Quand mon fils Jacob avait six ans, je l'ai emmené dans un parc d'attractions. Les visiteurs étaient peu nombreux ce jour-là, nous pûmes enchaîner une attraction après l'autre sans avoir à attendre. Nous arrivâmes à un manège sur lequel je n'étais jamais monté mais que je supposais amusant. Nous étions dans un parc d'attraction, après tout ! Nous nous installâmes sur nos sièges et un adolescent vint fixer la barre de sécurité. La nacelle se mit bientôt à balancer et à tournoyer, de plus en plus vite, nous secouant comme des poupées de chiffons. Les articulations de mes mains étaient blanches tellement je serrais le bras de Jacob, terrorisé à l'idée qu'il pût être éjecté. Les dents serrées, je ne cessai de prier durant les quatre-vingt-dix secondes que dura le tour. De temps à autre je risquais un coup d'œil à mon fils, qui paraissait s'amuser follement.
En remettant pied à terre, je vis le nom du manège peint en grandes lettres rouge vif : La Centrifugeuse. Il portait bien son nom ! « C'était super ! On peut refaire un tour ? » demanda Jacob. Je refusai. En fait, j'avais plutôt envie de crier : « Plus jamais ! C'est hors de question ! Je suis le pire des pères et je te demande pardon. »
Nous nous assîmes sur un banc et je lui demandai : « Tu n'as pas eu peur ? On a été plutôt secoués ! Je me demande bien pourquoi tu es monté là-dedans… » Il me répondit avec une candeur toute enfantine : « Mais parce que toi, tu y es allé, papa. » Ce petit bonhomme me faisait confiance. À l'évidence, je ne le méritais pas. J'aime mon fils, je ferais n'importe quoi pour lui et je ne le mettrais jamais sciemment en danger. Mais je suis un être humain limité, fini et ignorant. À ses yeux, cependant, ma présence était un gage d'absolue sécurité.
Cette expérience m'a aidé à comprendre pourquoi il était tellement important de savoir que Dieu est digne de confiance. Le Dieu que Jésus nous révèle ne nous ferait jamais le moindre mal. On ne trouve en lui aucune méchanceté ni intention mauvaise. Il est intrinsèquement bon. Et son omniscience et sa toute-puissance rendent sa bonté encore plus précieuse. Je peux lui faire confiance, même dans des circonstances adverses. À quoi me servirait-il qu'il soit omniscient et tout-puissant s'il n'était pas aussi entièrement bon ? Je ne pourrais jamais l'aimer et lui faire confiance.
Beaucoup ne croient pas que Dieu est digne de confiance. J'ai reçu un après-midi un coup de fil d'un jeune homme qui semblait avoir du mal à respirer. Je pensai d'abord qu'il avait été victime ou témoin d'un accident grave. Je ne le connaissais pas bien ; il avait assisté à une de mes conférences quelques mois plus tôt et trouvé mon enseignement en contradiction avec ses propres convictions (nos récits s'opposaient). Il m'avait téléphoné parce qu'il ne pouvait pas démarrer sa voiture. Mais ce n'était pas son moteur qui avait un problème, c'était lui.
« Docteur Smith, j'ai besoin de savoir si ce que vous avez dit de Dieu est vrai.
– À quoi faites-vous allusion plus précisément ?
– Vous avez affirmé que Dieu est entièrement bon, aimant et digne de confiance, et qu'il désire notre bien. J'ai soigneusement noté chacune de vos paroles. Êtes-vous sûr que je peux lui faire confiance ?
– Oui, j'en suis absolument certain. Pourquoi me demandez-vous çà ?
– Je n'ai pas réussi à prendre le volant de ma voiture ces derniers jours.
– Pourquoi ?
– Parce que j'ai peur qu'une pensée mauvaise ou impure me traverse l'esprit. Si je meurs dans un accident de la route l'instant d'après, je suis sûr que Dieu m'enverra droit en enfer parce que je n'aurai pas eu le temps de me repentir. »
Dans la conversation qui suivit, j'essayai de comprendre à quels récits il avait été exposé durant son enfance. Il me confia que depuis qu'il était petit, il entendait son pasteur – un homme qui représentait Dieu et qui parlait de sa part – supplier les fidèles, dimanche après dimanche, d'arrêter de pécher avant qu'il ne soit trop tard. Et si d'aventure ils péchaient quand même, ils devaient absolument se repentir sur-le-champ. Dieu a une telle horreur du péché qu'il n'hésiterait pas à envoyer une personne – même un croyant baptisé – au châtiment éternel pour une seule faute commise. Ce récit sur la nature de Dieu que ce jeune homme entendait depuis sa plus tendre enfance était en train de détruire sa vie.
