S’aimer

Chapitre III

A la découverte de l’amour

Découverte de la réalité, découverte de la vérité ! on a rejoint les gens en pleine course. On a vu leurs souffrances, cherché le remède, retrouvé le chemin de la guérison. C’était une manière d’aller au plus pressé.

Il faut maintenant revenir en arrière. Il faut une fois encore ouvrir les yeux sur la réalité. En effet, parmi les innombrables époux en difficultés, la plupart devraient loyalement reconnaître que celles-ci ont leurs vraies causes non pas seulement dans le mariage lui-même, mais aussi dans ce qui l’a précédé.

Il est difficile d’en parler. Car dans ce domaine, il faut nécessairement « deviner ». Les époux savent reconnaître la gravité d’une situation présente. Rarement ils admettent que celle-ci ait son origine dans un passé récent ou lointain. C’est tellement plus simple d’incriminer l’immédiat ! Là au moins, il y a du « tangible », c’est-à-dire des circonstances, des conditions, des causes extérieures à soi-même. Tandis qu’à devoir fouiller le passé, à revenir sur un certain comportement qu’on a eu, certaines libertés qu’on a prises, certaines compromissions admises de part et d’autre tacitement, on devrait sinon plaider coupable, pour le moins ne point s’étonner ou se plaindre d’avoir à récolter ensemble aujourd’hui ce qu’ensemble on a semé hier.


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Pour une autre raison encore, il est difficile d’aller à la source du mal constaté ; car ce n’est pas seulement inviter les époux à considérer ce que furent leurs fréquentations d’hier, c’est aussi parler aux jeunes qui aujourd’hui vont parcourir cette étape. Et nous le savons, le propre de la jeunesse, c’est de fuir les donneurs de conseils ; et pour le cas où elle les aurait entendus, c’est d’essayer de faire autrement, parce que, aux yeux des jeunes, par principe, les aînés sont des gens qui ne com- prennent pas grand-chose aux problèmes de la jeunesse.

Et pourtant ! Ce serait un non-sens de méconnaître volontairement l’importance de la préparation au mariage. En effet, les lézardes d’une construction, avant d’être la conséquence d’un improbable tremblement de terre, ont plutôt leur origine dans les mauvaises fondations de cette maison. Et ce n’est pas être « casse-pieds » que d’inviter son prochain — surtout s’il est jeune et pense au mariage — à prêter une attention soutenue au choix du terrain sur lequel il veut construire et à poser heureusement les bases de son futur foyer.

Seulement voilà ! Quel est l’architecte compétent ? Il est vrai que l’exemple des aînés n’a rien d’encourageant. Ne voit-on pas certains d’entre eux en être déjà à la troisième « construction » et offrir au regard toutes les apparences d’un foyer branlant !

Il y aurait, bien sûr, ceux qui semblent avoir réussi. Mais on voudrait être certain que la réalité cachée correspond à l’aspect visible des choses. Et quand encore il en serait au dedans comme au dehors, cela signifie-t-il que la norme valable pour ce foyer soit applicable aux autres ? Est-ce que la diversité des conditions de vie, d’hérédité, de famille, d’éducation, de tempérament, de caractère, de circonstances ne rendent pas impossible l’élaboration de règles valables pour tous, en tous temps ? Et encore, qui s’offrira à les formuler qui ne soit pas à ranger parmi les théoriciens dont un apôtre disait : Fontaines sans eau, nuées qu’emporte un tourbillon, ils promettent la liberté alors qu’ils sont eux-mêmes esclaves de la corruption ?


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Dans les deux chapitres précédents, nous avons constaté qu’en peu de mots, en quelques phrases, la Bible dit les choses les plus profondes, les plus vraies, les plus sensées qu’on ait jamais dites sur l’amour. C’est au point que tout commentaire ou toute expérience qu’on pourra jamais faire à ce sujet trouve confirmation et explication chaque fois qu’on les confronte avec le texte des Ecritures.

C’est donc à la lumière d’un texte biblique que seront cherchées les normes d’une heureuse préparation au mariage.


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Genèse 24.1-51, 62-67.

Abraham était vieux, avancé en âge, et l’Eternel l’avait béni en toutes choses. Abraham dit à son serviteur, le plus ancien de sa maison, celui qui avait l’administration de tous ses biens : Mets, je te prie, la main sous ma cuisse ; et je te ferai jurer par l’Eternel, le Dieu du ciel et de la terre, de ne pas prendre pour mon fils une femme parmi les filles des Cananéens, au milieu desquels je réside. Mais tu iras dans mon pays, dans ma pairie, et tu y prendras une femme pour mon fils, pour Isaac. Le serviteur lui répondit : Peut-être cette femme ne voudra-t-elle pas me suivre dans ce pays-ci. Devrais-je alors emmener ton fils dans le pays d’où tu es sorti ? Abraham lui dit : Garde-toi bien d’y emmener mon fils ! L’Eternel, le Dieu des cieux, qui m’a fait sortir de la maison de mon père et du pays de ma naissance, qui m’a parlé et qui m’a fait ce serment : Je donnerai ce pays à ta postérité, — l’Eternel enverra son ange devant toi, et tu prendras là une femme pour mon fils. Si la femme ne veut pas te suivre, tu seras dégagé du serment que je t’impose. Mais n’y conduis pas mon fils. Alors le serviteur posa sa main sous la cuisse d’Abraham, son maître, et lui promit par serment ce qu’il lui avait demandé.

Le serviteur prit dix des chameaux de son maître, et il partit, emportant toutes sortes de biens, que celui-ci lui avait remis. Il se leva donc et il s’en alla en Mésopotamie, à la ville de Nacor. Il fit reposer les chameaux hors de la ville, près d’un puits, vers le soir, à l’heure où les femmes sortent pour aller puiser de l’eau. Puis il dit : O Eternel, Dieu de mon maître Abraham, fais-moi, je te prie, rencontrer aujourd’hui ce que je désire, et sois favorable à mon maître Abraham. Voici que je me tiens près de la source, et les filles des habitants de la ville vont sortir pour puiser de l’eau. Que la jeune fille à laquelle je dirai : Penche ta cruche, je te prie, afin que je boive ! et qui répondra : Bois, et j’abreuverai aussi tes chameaux ! soit celle que tu as destinée à ton serviteur Isaac. À cela je connaîtrai que tu as été favorable à mon maître.

Avant qu’il eût achevé de parler, il vit venir Rébecca, fille de Béthuel, fils de Milca, femme de Nacor, frère d’Abraham, avec sa cruche sur l’épaule. La jeune fille était très belle ; elle était vierge, et aucun homme ne l’avait connue. Elle descendit à la source, emplit sa cruche et remonta. Alors le serviteur courut au-devant d’elle et lui dit : Permets que je boive un peu de l’eau de ta cruche. Elle répondit : Bois, mon seigneur. Elle s’empressa de pencher sa cruche sur sa main, et elle lui donna à boire. Quand elle eut achevé de lui donner à boire, elle dit : Je vais aussi puiser de l’eau pour tes chameaux, jusqu’à ce qu’ils soient abreuvés. Et, s’empressant de vider sa cruche dans l’abreuvoir, elle courut encore à la source pour puiser de l’eau, et elle en puisa pour tous les chameaux. Le serviteur la contemplait en silence, désireux de savoir si l’Eternel avait fait réussir son voyage ou non.

Lorsque les chameaux eurent fini de boire, il prit un anneau d’or du poids d’un demi-sicle, et deux bracelets pesant dix sicles d’or. Puis il dit : De qui es-tu la fille ? Apprends-le moi, je te prie. Y a-t-il pour nous de La place dans la maison de ton père pour que nous y passions la nuit ? Elle répondit : Je suis la fille de Béthuel, le fils de Milca qui l’a enfanté à Nacor. Elle ajouta : Il y a chez nous de la paille et du fourrage en abondance, ainsi que de la place pour y passer la nuit. Le serviteur s’inclina, se prosterna devant l’Eternel ; et il dit : Béni soit l’Eternel, le Dieu d’Abraham, mon maître, qui n’a pas cessé d’être, pour mon maître, miséricordieux et fidèle ! Moi-même, pendant mon voyage, l’Eternel m’a guidé vers la maison des frères de mon maître.

Alors la jeune fille courut raconter à sa mère ce qui s’était passé.

Rébecca avait un frère nommé Laban. Laban accourut. au dehors vers cet homme, près de la source. Après avoir vu l’anneau et les bracelets aux mains de sa sœur, et après avoir entendu les paroles de Rébecca, sa sœur, disant : Cet homme m’a parlé ainsi ! — il était allé vers cet homme. Il le trouva près des chameaux, vers la source. Il lui dit : Entre, béni de l’Eternel, pourquoi restes-tu dehors ? J’ai préparé la maison et une place pour les chameaux. Le serviteur entra dans la maison. On déchargea les chameaux, et on leur donna de la paille et du fourrage. On donna aussi de l’eau pour laver les pieds de l’homme et ceux des gens qui l’accompagnaient. Puis on lui servit à manger ; mais il dit : Je ne mangerai pas avant d’avoir dit ce que j’ai à dire. Laban répondit : Parle !

Alors il dit : Je suis Le serviteur d’Abraham. L’Eternel a comblé de bénédictions mon maître, qui est devenu puissant ; il lui a donné des brebis et des bœufs, de l’argent et de l’or, des serviteurs et des servantes, des chameaux et des ânes. Sara, sa femme, a enfanté, dans sa vieillesse, un fils à mon maître, et celui-ci lui a donné tout ce qu’il possède, Mon maître m’a fait prêter serment, en disant : Tu ne prendras point pour mon fils une femme parmi des Cananéens, dans le pays desquels je réside. Mais tu iras dans la maison de mon père, dans ma famille, et tu y prendras une femme pour mon fils, Je lui répondis : Peut-être la femme ne voudra-t-elle pas me suivre ? Il me dit : L’Eternel, dans la voie duquel j’ai toujours marché, enverra son ange avec toi ; il fera réussir ton voyage, et tu prendras pour mon fils une femme dans ma famille, dans la maison de mon père. Tu seras dégagé du serment que je te dis de prêter, quand tu auras visité ma famille ; si on n’accepte pas ta demande, tu seras dégagé du serment que tu me fais.

