Demain…l’au-delà

Des idées folles

« Le monde, a dit Chesterton, est plein d’idées chrétiennes devenues folles. » Fort nombreux sont les hommes victimes de ce travestissement du savoir. C’est pourquoi tout exposé de la vérité chrétienne sur l’au-delà s’accompagne d’un préalable nécessaire : la dénonciation des idées folles encombrant l’esprit des gens, généralement mal informés de surcroît.

La « folie » de ces idées s’apparente à la paranoïa que le dictionnaire définit comme « un délire systématisé avec conservation de la clarté et de l’ordre de la pensée… ». Cela correspond assez exactement à l’aspect à la fois logique et divaguant de tant de « croyances » plus ou moins admises par nos contemporains.

Si l’on ajoute que certaines ressemblances avec le « modèle » chrétien sont parfaitement discernables, on comprendra le côté redoutable de ces idées devenues folles. Qu’un individu porte le même nom que vous (même si l’orthographe en est légèrement différente) et qu’il s’en autorise pour se faire passer pour vous, mais dans un style des plus contestables, voilà qui vous inciterait à faire insérer dans la presse locale l’avis connu précisant que M. XYZ usurpant votre identité n’a rien de commun avec vous.

Dans les pages qui suivent, nous ne prétendons ni faire une liste complète de ces opinions « homonymes », ni les réfuter. Nous invitons simplement le lecteur à prendre conscience de la fragilité des arguments sur lesquels les gens fondent leur certitude, quand ils en ont une !

L’Evangile de Saint-Lapalisse

La sagesse populaire est bavarde. Mais elle est populaire. Elle est même proverbiale dans ses énoncés rudimentaires. Ce que « les gens » savent de leur acheminement final est d’un style très élémentaire.

« On » dit : « je suis né donc je mourrai… », « avant de naître, je n’existais pas, au jour de ma mort, je n’existerai plus… »

Or ces vérités n’ont pas une hauteur de vue très considérable… mais une surface incommensurable. La surface même des Lapalissades. Et leur côté « proverbial » trouve un cousinage évident du côté des proverbes bibliques.

Mais la « folie » serait d’en rester à ceci. De refuser de concevoir les conséquences d’une telle limitation. Car, comme l’écrit P. Charbonneau 1 :

1 Seul meurt le vivant. Foi et Vie N° 1/58.

« L’homme ainsi déterminé se voit contraint de vivre au jour le jour, le nez collé sur l’immédiat. Vaguement éveillé à sa liberté, mais incapable de l’accepter avec sa mort, l’individu se distrait dans le plaisir inévitablement fugitif… Aussi, la fonction sociale, professionnelle ou politique, vient le distraire avec autrement d’efficacité… En effet, si rien n’existe au-delà de la mort, que reste-t-il à l’homme sinon s’absorber dans l’organisation du monde. Il y passe donc son temps ! Devenue une fin en soi, l’activité pratique a pris soudain la cohérence et la rigueur de la vérité, avec l’efficacité de la foi. Il faut croire à l’action, il faut maîtriser la nature, dominer l’avenir, courir après les choses, après le temps. A tout prix.

» Car, plus cette course s’accélère, plus le souffle du noir cavalier serre de près sa victime. L’homme-fourmi est occupé à entasser une pincée de sable. Et pour cette entreprise, il doit grouper les masses, leur imposer la discipline qui la rend possible. Cette frénésie pragmatique engendre l’organisation totalitaire. Ainsi, née de la liberté, la fuite devant la mort conduit l’homme à sa destruction… L’Etat totalitaire est un sous-produit de notre refus de la mort. »

Est-ce que la contestation — cette mise en question de la vie et du monde d’aujourd’hui — n’est pas une autodéfense, un acte de santé mentale de la part d’hommes incapables de résister aux contraintes idéologiques et politiques, mais conscients tout de même de la vanité à laquelle on les asservit ? Leur angoisse, cette maladie d’une civilisation matérialiste, n’est-elle pas l’expression non d’un refus de la mort, mais de l’absurdité d’une existence qui aurait le néant pour seule fin ?

Les simples ne sont pas nécessairement simplistes. Ils ont trop de bon sens pour admettre d’être aveuglément régis par « le hasard et la nécessité ».

Faute d’en savoir davantage, ils s’accrochent alors aux croyances les plus hétéroclites et les plus contestables. Il n’y a pas lieu de s’en étonner. Le matérialisme les étouffe. Ils éprouvent avec urgence le besoin de respirer. Plutôt que de succomber à l’asphyxie de la mort, ils aspirent n’importe quoi.