Je l'invitai à raconter son histoire. Le Dieu de son récit n'était pas digne de confiance. Faire confiance à quelqu'un, c'est croire que cette personne ne veut que votre bien, qu'elle vous protège de tout mal et que vous pouvez compter sur elle. Ce n'était assurément pas le cas du Dieu que ce jeune homme connaissait. Au lieu de lui inspirer confiance et courage, ce Dieu mettait en lui la peur de prendre sa voiture. Tout en me parlant, il prit conscience que le récit qu'il avait accepté ne reflétait pas nécessairement la vérité sur Dieu.
Je suggérai à ce jeune homme de comparer le Dieu de son récit avec le Dieu de Jésus. Jésus a dit : « Tout m'a été remis par mon Père, et personne ne connaît qui est le Fils, si ce n'est le Père, ni qui est le Père, si ce n'est le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler » (Luc 10.22).
Dieu comme Abba. Dans le jardin de Gethsémané, quelques heures avant sa crucifixion, Jésus s'adresse à Dieu par le terme Abba. Ce titre révèle une vérité essentielle quant à la nature du Dieu qu'il connaît. Abba pourrait se traduire par : « cher papa ». C'est une appellation très intimiste, à laquelle est attachée en même temps une idée d'obéissance. Le fait que Jésus appelle Dieu Abba nous révèle que, pour lui, Dieu n'est pas distant ou lointain, mais qu'il est au contraire impliqué de près dans sa vie. Le titre en lui-même ne signifie pas que Dieu est bon (de même que cher ou papa ne veulent pas nécessairement dire bon), mais comme le fait remarquer un théologien : « Ce mot intime n'évoque pas une simple familiarité, mais un respect profond et confiant. »
Jésus s'adresse ainsi à Dieu durant les heures les plus difficiles de son existence. Il lui dit : « Abba, Père, toutes choses te sont possibles, éloigne de moi cette coupe. Toutefois non pas ce que je veux, mais ce que tu veux » (Marc 14.36). Comment peut-il prononcer de telles paroles à un moment aussi difficile ? La seule réponse que je vois est qu'il fait confiance à son Père.
Dieu est un Père bon et aimant, nous dit Jésus, et il l'est tellement que nous pouvons lui obéir quoi qu'il arrive. Certains objecteront peut-être : « Mais pourquoi Jésus a-t-il seulement douté ? Il était Dieu, après tout ! » Certes, il était Dieu, mais il était aussi pleinement humain. L'incarnation, le fait de se faire homme, implique des limites. Du fait de son humanité, Jésus a éprouvé les mêmes sentiments que nous, y compris la peur et le doute. Mais, même en plein doute, même plongé dans la pire des souffrances, Jésus a fait confiance à son Père céleste.
Dieu comme Père. Jésus n'appelle pas seulement Dieu Abba, mais également Père. Ce point a soulevé un certain nombre de questions : « Cela signifie-t-il que Dieu est masculin ? Et qu'en est-il de ceux qui ont un père terrestre mauvais, indigne ou absent ? Ne risquent-ils pas d'avoir de la peine à voir Dieu comme leur Père ? Et comment Dieu peut-il être un Père pour Jésus ? Ce dernier avait-il aussi une mère ? »
Il y a quelques temps, je clôturai une journée d'enseignement par une prière qui débutait ainsi : « Cher père céleste… » Une femme vint me trouver après la rencontre, en larmes. Elle me dit : «, J'ai beaucoup aimé tout ce que vous nous avez appris aujourd'hui, mais je n'ai pas pu adhérer à votre prière. J'ai eu un père affreux, et il m'est impossible de voir Dieu comme mon Père. » Si je compatis de tout cœur à la souffrance de cette femme, je tiens cependant à affirmer que la solution n'est pas d'exclure le terme père de notre vocabulaire. Le problème vient de ce que nous parlons de notre compréhension humaine du mot père, pour la projeter ensuite sur Dieu.