Or, en arrivant aujourd’hui à la source, j’ai dit : O Eternel, Dieu de mon maître Abraham, daigne faire réussir le voyage que j’ai entrepris. Me voici, je me tiens près de sa source ; que la jeune fille qui sortira pour puiser de l’eau et à qui je dirai : Donne-moi, je te prie, à boire un peu de l’eau de ta cruche, et qui me répondra : Bois toi-même, et j’en puiserai aussi pour tes chameaux, que celle jeune fille devienne la femme destinée par l’Eternel au fils de mon maître ! Avant d’avoir achevé de parler ainsi en moi-même, j’ai vu venir Rébecca, avec sa cruche sur l’épaule ; elle est descendue à la source et a puisé de l’eau. Je lui ai dit : Donne-moi à boire, je te prie ! Elle s’est empressée d’abaisser sa cruche de dessus son épaule, et elle m’a dit : Bois, et j’abreuverai aussi tes chameaux ! J’ai donc bu, et elle a fait boire aussi les chameaux. Puis je l’ai interrogée, et je lui ai demandé : De qui es-tu la fille ? Elle a répondu : Je suis la fille de Béthuel, fils de Nacor, que Milca lui a enfanté. Alors j’ai mis l’anneau à ses narines, et les bracelets à ses mains. Ensuite, je me suis incliné et prosterné devant l’Eternel, et j’ai béni l’Eternel, le Dieu de mon maître Abraham, qui m’a conduit dans le vrai chemin, en me faisant choisir pour son fils la fille du frère de mon maître. Et maintenant, si vous voulez user de bonté et de fidélité à l’égard de mon maître, déclarez-le moi ; sinon, dites-le moi aussi, et je me tournerai à droite ou à gauche.

Laban et Béthuel répondirent en ces termes : La chose vient de l’Eternel ; nous ne pouvons te dire ni mal, ni bien. Voici Rébecca, qui est là devant toi ; prends-la et pars, et qu’elle devienne la femme du fils de ton maître, comme l’Eternel l’a dit.

Isaac revenait du puits appelé « Le Vivant-qui-me-voit » (car il demeurait dans le pays du Midi). Comme il était sorti, vers le soir, pour méditer dans les champs, Isaac leva les yeux, et il vit des chameaux qui s’avançaient. Rébecca, levant aussi les yeux, aperçut Isaac, et elle sauta à bas de son chameau. Elle dit au serviteur : Qui est cet homme qui vient dans les champs au-devant de nous ? Le serviteur répondit : C’est mon maitre. Alors elle prit son voile et s’en couvrit. Le serviteur raconta à Isaac ce qu’il avait fait. Puis Isaac conduisit Rébecca dans la tente de Sara, sa mère ; il prit Rébecca pour femme, et il l’aima. Ainsi Isaac fut consolé de la mort de sa mère.


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Le choix de ce texte pourrait étonner ! Qu’y a-t-il de commun, en effet, entre les conditions de vie et les circonstances d’un Isaac ou d’une Rébecca et celles du jeune homme ou de la jeune fille de ce XXe siècle ?

S’il s’agissait d’établir des comparaisons, peut-être bien que l’histoire de ce couple pourrait laisser le lecteur indifférent. Mais il n’est pas question ici de confronter des situations. Il est proposé de laisser la parole biblique révéler à qui veut entendre et comprendre les règles applicables à toute « fréquentation ». Si elle le fait au travers d’un récit en lui-même déjà fort attrayant. la vérité ne pourra qu’y gagner en intérêt.

Les parents doivent-ils s’en mêler ?

Ceux d’Isaac n’ont pas laissé à leur fils la pleine liberté du choix d’une fiancée. Ils en ont fait une affaire de famille où le vieux serviteur jouera même un rôle prépondérant. Cela pourrait faire sourire, à moins qu’on croie devoir crier au scandale.

Si l’on essayait plutôt de réfléchir un peu ! Certes, les choses vont aujourd’hui tout autrement. Non seulement les parents seront souvent les derniers à être consultés, mais il arrivera qu’on choisisse contre leur avis et se marie avec leur désapprobation. Que faut-il en penser ?

Dans la perspective même où le mariage a été vu au chapitre précédent — un lieu où l’on redécouvre l’unité et la communion, dans le dessein de les vivre avec d’autres — est-il admissible qu’une fréquentation puisse être envisagée contre le gré des parents et qu’un mariage soit l’occasion d’une rupture avec eux ? Le principe ne doit-il pas être au contraire souligné et admis d’emblée qui reconnaît aux parents des deux futurs conjoints une responsabilité dans ce choix ? Celui-ci n’est-il pas, en effet, le plus important que le jeune homme et la jeune fille auront jamais à faire dans leur vie ? On peut changer de maison, on peut changer de pays. On peut changer de métier, de patrie. On peut changer d’opinions. On peut changer quasi de tout. Maïs en dépit de ceux qui le croiraient encore, on ne peut pas changer de femme ; on ne peut pas renier le père ou la mère de ses enfants. Alors, si l’on admet qu’il est précieux de s’entourer de conseils, de renseignements pour une maison ou un métier, comment serait-il admissible qu’en vue de ce choix capital les parents n’aient pas à être consultés ? Refuser de l’admettre, c’est faire preuve d’une sotte prétention ou d’un égoïste aveuglement. Et que ce soit l’une ou l’autre, ils font augurer des choses peu réjouissantes pour l’heure où les fiancés devenus mari et femme auront à cueillir les fruits de leur suffisance. Car elle en portera nécessairement, et on n’a jamais vu qu’ils soient succulents.

Au surplus, n’est-il pas désirable que les relations de famille, si précieuses aux futurs époux, connaissent d’emblée cet accord, ce respect mutuel, cette affection que le temps fortifiera au fur et à mesure des « fréquentations » et transformera en un authentique amour filial entre les parents et la nouvelle ou le nouveau venu au foyer ?

Ce sont aussi les enfants de ce futur foyer qui auront à bénéficier ou à pâtir de ces relations et de la valeur qu’on y attachera. Car, comment concevoir une affection heureuse entre grands-parents et petits-enfants, alors que subsisterait une faille douloureuse entre parents et grands-parents ?

Ce consentement familial est donc un aspect du cours normal des choses, et il est toujours souhaitable que fiançailles et mariage se fassent avec le plein consentement des familles des deux époux. Il est du devoir du jeune homme et de la jeune fille de les consulter. C’est seulement après l’avoir fait qu’ils peuvent s’engager plus avant sur le chemin des fréquentations.

A cela, il y aurait d’autres raisons encore auxquelles parents et jeunes gens feraient bien de prêter attention. La responsabilité de parents n’est pas celle de restaurateur. Peut-être bien que certaines familles offrent ce lamentable aspect d’une pension plus ou moins gratuite à laquelle les enfants, devenus adolescents, viennent quotidiennement ou périodiquement pour se refaire en sommeil et nourriture, parfois en argent, linge propre, souliers, vêtements, etc. Après quoi les « jeunes » en font à leur guise et les « vieux » n’ont qu’à se contenter et garder pour eux leurs réflexions s’ils avaient le mauvais goût d’en vouloir faire.

— « Je ne suis plus un enfant ; je gagne ma vie ; j’ai mes idées à moi. Les vôtres sont d’un autre temps. Et puis, je suis libre. Ce que je fais ne regarde personne ! »

Ainsi se résument les propos tenus par des jeunes à leurs parents inquiets devant certaines sorties tardives, inquiets aussi lorsqu’ils voient quels compagnes ou compagnons leur enfant rejoint au cours de week-end en chalet ou camping.

Un tel comportement est une forme de chantage. Que les bêtes s’intéressent à leur progéniture jusqu’à l’heure où celle-ci sera assez grande pour se tirer d’affaire seule, cela s’explique. Ce sont des bêtes ! Mais que des jeunes ramènent le rôle des parents à celui-là, et que des parents y consentent allègrement, cela s’explique mal, sinon par un oubli total du sens de la responsabilité mutuelle et des conditions de cette solidarité.


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Vae soli ! Malheur à l’homme seul, dit l’Ecclésiaste. On pourrait traduire aussi : Malheur à l’individualiste !

Sans doute le choix d’une compagne ou d’un compagnon est-il d’abord de la responsabilité du jeune homme ou des la jeune fille. Mais dans ce choix les parents ont leur mot à dire. Car la paternité ne s’arrête pas avec l’âge de la majorité de l’enfant. A cette heure-là, elle prend sans doute d’autres formes, mais le fond reste le même.

Dans le cadre de la famille encore plus qu’ailleurs, l’homme est appelé à porter le fardeau des autres comme à partager ses joies. Dans le respect de la personnalité de chacun des membres de la famille, il est appelé à veiller sur les autres, à les avertir des dangers qu’ils pourraient aveuglément courir personnellement ou faire courir à l’ensemble de la communauté familiale.

Une fréquentation est précisément une de ces occasions où la responsabilité et la solidarité communautaire sont appelées à jouer leur rôle d’adjuvant. S’y soustraire volontairement, c’est porter atteinte à ce sens familial. C’est manquer de cet élémentaire respect qu’on doit aux autres, à leurs pensées et à leurs sentiments. Et cela est d’autant plus grave qu’on prétend justement agrandir cette communauté, y introduire un membre nouveau tout en formant avec celui-ci une communauté nouvelle. On ne peut nier d’un côté ce que l’on affirme de l’autre. Céder à cette contradiction serait — pour reprendre le mot de l’apôtre — « promettre la liberté alors qu’on est esclave de sa corruption ». Et le jeune homme ou la jeune fille qui en prendraient délibérément le parti auraient, un jour ou l’autre, à le regretter. Car les parents peuvent avoir de justes raisons de s’opposer à une liaison. On dit l’amour aveugle. Il l’est dans la mesure où l’émoi du cœur lié parfois à celui des sens ont fait taire toute intelligence et précipitent deux jeunes dans un amour qui ne voit pas ses graves faiblesses et n’en prendra conscience qu’à l’heure où il sera trop tard pour revenir en arrière.


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A moins que, par nécessité, les jeunes aient dû prendre cette attitude de résistance aux parents. La famille d’Abraham, Eliézer compris, était en chacun de ses membres liée par un amour qui avait sa source en Dieu. Leur solidarité tenait à la foi qui les animait personnellement. Ils se savaient ensemble « gardés et conduits ». D’où la confiance que suscita communément la démarche d’un seul. Le texte dit qu’Abraham en prit l’initiative. Tout laisse supposer — quand même cela n’est pas écrit — qu’Isaac y souscrit librement.

Hélas ! toutes les familles ne connaissent pas cette heureuse et enviable affection filiale. Il peut arriver que les fréquentations du fils ou de la fille donnent lieu à une violente opposition de la part des parents, mais que celle-ci tienne à des raisons plus que suspectes : question de prestige, d’ambitions, de commodité, d’argent, etc. Que faire en pareil cas ? L’autorité paternelle, la soumission filiale trouvent leur limite à la frontière de la volonté divine. A condition bien sûr qu’on ne confonde pas celle-ci avec sa propre fantaisie. D’où la nécessité, en pareil cas, de faire intervenir l’autorité spirituelle d’un aîné — par exemple celle d’un pasteur — dont l’avis sera précieux au cœur de ceux qui se voient contrariés par les parents, quand même ils ont la certitude de marcher sur le chemin de Dieu. L’intervention de cet aîné aidera précisément à discerner qui, des parents ou des enfants, est fidèle à la sagesse d’En haut et cherchera à la faire admettre des récalcitrants.