Il serait trop facile d’afficher de l’indignation ou du dédain devant la crédulité populaire. Il est vrai qu’elle touche parfois au ridicule sinon à l’aberration. Mais que les moqueurs se regardent dans leur miroir et s’en prennent à eux-mêmes ! Car si beaucoup de gens en arrivent à boire à n’importe quelle… flaque, ce n’est pas nécessairement qu’ils soient abêtis : c’est qu’ils ont soif et qu’ils ont cru voir dans l’eau un reflet du ciel !

Mais pour autant faut-il le dire avec fermeté : Le refus d’envisager sérieusement et au plan de notre vie personnelle ce qui pourrait survenir après notre décès est une obstination qui touche à l’aveuglement volontaire. On pourrait même l’appeler une aliénation. Ce qui faisait dire à M. Charbonneau déjà cité :

« Toute parole sérieuse sur la mort est un effort de liberté »

Or cette liberté va devenir un leitmotiv pour de nombreux « mouvements de libération » s’offrant à affranchir les humains des craintes ancestrales attachées à la mort. Ils font campagne avec tant de zèle, se concurrencent avec tant d’ingéniosité que nombre de nos contemporains les renvoient tous, en vrac :

« Que ces géographes de l’éternité commencent par se mettre d’accord entre eux. »

Il est instructif, en effet, d’écouter les « bonnes raisons » que le populaire se donne d’éconduire les prêcheurs de l’invisible.

Il y a les pessimistes

Leurs réflexions s’achoppent à des obstacles connus :

« Tout ce qu’on nous promet au sujet de l’au-delà est bien agréable à entendre. Mais jusqu’à preuve du contraire, nous n’en croyons rien. Nous restons plus que sceptiques devant l’annonce d’une vie nouvelle dans un royaume éternel… Quant à un tri définitif entre bons et méchants et une mise à jour des comptes de toutes les existences, c’est aussi aléatoire. D’abord, de la justice il n’y en a jamais eu de véritable. En outre, ceux qui croient à cette justice à venir ne l’envisagent qu’en vue du jugement des fautes commises par les autres ! Soyons réalistes ! Déjà l’avenir de ce monde est problématique.

» N’y a-t-il pas de la présomption à prétendre savoir quoi que ce soit sur la vie dans l’autre monde et sur le sort qu’y connaitront les humains ? Qu’on exhorte donc les gens à manifester quelques égards envers le prochain, et cela si possible avant qu’ils ne meurent. Quant à l’au-delà, inutile de chercher à en percer le mystère. Il vaut mieux se taire, et attendre de voir… »

Il y a les optimistes

Pour eux, la mort est dans l’ordre naturel des choses. Elle est un simple passage, une métamorphose. Comme la nuit nous mène vers le lever du jour, toute vie qui s’éteint se relève dans la lumière d’une nouvelle existence, compensation aux peines, aux épreuves, aux frustrations d’ici-bas. Dieu est bon. L’avenir ne peut que sublimer ce qu’il y a d’heureux dans le présent et nous délivrer de tout ce qui était débilitant. Au reste, si tout devait s’arrêter là, ce ne serait pas juste. Après tout ce qu’il a fallu accepter, endurer, Dieu nous doit bien ça. Le travail a été le lot de tant de gens, ils peuvent maintenant se reposer. Et tous ceux qui ont souffert, ils sont maintenant délivrés. Et puis, il y a tous ceux qui ont lutté, qui se sont dépensés, même sacrifiés. Et bien, maintenant ils ont leur récompense...

Même si les mots employés ne sont pas exactement ceux-là, l’espérance des optimistes postule cet avenir de vacances éternelles, style club azuréen de l’éternité, compensation d’existences ternes, peut-être ratées.

Il y a les douteurs

Confiants, prêts à faire crédit à ce qui leur fut enseigné ou à ce qu’ils croient avoir compris, ils gardent l’espérance d’une vie dans l’au-delà. Leur accès à un monde meilleur, ils le devraient à la grande bonté d’un Dieu qui pardonne. Ce conditionnel correspond assez exactement à leur incertitude. C’est pourquoi du reste, même s’ils confessent avec l’Eglise que le salut de l’homme est entièrement l’œuvre de la grâce et de la miséricorde de Dieu, ils feraient volontiers état de quelques mérites personnels.

Et puis leurs doutes ont mille occasions d’être avivés. Ce qu’ils observent des vicissitudes du monde en général et de l’Eglise en particulier est pour eux redoutablement contradictoire. La fidélité du Seigneur correspond-elle à ce qu’en dit l’Ecriture ? Et sa toute-puissance ? Le spectacle qu’offre le monde n’en est-il pas un démenti ? Il y a également les tranquilles affirmations de savants célèbres, de philosophes intelligents, de psychologues avisés. Ils démontrent que l’irrationnel est explicable à partir d’autres données que celles auxquelles la foi fait crédit. Devant leurs démonstrations rationnelles, comment ne pas tout remettre en question ?

