Mais Jésus connaissant en lui-même que ses disciples murmuraient là-dessus, leur dit : Cela vous scandalise-t-il ? Et si vous veniez à voir le Fils de l’homme montant où il était premièrement… C’est l’Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien ; les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie ; mais il y en a quelques-uns parmi vous qui ne croient pas. (Jean 6.61-64)
Jésus prononça ces paroles après avoir accompli la première multiplication des pains sur la rive orientale du lac de Génézareth et avoir ensuite tenu dans la synagogue de Capernaüm ce mémorable discours où, en réponse à une nouvelle demande d’un signe et d’un signe analogue à celui qu’avait fait paraître Moïse en donnant aux Israélites la manne du désert, il déclara que c’était lui qui donnerait le vrai pain du ciel et que ce pain serait sa chair qu’il donnerait pour la vie du monde. Après ce discours, plusieurs de ses disciples eux-mêmes se disaient : Cette parole est dure, qui peut l’écouter ? (v. 60) et c’est alors que Jésus, connaissant en lui-même ce que ses disciples murmuraient, leur dit : Cela vous scandalise-t-il ? Et si vous veniez à voir le Fils de l’homme montant où il était premièrement… ? C’est l’Esprit qui vivifie…
C’est dans ce verset 62 que nous voyons la troisième prédiction faite par Christ sur sa glorification future, prédiction faite à l’approche d’une fête de Pâque (Jean 6.4), c’est-à-dire une année après la première prédiction, si nous admettons avec Olshausen, Wieseler, Neander, Meyer, Lange, Tischendorf, Godet, que la fête dont il est question Jean 5.4 était la fête de Purim — Cette troisième prédiction est d’un tout autre genre que les deux précédentes : il ne s’agit plus des adversaires, mais des disciples. Il n’y a plus là d’image : Jésus ne pouvait pas s’exprimer d’une manière plus directe, mais il ne fait pas proprement une affirmation ; il ne dit pas que le Fils de l’homme montera, mais seulement qu’il pourrait bien se faire qu’il montât — Remarquons en outre qu’il est ici parlé moins de la Résurrection que de l’Ascension à laquelle elle devait aboutir — Ajoutons enfin que Jésus ne dit pas : Et si le Fils de l’homme monte… ? mais : Et si vous veniez à voir le Fils de l’homme montant ? — ce qui implique bien que l’ascension aurait lieu d’une manière visible sous les regards des disciples.
Pour préciser plus encore le sens que nous donnons au passage et en même temps le justifier, qu’il nous soit permis d’emprunter une page, remarquable entre tant d’autres, au beau commentaire de M. Godet :
Les mots ἕαν et οὖν (v. 62) que nous avons traduits par : et si, ne s’appuient sur aucune proposition principale. Il faut en suppléer une. Mais il n’est point nécessaire de faire un détour en sous-entendant : « Que direz-vous alors ? » Le résultat de ϑεωρεῖν (voir) peut se formuler d’une manière plus directe : « Votre scandale ne cessera-t-il pas ? » ou bien, au contraire : « Ne serez-vous pas encore bien plus scandalisés ? » C’est cette seconde question que sous-entendent de Wette, Meyer et Lücke. Il faut alors rapporter l’expression « monter là où il était auparavant » à la mort de Jésus : « Vous êtes scandalisés de m’entendre annoncer ma mort ; combien le serez-vous davantage en contemplant réellement ce fait ! » Mais ce raisonnement aurait peu de force : un fait n’est pas plus difficile à accepter que la déclaration qui l’annonce. Puis l’expression monter, qui est le pendant de celle de descendre employée dans tout ce chapitre pour désigner l’incarnation, fait bien plutôt penser à l’ascension de Jésus, à son retour dans la gloire, qu’à sa mort. Jésus dit après sa résurrection : Je ne suis pas encore monté (Jean 20.17). Sa mort n’est donc point ce qu’il appelle ici son retour. Lorsqu’il réunit à dessein ces deux notions : la suspension à la croix et l’élévation dans le ciel, dans une expression amphibologique (Jean 3.14 ; 12.32), il dit ὑψωϑῆναι et non ἀνβαίνειν. Enfin il est difficile, dans ce sens, d’établir une liaison aussi directe entre le v. 62 et le v. 63, que celle que suppose l’aposiopèse qui sépare ces deux versets. La seule explication conforme aux expressions du texte est, comme l’a reconnu Hilgenfeld lui-même, l’ancienne interprétation des Pères qui rapportent ces mots à l’Ascension proprement dite… Dans ce sens, la pensée de Jésus se comprend facilement : « L’idée de manger ma chair vous scandalise ? Elle vous paraîtra plus absurde encore quand vous me verrez monter aux cieux. Mais alors aussi votre scandale cessera et vous comprendrez de quelle manducation j’ai voulu parler. » Le v. 63 se rattache tout naturellement, comme nous le verrons, à l’idée du v. 62 ainsi comprise. Lücke, Meyer et d’autres allèguent, contre l’application de ce verset à l’Ascension, que ce fait n’est point rapporté par Jean. Pour qui comprend le plan du quatrième Évangile et le rapport de ce livre aux Synoptiques, il ne résulte pas de là une objection. Jean ne mentionne pas davantage l’institution de la sainte Cène : en résulterait-il qu’il l’ignore ou qu’il la nie ?
L’explication du v. 63, en rapport avec celle que nous venons de donner du v. 62, est celle-ci : « En voyant disparaître ma chair, à mon retour dans le ciel, vous comprendrez que le principe vivifiant dont j’ai voulu parler, en disant : Si vous ne mangez ma chair, si vous ne buvez mon sang, — c’est l’Esprit, et non la substance matérielle. » La Pentecôte : voilà donc le grand fait que promettait Jésus dans les paroles précédentes, c’est par l’Esprit que se réaliseront les promesses, v. 53-58. Ainsi s’explique l’analogie singulière des termes du v. 56 (Celui qui mange ma chair… demeure en moi, et moi en lui) avec ceux des ch. 14 à 17.