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On a souligné qu’Abraham prit l’initiative des amours de son fils, Dans les circonstances familiales, dans les us et coutumes de l’époque, cela n’avait rien d’extraordinaire. Cette démarche a cependant quelque chose à dire aux parents et aux enfants d’aujourd’hui.

On peut être d’avis très différent quant à l’âge où il devient licite de s’éprendre de quelqu’un. Il est reconnu que cet âge est loin d’être le même suivant qu’il s’agisse d’un jeune homme ou d’une jeune fille. Le premier atteint sa maturité vers vingt-cinq ans, tandis qu’à vingt ans déjà nombre de jeunes filles sont pleinement épanouies. Cela signifie que sur ce simple plan du développement de la per- sonne, il serait désirable, d’une part que le jeune homme ne cherche pas femme trop tôt, d’autre part qu’à l’heure de cette décision il en choisisse une si possible plus jeune que lui, D’autant plus qu’au cap des cinquante ans, tel homme encore jeune pourrait avoir à souffrir d’être lié à une épouse de quelques années son aînée. Si, vers vingt-cinq ans, cette différence d’âge est sans importance, au cap du demi siècle il peut arriver que cet écart de quelques années soit sans rapport avec les chiffres et laisse en présence un mari encore « vert » et une épouse déjà vieillie. Beaucoup d’exceptions infirmeront une telle règle. Elle n’en demeure pas moins valable.

En outre, cette nécessité faite au jeune homme d’attendre un certain âge pour avoir liberté de s’éprendre, est liée souvent encore à sa profession. Certaines d’entre elles demandent des apprentissages prolongés qui retardent d’autant la possibilité de fonder un foyer. De trop longues fiançailles ne sont pas désirables. Au jeune homme donc d’en tenir compte et une fois de plus de savoir attendre. Mais le saura-t-il ?

C’est là précisément que la sage autorité des parents aura son importance. Beaucoup mieux que l’adolescent, impulsif parfois jusqu’à l’irréflexion, les parents sauront discerner si le temps est venu d’emprunter le chemin qui mène aux épousailles. Et si la confiance est la marque particulière des relations parents — grands enfants, à une heure où le jeune homme ou la jeune fille « prendrait feu » prématurément, ils sauront calmer, sinon éteindre cette ardeur de bon aloi dont le seul défaut était peut-être la précocité. Le malheur de beaucoup de foyers tient précisément au fait qu’ils ont été fondés prématurément, soit parce que les parents ont laissé faire, soit parce que les enfants présomptueux n’ont eu d’intérêt que pour leur propre sagesse aveuglée.

La prière

Ce serait encore passer à côté de la vérité scripturaire que de parler de la seule sagesse des enfants respectueux de l’avis paternel ou encore de celle des parents expérimentés. Il est à noter, en effet, que ni Abraham, ni Eliézer ne se fièrent à leurs seuls sentiments ou pensées. Au contraire, ils donnent à Isaac l’exemple d’une attitude précise non pas à l’heure du choix seulement, mais longtemps avant celui-ci : ils prient. Et Isaac sera surpris dans la même disposition d’humilité et de foi à l’heure où sa fiancée apparaîtra brusquement à l’horizon. Il est dit qu’il était sorti pour « méditer »…

En ce siècle de costauds et de durs, d’émancipées et d’affranchies, cela fera peut-être sourire. Rira bien qui rira le dernier. Ça ne coûte apparemment rien de rire. A moins que le résultat évident de tant de foyers bâtis hors ce recours à l’approbation et à la direction divines soit le prix payé pour tant de haussements d’épaules incrédules.

Si l’on croit à l’intention de Dieu de frayer pour l’homme naturellement « incapable d’aucun bien », un chemin où ce bien lui sera révélé quotidiennement, il est évident que tout jeune homme ou toute jeune fille longtemps à l’avance pourra demander au Seigneur s’Il le destine au mariage. Si, intérieurement il en reçoit la conviction, il n’aura aucun scrupule à demander à Dieu de lui faire rencontrer l’élu ou l’élue de son cœur. De même, il pourra prier longtemps à l’avance pour que sur ce chemin qui pourrait être long et d’autant plus riche en difficultés, il soit gardé, comme elle, de tout ce qui pourrait les détourner l’un de l’autre.

Encore faut-il bien comprendre le sens de cette prière. Il ne s’agit pas de forcer la main de Dieu. Pas plus qu’il ne s’agit après coup de venir solliciter une approbation d’En haut sur des projets où Il n’aurait eu aucune part. Non ! C’est bien d’une recherche de la volonté divine dont il est ici question. Celui qui prie ne formule pas des exigences. Au contraire, il s’offre à Dieu. Il lui demande que dans Sa souveraineté et Sa sagesse, Il fasse concourir caractère, tempérament, circonstances de deux êtres qui existent sans se connaître encore, à l’édification d’un foyer heureux dans lequel Il pourra d’autant mieux se glorifier qu’il en aura été, Lui, le premier artisan. Et ce que l’Ecriture souligne encore, c’est que les membres de la famille, eux aussi intéressés à cette réussite, ont à prendre leur part dans cette intercession. Raison de plus pour qu’à l’heure du choix, celui-ci s’opère en plein accord avec eux.

Les questions pratiques

On croit par trop facilement que la vraie spiritualité détache l’homme des réalités de ce monde. Rien n’est plus faux. Le chrétien peut avoir la tête dans le ciel. Mais l’Evangile lui-même lui fait un devoir premier d’avoir les deux pieds sur la terre. La démarche d’Abraham prolongée par celle d’Eliézer en sont la démonstration. C’est « dans son pays » qu’il envoie le serviteur chercher femme pour son fils. Cette précaution est certainement liée à une grande sagesse. L’homme est marqué par le pays dans lequel il est né. Il y a une manière de sentir, de voir, d’entendre, de comprendre, de réagir — donc de vivre — qui tient précisément au coin de terre où l’on a vu le jour, où l’on a grandi et appris à parler.

Il faut savoir en tenir compte dans le choix du conjoint. Non pas que les contrastes les plus violents ne puissent pas, parfois, trouver heureux accord. Il est des dissonances dont l’originalité finit par charmer ; mais il en est aussi parfois d’insupportables. Les différences de races, de langues, de classes, d’origine sont aussi à considérer dans le choix du conjoint. Et l’on pourrait donner maints exemples de foyers qui sont dans une impasse, du fait que les époux étaient de nationalité ou encore de classe différentes. L’éducation reçue, la mentalité acquise, jusqu’aux questions de goûts, d’appréciations, de manières de vivre, les ont opposés l’un à l’autre. Quand, par surcroît, les subtilités du langage échappent au conjoint étranger, toute difficulté qui survient s’en trouve d’autant aggravée, et la discussion qui devait ramener à l’unité de pensée tourne très vite au dialogue de sourds. Ce n’est pas être borné ou étroit que de conseiller aux jeunes de choisir de préférence un conjoint « parent » par la race, la nationalité, la langue, le pays, la classe, l’éducation, les goûts.


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Mais cette attention vouée à des considérations du simple bon sens ne s’arrête pas à ces lignes générales. Elle entre dans des détails beaucoup plus prosaïques encore. La démarche et l’attitude d’Eliézer le dévoilent à qui sait lire.

D’aucuns pourraient prendre ce serviteur pour un homme dépourvu de toute galanterie. Ne se laisse-t-il pas, lui serviteur, servir par une jeune fille qui deviendra peut-être la femme de son maître ? Mieux que cela, à l’heure où elle lui a offert d’abreuver ses chameaux et se met à puiser l’eau, ne la laisse-t-il pas seule mener à chef ce labeur vraiment fatigant ?

L’attitude d’Eliézer n’a rien à voir avec un manque de savoir vivre. A l’heure où il cherche femme pour son maître, il sait que si la beauté d’une jeune fille n’est point négligeable, ce n’est pourtant pas avec l’apparence extérieure seule qu’on fait le bonheur de quelqu’un. Les qualités d’âme et de cœur, le sens pratique, la volonté persistante d’un caractère qui ne recule pas devant l’effort, la joie de servir les autres, la simplicité qui sait venir en aide au prochain quel qu’il soit et accepter la besogne même la plus humble et la plus fatigante, la générosité alliée à l’hospitalité, tout cela compte autant, si ce n’est plus que la beauté. Eliézer veut pour son maître le contraire d’une « pimbèche » ou d’une « mauvictte ». Dans sa recherche, il pense que la femme non seulement fait la maison, mais encore l’entretient et l’embellit pratiquement. Les gestes experts de Rébecca, sa persévérance dans l’effort, sa gentillesse prévenante seront autant de « signes » qui décideront de son choix, pour le moins viendront le confirmer.


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On ne saurait assez inviter jeunes gens et jeunes filles à porter intérêt à cet aspect prosaïque du problème. Ce serait manquer d’intelligence que de vouloir l’ignorer. Et pour n’avoir pas voulu s’en préoccuper à temps, il est de nombreux foyers qui passent plus tard par des difficultés qui ressortissent en grande partie à ces questions de vie pratique. Elles prennent d’autant plus d’importance que la situation économique du foyer est plus précaire. Il faut souvent tout le savoir faire, toute l’ingéniosité et la volonté persévérante des conjoints pour doubler financièrement certains caps périlleux. Que de naufrages dus à l’incompétence, à l’absence d’une volonté un peu tenace ! Combien aussi de voies d’eau dans la barque familiale parce que l’époux — mais surtout l’épouse — n’a aucun sens pratique, connaît mieux la dactylographie que la tenue économique d’un ménage, sait manier avec plus de dextérité la lime à ongles que l’aiguille à raccommodage. Des ongles propres n’ont jamais gâté une main ! Tant mieux si la femme connaît la sténo et la dactylographie. L’instruction est un bagage d’autant plus agréable qu’il ne nécessite aucun effort supplémentaire pour le porter. Cependant, savoir mettre la main à tout, reste une qualité indispensable à l’heureuse marche du foyer. Quitte à s’y user les ongles !

On peut en dire autant de toutes les connaissances, artistiques, littéraires, musicales dont peut faire état telle jeune fille cultivée. Mais si, choisie pour sa culture, sitôt installée à son ménage l’épouse met tremper les « pâtes » avant de les cuire, confond le miel et l’encaustique, se montre incapable de mettre une pièce à un tablier, bref, sait tout sauf être pratique, même si le mari gagne suffisamment pour combler les trous faits au budget par cette ignorance doublée parfois de paresse, il y aura suffisamment de détails malheureux et d’occasions de les souligner pour que bientôt grincent les simples rouages de ce foyer.

Eliézer était intelligent, qui, avant de choisir, regardait faire.

Mariage mixte

Il ne suffit pas de prêter à Abraham et Eliézer ces seules intentions pratiques. Si le patriarche envoie « dans son pays » son serviteur choisir femme pour son fils, il a soin de préciser : Tu ne prendras point pour mon fils une femme parmi les filles des Cananéens. Il y attache même une telle importance qu’il le fait jurer par serment de respecter cet ordre. Vingt siècles plus tard, l’apôtre Paul le respectera encore quand il écrira aux Corinthiens : Mariez-vous selon le Seigneur.