Ce n'est pas ainsi qu'il faut procéder. Nous devons laisser Jésus définir ce qu'est la paternité. Karl Barth écrit :
« Il n'y a pas eu en premier la paternité humaine et ensuite la paternité divine, mais plutôt l'inverse. Ainsi donc, ce n'est pas à notre paternité humaine et naturelle qu'il convient de mesurer ce que signifie la paternité divine. Mais c'est à partir de la paternité divine que toute paternité humaine et naturelle acquiert son sens et sa dignité. » |
Que veut dire Karl Barth ? La Trinité existait avant la fondation du monde. Bien avant qu'il ne créât l'homme « à son image… homme et femme », Dieu existait en tant que Père, Fils et Saint-Esprit. La relation entre Jésus et Dieu a été définie – par Jésus lui-même – comme une relation de Père à Fils. Elle existait avant qu'aucun être humain mâle n'engendrât des descendants. La paternité divine a précédé la paternité humaine.
Par conséquent, ce sont Dieu et Jésus (et non Adam et ses descendants) qui ont défini les premiers la relation de paternité. La prise de conscience de cette réalité a des implications considérables pour nous ; elle est également source de guérison. Beaucoup de personnes, comme la femme dont j'ai parlé plus haut, ont été profondément blessées par leur père biologique et ont du mal à voir Dieu comme un Père. La solution ne consiste pas à bannir le mot père de leur vocabulaire, mais à laisser Jésus définir la notion de paternité. Jésus a raconté plusieurs paraboles faisant intervenir un père, notamment celle du fils prodigue. La meilleure façon pour nous d'apprendre à connaître son Père, cependant, est de considérer la façon dont il s'adressait à lui.
Le contenu de la prière de Jésus révèle la nature du Dieu qu'il prie. Ses disciples lui avaient demandé de leur apprendre à prier, probablement parce que sa vie de prière était vibrante et passionnée. Jésus leur enseigne alors une prière que beaucoup d'entre vous connaissent.
« Voici donc comment vous devez prier : Notre Père qui es aux cieux ! Que ton nom soit sanctifié. Que ton règne vienne ; Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien, Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. Ne nous laisse pas entrer dans la tentation, mais délivre-nous du Malin. » (Matthieu 6.9-13) |
Jésus commence en appelant Dieu « Père », mais il faut bien comprendre une chose : c'est le contenu même de la prière qui définit la paternité de Dieu.
Nous apprenons tout d'abord que Dieu est proche : « Notre Père qui es aux cieux ». Pour les Juifs, les cieux ne désignent pas un endroit lointain, mais l'atmosphère qui les entoure, l'air même qu'ils respirent. Lors du baptême de Jésus, il est dit que « les cieux s'ouvrirent », ce qui montre qu'il s'agit d'un endroit relativement proche. En d'autres termes, Dieu est présent.
Deuxièmement, nous voyons que Dieu est saint : « Que ton nom soit sanctifié ». La sainteté est liée à la pureté. Jésus nous enseigne qu'il n'y a rien de mauvais en Dieu. Celui-ci ne peut ni pécher ni avoir une part quelconque au mal. En un mot, Dieu est pur.
Troisièmement, Dieu est le Roi qui règne dans les cieux : « Que ton règne vienne ; que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. » Les rois sont investis d'un pouvoir. Dieu étant le Roi des rois, il est puissant.
Dans ce que nous avons appris jusqu'ici sur Dieu le Père, rien n'indique qu'il veut notre bien. De tout temps les hommes ont cru en une multitude de dieux qu'ils imaginaient saints et puissants, mais ils n'étaient pas nécessairement aimants. Les requêtes suivantes nous révèlent la nature compatissante du Dieu de Jésus.
Quatrièmement, nous voyons que Dieu se soucie de nous : « Donne-nous… notre pain quotidien ». Nous avons un Dieu qui fait tomber la pluie, briller le soleil, et qui donne la nourriture en abondance à toutes les créatures – même aux oiseaux du ciel. Dieu pourvoit.
Cinquièmement, Dieu pardonne nos offenses. Comme le fait remarquer Richard Foster : « Dans le cœur de Dieu se trouve le désir de pardonner et de donner. » Dieu aime pardonner, encore plus que nous aspirons à recevoir son pardon. En un mot, notre Père pardonne.
Sixièmement, cette prière nous apprend que Dieu nous délivre de la tentation et du mal : « Ne nous laisse pas entrer dans la tentation, mais délivre-nous du Malin. » Dieu est présent et puissant parce qu'il désire nous protéger. Nous serons confrontés à des problèmes, des épreuves, il nous arrivera des accidents, mais le dernier mot appartiendra toujours à Dieu. Il ne peut rien nous arriver que Dieu ne puisse contrôler.