Ainsi, même l’espérance d’une vie après la mort laisse les douteurs fondamentalement inquiets. Cela s’explique du reste !

Ils sont assez lucides pour savoir que leur existence a comporté des échecs. Ils n’échappent pas au malaise d’une certaine culpabilité. A mi-chemin entre le sens de la justice et les exigences de leur conscience, ils s’interrogent. Certes, ils affichent une certaine sérénité. Elle est même de rigueur dans une mentalité qui ne laisse jamais sourdre au-dehors d’intimes pensées. Mais à l’arrière-plan de cette quiétude apparente demeure une angoisse viscérale qui s’exhale à la première grave maladie survenue. En fait, ils espèrent tout, mais ne sont sûrs de rien.

Etonnement

On pourrait disserter longtemps encore sur les raisons de cette confusion de pensée et de cette incertitude au sujet de la mort. Cependant, il y a lieu de s’étonner du fait que la majorité des gens consentent à cette perplexité. En tout autre domaine, en effet, l’homme fait preuve d’une volonté persévérante de connaitre, de comprendre, de savoir et de savoir réellement. Toute inconnue devient une raison nouvelle de reposer le problème en vue de la découverte de la connaissance désirée. Or, là, face à cette mort qu’il sait devoir subir, l’homme détourne la tête, joue à l’indifférent, prétexte mille autres nécessités. Pour tout dire, il se dérobe. Souvent aussi, cette lâcheté prend la forme d’une sorte de mépris ironique ou souverain par lequel il masque momentanément sa peur de voir survenir la mort et sa volonté d’ignorer ce qu’elle sera.

Selon l’auteur du livre des Proverbes, on peut penser qu’il s’agit là de cette sorte de folie qui, attachée à l’homme, ne le quitte jamais 2. Avec cette différence qu’une aliénation mentale est d’ordinaire une maladie à laquelle, bien mal- gré soi, on est assujetti, alors qu’ici, cette « folie » est délibérément choisie, entretenue, même prônée par beaucoup de ceux qui en sont atteints.

2 Proverbes 27.22.

Ce propos montre-t-il trop de sévérité à leur endroit ?

Il y aurait, en effet, beaucoup d’excuses à leur scepticisme. Plusieurs pourraient attester que leur participation à des cultes ou à des discussions avec des chrétiens s’est soldée par une réelle déconvenue : ils n’ont pu tirer aucun enseignement de ce qu’ils ont entendu, tellement diffuses, vagues, indécises, étaient les lignes doctrinales du message annoncé ou échangé.

Plusieurs aussi pourraient reprendre à leur compte la remarque de cet étudiant dont nous parle H. Zahrnt dans l’avant-propos de son livre : « Dieu ne peut pas mourir » 3. Etonné de découvrir que son professeur croyait encore en Dieu, il le lui fit remarquer :

3 Aux Editions du Cerf.

« Vous avez encore un reste de théisme. »

C’est qu’au cours de cette dernière décennie, de nombreux théologiens se sont fait une certaine réputation en entretenant leurs étudiants et le public en général de « la mort de Dieu ». On s’étonne que ces maîtres à penser restent théologiens ! Mais on ne s’étonne pas qu’en conséquence de tout ce qu’ils écrivent et diffusent, leurs ouailles soient non seulement troublées, mais en viennent à penser que l’Evangile est un tissu de légendes au nombre desquelles la résurrection — c’est le cas de le dire — est à ranger parmi les contes à dormir éternellement.… couché !

Une explication

Cependant, ce trouble ne saurait être imputé aux seuls théologiens. L’histoire que nous vivons pose à tout homme, croyant ou non, de redoutables questions, en particulier quant à la solidarité qui nous lie les uns aux autres. L’acuité des problèmes humains est telle que la préoccupation d’une vie au-delà de la mort pourrait passer pour une forme d’égoïsme, même une fuite devant les nécessités du moment. Aussi bien, l’attention du plus grand nombre va-t-elle vers les problèmes sociaux et politiques, au point qu’est tenu pour suspect, illuminé, « paumé », hors course, celui qui accorderait un quelconque intérêt aux questions relatives à la vie éternelle. Sa préoccupation passera même pour une trahison de la cause défendue par les engagés d’un christianisme politisé. Il fut un temps, en effet, où la question du salut dans l’au-delà allait de pair avec une insouciance sans charité et sans justice pour les choses de la terre. Par réaction, les faiseurs d’opinion d’aujourd’hui — ils se veulent réalistes — suspectent toute forme de piété non politisée et qui s’intéresserait « aux choses d’en-haut ». A l’opposé de saint Augustin invitant ses lecteurs à méditer sur la cité de Dieu, ils se veulent prophètes des démocraties humaines plutôt que du royaume des cieux et ne craignent pas d’opposer à la patrie céleste l’Internationale terrestre !