Tout ce qui a été dit dans le chapitre précédent sur l’unité impossible entre époux dont le cœur ne serait pas habité par le Saint-Esprit, fera comprendre l’importance de cet ordre.


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Le mariage entre un chrétien fervent et un païen est une désobéissance. Le chrétien qui y consent doit s’attendre à des difficultés qui ne tiendront pas nécessairement à la volonté du conjoint païen, mais au fait que tout être qui n’est pas sous l’autorité du Christ demeure, par nature, esclave de lui-même, de ce monde et de Satan qui en reste le prince. Epouser un ou une incrédule, c’est s’exposer volontairement à la souffrance qui en résultera.

A noter que cette question d’unité dans la foi est hélas ! fort souvent la dernière qu’examinent les jeunes qui « sortent ensemble ». A l’heure où ils découvrent que l’un d’eux est un païen — ce qui ne veut pas nécessaire- ment dire une âme sans croyance religieuse, mais ce qui signifie en tous cas une âme que le Christ n’a point encore régénérée — le cœur est souvent déjà trop attaché pour qu’ils puissent songer à rompre. Et c’est ainsi que d’innombrables foyers se fondent hors de la volonté divine, pour le moins sans les conditions premières qui, selon cette volonté, devaient assurer le bonheur aux époux.

Si c’est la jeune fille qui est la « cananéenne », la difficulté peut rapidement trouver sa solution. Car le jeune homme animé de l’Esprit du Christ aura tôt fait de conduire celle dont il s’est épris à la découverte du Christ ressuscité. Et si elle s’y refusait, il est fort probable, s’il est soumis à Christ en vérité, qu’il verra dans ce refus un obstacle majeur, donc un signe d’En haut l’invitant à rompre une telle « fréquentation ».

Si c’est le jeune homme qui est « cananéen », la ferme attitude de la jeune fille peut amener ce jeune homme sur le chemin de la foi. Cela est d’autant plus souhaitable que, hors la foi en Christ, son mari ne pourra jamais être son véritable « chef ». Si elle l’épouse, elle peut s’attendre à toute la souffrance qui résultera de cette union mal fondée. Il se peut que, par suite d’une vocation personnelle, elle puisse accepter d’assumer les risques d’un mariage fait dans de telles conditions. Mais alors, elle ne saurait se révolter si, à la place du bonheur espéré, elle devait connaître les vicissitudes d’une union imparfaite.

A ce risque aux conséquences souvent trop lourdes à porter, ne faut-il pas préférer la ferme attitude, fruit d’une foi vivante, si clairement démontrée par le témoignage qu’en donne la lettre ci-dessous :

Il y a dix ans, je priais Dieu de mettre sur ma route un jeune homme au corps pur comme le mien, qui un jour serait mon mari. Maïs en ce temps-là (j’avais dix-sept ans), je ne pensais pas Lui demander aussi qu’il soit chrétien, car je connaissais le monde trop mal et je pensais que tous étaient vraiment des chrétiens.

Un jour, ce jeune homme sérieux est venu. Mais bien vite j’ai senti qu’il ne connaissait pas Dieu, ou du moins très mal. Quelques mois se sont écoulés sans que je sache que faire. Je priais pour moi et je demandais conseil à Dieu. Puis je priais pour lui ; je demandais à Dieu de l’appeler, afin qu’il devienne aussi un vrai chrétien, Et quand nous parlions, je faisais de mon mieux pour lui expliquer quelques passages de la Bible. Je choisissais toujours là où je pensais que la Parole de Dieu pourrait l’atteindre, Mais mes paroles s’envolaient comme feuilles mortes dans le vent. Pourtant, je priais toujours;  je suppliais le Seigneur de venir à mon secours, car je savais qu’il viendrait, Il me l’avait promis. Demandez et l’on vous donnera.

Quand il prenait mon visage dans ses mains et me demandait si j’étais heureuse, je haussais les épaules et je lui disais qu’il manquait quelque chose. Il m’aimait beaucoup et m’était fidèle, mais quelque chose manquait. Et ce « quelque chose », c’était l’essentiel : Jésus-Christ. Son Esprit manquait dans le cœur de mon fiancé et voilà d’où venait le mal, qui nous séparait toujours. Sans Dieu, une union ne peut jamais être parfaitement heureuse.

Trois ans ont passé : je priais toujours, et cela n’importe où, car j’étais à bout de forces. Les nuits sans sommeil se succédaient, je ne pouvais plus manger. Je me sentais souvent mal au bureau et les larmes coulaient trop facilement. Mais ma foi m’aidait à tout supporter, car je savais que le moment était venu. Je savais que, cette année-là, je devais partir deux semaines en vacances, Je sentais que Dieu me disait que je devais quitter mon fiancé quelques jours. Nous avons eu d’amères discussions et les larmes n’ont rien embelli. Je n’avais jamais passé mes vacances ailleurs qu’auprès de mes parents, mais cette année-là je devais partir beaucoup plus loin. C’était un ordre de Dieu et je voulais l’exécuter. A force de le dire à mon fiancé, il dut se résoudre à me laisser partir. C’était ou l’heure de la décision, ou l’heure de la rupture.

Dieu a exaucé mes prières et, à mon retour, sur le quai de la gare, j’ai trouvé mon fiancé transformé, avec un regard clair, un visage nouveau. Oh ! je bénissais Dieu pour la grâce immense qu’il m’accordait.

Mais là, ce n’était que le début d’une vie nouvelle et je devais agir sans retard, Je lui ai acheté une Bible en français (nous sommes d’origine suisse-allemande), je lui ai apporté mon livre de catéchisme et les études ont commencé. Ce n’était pas facile mais Dieu était avec nous. Et une fois de plus, Il a été bon envers nous.

Une série d’évangélisation a été organisée à l’endroit où il habite. J’ai dit à mon fiancé : « Chéri, tu iras ! » Il y a été et, en quelques jours, il a compris clairement ce que j’avais mis des semaines à lui expliquer imparfaitement.

J’aimerais crier ma joie à tous les fiancés du monde, leur dire : Tous à genoux, priez, croyez au Seigneur Jésus-Christ, et vous serez tous heureux comme nous deux !


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Mais, il y a une autre forme de mariage mixte, occasion, lui aussi, de beaucoup de souffrances, plus encore, occasion d’une forme douloureuse de reniement : le mariage où l’un des conjoints est catholique, l’autre protestant.

A regret, il faut constater qu’en dépit de tous les avertissements donnés par les deux confessions, beaucoup de jeunes ne voient pas — ou alors voient trop tard — le danger, les difficultés que comporte semblable union.

Sans doute, des centaines de couples dans cette situation diront-ils que leur appartenance à une confession différente n’a jamais joué de rôle négatif dans leur foyer. On pourrait alors leur demander si elle a jamais joué un rôle positif ! Car s’ils voulaient être absolument dans le vrai, ils reconnaîtraient les uns et les autres que c’est leur indifférence à tous deux, pour le moins l’indifférence de l’un des deux conjoints qui a permis que sur le plan religieux, ils n’aient pas de difficultés.

Autrement dit, cette paix confessionnelle au foyer tient à l’absence d’une vraie conviction chez les deux époux. Car, à supposer que l’un des deux soit vraiment dans la foi, il souffrira nécessairement de l’indifférence de l’autre. Et s’ils l’étaient tous deux, la communion spirituelle qu’ils pourraient avoir, si réelle soit-elle, souffrira encore beaucoup de tous les points où elle ne peut atteindre à une véritable unité. En vérité, dans les mariages mixtes conclus légèrement, la foi n’est qu’adhésion irréfléchie à un enseignement ou à un rite ecclésiastique.

— « On a fait ce qu’on nous dit de faire. Qu’on le fasse à la manière des protestants ou qu’on le fasse à la manière des catholiques, cela n’a pas grande importance pour nous ! L’essentiel, c’est qu’on soit en règle avec ce qui nous était demandé d’un côté ou d’un autre. »

Evidemment, quand la foi est ramenée à cette expression simpliste, qu’elle n’est donc plus qu’une forme pratiquée par inconsciente superstition, il est exacte que la « mixture » de ce mariage ne deviendra pas l’occasion de conflits ou de souffrances ; mais il serait absolument faux de compter un tel foyer au nombre des maisons où Dieu habite en Esprit. L’étiquette chrétienne y est bien encore reconnaissable à certains signes extérieurs, mais le flacon est vide ; à chercher bien, on retrouverait ci ou là un dernier reste du parfum qui aurait dû en émaner. Encore est-il désagréablement dénaturé. Et la forme d’unité que connaîtra un tel foyer n’aura rien d’enviable aux yeux du plus païen des spectateurs. Cela lui sera même l’occasion de se distancer encore plus de tout ce qui a trait à l’Eglise chrétienne et au message unique qu’elle prétend apporter au monde. Par comparaison, il se trouvera beaucoup plus sérieux dans son athéisme militant ou non !


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Il serait cependant faux de croire que les mariages mixtes aient généralement cet aspect-là. La plus grande partie d’entre eux connaissent au contraire une souffrance qui a commencé déjà avant le mariage. Le chemin qui aboutit à cette souffrance est assez uniformément le même. On s’est rencontré. On s’est plu. On est sorti ensemble. A ski, à bicyclette, à moto, au cinéma, au bal. Le temps passe. On se fiance. On envisage le mariage. Le trousseau est commandé. On a visité les expositions de meubles. Enfin, on parle cérémonie. Le conjoint catholique dit alors : « En tous cas, on se marie à mon Eglise ! »

Que faire ? On va trouver Monsieur le Curé. Il ne leur cache pas la vérité. Il leur dit ce que l’Eglise romaine pense des mariages mixtes. Il leur lit certains canons de l’Eglise : « L’Eglise catholique interdit sévèrement qu’un mariage mixte soit conclu entre deux personnes baptisées dont l’une est catholique, l’autre inscrite à une secte hérétique ou schismatique » (canon 1060).

Il précise qu’aux yeux des catholiques, le réformé est un hérétique, puisqu’il défend des doctrines condamnées par l’Eglise romaine. Mais il explique que le conjoint protestant n’est pas responsable de son hérésie puisqu’il n’a pas encore eu l’occasion de connaître la vérité. C’est pourquoi, tout en les déplorant, l’Eglise autorise ces mariages à certaines conditions dont il leur donne lecture. Il sort une feuille qui dit entre autres :

« Nous soussignés… promettons sous la foi du serment :

  1. de faire baptiser et d’élever dans la religion catholique tous les enfants, garçons et filles, qui naîtront de notre mariage ;
  2. de ne pas demander — ni avant, ni après notre mariage à l’Eglise catholique — la bénédiction nuptiale au ministre d’une autre religion ;
  3. en outre, l’époux non catholique s’engage à laisser son conjoint parfaitement libre de remplir tous ses devoirs religieux. »

Enfin, parce qu’il veut être loyal, mais aussi parce qu’il veut prévenir une tentation qui pourrait se présenter à l’esprit de ces futurs époux, il lit encore :

« Le conjoint non-catholique donne la garantie d’écarter le danger de perversion du conjoint catholique. (canon 1061). Le conjoint catholique est tenu par l’obligation de travailler prudemment à la conversion du conjoint non-catholique (canon 1062). Les conjoints ne peuvent, avant ou après le mariage contracté devant l’Eglise, aller trouver également… un ministre non catholique pour donner ou renouveler le consentement matrimonial (canon 1063). »

Enfin, s’adressant au fiancé catholique romain, il ajoute : « Les catholiques qui contractent un mariage devant un ministre non-catholique encourent ipso-facto l’excommunication » (canon 2319).

