelligence de nos lecteurs à combattre tous les arguments des hérétiques. Maintenant, nous les conduisons sur un champ de bataille où va se dérouler un grand et glorieux combat ! Bien que l’esprit de l’homme, livré à ses seules forces, soit incapable d’arriver à comprendre ce qu’est la naissance éternelle, ceux qui nous liront pourront, par l’étude des vérités divines, s’efforcer de pénétrer des mystères qui dépassent la portée de leur entendement. Ils seront en mesure de réfuter avec succès cette argutie qui tire sa force de la stupidité propre à la sagesse de ce monde, et qui croit devoir affirmer au sujet du Seigneur : « Il y a un temps où il n’était pas », et : « Il n’existait pas avant de naître », et encore : « Il a été fait de rien », comme si sa naissance était la preuve que celui qui n’était pas a commencé d’exister et qu’il n’existait pas avant de naître ! Ainsi ces beaux parleurs soumettent-ils aussi Dieu, le Fils Unique, à la succession du temps, comme si la foi elle-même et le concept de naissance démontraient qu’il y a eu un temps où Il n’existait pas ! S’il est né, disent-ils, c’est qu’il n’existait pas, puisque la naissance donne l’existence à ce qui n’était pas.
Mais nous, appuyés par les témoignages des Apôtres et de l’Evangile, nous enseignons qu’il y eut toujours un Père, qu’il y eut toujours un Fils. Le Dieu de toutes créatures n’a pas commencé d’exister après quelque chose, mais Il est avant toutes choses. Non, nous ne partageons pas l’audace de cette théorie impie qui prétend que le Fils est né de rien et qu’il n’était pas avant de naître. Nous proclamons au contraire : Il a toujours été, et cependant Il est né : pour lui, ne pas être né n’est pas une particularité, mais sa naissance est éternelle. La naissance, en effet, suppose un Père, et la Divinité ne saurait être privée de l’éternité.
Et parce qu’ils sont ignorants des paroles prophétiques et incapables d’interpréter la doctrine céleste, les voilà qui s’efforcent d’affirmer que Dieu est créé plutôt que né, en altérant le sens véritable de ce passage où il est dit : « Le Seigneur m’a créée au commencement de ses voies et parmi ses œuvres »[10] (Proverbes 8.22). Le Christ, selon eux, est de même nature que les êtres créés, bien qu’il les surpasse, selon la nature même de sa création ; en lui ne réside pas la gloire de la naissance divine, mais la perfection d’une créature puissante.
[10] Texte préféré des ariens, cité selon la Septante.
Texte-massue dans la controverse arienne, souvent exploité par Arius. Il faut se souvenir que l’argument d’Arius repose sur une traduction incorrecte des Septante, qui traduisent choisir par créer. La Bible de Jérusalem traduit : « Yahvé m’a acquise (Sagesse) au début de ses desseins, avant ses œuvres les plus anciennes. »
Pour leur répondre, nous n’avancerons rien de nouveau, rien d’étranger au sujet. Mais c’est par ce témoignage même de la Sagesse que nous établirons la vérité et le sens de ce passage. Du fait que la Sagesse ait été créée au commencement des voies de Dieu et parmi ses œuvres, on ne peut tirer aucune conclusion concernant la naissance divine et éternelle du Fils. Car c’est tout à fait différent d’avoir été créé parmi les œuvres de Dieu, et d’être né avant toutes choses. En effet, là où il est question de « naissance », on affirme seulement la « naissance ». Et lorsqu’on emploie le mot de « création », cela suppose une cause (antérieure) à cette « création ». Et si la Sagesse est née avant toutes choses, quand bien même elle aurait été créée parmi d’autres créatures, il subsisterait une différence entre ce qui a été avant toutes choses, et ce qui a commencé d’exister après un être quel qu’il soit.