Dans un tel contexte, il n’est pas étonnant que le commun des mortels en vienne à perdre toute certitude quant à l’au-delà, et, de propos délibéré, s’en dépréoccupe jusqu’à l’insouciance.

Cependant, si la fuite vers le ciel, conjointement à une ignorance des choses de la terre, était une caricature de l’Evangile, l’indifférence à l’égard de la réalité de la mort et aux questions qu’elle pose sous prétexte de justice sociale est une autre caricature du dit Evangile.

L’individu n’est pas seul à être atteint par la mort. Ses œuvres en sont aussi atteintes et le monde entier souffre des dommages que lui cause sa fragilité. L’homme, même le plus simple, ressent au plus profond de lui-même cette révocation de l’existence. Aussi bien l’ecclésiaste était-il plus réaliste que beaucoup de réalistes d’aujourd’hui quand, avec désappointement, il constatait que « tout est vanité et poursuite du vent ». C’est pourquoi Zahrnt a mille fois raison de dire 4 :

4 Op. cit., p. 270.

« Aucune théologie, philosophie, religion ou cosmologie, n’est valable si elle n’essaie pas au moins de donner une réponse à la question de la mort. Ne pas prendre la mort au sérieux, c’est ne pas prendre au sérieux non plus la vie, le monde et l’ici-bas. C’est l’attitude de l’homme en face de son destin de mort qui décide, avec une valeur définitive, du sens que l’homme donne à la vie. »

Attrapant la balle au vol, certaines « idées chrétiennes devenues folles » proposent aux auditeurs réceptifs des itinéraires, des cheminements que nous allons succinctement passer en revue.

A commencer par ce qui nous est le plus proche… sans dire que ça nous soit pour autant sympathique: les diverses formes de ce qu’on pourrait appeler

l’idéalisme chrétien

Il se trouve assorti de quelques vérités « chrétiennes ». Mais, disons-le tout net, ces vérités constituent des morceaux choisis avec tout ce qu’une telle expression suppose de partiel (car il s’agit de morceaux détachés de leur contexte) et de partial (car on se garde bien de dire qui choisit et selon quels critères). Cette opération « choix » était dénoncée déjà par le Christ, dans une mise en garde solennelle :

« Avant que le ciel et la terre aient passé, il ne disparaîtra de la Loi ni un seul iota, ni un seul trait de lettre jusqu’à ce que tout soit accompli. » ! 5

5 Matthieu 5.18.

Et pourtant, quand l’Occident se dit chrétien, c’est souvent de cet idéalisme-là essentiellement qu’il se réclame. Bien sûr, à ce niveau et en pratique, la gamme des croyances est aussi diverse qu’étendue. Cela ressemble à la fameuse auberge espagnole où l’on trouve ce qu’il plait à chacun d’y apporter. Il y a, certes, quelques notions de base — celles de l’amour, de la justice, de la liberté — admises et approuvées par chacun. Encore faut-il ajouter que le relativisme devenu la règle du plus grand nombre a largement contribué à diluer toute exigence un tant soi peu contraignante. La sincérité est souvent le seul critère de vérité et de validité de la croyance.

Mise au fronton d’une telle entreprise, la tolérance comporte de nombreux avantages. Par exemple, sous l’étiquette « chrétienne », chacun adhère à ce qu’il lui plaît d’admettre, de croire, et finalement d’imaginer. Selon la formule connue, on peut se réclamer de cette religion-là dans la mesure même où l’on ne déclare pas s’en séparer. La Palice n’eût pas trouvé mieux. Cela n’engage à rien de définitif ; cela ne contraint ni ne contrarie personne ; cela ne compromet rien ; cela laisse toutes portes ouvertes ; cela correspond assez exactement sinon au scénario du moins au titre du film de Jean Yanne : « Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ».

Quant à la mort, dans ce christianisme de Monsieur Tout-le-monde, elle est une grande inconnue qu’on se plaît du reste à ne pas trop sortir de sa pénombre mystérieuse.

Devant tant de vague et d’imprécision, on comprend le supplément de prestige que le « label » scientifique confère aux enseignements proposés par

la science chrétienne

dont il faut dire avec regrets qu’elle est d’abord et surtout une falsification du message du Christ. A l’origine de ce vaste mouvement fondé aux environs de 1875 par Mme B. Eddy, il y a le livre de cette femme américaine : « Science et Santé, avec la clé des Ecritures ». Dans ce volume sans lequel, nous dit-on, il est impossible de comprendre le message biblique, on découvre d’étonnants propos :

« Le Christ est venu abolir la croyance au péché » (p.473).
« L’homme est incapable de pécher, d’être malade et de mourir » (p.475).
« La maladie est un rêve dont il faut réveiller le patient » (p.417).
« En réalité, l’homme ne meurt jamais… » (p.486).
« La mort est une illusion » (p. 584).
« La locution Homme mortel se contredit elle-même, car l’homme n’est pas mortel… » (p.478).