Le Père de Jésus est donc proche, saint, puissant, plein de sollicitude, il pardonne et nous protège. Ces attributs donnent des images fortes de qui est Dieu et de ce que signifie la paternité. Nous pouvons dès lors définir la bonté du Père. Nous avons aussi les éléments nécessaires pour évaluer ce que devrait être la véritable parentalité. Un bon parent, qu'il soit père ou mère, devrait posséder ces six caractéristiques.
En tant que père, je fais de mon mieux pour les manifester, mais je n'y arrive pas toujours. Je suis proche de mes enfants, mais il m'arrive d'être lointain, préférant lire mon journal plutôt que de jouer avec eux. Et mon travail m'oblige de temps en temps à m'absenter plusieurs semaines de suite. J'essaie aussi d'être bon et pur, mais parfois je les gronde pour des infractions mineures, je suis mesquin et égoïste. J'essaie d'être fort pour mes enfants, mais quelquefois j'ai peur et je suis troublé, tout comme eux. Je pourvois à leurs besoins, mais il m'arrive d'être excessif et de les gâter. Je leur pardonne, mais je me surprends parfois à rappeler leurs fautes passées. J'essaie enfin de veiller à leur sécurité, mais j'ai douloureusement conscience que je suis incapable de les protéger de tous les ennemis qui rodent autour d'eux. Mes enfants, mon épouse et la plupart de mes amis trouveraient probablement que je remplis correctement mon rôle de père. À chaque Fête des pères, mes deux enfants me décernent le titre de « Meilleur papa au monde » ! Mais j'ai conscience de mes insuffisances et je prie qu'ils ne souffrent pas à cause d'elles.
Ce que je tiens à souligner ici, c'est que la paternité de Dieu doit fixer les normes de la paternité humaine, et non l'inverse. Le petit livret intitulé « Comment être un bon père » que je garde sur mon chevet offre quelques bons conseils (jouer avec ses enfants, les écouter…), mais je devrais plutôt m'approcher de mon Père céleste et le laisser façonner mon cœur à son image. La façon dont Dieu est un Père pour moi m'apprend à être un bon père pour mes enfants.
La femme qui m'a confié qu'elle était incapable de s'adresser à Dieu comme à son Père a vécu une enfance terrible, marquée par un père violent et distant. Lorsqu'elle projette sa conception du père sur Dieu, elle voit quelqu'un auquel elle ne pourra jamais donner son amour et sa confiance. Il ne servirait à rien – et il serait même cruel – de lui répondre qu'elle n'a pas le choix, parce que Jésus nous l'a commandé. Il vaut mieux l'encourager à laisser Jésus définir ce que veut dire Père et découvrir ainsi le Dieu que Jésus connaît. C'est par ce chemin qu'elle trouvera la guérison.
Le Dieu que Jésus révèle est l'image parfaite, non seulement de la paternité, mais aussi de la maternité. Nous associons souvent la force et la sévérité au père et la douceur et la gentillesse à la mère. Mais dans le Père que nous montre Jésus, nous voyons un équilibre parfait de toutes ces caractéristiques. Une bonne mère serait un être proche, intègre, fort, généreux, qui pardonne et qui protège. En fait, ces qualités sont celles de toute personne bonne, homme ou femme, célibataire ou mariée, avec ou sans enfants. Jésus est également un reflet du Père ; aussi, quand nous le voyons, nous voyons Dieu le Père. En Jésus nous avons un équilibre parfait de toutes les caractéristiques de la bonté. En effet, il est doux, mais il est fort lorsque c'est nécessaire.
J'ai fait la connaissance d'un pasteur anglais dont l'histoire offre une belle illustration de la confiance en Dieu comme en notre Père. Je demandai à Carl comment il était devenu chrétien. Il m'expliqua qu'il n'allait que rarement à l'église quand il était enfant, mais qu'il était très proche de son père. La mort de celui-ci dans un tragique accident du travail brisa la vie de Carl, qui n'avait alors que quatorze ans. Pour endormir sa douleur, il devint bagarreur et ne tarda pas à sombrer dans l'alcoolisme. Mais rien n'y fit.
