Cet exposé ne prétend pas à l’originalité. En rapport avec le thème proposé, il est un simple rappel — peut-être nécessaire — des vérités communiquées par l’Esprit saint dans l’Ecriture. Nous croyons en avoir facilité l’écoute et la compréhension en les groupant sous sept remarques. Aucune d’elles n’est exhaustive. Tout au plus, aideront-elles devant le malheur d’autrui ou devant nos propres épreuves à saisir pourquoi souffrances et maladies demeurent de toute façon des signes de la compassion de Dieu.
C’est peut-étre une découverte à refaire. Dans l’Ecriture, verbes et substantifs décrivant ou expliquant la souffrance, la douleur, l’épreuve, la maladie, ont pour éclairage l’état de l’homme né de la race d’Adam, une race en rébellion contre Dieu. Les maladies sont une des conséquences de cette condition d’homme pécheur, enclin au mal et à la désobéissance.
Parallèlement, verbes et substantifs décrivant la souffrance, la douleur, l’épreuve — je n’ajoute pas ici : la maladie — ont souvent pour éclairage la fidélité du racheté, sa volonté de témoignage et de service dans la communion du Christ. Le salut l’ayant incorporé au corps de Christ — l’Eglise présente au monde —, le chrétien participe aux attaques, aux refus, aux violences que lui font subir ses ennemis.
En d’autres termes et pour reprendre le titre de cet exposé, il n’y a pas de souffrances ‘‘insensées”.
C’est une consolation ! C’est aussi un avertissement ! Dans le prolongement de l’une et de l’autre, il y a donc lieu de discerner si les épreuves sont le signe avertisseur de quelque infidélité ou, au contraire, si elles sont un encouragement à persévérer dans le témoignage rendu au Seigneur.
Evidemment, il ne suffit pas de dire ces choses. Il faut encore en chercher confirmation dans la Parole biblique. Elle pourrait être abondamment citée. En rapport avec ces avertissements salutaires, deux textes sont à rappeler.
Dans Lévitique 26 que certaines éditions sous-titrent “Bénédictions et malédictions”, il est dit expressément : “Si vous méprisez mes lois. et rompez mon alliance… la terreur, la consomption, la fièvre rendront vos yeux languissants et votre âme souffrante… Si vous me résistez et ne voulez point m’’écouter… votre force s’épuisera inutilement… la peste sera au milieu de vous… le pays sera dévasté… vous ne subsisterez point en présence de vos ennemis… ceux d’entre vous qui survivront seront frappés de langueur… ils seront aussi frappés de langueur pour les iniquités de leurs pères.”
Deutéronome 28 dit avec plus de sévérité encore : “Si tu n’obéis pas à la voix de l’Eternel ton Dieu, la malédiction frappera toutes tes entreprises. la peste s’attachera à toi… tu connaîtras dessèchement, jaunisse, gangrène qui te poursuivront jusqu’à ce que tu périsses. Tu souffriras des ulcères de l’Egypte, hémorroïdes, gale, teigne, délire, aveuglement, égarement d’esprit…”
Et le texte de décrire avec force détails tous les malheurs qui frapperont non seulement l’homme, mais sa famille, ses plantations, son bétail, la nation tout entière : “Toi et ta postérité, vous serez frappés par des plaies grandes et de longue durée, par des maladies graves et opiniâtres… qui rendront ton cœur agité… ton âme souffrante… Tu trembleras la nuit et le jour, tu douteras de ton existence. Dans l’effroi qui remplira ton cœur et en présence de ce que tes yeux verront, tu diras le matin : puisse le soir être là ! et tu diras le soir : puisse le matin être là.”
Ce qui amenait David à constater ce que n’importe quel observateur du 20e siècle dirait avec la même force : ‘Beaucoup de douleurs sont la part du méchant” (Psaumes 32.10). Et l’Ecclésiaste (7.14), comme Jérémie (Lamentations 3.37-38), précisait : “Au jour du bonheur, sois heureux, au jour du malheur, réfléchis. Dieu a fait l’un comme l’autre…” “… Qui dira qu’une chose arrive sans que le Seigneur l’ait ordonnée ? N’est-ce pas de la volonté du Très-Haut que viennent les maux et les biens ?”