Démentis par les faits, de tels propos n’auraient aucun crédit s’ils n’étaient pas appuyés par une philosophie religieuse, expliquant que l’homme est « une représentation de l’Entendement divin éternel » (p. 591), et que seule l’ignorance l’amène à consentir à la maladie et à se croire mortel.

Ainsi, par des principes généreux — mais, il faut bien le dire gratuits — le problème de la mort se trouve résolu. Et de quelle manière et avec quelle facilité ! On proclame que la réalité est illusoire et que seule est réelle la pensée qui la contredit.

Que les vérités d’appui de cette science soient « chrétiennes », comment le nier, alors que les Evangiles y sont si abondamment cités. Et que l’une des affirmations essentielles de la Science Chrétienne soit effectivement une vérité biblique (le refus que Dieu lui-même oppose au mal, à la mort, au péché), c’est évident. Mais que cette vérité chrétienne par origine se trouve abâtardie dans la « folie » de ce système, c’est hélas vrai. Force nous est de le souligner, quand bien même nous reconnaissons à nombre de « scientistes chrétiens » une valeur morale, une sincérité religieuse et une réelle consécration.

Car à parler de « folie », c’est bien la folie de la Croix, la réalité de la mort du Christ, le cœur même de l’Evangile que Mme B. Eddy élimine. Elle veut faire mieux que Dieu lui-même qui a donné son Fils afin que quiconque croit en Lui ne meure point.

A se demander si la fameuse « clé des Ecritures… » offerte par la science chrétienne les ouvre, ou si, en vérité, elle ne contribue pas surtout à les fermer ?

Un tel idéalisme est à cataloguer dans le voisinage immédiat de celui de

Platon

Ici la folie des idées chrétiennes est du type amnésique. Nombre de personnes sont en fait catéchisées par Platon et sa pensée philosophique… sans même le savoir. Ou plutôt en croyant dur comme fer qu’il s’agit de la foi chrétienne évangélique à cent pour cent. En effet, ils ignorent que la totalité de l’enseignement biblique s’inscrit en faux contre la croyance à une immortalité selon laquelle nous aurions à nous dégager de l’emprisonnement du corps, à libérer une âme immortelle et à nous attacher au principe divin dont nous serions l’émanation.

Non. Non et non. Danger ! Alerte ! Alarme…

Ici il ne s’agit plus seulement d’idées chrétiennes devenues folles, mais de notions étrangères à tout enseignement biblique, autrement dit de l’erreur promue à la dignité de vérité. Il faut préciser, hélas, que certains pères de l’Eglise ont favorisé ce mariage entre les Ecritures et la philosophie. Cette alliance, reconnaissons-le, est d’une longévité fabuleuse ; pourvue d’une descendance de conte de fées. Mais il est temps que la Belle au Bois dormant se réveille et sorte de sa corbeille de noce les cadeaux philosophiques qu’on y a glissés… Foin des « idées chrétiennes… », c’est la Vérité du Christ qui sauve.

Autre forme d’idéalisme très en vogue :

le Bouddhisme

Comme tous les fondateurs de systèmes philosophiques ou religieux, son auteur se déclare « détenteur de la science éternellement vraie ». Son enseignement, par la vague contemporaine du yoga, connaît en Occident un regain d’intérêt, dû peut-être en partie aux avantages immédiats qu’il offre en prime à ses adeptes : santé, équilibre psychique, contrôle de soi-même, relaxation, etc. Mais il y a plus ! Les multiples croyances, sectes, sociétés, groupes spirituels ou religieux, nés de l’enseignement de Bouddha, ont ceci de commun qu’ils opposent à la cruauté de la mort les affirmations d’une philosophie apaisante niant le caractère absolu de l’échéance dernière. En effet, dans la mesure où son côté définitif se trouve contesté, la mort cesse d’être le summum de l’épouvante. Elle existe toujours, certes, mais elle est détrônée.

Selon un système astucieusement échafaudé, la paroi abrupte de la mort se trouve fractionnée en paliers d’autant plus rassurants qu’ils offrent un remède à notre vertige. La mort n’est plus qu’une étape sur le chemin de l’affranchissement du mal. Grâce à elle, l’homme est engagé dans une série de renaissances spirituelles au terme desquelles, s’il le veut, il parviendra à l’état d’un repos éternellement heureux appelé le nirvana.