Il avait dix-sept ans lorsqu'un ami l'invita à ce que Carl croyait être une fête où l'alcool coulerait à flots. Il accepta donc. Il s'agissait en réalité d'une « Christian House Party », très courante en Angleterre et qui s'apparente davantage à une retraite spirituelle qu'à une surprise-partie. Des chrétiens se retrouvent pendant quelques jours dans une grande maison pour discuter ensemble, louer Dieu et se détendre. Lorsque Carl découvrit son erreur, il était trop tard pour repartir. Après les deux premiers jours, il ressentait toujours beaucoup d'amertume envers Dieu. Mais le dernier matin, un dimanche, durant un temps de louange, il entendit clairement une voix qui lui disait : « Je suis ton Père. Viens à moi. » Carl éclata aussitôt en sanglots et pour la première fois depuis la mort de son père, son cœur connut un début de guérison.
Nous sommes tous confrontés à des difficultés et des souffrances, parfois même à la tragédie. Lorsque nous découvrons le Dieu que Jésus connaît et que nous nous approchons de lui, nous trouvons une nouvelle force qui nous soutient dans nos luttes. Si nous ne connaissons pas Dieu comme notre Abba Père, nous n'aurons jamais le courage de faire face à nos problèmes. Mais avec le Dieu bon et merveilleux de Jésus, nos luttes prennent une signification totalement nouvelle. Si Dieu est vraiment bon et qu'il veut notre bien, nous pouvons venir à lui en toute liberté. Nous pouvons nous ouvrir à lui, lui dévoiler notre âme, regarder en face ces blessures qui nous font douter de sa bonté et les lui remettre pour qu'il les guérisse.
Plus haut dans ce chapitre, j'ai évoqué la souffrance de Jésus dans le jardin de Gethsémané, lorsqu'il demanda à son Abba d'éloigner cette « coupe » de lui. La coupe représente toutes les situations qui nous sont imposées et contre lesquelles nous ne pouvons rien. Chacun de nous doit se demander : « Quelle est ma coupe ? » Quel aspect de votre vie rend votre confiance en Dieu difficile ? Avez-vous été blessé par un divorce ? Avez-vous subi une perte ? N'arrivez-vous pas à trouver l'âme sœur et la perspective du célibat à vie vous effraie-t-elle ? Avez-vous été frappé par la mort d'un être cher ? Avez-vous vu disparaître un rêve ? Avez-vous perdu votre entreprise ? Avez-vous été privé d'une capacité physique ?
Une « coupe » est tout ce que nous avons du mal à accepter dans la vie. Et c'est généralement ce qui nous fait douter de la bonté de Dieu. L'annonce que notre fille était atteinte de malformations congénitales létales fut pour moi la première d'une longue série de coupes. Comme Jésus, j'étais confronté à quelque chose qui allait à l'encontre de mes propres désirs. Je voulais une fille en bonne santé. Serais-je capable de dire « Abba, Père » dans mes prières ?
Quelques années plus tard, je lus le commentaire de Thomas Smail sur l'épisode de Gethsémané. L'auteur explique comment Jésus avait pu faire confiance à Dieu au milieu de sa souffrance. Cette perspective m'aida à comprendre un point important. Elle m'apporta aussi la réponse à une question que les gens me posaient souvent : « Jim, comment peux-tu continuer à faire confiance à Dieu après ce qui vous est arrivé ? » Pendant des années, j'ignorais comment répondre à cette question. Je le sais maintenant. Smail explique :
« Le père auquel Jésus s'adresse dans le jardin est celui qu'il a connu toute sa vie et dont il a pu constater qu'il est généreux dans ses bienfaits, digne de confiance dans ses promesses et totalement fidèle dans son amour. Jésus peut obéir à la volonté qui l'envoie à la croix dans une attitude d'espérance et d'attente, parce que cette volonté est celle d'Abba dont l'amour a été tellement avéré qu'il mérite une confiance et une obéissance totales. Il ne s'agit pas d'une obéissance légale à un commandement, mais d'une réponse confiante à un amour connu. » |
Smail le dit bien : notre relation au Père est « une réponse confiante à un amour connu ». Jésus savait qu'il était aimé de son Père et c'est pourquoi il a pu lui faire confiance dans la souffrance. Si Jésus a pu accorder sa confiance à Dieu dans son heure la plus sombre, c'est parce qu'il a vécu de toute éternité dans l'intimité de son Père bon et merveilleux. Je comprends à présent comment, même dans les pires difficultés, il est possible de continuer à croire en un amour qui a fait ses preuves. Aussi, face à un monde plein de tsunamis et d'agresseurs d'enfants, d'accidents d'avions et des mères toxicomanes, je n'essaie pas de me persuader que tout va bien. Je dis plutôt : « Jésus a fait confiance à son Abba, et moi aussi je vais faire confiance au Dieu dont je connais la bonté. »