De telles déclarations ne peuvent être entendues sans qu’aussitôt se pose la question : Comment ces menaces souvent accomplies et manifestes dans la vie des hommes, des familles et des nations, s’accordent-elles avec la proclamation de l’amour de Dieu, de sa compassion pour tous les hommes ?
La contradiction n’est qu’apparente. La pire condition de l’homme — la plus dangereuse aussi — serait celle d’une existence transgressant constamment les lois divines sans qu’il en soit averti ou sans qu’il ait aussitôt à en pâtir. C’est du reste cette forme d’existence que l’homme d’aujourd’hui cherche à maintenir, dans son refus de la souffrance, dans son entêtement à nier qu’il soit, lui le premier sinon lui aussi, responsable de son malheur. L’emploi, puis l’abus d’analgésiques est un des aspects de ce refus. Mais la drogue n’est pas seulement chimique. Elle a pris toute espèce de formes et d’emballages aux noms connus : idéologies, slogans, “manifs”, procès de la société, plaisirs, jeux et sports littéralement stupéfiants : ou encore évasion dans l’ésotérisme, dans le yoga, dans la méditation transcendantale, etc.
L’Evangile, lui, ramène à la réalité l’homme qui consent à réfléchir. Par la souffrance souvent, il lui fait faire la découverte de la bonté de Dieu. Une comparaison aidera à la juste compréhension de cette vérité un peu surprenante.
L’absence d’huile dans le moteur d’une automobile pourrait être catastrophique pour le véhicule. D’où la préoccupation du constructeur : au tableau de bord, une lentille s’allume lorsque la proportion d’huile dans le moteur atteint son minima.
Telle est aussi la compassion de Dieu. Au tableau de bord de la vie des hommes s’inscrit la souffrance, signal avertisseur d’un désordre ancien ou présent, peut-être latent, en tout cas menaçant.
Dieu veut nous arracher au mal. Dieu veut nous délivrer du mal. Il ne le fait pas sans notre consentement. Il nous appelle, en accord avec lui, à prendre la responsabilité de notre guérison, de notre libération.
La maladie, la douleur, la souffrance disent à l’homme : Par ton attitude, par ton comportement, par ta manière de te nourrir, de te désaltérer, de te divertir, par ta manière de travailler, de ne pas te reposer, en un mot par ta manière de vivre, tu transgresses des lois prévues pour ta santé physique, psychique, mentale, spirituelle, conjugale, familiale, morale, ecclésiale, sociale, économique, politique.
Dans la souffrance, tu t’indignes, tu interpelles, tu interroges afin de savoir pourquoi, si Dieu existe, s’il est amour, s’il est compatissant, il permet que…
Il serait temps de comprendre que nonante-neuf fois sur cent, la question est mal posée. Il faudrait apprendre aux hommes à retourner la question, c’est-à-dire à s’interroger eux-mêmes afin de savoir pourquoi, si facilement, ils transgressent, à leurs propres dépens, la loi sainte…
Ayant alors réfléchi — ce qui serait le premier pas vers ce que la Bible appelle la repentance — l’homme connaîtrait non pas seulement la compassion de Dieu inscrite dans la souffrance ou la douleur, mais ce qui en est la vraie manifestation décrite par David dans le Psaume 32 :
Encore faut-il bien entendre David et prendre au sérieux la rigueur de son vocabulaire. Le pasteur A. Maillot commentant ce psaume, en particulier le v. 3, remarque fort justement : “Il criait beaucoup et sans cesse, mais sur le vrai problème il se taisait. On peut donc prier beaucoup mais oublier l’essentiel. Sa grande faute n’était pas tellement telle désobéissance que la dissimulation. Le principal péché qu’il confesse, c’est qu’il ne voulait pas vraiment confesser son péché.”