Cette croyance à la métempsychose offre à l’imagination de fertiles possibilités avec, en plus, l’avantage d’une explication du mal et de la mort. En effet, là encore l’âme est immortelle et ceux qui s’effraieraient d’avoir à mourir y trouvent quelque apaisement. De ce fait, la vie terrestre perd de son importance au bénéfice du cycle prometteur dans lequel elle est engagée. Y aurait-il échec par négligence ou mauvaise volonté, l’individu retombe à un stade inférieur dans l’ordre des créatures. Au contraire, par la purification des pratiques de vertu et de piété, il connaît sur cette terre, puis au gré de ses réincarnations successives, une sphère d’activités de plus en plus exaltantes dans l’attente de celle à laquelle il accédera dans d’autres mondes et dans d’autre vies.

Il n’y a rien à objecter à cette croyance imaginaire. Rien sinon qu’elle est imaginaire.

Ainsi, qu’il soit platonicien, marxiste 6 , scientiste, bouddhiste ou mâtiné de Bouddhisme, le seul support effectif de l’idéalisme est la foi de celui qui s’y adonne. Celle d’un marxiste est aussi aveugle, sourde, insensible aux objections que celle d’un bonze. Et pour cause ! Elle ne saurait être contredite par la réalité puisque celle-ci n’est que l’approximation passagère d’un idéal absolu, souverain, intemporel, imaginaire, donc incontrôlable.

6 Une fois pour toutes, Marx croyait avoir réglé le compte des idéalistes en disant de la religion qu’elle est l’opium du peuple. Outre que c’était une critique essentiellement démagogique, Marx et ses disciples semblent ne pas avoir réalisé que le matérialisme athée se révèle, à l’examen, appartenir lui aussi à la famille des opiacées. Ne tombe-t-il pas sous le coup de la même accusation, ce système qui veut convaincre l’individu d’avoir à se consoler du mal et de la mort par la croyance (sic) en l’éternité de l’HOMME ou de l’Espèce humains, au pire, en l’Eternité de la Matière ? Au siècle de la fission de l’atome et des arsenaux y relatifs, c’est, en effet, on ne peut plus prometteur et consolant…

On nous répliquera que l’Evangile ne l’est pas moins ! Cette objection se fonde sur une mauvaise information. Car l’Evangile se réclame de faits vérifiables dans l’Histoire, celle du peuple juif, puis celle de la vie, de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ. Nous n’en disons pas davantage pour l’instant puisque plusieurs chapitres de ce livre sont un exposé de cette vérité de fait.

Parmi les spiritualités imaginaires se réclamant de faits « vérifiables », nous sommes tenus ici de dire quelques mots du

spiritisme

Il s’agit de cette croyance qui accorde plein crédit aux communications possibles entre les vivants et les morts.

Il faudrait relever d’abord que ce genre de communications pourrait difficilement passer pour une déformation de l’Evangile puisque quinze siècles avant Jésus-Christ, des écrits religieux tels les Védas décrivaient déjà l’existence des esprits dans leurs rapports avec les êtres humains. Tous les peuples de l’Orient ont mêlé à leur culte l’évocation des trépassés. Si le pentateuque interdit aux Hébreux toute pratique spirite, c’est qu’elle était déjà généralisée chez les Egyptiens. Plus tard, elle sera commune aux Grecs, aux Romains, aux Gaulois, et lorsque Colomb découvrira l’Amérique, il y trouvera des indigènes pratiquant l’évocation des morts. Et l’on sait la place faite aux défunts dans l’occultisme africain, celle qu’ils gardent dans un certain catholicisme d’Amérique du Sud.

Cependant, si nous sommes tenus de dénoncer le spiritisme comme une dangereuse contrefaçon de la vérité évangélique 7, c’est que depuis un siècle environ, il se targue de confondre les erreurs du matérialisme athée. Il se réclame donc volontiers de l’approbation chrétienne sous prétexte que sa méthode expérimentale viendrait confirmer les promesses évangéliques d’une existence après la mort. A l’appui, les communications reçues de l’au-delà, soigneusement transcrites dans une abondante littérature.

7 Pour plus d’information, voir « L’Occultisme à la lumière du Christ », de M. Ray, Ed. Ligue pour la lecture de la Bible.

Que transmettent-elles en vérité ?

D’abord un enseignement non pas sur l’au-delà, mais sur la faculté qu’ont certaines personnes, appelées médiums, de puiser, dans le subconscient des assistants aux séances spirites, l’essentiel des réponses aux questions qu’ils poseraient.

Puis un enseignement sur les dispositions de l’esprit humain à devenir passivement le centre récepteur ou émetteur de forces magnétiques et télépathiques.

Enfin — démonstration par l’absurde ! — cette littérature spirite démontre le bien-fondé des interdictions de l’Ecriture quant aux évocations d’esprits et aux consultations de médiums. En effet, la recherche de communication avec les défunts ne saurait se réclamer de la vérité selon laquelle nous sommes tous un et tous vivants en Jésus-Christ. Car elle conduit ceux qui s’y adonnent à une véritable sujétion aux puissances du monde des ténèbres. Cela explique l’influence littéralement aberrante du spiritisme et ses séquelles connues et trop rarement citées : les obsessions, les possessions, la folie.