Et il laisse clairement entendre qu’un mariage béni par un pasteur n’est pas reconnu par l’Eglise catholique. Le conjoint catholique vit en union illégitime ; puisqu’il s’est, par son mariage, exclu de l’Eglise, il se verra refuser les sacrements qui sont nécessaires à son salut. Autant dire qu’il encourt la damnation.

Un grand silence a fait suite à ces déclarations. Que faire ?

La décision du catholique romain est maintenant prise. Après ce qu’il vient d’entendre… ! Droit canon, excommunication, damnation… Il savait plus ou moins que ça viendrait sur le chemin… On n’en avait pas parlé jusqu’ici. Il savait sans savoir ; et il valait mieux que ce soit le prêtre qui le dise. Et comme de toutes manières les choses sont maintenant trop avancées pour qu’on revienne en arrière, il n’y a plus à discuter. Le mariage se fera catholique.


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Quant au conjoint protestant, lui, il n’a pas ouvert la bouche. Après ce qu’il vient d’entendre, il a un peu le souffle coupé. Il entrevoyait bien quelque difficulté. Mais il a l’impression d’être pris au piège. Beaucoup d’idées tournent dans sa tête. Mais il ne semble pas qu’aucune d’elle puisse être retenue. Sauf une. Dans le désarroi où il se trouve soudain, cette idée reste comme une dernière espérance.

— Je vais demander conseil à un pasteur !

De fait, le lendemain, la lettre est écrite. La voici :

J’ose vous demander de m’aider au sujet d’un problème important que je me vois obligée de résoudre sans tarder.

De confession protestante, je me trouve fiancée à un jeune homme catholique.

Elevée par des parents fidèles, moi-même instruite pendant trois ans dans un institut protestant, je crois avoir un assez fort attachement à ma religion.

De son côté, le jeune homme que j’aime a reçu une éducation catholique sérieuse puisqu’il fit toutes ses études chez les prêtres.

Comment résoudre un tel problème quand on voit tous les écueils spirituels qu’il soulève ?

Les catholiques ne considèrent point la bénédiction nuptiale protestante comme un sacrement. La bénédiction catholique est-elle admise par notre religion ?

Ma foi, tout en étant respectée par mon futur mari, ne souffrira-t-elle pas de donner à mes enfants une éducation différente de celle que j’ai reçue ?

Monsieur le pasteur, j’attends de vous la délicate compréhension et le secours de votre expérience…

Rien que ça ! Touchant n’est-ce pas ? Avec ça que le pasteur compréhensif et expérimenté pourra y changer quelque chose !

Bien sûr, il peut dire à cette jeune fille qu’en signant ce papier, c’est à une capitulation sans condition qu’elle souscrit.

Il peut lui montrer que son mari, garderait-il même du respect pour sa foi, elle n’en accepte pas moins de voir ses enfants un jour contester cette foi et tenir pour dangereuse son autorité spirituelle. Plus que cela, elle reconnaît par sa signature « qu’elle est en danger de perversion pour les siens » (canon 1061) et que sa foi elle-même n’a pas de valeur puisque l’Eglise fait un devoir à son futur conjoint « de travailler prudemment à sa conversion » (canon 1062).

Il peut lui dire que sa signature donnée souscrit à une argumentation qui, non seulement la rabaisse, elle, en tant que protestante, mais encore enferme sa famille et sa propre Eglise dans la même flétrissure.

Mais peut-il le lui dire ?

Au point où elle en est, cela ne pourra que la troubler davantage, mais en aucun cas lui apporter une solution !

Car la seule solution, devant l’irrecevable autoritarisme romain, serait la rupture.


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D’aucuns l’ont compris, telle cette protestante espagnole qui racontait récemment :

Il y a sept ans, je fis la connaissance d’un jeune homme. Il était catholique et moi une des vingt-cinq mille évangéliques du pays ; ce qui ne nous empêcha nullement de nous trouver sympathiques, de nous aimer et de forger des projets d’avenir. Il était très gentil et aurait certainement fait un excellent mari. Nous nous fiançâmes, je confectionnai mon trousseau et la noce fut fixée au mois de juin.

Mais à mesure que le temps passait, l’espoir que j’avais toujours nourri de le voir me suivre dans la foi devenait plus incertain. Craignait-il d’être déshérité par sa famille ? Peut-être. En tout cas je ne voulais pas d’un mariage mixte, aussi décidai-je de rompre. En effet, comment voulez-vous que l’on puisse être heureux lorsqu’on est séparé dans l’essentiel ?

Il faut une foi bien enracinée pour avoir le courage de ce geste. Il ne peut être que le fruit d’une conviction intérieure, œuvre de l’Esprit Saint ! C’est pourquoi, aucun pasteur ne saurait l’imposer à qui que ce soit ! En fait, le pasteur dont on attend une délicate compréhension pourra faire comprendre une seule chose : c’est qu’un mariage mixte accepté avec les conditions imposées par l’Eglise romaine est nécessairement une forme de reniement de la part du conjoint protestant. On dira bien que cette signature sous contrainte est sans valeur et, qu’après cela, on peut agir comme bon nous semble ! Ce serait alors tromper le conjoint catholique, et la défaite n’en serait pas moins grande. Avec raison, il est en droit de se fier à la parole donnée. Aussi, après avoir demandé le baptême de ses enfants selon le mode romain, trouvera-t-il tout à fait normal de les envoyer au catéchisme de Monsieur le curé. Y contredire serait le mettre dans une situation intolérable vis-à-vis de son Eglise. Sans doute, on peut en prendre son parti et se dire que l’important n’est pas dans les rites ou les formes ; on peut espérer qu’une communion dans la foi reste possible en dépit des différences confessionnelles. Ce raisonnement n’est qu’une gratuite théorie, et la lettre suivante en démontrera la fragilité :

… Je me suis vu contraint de me marier. J’ai épousé une femme de confession catholique romaine. Je m’entends fort bien avec mon épouse et nous nous aimons. Notre mariage a été religieusement consacré à l’Eglise catholique. J’avais cru que cette différence de confession serait facilement surmontable. Or, franchement, maintenant que les enfants grandissent et que je dois m’en priver, ainsi que de mon épouse dans la fréquentation du culte, cela me navre énormément. Je ne peux rien leur en dire, ma femme est réfractaire au protestantisme. Je ne peux l’en blâmer. Mais en silence, j’en souffre profondément. Cette différence de confession nous empêche de causer librement religion en famille. Sans nous l’avouer, nous éprouvons tous deux une certaine gêne, et à la longue cela devient pénible…

En théorie, on arrangerait facilement les difficultés. La pratique se charge alors de souligner la vanité de tous ces beaux raisonnements. Non, il n’y a pas d’accommodement possible avec le totalitarisme romain. Il n’est pas question ici de le lui reprocher. Il se croit détenteur de la vérité ; il est simplement fidèle à ses principes. C’est par ignorance ou volontaire aveuglement que les protestants s’attendent à des accommodements.


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Il y aurait, bien sûr, une dernière solution. Ce serait que le conjoint catholique accepte de passer outre aux menaces de son Eglise et consente à un mariage « protestant ». D’aucuns verront là une victoire et y trouveront motif de se réjouir.

Si cette victoire est la résultante d’une ardente prière, d’une recherche sincère de la vérité, puis de sa découverte, pourquoi, en effet, ne pas s’en réjouir ? Le corps du Christ est une réalité qui dépasse les cadres ecclésiastiques dans lesquels les hommes croient sans cesse l’enfermer. S’il a plu à Dieu d’éclairer le conjoint catholique et, à l’occasion de son mariage, de l’appeler à trouver vraiment sa place dans le corps du Christ, on ne peut que louer le Seigneur.

Mais est-ce toujours par obéissance à l’Esprit Saint qu’une « conversion » s’est opérée ? Ce pourrait être en effet par simple opportunisme. L’Eglise de Jésus-Christ n’a rien d’un magasin où l’on s’approvisionne en bénédictions diverses. Il arrive qu’il y ait chez le conjoint catholique, comme chez le conjoint protestant, une regrettable méprise. Au lieu d’un vrai mariage dans l’unité de la foi, ils ont simplement convenu de changer de « boutique » et de réclamer ce qu’ils pensaient leur revenir de la boutique où, apparemment, on formulait le moins d’exigences ! En vérité, la vie spirituelle ne jouera aucun rôle dans une telle union. Comment pourrait-il en être autrement ? Le fait que le conjoint catholique ait pu se détourner de son Eglise avec tant de facilité montrait déjà que son appartenance au Christ était une pure forme. Aussi, dans ce mariage, si victoire il y a, ce n’est que celle de l’ignorance. On ne saurait donc s’en réjouir.


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On le pourra d’autant moins que par la suite, il risque d’y avoir chez le conjoint d’origine catholique, une singulière déconvenue. En effet, l’Eglise romaine exerce chez ses ouailles une autorité que certaines formes contribuent à maintenir. Ce qui est demandé du fidèle, ce sont des gestes, une présence, une participation qui peut rester tout extérieure. Dire ses prières, faire sa part d’œuvres pies et d’aumônes, aller à la messe, cela peut se pratiquer avec sincérité et dans le sentiment que c’est là le service demandé par Dieu qu’on croit ainsi se rendre favorable. La foi est alors ramenée à un certain nombre de devoirs à remplir, elle est un marché : donnant, donnant.

Du côté protestant, on trouve la même manière de faire « risette au Bon Dieu ». Avec cette différence que cette risette comporte apparemment beaucoup moins d’exigences et peut se ramener à une participation aux cultes de Pâques ou de Noël. D’où la déconvenue du conjoint catholique qui, par amour pour sa « belle », a accepté de devenir protestant. Il se voit exclu d’une église aux formes et aux exigences précises. Mais, quand il interroge son conjoint qui, depuis des années, n’a jamais ouvert une Bible, ne prie plus, et va au culte seulement aux « grandes » occasions, le protestantisme qu’il croit ainsi découvrir lui apparaît tellement inconsistant qu’il en perd le peu de foi qu’il avait encore. Ou bien, saisi d’inquiétude, il s’en voudra à lui-même d’avoir désobéi aux avertissements de son prêtre et, pour peu qu’une difficulté surgisse, il y discernera une forme de punition divine. Il vivra dans un ressentiment grandissant qui peut le conduire au divorce ; à moins que, faisant acte de contrition, il sollicite le pardon de son Eglise et y ramène ses enfants.