La mort de notre fille nous prit par surprise. La dernière opération ne s'était pas bien passée et ses fonctions vitales avaient commencé à décliner. Ce n'était pas la première fois que cela arrivait mais, jusque là, Madeline avait toujours réussi à reprendre le dessus. Pas cette fois. Je quittai le culte à la hâte et me présentai à l'hôpital. Heureusement, le Père Paul Hodge, un prêtre de l'Èglise orthodoxe, m'accompagnait. Il pria avec mon épouse et moi au chevet de notre fille mourante. Il avait choisi dans son livre une prière qui avait de profondes racines théologiques. Je la reproduis ici mot pour mot :
« Nos pensées ne sont pas tes pensées, ô Seigneur, et nos voies ne sont pas tes voies. Nous te confessons que nous sommes incapables de discerner ta main divine dans la souffrance de Madeline. Aide-nous, nous t'en supplions, à comprendre que tout ce mal poursuit un but qui dépasse notre compréhension. Nos esprits sont troublés. Nos cœurs sont dans la détresse. Nos volontés sont perdues et faibles et notre force est épuisée devant cette créature innocente, victime des péchés du monde et du pouvoir du diable, en proie à une souffrance absurde. Aie pitié de cette enfant, Seigneur, aie pitié. Ne prolonge pas son agonie ! Ne permets pas que sa douleur augmente ! Nous ne savons pas que te demander ; donne-nous la grâce de dire simplement : ‘Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel’. Donne-nous la foi. Nous croyons, Seigneur, viens au secours de notre incrédulité ! Sois avec ton enfant Madeline et souffre avec elle ; guéris-la et sauve-la, selon ton plan salvateur, établi dès avant la création du monde. Car tu es notre seule espérance, ô Dieu, et en toi nous nous réfugions : Père, Fils et Saint-Esprit, maintenant et à jamais, aux siècles des siècles. Amen. » |
Des mois et même des années plus tard, Meghan et moi n'avons oublié aucun mot de cette prière. Elle fut un moment bienfaisant pour nous et nous prépara au départ de notre fille.
Pourquoi ? Elle reprenait notre propre histoire, nos propres récits (une mère, un père et un enfant malade) pour la situer dans le contexte plus vaste d'un métarécit, qui est l'histoire que Dieu écrit. Elle a placé des mots sur nos angoisses comme sur nos espérances. Cette prière est honnête : nous ne parvenons pas à discerner la main de Dieu, et nous voulons croire que tout cela a un but. C'est seulement lorsque notre souffrance semble dénuée de sens que nos esprits sont enfin brisés. Mais la prière ne s'arrête pas là : elle confesse que nous continuons à croire, même dans notre incrédulité. Elle situe notre souffrance dans son véritable contexte : le plan salvateur de Dieu, « établi dès avant la création du monde ». Dieu est bon, toutes choses sont dans ses mains et son royaume n'est jamais ébranlé.
Lorsque nous joignons notre histoire à celle de Dieu, celle où notre Dieu bon et merveilleux a le dernier mot, tout commence à prendre un sens. La douleur reste bien réelle, mais elle devient supportable. Nous pouvons dès lors nous remettre en route. Nous apprenons aussi à voir au-delà de la souffrance et à considérer la miséricorde infinie qui nous environne.
Thomas Smail a expliqué que Jésus a pu faire confiance à Dieu parce qu'il savait que celui-ci est « généreux dans ses bienfaits ». Jésus avait une conscience aigüe de la bonté de Dieu, qui avait été avec lui jour après jour, le bénissant dans tout ce qu'il faisait. C'est la raison pour laquelle il put lui conserver sa confiance même dans les ultimes moments terribles. Pour tenir ferme face à des circonstances décourageantes, il nous faut être profondément convaincus que Dieu veut notre bien. Pour cela, nous devons avoir une conscience toujours accrue des bénédictions dont il nous comble continuellement.
George Buttrick (1892-1980) était pasteur de l'église presbytérienne de Madison Avenue à New York de 1927 à 1954. C'était un prédicateur, un enseignant et un auteur puissant et efficace. Son livre La prière est considéré comme l'un des meilleurs ouvrages jamais écrits sur le sujet. Je tombai un jour sur un passage qui changea à jamais mon regard sur le monde. Buttrick y rapporte une anecdote qui montre combien il est important de voir la bonté de Dieu.