Et nous n’avons rien dit des enseignements de cette nécromancie qui laissent finalement l’homme devant les banalités les plus ordinaires : la nécessité moralisante du progrès, l’appel au mérite, la souffrance purificatrice, la réincarnation, et finalement un ciel peuplé de défunts étonnamment semblables à ce qu’ils étaient de leur vivant.

Comme le dit le pasteur Pierre Bourguet 8 :

8 Pierre Bourguet : « Problèmes de la mort et de l’au-delà ». Ed. Société Centrale d’Evangélisation, Paris.

« Que des athées, par le cheminement détourné du spiritisme, soient arrivés à pressentir des réalités supra-terrestres tant mieux !

» Cela signifie surtout que l’homme préfère, hélas, tenir son espoir des hommes plutôt que de Dieu. »

En fait, cela ne signifie rien de plus !

En conclusion…

Au terme de la lecture de ces paragraphes, on pourrait nous faire le reproche de nous être érigés en jury et d’avoir exercé une justice distributive, sans aménité et sans réplique.

Le reproche serait fondé si les critères de nos jugements tenaient à des options personnelles et arbitraires. En d’autres mots, si nous avions déclaré « folles » les vérités qui nous eussent semblé, à nous, insuffisamment chrétiennes.

Mais qu’on veuille bien relire les passages incriminés… C’est en constante référence avec l’enseignement de l’Ecriture sainte — reconnue comme autorité en matière de foi — que nous avons examiné et contesté diverses spiritualités.

Que l’Ecriture donc nous départage d’avec nos éventuels contradicteurs.

Mais il y a plus.

Le propos de cette conclusion n’est pas d’abord de nous innocenter, mais de préparer nos lecteurs à la découverte de toute la suite de ce livre.

Il n’est pas superflu de les en avertir : cette découverte est paradoxale. En effet, il y a une folie — celle de la Croix — que Dieu a faite vérité.

Nous avons voulu en apporter le témoignage détaillé.

N’est-ce pas principalement pour en avoir refusé le scandale que des penseurs « religieux » et même mystiques, ont essayé de tracer des cheminements plus accessibles et de proposer des démarches plus raisonnables… se faisant ainsi plus sages que Dieu lui-même ?

Quant à notre cheminement, il cherchera à rester fidèle à la Parole :

« Là où Dieu s’est révélé dans Sa sagesse divine, le monde, par le moyen de la sagesse, ne l’a pas reconnu. Il n’a su tirer profit ni de la sagesse divine, ni de la sienne propre pour acquérir la connaissance de Dieu, C’est pourquoi Dieu a jugé bon de donner cette connaissance aux hommes qui placeraient leur confiance en lui, il s’est plu à conduire au salut, par un message taxé de folie, tous ceux qui consentent à croire en lui. Tandis que d’un côté les Juifs sont en quête de signes miraculeux et que, de l’autre, les Grecs réclament des systèmes philosophiques rationnels, nous nous faisons les hérauts d’un Messie mis en croix. Les Juifs crient au scandale, Pour les Grecs, c’est un non-sens ridicule. Mais pour tous ceux qui ont perçu son appel, tant Juifs que Grecs, ce Christ que nous prêchons se manifeste comme la puissance même de Dieu, aussi bien que sa sagesse. Car ce qui nous paraît folie en Dieu contient plus de sagesse que ce qui vient des hommes et la faiblesse de Dieu dépasse en force tout ce que les hommes peuvent réaliser. » 9

9 1 Corinthiens 1.21-25 (trad. A. Kuen).

Document

Equilibrés ou équilibristes ?

On savait déjà certaines couches citadines de notre population attirées par la pratique du yoga, mais voilà que nos paysannes-vigneronnes vaudoises, bonnes terriennes, sûres, solides, équilibrées, prudentes et sages, viennent de tomber à leur tour dans le panneau.

Et non contentes de pratiquer la seule relaxation musculaire et nerveuse, telle qu’elle est proposée aux Occidentaux et qu’on prétend (?) sans incidences psychiques ou spirituelles, elles se sont fait enseigner par un maître es yoga évidemment oriental. Et voilà ce qu’elles ont appris : voie fixée par l’hindouisme, le yoga n’est rien de moins qu’une quête de l’authentique ; il nous fait entrer dans les grandes lois de l’équilibre universel, déboucher dans une forme de sagesse, accéder à une vision de la lumière pure, et par intégration à la réalité suprême il permet d’atteindre notre moi immortel, toujours vivant, qui n’est jamais né et ne pourra jamais mourir, etc.