On mesure ce que l’amour, et la foi, et l’unité des époux ont à gagner dans un mariage mixte vécu dans de telles conditions.

Abraham était sage qui faisait promettre par serment à Eliézer de choisir pour son fils une épouse de son pays, ce qui signifiait aussi : de la même confession !

Mariage à l’essai

Il y a dans l’aventure amoureuse d’Isaac et de Rébecca un quelque chose qui, aux yeux de beaucoup, pourrait paraître assez extraordinaire. Il est dit en toutes lettres : La jeune fille était très belle ; elle était vierge. Et comme si l’auteur du texte sacré craignait qu’on n’ait pas compris ou qu’on restât incrédule, il prend soin de préciser : Aucun homme ne l’avait connue. Cette simple précision vaut son pesant d’or, quand même d’aucuns penseraient que Monsieur La Palisse eût fait remarque semblable ; mais n’aurait-elle pas paru originale à beaucoup ? Car il ne fait mystère pour personne qu’aujourd’hui, comme dans certaines comédies, « on a changé tout ça ». Assez rares sont ceux qui arrivent vierges au mariage. Une opinion communément répandue voudrait même qu’on ne se marie en aucun cas avant d’avoir essayé ! Que recouvre cette sagesse précautionneuse ? D’abord est-elle sagesse ou simple aberration ?

Pour le discerner, il importe de savoir à quels mobiles obéissent ceux qui la préconisent. Elle ressortit d’abord à une forme d’impatience. La réalité sexuelle n’est pas un vain mot, et il est certaines heures, chez le jeune homme en particulier, où elle se laisse difficilement oublier. Images, littérature, promiscuité au travail et dans les loisirs, habillement, comportement de ceux qui nous entourent, tout contribue à affaiblir cette maîtrise de soi qu’on souhaiterait garder. Céder à cette sollicitation, ce serait donc perdre sa liberté. C’est bien la démonstration qu’en donnent ceux qui y ont succombé ! Et leur prétendue sagesse n’est qu’une manière simpliste de justifier devant les autres ou à leurs propres yeux, et leur faiblesse, et l’asservissement qui en est résulté.


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Cette prétendue sagesse est aussi l’expression d’une fausse compréhension de la sexualité. Oubliant que la puissance sexuelle est donnée à l’homme et à la femme en vue de la communion de l’amour, elle la détourne de ce but pour en faire une recherche égoïste d’un plaisir sans doute partagé, mais qui n’en reste pas moins individuel. Le flirt en est un exemple. Chacun ne sert qu’au plaisir de l’autre dans un jeu qui n’engage en rien et ne dure que le temps qu’on veut bien lui consacrer. Cela peut aller du simple baiser à la caresse la plus osée, en attendant le moment où l’exaspération des sens réclamera leur assouvissement. Cela peut finir par l’avilissement complet, payant où non : la prostitution.

Sans doute, derrière ce jeu impatient, il peut y avoir un réel désir d’aimer. La faim d’amour, qui est aussi besoin de tendresse, d’affection, d’échange, de don, est profondément enracinée au cœur de tout être normalement constitué. Mais est-ce une raison pour la satisfaire à n’importe quelle condition ? On peut avoir une grande soif, et pourtant — au lieu de boire l’eau stagnante du fossé — savoir attendre l’heure où l’on se trouvera devant la source fraîche. Plein de bon sens réaliste, Luther le disait déjà : Prendre femme c’est vite fait. L’aimer toujours est une autre affaire.


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Il est vrai que la fausse sagesse tient en réserve de plus subtils arguments. Elle fait sourdre dans le cœur du jeune homme ou dans celui de la jeune fille une sorte de peur. Etalant sous leurs yeux d’innombrables échecs que rien ne laissait prévoir, elle leur laisse entendre que ces échecs ont leur vraie cause dans l’inexpérience des conjoints. L’attrape est on ne peut plus grossière. Elle confond volontairement ignorance et inexpérience. Un simple exemple fera comprendre la sottise de l’argumentation.

Il existe des écoles de puériculture. Maïs dans aucune de ces écoles, on ne demande à la jeune fille qui se prépare à la maternité de commencer par mettre au monde un enfant. Avec un peu plus d’intelligence, on remédie à son inexpérience en l’instruisant, sachant qu’aux jours de la grossesse, de l’enfantement, de l’allaitement, elle tirera heureux parti de l’enseignement reçu. Et la bonne mine des enfants d’aujourd’hui démontre la valeur de cet enseignement. Qu’on enseigne donc jeunes gens et jeunes filles ; mais qu’on ne vienne pas leur soutenir qu’à moins d’avoir essayé, ils n’ont aucune garantie de réussir ! Il y a des enfants que les soins les plus entendus laissent délicats, voire chétifs. Ce peut être une épreuve dans la vie des parents. Leur unité peut s’affermir d’avoir à la porter. L’accord physique, en dépit de tous les enseignements, peut être aussi difficile à trouver, et l’expérience, cent fois répétée, peut parfois n’y rien changer. Loin d’en être dangereusement ébranlée, l’unité des époux peut trouver dans cette épreuve même source d’approfondissement.


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Ce qui revient à dire que l’expérience prétendue nécessaire, voire indispensable, préconisée aujourd’hui sous le nom de « mariage à l’essai », n’est qu’une argumentation commode, inventée par ceux qui cherchent une justification à leur conduite présente ou passée.

Et la Bible, interrogée à ce sujet, trace aux jeunes gens et jeunes filles un chemin sans équivoque. Ils chercheront en vain, dans toute l’Ecriture, un acquiescement ou une forme d’approbation à l’acte d’amour accompli en dehors du strict état de mariage. Tout au contraire, cet acte est alors dénoncé comme une désobéissance grave rangée sous le nom d’impudicité ou de fornication. Et ces mots caractérisent non seulement la simple et égoïste recherche d’un plaisir sexuel tel celui du flirt, mais, cela va de soi, toute forme de mariage à l’essai.

Est-ce là une étroitesse intolérable en notre monde dit civilisé, progressiste et évolué ? Très facilement en effet, parce que promis l’un à l’autre, les fiancés certains de leur amour et de leur engagement mutuel, en viennent à penser que leur promesse de fiançailles leur donne toute liberté charnelle. Et ils en usent, parfois en toute bonne conscience. Il est vrai qu’ils ont pour eux, apparemment, beaucoup d’excuses : crise du logement, difficultés économiques, prolongation du temps d’apprentissage, nécessités professionnelles, incertitude du lendemain, exaspération des sens due à la liberté même dans laquelle on vit. Pourtant, aucune de ces excuses ne trouve justification devant la Parole de Dieu qui reste absolue dans son principe et dans son application : l’union sexuelle se réalise seulement dans le cadre du mariage.

De cette exigence, la Bible ne donne qu’une seule mais suffisante explication : hors du mariage, l’acte d’amour est un mensonge.


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D’abord, un mensonge à la joie et à l’unité.

Ce n’est ni dénigrer l’amour, ni dénigrer le pain que de comparer l’acte d’amour conjugal à un pain dont la saveur se découvre à deux. Mais pour qu’il garde sa saveur, il y faut des conditions qu’on ne saurait impunément oublier. L’image du pain le fera comprendre facilement. De quels qualificatifs n’affublerait-on pas un paysan qui, sous prétexte qu’il se sent en appétit, en plein mois de juillet faucherait du blé dont la maturité était prévue au plus tôt en août ! Ce qu’il pourrait apprêter avec sa récolte serait tout au plus de la soupe au blé vert. Mais on ne saurait donner le nom de pain à ce brouet. Ainsi de l’amour vécu prématurément.

En effet, dans la vie des époux, l’acte conjugal s’inscrit sur un arrière-fond et dans un cadre qui lui donne toute sa valeur. Il se prépare par une vie en commun, vie de présence l’un à l’autre, de communion de joies et de peines dans lesquelles il se prolonge, dans lesquelles aussi il trouve son renouvellement et s’inscrit tel un couronnement. En quoi cet acte rapide qu’est l’amour des amants, vécu souvent sans véritable préparation, aussitôt rompu qu’accompli, peut-il être appelé un acte d’amour, ou encore une préparation au mariage ? C’en est l’outrageuse défloraison ; cela n’a rien d’un don. C’est du « volé en passant ». C’est un mensonge à la véritable joie et à l’authentique unité. C’est la caricature de l’une et de l’autre.

Et si l’on venait prétendre que l’expérience sexuelle ainsi acquise facilite ensuite la vie conjugale, ce serait un mensonge de plus. Car fût-elle réussie, cette expérience ne nous apprend rien que nous n’eussions tout aussi bien et même mieux appris dans une vie conjugale normale. Bien plus, elle risque de fausser notre comportement futur en nous laissant croire qu’une expérience vécue favorablement ou non se répétera identique à elle — même avec un autre conjoint. Comme si nous étions des numéros faits en série !


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C’est ensuite un mensonge à la vie.

Avant tout autre chose, l’acte d’amour conjugal est accomplissement d’unité. Les époux ne s’aiment pas d’abord en vue de la procréation. Cependant, pour demeurer vrai, tout acte d’amour doit être à même d’assumer les responsabilités qu’il prend. L’ordre de Dieu est clair : Croissez et multipliez. Les époux qui se veulent fidèles ne peuvent l’ignorer. Or, en quoi l’amour des amants est-il soumission à la volonté divine, lui qui n’a qu’une peur : l’enfant ! Coûte que coûte, il faut l’éviter. On s’y essaie habilement, frauduleusement, en attendant qu’un jour ce soit criminellement ! Peut-être bien que l’amant ou le fiancé s’accommodera assez facilement de ce genre de vie ; car l’homme, égoïste de nature, ne se soucie souvent que de son propre plaisir ! Mais il n’est pas de jeune fille, de fiancée qui soit vraiment heureuse d’avoir à vivre cette forme de mensonge-là. Tous ses consentements ne peuvent empêcher une rancune informulée qui l’amènera même, certains jours, à détester son compagnon. Jours de tristesse, de regrets, d’angoisse, parce qu’il y a « du retard » et que « mensuellement », elle vit ainsi avec cette peur de l’enfant, à l’encontre de sa nature vraie et profonde.


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C’est enfin un mensonge tout court !

A l’égard de la famille d’abord ! Du moins dans le cas des parents qui n’admettent pas, sans autre, que les fiancés vivent en amants. Il y en a encore beaucoup heureusement !

Dans l’autre cas, il y a mensonge à l’égard de la société devant laquelle ils passent pour être fiancés. Qu’on le veuille ou non, on ne peut vivre en ignorant les autres. La solidarité humaine souffre de toutes les défaillances de ceux qui la composent. Et le mensonge des amants contribue pour sa part à transformer la vie communautaire en une jungle, d’où la confiance a été bannie et a fait place à une duperie organisée.