Par suite, il semble bien qu’après avoir rejeté le mot « création » de la confession de notre foi en Dieu, le Fils Unique, il nous reste à enseigner ce qui sied à un sens éclairé de Dieu, en ce qui concerne les convictions qu’il nous faut avoir sur le Saint-Esprit : de la sorte, le lecteur, dont les certitudes auront maintenant été bien établies dans les longues et minutieuses recherches des livres précédents, bénéficiera ainsi d’une présentation complète de la foi. Après avoir réfuté les impiétés des discours spécieux touchant le Saint-Esprit, nous soutiendrons que le mystère intègre et pur de la Trinité qui nous régénère, fait partie intégrante de la formule du salut, de par l’autorité des Apôtres et de l’Evangile. Que personne donc, selon les courtes vues de la raison humaine, n’ose maintenant avancer l’opinion que l’Esprit-Saint se situe au niveau des créatures, cet Esprit que nous recevons comme gage d’immortalité et comme participation à la nature incorruptible de Dieu[11].
[11] En fait, il n’est question du Saint-Esprit que dans la prière finale (ch. 55 et 56).
Quant à moi, j’en ai conscience : le devoir principal de ma vie est de m’offrir à Toi, Dieu, Père Tout-Puissant, pour que tout en moi, paroles et pensées, parlent de Toi. Oui, la plus grande récompense que puisse m’apporter l’usage de la parole dont Tu m’as gratifié, c’est de l’employer à te servir, en proclamant ce que tu es, c’est-à-dire le Père de Dieu, Unique-engendré, et en le démontrant à un monde qui l’ignore et à l’hérétique qui le nie. Oui, vraiment, c’est là, je le déclare, mon seul désir !
Toutefois j’ai grand besoin d’implorer dans la prière la grâce de ton secours et de ta miséricorde, pour que le souffle de ton Esprit gonfle les voiles de notre foi, tendues pour Toi ; qu’il nous fasse avancer dans ce voyage qu’est l’enseignement que nous commençons de donner ici ! Non, il ne nous sera pas infidèle l’auteur de cette promesse : « Demandez et il vous sera donné, cherchez et vous trouverez, frappez et l’on vous ouvrira » (Luc 11.9).
Conscient de notre pauvreté, nous te demandons ce dont nous avons besoin ; nous apporterons un zèle infatigable dans l’étude de tes prophètes et de tes apôtres ; nous frapperons à toutes les portes que notre intelligence trouvera closes. Mais c’est à Toi d’exaucer notre prière, c’est à Toi de faire aboutir notre quête, c’est à Toi d’ouvrir la porte où nous frappons. Car, de nature, Tu nous vois engourdis par je ne sais quelle paresse spirituelle, la faiblesse de notre esprit nous maintient dans une ignorance inéluctable qui nous empêche de comprendre tes mystères. Heureusement l’étude de ta doctrine nous apprend à prendre conscience de la vérité divine et l’obéissance de la foi nous conduit au-delà des pensées du commun des hommes.
Telle est donc notre attente : Tu encourageras les débuts de cette redoutable entreprise, Tu affermiras les progrès de notre démarche et Tu nous appelleras à participer à l’Esprit qui a guidé tes prophètes et tes apôtres : ainsi, nous n’entendrons pas leurs paroles dans un sens autre que celui qu’ils avaient en vue, et nous garderons l’acception exacte des termes qu’ils ont employés pour leur faire signifier les mêmes choses. Nous confirmerons, en effet, ce qu’ils ont proclamé dans leur enseignement sacré : Toi, le Dieu éternel, Tu es le Père du Dieu éternel, le Fils Unique. Toi, Tu es le seul à ne pas être né, et le Seigneur Jésus-Christ est le seul à être né de Toi par une naissance éternelle, sans pourtant être différent de Toi au point de suggérer la réalité de deux dieux. Oui, il nous faut proclamer qu’il est engendré de Toi qui es le Dieu Unique ; nous devons le déclarer : Il n’est pas autre que le vrai Dieu, né de Toi, vrai Dieu et Père.
Accorde-nous donc de donner aux mots leur véritable sens, prodigue la lumière à notre esprit, la beauté de l’expression à notre style et établis notre foi dans la vérité. Accorde-nous de dire ce que nous croyons ; selon le devoir qui nous incombe, après avoir appris des prophètes et des apôtres que Tu es un seul Dieu le Père et qu’il y a un seul Seigneur Jésus-Christ, donne-nous de Te célébrer, à l’encontre des négations hérétiques, donne-nous de Te révérer, Toi, Dieu unique, mais non solitaire, donne-nous de le proclamer, Lui, Dieu véritable et non faux dieu.