Admettez qu’en fait de gymnastique on ne reconnait guère celle en honneur à la société fédérale ! Ou, si gymnastique il y a, c’est de bien inquiétants « exercices » qu’il s’agit.

Quand de plus on apprend que dès septembre le yoga sera branche à option dans nos collèges lausannois, on se frotte les yeux, et on se pose quelques questions à propos du légendaire bon sens vaudois.

Et on se rend à avoir peur plus des Vaudois que du yoga. Des Vaudois, mais bien sûr aussi des Valaisans, des Neuchâtelois, des Genevois et des Fribourgeois, qui ne sont sans doute pas restés en arrière : tous baptisés, enseignés, confirmés, « communiés », mariés (en attendant d’être ensevelis) au nom de l’évangile du Christ, et qui lui préfèrent des philosophies étranges, autant qu’étrangères à notre mentalité. Séduits par ces pratiques orientales, pas assez courageux pour faire carrément leur choix, trop lâches pour se couper de leurs arrières, ils tentent une synthèse entre ce qu’on leur offre et le christianisme, oubliant que le Christ ne détestait rien autant que cette façon de clocher des deux pieds. Outre que c’est déjà bien assez ennuyeux de boiter d’un seul, croyez-moi, clocher des deux pieds n’est plus de la gymnastique ; c’est déjà une forme d’équilibrisme ; alors laissons cela aux acrobates professionnels, et satisfaisons-nous d’assurer notre équilibre à nous par une méditation attentive de l’Ecriture, une pratique honnête et persévérante de l’Evangile, et une communion de tous les instants avec le Christ.

En demeurant ainsi tout humainement dans les réalités au milieu desquelles Dieu nous demande de vivre jusqu’à ce que le Christ vienne, nous ne connaîtrons peut-être jamais « l’intégration à la réalité suprême par l’exploration du cosmos intérieur », mais nous ne connaîtrons pas non plus la désintégration.

Pasteur Maillard
Tribune-Le Matin, Lausanne

Déontologie

Un matin, vers onze heures et demie, on nous amena un homme de quarante ans qui venait d’être écrasé par une presse. C’était hallucinant : il n’y avait plus rien qui ressemblât à un homme dans cet amas de chair et d’os broyés, pourtant il vivait encore et gémissait. Avant même qu’un médecin l’ait vu, une infirmière m’entraina dans sa chambre pour essayer de lui faire une piqûre de néosynéphrine pour lui soutenir le cœur et remonter sa tension. Chacune à un bras, nous essayions de trouver une veine sans y arriver. Dès qu’on le remuait un tant soit peu, on entendait ses os craquer. Quand le patron arriva, il ne l’examina même pas :

« Arrêtez, bon sang ! Vous n’espérez tout de même pas qu’on puisse le sauver. Dans l’état où il est, il vaut mieux ne rien faire. Ça ne servirait à rien. »

Je me souviendrai de ce médecin, un des rares que j’aie connus qui ait eu le courage de laisser mourir un malade qui ne pouvait espérer qu’une atroce et douloureuse survie. D’autres, au nom du respect qu’on doit à la vie, auraient prolongé son agonie pendant des jours et des jours.

De tous les principes du Code de déontologie médicale, le respect de la vie semble le plus intangible : le médecin doit lutter pour la conservation de la vie jusqu’au dernier moment. Mais un principe n’est jamais qu’une ligne directrice qui doit tolérer des écarts quand le bon sens montre au praticien que la survie n’a plus aucune signification. Naguère, les malades s’éteignaient d’eux-mêmes, aujourd’hui, les appareils de réanimation peuvent animer très longtemps des corps sans conscience — et il faut prendre la décision de les débrancher. Le médecin doit maintenant prendre ses responsabilités devant la mort et le serment d’Hippocrate n’a pas prévu le cas. Certains, au nom du respect absolu d’un principe, laissent se créer des situations atroces.

Je ne puis oublier cet univers médical. Les livres des mandarins de la médecine me font en général sourire.

Les problèmes de déontologie — respect de la vie, euthanasie, médecine de pléthore, expérimentation humaine — les infirmières les voient d’en dessous, elles les vivent. Beaucoup de médecins aussi, d’ailleurs.

Mais la médecine est le dernier des clergés qui tienne le coup. Ses grands-prêtres sont honorés, leurs moindres paroles ont valeur d’évangile et l’Ordre, appareil sclérosé et ultraconservateur, fait régner un conformisme de bon aloi. Je sais cependant des médecins qui regardent la vérité et qui la disent. Ils deviendront un jour la majorité. Mais ce sera long : les hommes d’aujourd’hui ne savent plus voir la mort en face. Ils ont besoin que la médecine reste cette grande force bienfaisante et magique qui écarte d’eux l’horreur.

S. Lefebvre : « Moi une infirmière », Ed. Stock, p. 25, 37, 119.

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