Et ce mensonge a des échos ailleurs encore : dans l’Eglise. S’ils sont croyants, c’est devant elle qu’ils viendront s’engager mutuellement, prendre de solennelles promesses ! Sur quel fondement ? Celui du Dieu de vérité sur la bénédiction duquel ils disent pouvoir compter ?

On ne se moque pas de Dieu. On ne peut le tromper, ni faire mentir Sa loi. Toute transgression porte son fruit. Voyons à quelles réussites conduit aujourd’hui la pratique de plus en plus communément admise du mariage à l’essai. Si l’on ne voulait pas entendre l’éloquence de la Parole, il y aurait alors celle des chiffres : le nombre élevé des ménages désunis.

A la recherche du bonheur, de la joie, de l’unité dans la vie conjugale, il est urgent aujourd’hui d’appeler les fiancés à rester sur le terrain de la vérité, qui est aussi celui de la virginité.


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Cette nécessité répond à d’autres exigences encore, qu’il n’est point superflu de souligner. Toutes les fiançailles ne ressemblent point à celle d’Isaac et de Rébecca. Ils ont connu dès le premier instant qu’ils étaient dans la main de Dieu, choisis l’un pour l’autre. Cette certitude n’est pas toujours aussi rapide. L’âge, le caractère, le tempérament, les goûts, les circonstances de famille, les habitudes prises, font généralement des fiançailles une mise à l’épreuve. Et il est bien qu’il en soit ainsi. Car les fiançailles peuvent être rompues, du moins peut-on en prévoir la possibilité. En réservant au mariage le don total des époux l’un à l’autre, les fiancés laissent à toute rupture son caractère de loyauté.

Si, d’emblée, les étapes d’une vraie préparation sont bousculées pour ne faire place qu’à la découverte brutale et passionnée de la joie physique de l’amour, toutes les données sont faussées, y compris celles de cette joie prématurément découverte.

On a non seulement devancé les temps, on a commis l’irréparable. On a perdu la liberté de se choisir, de reconnaître qu’en réalité, et sur tous les plans, on était fait pour être un. Ayant perdu la maîtrise des sens, on est aveuglé. On ne sait plus, on ne voit plus qui est l’autre en vérité. On le connaît dans son corps. Mais précisément on le connaît superficiellement. L’enchantement physique occupe si largement l’avant-plan qu’on ne discerne plus très bien ce qu’il recouvre. La salutaire épreuve des fiançailles, qui aurait dû faire découvrir la nécessité d’une rupture, conduit inexorablement les amants au mariage. D’autant plus si un enfant a été conçu. Il arrivera alors que l’épreuve vienne après. C’est après les premiers mois de mariage que se manifestera enfin la vérité. On dira qu’il y a incompatibilité d’humeur. C’est une manière commode de ne pas avouer qu’on s’est trompé. Les époux deviendront des aigris qui se supportent ; à moins qu’ils n’échappent l’un à l’autre par la fausse sortie du divorce. Les grandes victimes seront les enfants. Au temps des prétendues fiançailles, ce n’est surtout pas à eux qu’on avait pensé !


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Quant à imaginer une rupture avant le mariage, alors même qu’on aurait déjà tout consommé, cela est certes concevable. Mais à qui fera-t-on croire que c’est la manière recommandable de se préparer au mariage ? Car s’ils venaient à rompre, dans quelle situation se trouveraient alors ces deux amants ? Est-ce que le fruit auquel ils ont goûté n’a pas éveillé en eux des appétits qui subsistent après leur rupture ? Ne seront-ils pas voués dès lors à des tentations assez fortes pour les entraîner vers une vie où l’amour risque de faire place à l’aventure ? Est-ce que la liberté du choix n’est pas ôtée, précisément parce qu’on n’a plus que « des restes » à offrir ? Et comment demander au « successeur » de vous respecter ?

La Bible sait ce qu’elle dit quand elle nomme mensonge et impudicité toute relation sexuelle même entre fiancés.

La vraie préparation au mariage et son accomplissement

Apparemment, l’histoire d’Isaac et de Rébecca n’a rien à nous apprendre sur cette face importante de la question. On pourrait cependant s’arrêter longtemps à l’expression que la Bible emploie pour désigner l’intimité qui scelle les époux l’un à l’autre. Cette expression tient en un seul mot : connaître. La Genèse dit : Adam connut Eve. Ce verbe est très suggestif. Le chemin qu’il trace, il faut le parcourir étape par étape, avec sagesse, avec délicatesse.


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La première étape est celle où l’on fait connaissance. Lui et Elle sont pour l’instant hors de toute préoccupation matrimoniale. Ils se trouvent mutuellement sympathiques. Ils ont simplement du plaisir à se retrouver. Rien de plus. Pourtant, dès ce point de départ, ils n’auront pas exactement la même attitude. Lui sait qu’il doit choisir. Elle sait qu’elle sera choisie. Cela fait toute la différence. Car, avant même que rien n’ait traversé son esprit à lui, elle se sera déjà demandée : est-ce lui ? Elle aurait grand tort de le lui montrer ; car rien n’est plus farouche que cette volonté qu’il garde, très profonde en lui, d’être celui qui choisit.

Mais réciproquement dans cette connaissance encore désintéressée qu’ils ont l’un de l’autre (sous le couvert de la camaraderie et de l’amitié), il pourrait lui faire beaucoup de tort en lui laissant croire que le choix est en train de s’opérer. Il est des paroles et des gestes dont il doit s’abstenir sous peine de voir, par sa seule faute à lui, l’imagination de cette camarade s’échauffer un brin et donner à la réalité une tonalité que lui n’avait pas prévue.


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Il est juste de remarquer qu’en ce choix la jeune fille détient pourtant nombre d’atouts en mains. Reste à savoir comment elle en usera ! Il faut crier casse-cou à celle qui croit gagner la partie et éclabousser les autres « concurrentes » en jouant d’une certaine carte qu’elle sait haute en couleur : le sex appeal ! Si c’est sur ce plan-là qu’elle l’a emporté, il est à craindre que sa victoire soit de courte durée. Un proverbe dit : « Qui se ressemble s’assemble. » Dans le filet qu’elle a tendu consciemment viendra se prendre un certain genre de poisson, L’attrait physique ayant épuisé ses possibilités, que restera-t-il entre ceux dont l’attirance réciproque était fondée d’abord sur cette base bien fragile et parfois singulièrement passagère ? Non pas qu’il faille tenir pour rien cette attirance physique elle-même. L’attrait sensuel est une des composantes de l’unité. Il a son rôle à jouer, et il faudrait crier casse-cou tout aussi fort aux jeunes qui prétendraient n’en pas vouloir tenir compte.


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Il est un moyen très simple de discerner les vrais mobiles d’une attirance réciproque : il faut se demander quelles parties de notre être s’émeuvent dans le souvenir ou la présence de celle ou celui dont on est épris. Si seuls les sens y trouvaient leur compte, il y aurait lieu de mettre beaucoup de points d’interrogation devant cette aventure ! Il y aurait tout lieu de penser que c’en est une ! Le chemin où elle nous mène prendrait donc la direction opposée à celle du mariage heureux.

Mais, si le premier baiser échangé était l’expression d’une certitude d’unité qui permette de faire des plans d’avenir, l’étape suivante est celle où l’on va, chaque jour davantage, apprendre à se connaître. Beaucoup d’époux s’ennuient ensemble et finissent par devenir insupportables l’un à l’autre ! C’est qu’ils ont négligé cette deuxième étape de préparation au mariage. Le temps qu’ils avaient à disposition aurait dû faire place à autre chose encore qu’aux caresses et aux baisers. La joie d’une vie commune tient à un échange de pensées, d’impressions, de sentiments, sur les mille et un sujets de réflexions et d’engagements que comporte l’existence.

Dans la nature, il est des couleurs et des formes qui ne vont absolument pas ensemble. Leur association est une faute de goût, voire une souffrance. Apprendre à se connaître, c’est précisément s’aventurer ensemble, aussi souvent et aussi loin que possible, dans tous les domaines intéressant l’âme et l’esprit. C’est aussi discerner si nos réactions seront, oui ou non, facteurs d’unité.

Mais si cette investigation revêt quelque importance, celle-ci est encore minime comparée à la découverte qu’il faut faire du vrai caractère de celui ou de celle qu’on aime. Car beaucoup de pensées ou de sentiments qu’on prétend avoir ou défendre ne sont parfois que beaux atours habillant vilain caractère. C’est lui qu’il faut mettre à nu, qu’il faut donc éprouver et en quelque sorte obliger à se montrer. Car si rien n’est plus modifiable qu’une théorie — et à vingt ans il arrive qu’on en change aussi souvent que de chemise — par contre rien n’est plus fidèle à soi-même que le caractère. Il imprime sa marque profonde et durable à tout ce qui est pensé, dit, senti, accompli. D’où l’importance qu’il y a, dans ce temps où l’on apprend à se connaître, à fournir au caractère toutes les occasions possibles de se manifester.

Un échange fidèle de correspondance y aidera bien davantage qu’un rendez-vous hebdomadaire au cinéma.


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La vie des conjoints est faite d’une trame souvent des plus ordinaires, Loisirs, vacances, randonnées, n’en sont souvent que les ornements très occasionnels ; ce serait dangereusement factice et trompeur de se connaître seulement dans ces circonstances extraordinaires.

Qui fournira aux fiancés cette trame réelle de la vie quotidienne si nécessaire à leur découverte réciproque ? Qui, sinon leurs parents ? D’où l’importance, une fois de plus, de leur assentiment. C’est dans le cadre de la vie quotidienne de la famille, accueillante et discrète, que les caractères se dépouillent le plus facilement de leur faux semblants, si tant est qu’ils en ont. Car, dans une famille, on rencontre des adultes et souvent aussi des enfants plus jeunes que les amoureux eux-mêmes ; il y a même parfois des petits enfants. Le comportement des fiancés dans le cadre de cette famille dira au jeune homme et à ses parents beaucoup de choses sur le caractère de cette future épouse, mère, belle-fille, belle-sœur ; comme il apprendra à la jeune fille et à sa famille beaucoup de choses sur le caractère de ce futur époux, père, beau-fils, beau-frère.

La vie est faite, avant tout, de ces relations avec le prochain et non d’une unité de vue sur les matches de hockey, les films de la série rose ou les concerts d’abonnement. Ce qui n’empêche nullement ceux qui apprennent à se connaître de sonder mutuellement leurs goûts artistiques, littéraires ou sportifs !