« Un conférencier s'adressant à des hommes d'affaire leur montra une feuille blanche sur laquelle se trouvait une tache. Il leur demanda ce qu'ils voyaient. Tous répondirent : ‘Une tache’. Ainsi formulée, la question appelait inévitablement cette réponse. Il n'en est pas moins vrai qu'il y a dans la nature humaine une ingratitude qui nous fait remarquer l'anomalie et oublier la miséricorde omniprésente. Nous avons besoin de faire un effort délibéré pour nous rappeler les joies qui émaillent notre chemin. Peut-être serait-il bon de noter les bénédictions que Dieu nous accorde en une seule journée. Si nous commencions, nous ne terminerions jamais : il n'y aurait pas assez de crayons et de papier dans le monde entier. Mais cet exercice révèlerait un vaste trésor de contentement. » |
Buttrick est très clair : nous devons « faire un effort delibéré » pour nous rappeler les nombreuses bénédictions dont nous sommes environnés. Même si nos yeux pouvaient les voir, il n'y aurait pas assez de crayons et de papier dans le monde pour les noter. Buttrick ne préconise pas la « pensée positive » ; il nous fait part d'une vérité profonde au sujet de l'univers dans lequel nous vivons.
Un jour, j'eus l'occasion de regarder une fillette ouvrir ses cadeaux lors d'une fête d'anniversaire à laquelle elle avait invité ses amis. Elle désirait un cadeau bien précis. À chaque paquet qu'elle ouvrait, l'enfant qui l'avait offert souriait d'anticipation. Mais à chaque fois, la fillette fronçait le nez avec dédain et mettait le paquet de côté. La situation devenait extrêmement embarrassante, particulièrement pour les parents de cette fillette qui témoignait une ingratitude singulière. Alors qu'elle était submergée de cadeaux, elle ne pensait qu'à celui qu'elle voulait à tout prix mais qu'elle ne recevait pas… J'appris par la suite que celui-ci n'était pas particulièrement précieux et avait même une valeur inférieure à beaucoup d'autres.
Sur le chemin du retour, je m'indignai sur l'ingratitude de cette enfant gâtée, lorsque l'Esprit me murmura : « Es-tu très différent ? » Je me rappelai alors combien j'avais tendance à me focaliser sur une chose que je voulais de Dieu et oubliais les dix mille autres – souvent bien meilleures – qu'il m'avait déjà données. Je me tracasse au sujet de mes « coupes », grandes ou petites (un manque d'argent pour un projet, un problème au travail, une tension dans une relation), mais jamais je ne remercie Dieu de m'avoir donné des yeux pour voir. Si je possédais un million de dollars et que je devienne aveugle, je n'hésiterais pas à les donner pour recouvrer la vue. Mes yeux valent un million de dollars. De même que mon cœur. Et mes oreilles. Ma femme. Mes enfants. Si j'avais un peu de sagesse, je prendrais du temps chaque jour pour remercier Dieu pour le « vaste trésor » qu'il m'a donné. Et une fois que j'aurais commencé, je ne pourrais jamais m'arrêter.
Nos problèmes sont bien réels. Mais ils sont petits comparés à la « miséricorde omniprésente » de Dieu, pour reprendre l'expression de Buttrick. Plus nous prendrons conscience de toutes les bénédictions que nous avons reçues – gratuitement et sans que nous ne les méritions – et plus nous verrons que Dieu veut notre bien. Et notre niveau de confiance augmentera d'autant.
Mon fils est monté avec moi sur un manège qui aurait dû le terroriser, mais il a passé son temps à sourire. Pourquoi ? À cause de celui qui était assis à côté de lui. J'ai toujours pris soin de lui, depuis qu'il est né. Je l'ai nourri, habillé, baigné, soigné quand il était malade, j'ai prié avec lui et lui ai toujours donné tout ce dont il avait besoin. Jacob me faisait confiance sans l'ombre d'une hésitation.
Nous sommes, vous et moi, dans une situation analogue. Certains moments de notre vie sont angoissants, d'autres très agréables. Le secret consiste à ne jamais oublier qui est à côté de nous. Il n'existe aucune situation que nous devrons affronter seuls. Dieu est avec nous. Il veut notre bien. Il est capable de racheter même la plus douloureuse des circonstances, car « nous savons… que toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu » (Romains 8.28). Le moins que nous puissions faire est de profiter de l'existence.