Cette faute-là est aussi commune que le péché lui-même. Nul étonnement si après cela — c’est-à-dire des confessions générales, liturgiques, souvent sans véritable aveu et sans véritable repentance — tant de gens restent affligés moralement et physiquement, et rendent inopérante la compassion de Dieu. Cependant, ce serait méconnaitre la réalité que d’attribuer maladies et souffrances à la seule responsabilité de celui qui en est atteint. Circonscrire les causes d’une épreuve uniquement à la désobéissance personnelle, c’est ignorer un aspect essentiel de la révélation biblique.
Elle décrit l’homme et la création tout entière dans une situation de révolte, de désordre et de rupture par rapport au dessein du Créateur. Il en résulte que le monde entier est soumis à la puissance du malin (1 Jean 5.19).
Solidairement avec l’humanité, l’homme peut être atteint par toutes espèces de maux, de maladies, de cataclysmes jusqu’à en mourir, et cela parce qu’il appartient à une création frappée de malédiction. Cette condition d’existence comporte donc un aspect d’injustice. L’homme n’est guère soulagé lorsqu’à ses questions angoissées on répond par la formule connue “Dieu permet”. A l’enseigne de la mentalité cartésienne, cette réponse inspirée du souci de reconnaître à Dieu son entière souveraineté, laisse parallèlement entendre qu’il est la cause du mal et de la maladie ; ce qui est fondamentalement contraire au message évangélique. Car tout ce qui relève de la révolte, du désordre et de la rupture, est scandale aux yeux du Créateur et en complète opposition à son dessein de justice, de vie et d’amour.
Cela est attesté par l’Ecriture tout entière. D’abord dans l’Ancien Testament où s’exprime souvent la souffrance conjointe du Créateur et de la créature. Ensuite et surtout dans le Nouveau Testament où la note dominante est précisément celle de la compassion de Dieu envers les hommes. En effet, en Christ, Dieu vient partager notre condition humaine ; par sa vie, par son ministère, par sa mort et sa résurrection, le Seigneur, pleinement Dieu mais aussi pleinement homme, atteste en sa personne la défaite de toute opposition au divin dessein de justice, de liberté et de vie éternelle.
Dès lors, un salut réel est proposé à tout homme souffrant. Par la foi et dans la communion au Christ Sauveur, au cîur même de toute tribulation l’homme demeure plus que vainqueur (Romains 8.37).
Dans le cadre de cette brève étude cette question est préoccupante. Et devant ses graves conséquences, l’homme est parfois tenté d’admettre que la compassion de Dieu est décidément un peu courte, pour le moins peu perceptible ! En effet, pourquoi par exemple tel petit enfant doit-il pâtir du fait que son père ou même son grand-père étaient alcooliques ?
Il faut d’abord remarquer que dans Exode 20.4-6 (cf. également Deutéronome 5.9-10), il n’est pas question d’une solidarité avec nos ascendants seulement. Une autre solidarité est rappelée : celle de la grâce dont Christ est la source. Elle couvre non pas quatre, mais mille générations, c’est-à-dire l’ensemble de l’histoire humaine. Si nous accueillons celle-ci, pouvons-nous refuser l’autre ?
Il faut remarquer ensuite que dans Exode 20, l’accent n’est pas mis d’abord sur la responsabilité que pourraient encourir les ascendants. Loin d’inviter l’homme à faire le procès de ses parents, la Parole divine veut le rendre attentif à sa propre responsabilité : ses désobéissances d’aujourd’hui pourraient allumer un feu rouge au tableau de bord de quatre générations de ses descendants. C’est alors que la compassion de Dieu aujourd’hui allume simultanément le feu vert d’un amour qui rebondit sur mille générations.
Il faut remarquer enfin que cette compassion est explicitée par une autre parole révélée dans Jérémie 31.27-31 :
“Voici, les jours viennent dit l’Eternel, où j’ensemencerai la maison d’Israël et de Juda…
Comme j’ai veillé sur eux pour arracher, abattre, détruire, ruiner et faire du mal,
Ainsi je veillerai sur eux pour bâtir et pour planter.