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Mais ce qui donnera à cette connaissance sa valeur la plus authentique, c’est la foi ; c’est le fait qu’en toute liberté et simplicité, elle et lui d’emblée chercheront la volonté divine à leur égard. Cette découverte est d’abord le fruit d’une prière personnelle. Les amoureux se garderont d’en faire trop tôt une prière commune. Car sans qu’ils s’en doutent toujours, cette volonté de rechercher en commun la volonté de Dieu à leur égard pourrait être un piège où, sous prétexte de soumission à l’Esprit, c’est finalement la chair seule qui risquerait d’y trouver son compte. On dit avec raison : qui veut faire l’ange fait la bête. Cette connaissance saura être graduelle dans les libertés qu’elle s’octroie, jusque sur le plan de la prière.


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Elle saura l’être également sur le plan de la sensualité. La connaissance acquise ne peut demeurer toujours celle des yeux, de l’intelligence et du cœur. Elle offre de plus grandes libertés où le toucher réclame bientôt sa part. Qui aura la sagesse de ne point brûler les étapes ? Sur ce chemin merveilleux qui les conduit à la totale découverte, qui pourra être assuré de rester toujours maître de lui- même, sans jamais franchir les limites que, d’un commun accord, ils voulaient observer ? Ceux-là seuls qui en auront très loyalement et très clairement parlé. Car il faut en avoir parlé. Et puis il faut en avoir pris ensemble la résolution. C’est un précieux adjuvant…

Mais cela ne suffit pas encore. L’esprit est bien disposé, mais la chair est faible.

La maîtrise de soi n’est jamais présentée dans la Bible comme une vertu naturelle. Elle est un fruit de l’Esprit. Il faut donc la demander, la vouloir, s’offrir aussi à la recevoir en s’abstenant volontairement de ce qui pourrait l’empêcher de croître ou encore l’abîmer quand elle nous a été donnée.


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Et il faut rester humain et clairvoyant. De trop longues fréquentations peuvent devenir une tentation.

La sagesse inspirée d’En haut saura donc faire connaître aux fiancés obligés de retarder leur mariage, qu’ils doivent ralentir singulièrement le rythme de leur connaissance, au besoin l’interrompre intelligemment par une séparation avec, par exemple, le séjour de l’un des deux à l’étranger.

Certes, cela ne sera pas toujours possible. Que faire en ces cas-la !

Ce sont des questions matérielles qui empêchent les jeunes de clore à temps l’étape des fiançailles. Qu’ils discernent si cette question matérielle ne pourrait pas trouver solution dans une installation un peu plus modeste.

Peut-être pourraient-ils être secondés ? Il est des occasions où ce serait une vraie sagesse de la part de parents aimants et compréhensifs de venir en aide à leurs enfants. Trois ans de fiançailles est le grand maximum qu’on puisse indiquer pour des fiancés équilibrés. Deux ans seraient encore préférables ! En cas de nécessité, une aide momentanée des parents pourrait permettre une installation modeste. Il vaudrait cent fois mieux cela que cet engagement périlleux sur le chemin de fiançailles prolongées pour un temps indéterminé.


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Vient alors la dernière étape, celle où ils vont se connaître totalement. Adam connut Eve sa femme… Isaac conduisit Rébecca dans la tente qui avait été celle de sa mère et il l’aima.

Ce dernier acte, au soir du mariage, ou dans la semaine qui le suit, reste encore une découverte. Sans doute s’y sont-ils préparés ensemble. Mais il faut le répéter : à l’heure où ils se trouvent enfin seuls, ils vont encore à la découverte. La joie qui les attend est voulue de Dieu qui l’a inscrite dans leur chair à tous deux. Ils n’ont donc rien à craindre. Cependant, de même que dans la découverte d’un cadeau reçu avec la mention fragile, on reste précautionneux, attentif à ne rien brusquer, leur attitude — celle de l’époux surtout — saura mettre patience, et tact, et même pudeur, à préparer la fête qu’ils vont se donner l’un à l’autre.


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Les fêtes publiques débutent dans les éclats cuivrés d’une fanfare. Ici, rien de semblable. La fête est celle de l’intimité de deux êtres en qui l’amour chante — l’esprit, l’âme et le corps étant parfaitement à l’unisson. La violence des accents, la brusquerie des gestes doivent en être bannie. La douceur et la tendresse doivent donner le ton, et, à l’heure même où l’accord trouvera sa plénitude, garder à son intonation cette forme de très grande tendresse. L’âme et l’esprit doivent être présents à ce jeu. Les mots doux ainsi que les gestes délicats leur aideront à participer à la fête.

C’est à l’époux que revient l’honneur et la responsabilité de mener le jeu. Son impatiente virilité doit plus que jamais se réserver, se contenir ; car il ne lui appartient pas pour l’instant de penser à lui. Non, c’est pour elle qu’il est là. Ce corps offert enfin à tout son regard, à toute sa caresse, le corps de celle qui va devenir sa femme, il doit le préparer. Et cette préparation est sa responsabilité à lui. C’est le soin qu’il aura mis à le faire qui permettra que dans un instant, elle l’accueille avec un vrai désir. Lui est prêt d’emblée à manifester toute sa puissance d’homme. Elle n’en est qu’au prélude. Sa chair, si décidée soit-elle à s’offrir, demande encore à être éveillée. Elle peut ne pas l’être totalement à la première rencontre. S’il le faut, qu’il patiente jusqu’à l’instant où sous les caresses qu’instinctivement il aura su découvrir — auxquelles elle aura su l’inviter — elle pourra, l’hymen ayant été rompu, devenir enfin sa femme, fondue en lui, tandis qu’il l’ensemence de toute sa virilité.

Enlacés dans une totale unité, ils connaissent la joie d’un accomplissement qui touche à quelque chose que Dieu a fait, et les conduit ensemble, comme tout œuvre de Dieu, vers un sentiment de plénitude en même temps que de repos et de complet renouvellement. Ils sont à toujours une seule chair. Ils ne sauraient l’exprimer ; ils le savent tout simplement. Dans l’apaisement retrouvé, ils savent aussi qu’il y a le gage et la promesse de nouvelles fêtes et que celles-ci, dans la communion du Dieu qui fait toutes choses nouvelles, offriront à chaque fois le même émerveillement.


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Qui dit accomplissement ne dit pas achèvement. En réalité. leur vie à deux commence. C’est une nouvelle étape qui, comme les précédentes, demande de la part de tous deux, une forte volonté de se connaître, de s’unir. Car, en dépit de ce qu’ils pourraient croire, ils ne se connaissent pas encore. Ils sont maintenant unis dans une volonté totale et profonde d’unité. Le fondement en a été posé. Mais elle est encore à réaliser.

Chaque jour qui passe va être l’occasion de ce labeur. Il nécessitera beaucoup d’entretiens, sera parfois l’occasion de heurts, Il n’y a pas lieu de s’en alarmer. Le pire qui puisse arriver serait que pour éviter ceux-ci, l’un des époux en vienne à se taire, à se renfermer. L’unité donnée sera maintenue à ce prix : qu’ils continuent à rester ouverts l’un à l’autre. Car, si l’un venait à dire de l’autre : « Il ne me comprend plus », c’est que l’unité serait rompue.

Ce ne sont pas les divergences ou même les heurts qui ruinent l’unité. C’est le cœur et l’esprit fermés aux pensées et aux sentiments de l’autre. Dès l’instant où les réactions de l’un laisseraient l’autre indifférent, il y aurait péril en la demeure. C’est la volonté permanente de comprendre l’autre qui permet à un foyer de s’édifier. Encore qu’il faille bien expliquer ce mot. Comprendre ne veut pas dire : avoir convaincu l’autre que vous aviez raison, ou au contraire s’être rangé à son opinion. Comprendre, c’est admettre l’autre tel qu’il est. Et l’aimer ainsi.

Dans l’étape qui suit le mariage, cette grâce de la compréhension doit être demandée sans cesse, parce que tout vient la mettre en question. La vie à deux, c’est la découverte d’une différence fondamentale d’attitude et de réaction face aux mêmes choses.

Déjà dans l’amour. L’homme aime d’une tout autre manière que sa femme. Chez lui, l’amour est l’expression momentanée et souvent d’autant plus violente à la fois d’un désir et d’un sentiment. L’élan qui en résulte s’interrompt avec la satisfaction même du désir. Il fait place à une autre préoccupation vers laquelle, aussitôt après, l’homme peut se tourner entièrement et qui aura nom : travail, sport, loisir, etc.

Si la femme ne comprend pas cela, elle croira très vite que son mari ne l’aime plus, la délaisse. Car elle aime d’une tout autre manière. Chez elle, l’amour est la note dominante, avec toutes les nuances que les circonstances momentanées peuvent y donner. Il s’y mêle un besoin de présence, d’attentions, de gentillesses, de mots doux, de caresses anodines. Et cela n’a pas de fin. Si le mari ne comprend pas cela, il croira très vite que sa femme est une capricieuse, et pensera aussi vite qu’au lieu de lui aider, elle lui complique l’existence.

Cette différence se retrouve sur beaucoup d’autres plans. Celui du travail ou de l’emploi de l’argent, celui de l’éducation des enfants, de l’emploi des loisirs, des relations avec le prochain, etc., etc. L’absence d’une volonté de compréhension conduit très rapidement les époux hors de l’unité. S’ils en prennent leur parti, ils vivent bientôt côte à côte et toutes leurs relations s’en trouvent faussées.


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Les lettres citées dans la première partie de ce livre sont le témoignage douloureusement éloquent de la déconvenue qui peut faire suite à un mariage très heureux.

Comment l’éviter ?

Il faut redire ici ce qui a déjà été démontré plus haut. La vraie connaissance reste liée à la présence de Dieu au foyer, à l’autorité qu’Il y exerce.

Comment, en effet, connaître l’autre et le comprendre, alors qu’on ne se connaît pas soi-même et qu’on reste le premier étonné de ses propres réactions ? La parole de Saint-Exupéry, si souvent citée, est ici parfaitement à sa place : S’aimer, ce n’est pas se regarder l’un l’autre, c’est regarder ensemble dans la même direction. On ne se connaît soi-même qu’en face du Christ. C’est Lui qui explique l’homme à lui-même et lui donne en même temps de comprendre le prochain.

Sur le chemin de la connaissance, c’est la présence du Christ recherché par la prière, écouté dans Sa Parole, et obéi avec le secours de l’Esprit, qui donnera aux époux cette compréhension, faite de patience, de pardon, d’amour réciproquement accordé. Il ne se passera pas de jour où, à cause d’une parole, d’un regard, d’un geste, d’un oubli, d’un silence, ils n’aient à se reconnaître véritablement différents. Mais, par la grâce du Seigneur qui les aime précisément tels qu’ils sont, ils connaîtront alors que de tout ce mal qu’ils auraient pu se faire, Dieu tire beaucoup de bien. Plus que cela, avec les années, liés l’un à l’autre par les exigences de la Parole et leur commune volonté de s’y soumettre, ils finiront par se ressembler, ou par être pleinement heureux et riches précisément de tout ce qui les fait différents l’un de l’autre. L’amour du Christ a agi. Ils s’aiment malgré eux. Leur unité est une communion. Le Christ vivant en est à toujours le garant.

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