Compter ses bénédictions est un excellent exercice spirituel. Dressez une liste de tous les bienfaits de Dieu, de tout ce qui rend votre vie agréable. Prêtez attention aux petits détails. Cherchez les choses cachées. Notez tous ces cadeaux merveilleux que vous oubliez si souvent. Ne soyez pas trop grand pour commencer : limitez-vous à dix bénédictions. Sur cette liste peuvent figurer ceux que vous aimez, les bienfaits matériels ou les bonnes occasions qui vous ont été offertes. Vous pouvez aussi penser à des aspects de la nature : le soleil, les étoiles, les montagnes et ainsi de suite, ou à des mets que vous aimez comme le café ou la glace. Enfin, n'oubliez pas de mentionner ce que Dieu a fait pour vous. Il s'occupe de vous chaque jour, même si vous ne le voyez pas toujours. Le but de cet exercice est de vous aider à voir « la miséricorde omniprésente » qui est tellement plus grande que la « tache noire ».
Complétez votre liste jour après jour. Essayez d'arriver à cinquante sujets de reconnaissance. Puis continuez ! Vous finirez probablement par rassembler, comme l'a dit Buttrick, un « vaste trésor ». Beaucoup d'entre nous ont l'habitude de penser à leurs problèmes dès qu'ils ouvrent les yeux le matin. Cet exercice détachera votre regard des rares choses qui ne vont pas, pour les porter vers les innombrables sujets de reconnaissance.
Si vous avez du mal à commencer, vous trouverez ci-dessous une liste que j'ai commencée il y a quelques années après avoir lu un livre intitulé 10 000 raisons de louer Dieu (Ndt). J'ai repris à mon compte certains des sujets de reconnaissance du livre et ajouté les miens, ainsi que ceux des dizaines de personnes avec lesquelles j'ai pratiqué cet exercice au fil des ans. Ma liste ne mentionne pas ma famille et mes amis, non parce que je ne suis pas reconnaissant de les avoir, mais parce que j'ai appris à louer régulièrement Dieu pour eux. Je voulais plutôt que ma liste m'aide à le remercier pour les bienfaits que j'ai tendance à oublier.
L'existence de Dieu
La présence de Dieu à mes côtés Jésus L'Église Un verre de thé glacé par une journée chaude Les livres Des siestes qui me renouvellent Les êtres chers qui sont enfin venus à Dieu Le tennis Les couleurs Les odeurs Les rêves – endormi ou réveillé Le soleil La sagesse des autres Le rire Le sourire d'un inconnu Mon chien qui remue la queue quand il est content de me voir La musique Des chaussettes propres L'Alléluia de Haendel Les mentors Un enfant qui vous serre dans ses bras La glace La curiosité L'odeur des bois La poésie Les petits gâteaux tout chauds L'océan Les personnes qui sont des lumières La merveille de notre système immunitaire Le café L'odeur de la pluie La prière L'espérance du ciel Les deuxièmes chances Les papillons Les vieux amis Les parents qui aiment leurs enfants Noël Les conversations enrichissantes La Bible Les savants et leurs découvertes étonnantes Le chocolat Les encouragements Les personnes talentueuses qui restent humbles La climatisation Les artistes Mes découvertes lorsque je suis en voyage Les fausses rumeurs que l'on fait taire Les cantiques célèbres |
J'espère que cette énumération des bienfaits de Dieu ne sera pas pour vous un exercice unique, mais qu'elle deviendra une habitude qui se transformera peu à peu en mode de vie. Le musicien et auteur David Crowder a écrit ceci :
« Lorsque nous découvrons le bien et que nous le recevons avec abandon, c'est son auteur lui-même que nous recevons… Chaque seconde nous offre une occasion de louange. C'est une question de choix. Un choix de chaque instant. C'est ce que je nomme l'habitude de la louange : trouver Dieu dans le sacré et le terre-à-terre, dans la vallée et sur la colline, dans le triomphe et la tragédie, et laisser éclater notre louange. C'est pour cela que nous avons été créés. » |
Je suis convaincu qu'il a raison. Lorsque nous sommes reconnaissants pour quelque chose d'aussi ordinaire que la curiosité, nous louons Dieu. Chaque minute de notre vie nous offre un sujet d'émerveillement. Plus nous pratiquons cet exercice et plus il deviendra une habitude pour nous, jusqu'au jour où nous ferons monter notre louange vers Dieu sans même y penser. Nous deviendrons alors, comme l'a dit Saint Augustin, « un alléluia de la tête aux pieds ».