En ces jours-là on ne me dira plus :
Les pères ont mangé des raisins verts,
Et les dents des enfants en ont été agacées.
Voici les jours viennent… où je ferai une alliance nouvelle.”
Comme le dira le Christ (Luc 4.18-21) dans la synagogue de Nazareth :
“L’Esprit du Seigneur est sur moi.
Il m’a oint pour annoncer une bonne nouvelle aux pauvres.
Il m’a envoyé pour guérir… proclamer la délivrance… renvoyer libres les opprimés… publier une année de grâce…
Aujourd’hui, cette parole est accomplie.”
Donc l’intervention du Christ peut rompre la chaîne opprimante de l’hérédité, la transformer en grâce, en tirer des bénédictions.
Pour demeurer ici dans toute la vérité, il est juste de constater que toutes les conséquences néfastes de cette hérédité, même assumées par le Christ, ne sont pas toujours et aussitôt effacées. Une partie de la question demeure donc sans réponse. Elle sera éclairée plus loin sous une autre face.
Pour conclure ce deuxième point et souligner encore la réalité de la compassion de Dieu et sa volonté d’épargner ceux qui, avertis, persévèrent à ne pas entendre, il faut relever ce fait connu : dans l’histoire d’Israël, c’est à plusieurs reprises que le châtiment annoncé par tel prophète à tel roi idolâtre était assorti à une grâce particulière : la sentence ne l’atteindrait pas, lui, mais sa descendance. En effet, Dieu n’est pas à confondre avec un juge impitoyable. Ses menaces sont d’abord les avertissements de sa miséricorde. Il ne veut pas la mort du pécheur mais sa repentance. En différant l’exécution, il laisse au coupable la possibilité de s’amender et d’éviter le châtiment annoncé. Dieu donne ainsi réponse à la prière que lui adressait Salomon lors de la dédicace du Temple de Jérusalem :
“Quand il y aura des fléaux et des maladies quelconques, si un homme, si ton peuple se détourne de ses péchés et t’adresse des prières et des supplications dans cette maison, exauce-le, pardonne, agis et rends à chacun selon ses voies…” (1 Rois 8.38).
Dans la pédagogie divine et sa compassion, l’épreuve est un rappel à l’ordre suivi d’un retour à l’ordre ; une invite à rechercher la pensée de Dieu. Loin d’avoir été vaine, la souffrance aura arrêté l’homme, l’aura fait réfléchir, l’aura contraint salutairement à une direction nouvelle, à une autre vision des choses. Elle aura contribué à le rétablir dans sa dignité de fils ou de fille, de serviteur ou de servante.
Autre face de cette compassion : l’enseignement apporté par l’évangéliste Jean au chapitre 9. Jésus et les disciples se trouvent en présence d’un aveugle de naissance. Dans la logique de l’enseignement qui vient d’être rappelé, les disciples posent alors la question : “Qui a péché ? Cet homme ou ses parents ?”
La réponse donnée par Jésus est riche d’enseignements : “Ce n’est pas que lui ou ses parents aient péché ; mais c’est afin que les œuvres de Dieu soient manifestées en lui. Il cracha à terre, il fit de la boue avec sa salive, appliqua cette boue sur les yeux de l’aveugle et lui dit : Va et lave-toi au réservoir de Siloé… Il y alla, se lava, et s’en retourna voyant clair.”
La parole du Christ et le miracle qu’elle opère nous avertissent de deux erreurs :
Premièrement, dans les épreuves ou la maladie dont le patient ne discernerait pas immédiatement la cause, il pourrait être tenté de se complaire dans une introspection personnelle et “ascendante” jusqu’à ce qu’il ait trouvé à qui imputer le mal dont il souffre.
Deuxièmement, devant la souffrance et les infirmités des autres, il pourrait être tenté de jouer le rôle peu enviable des amis de Job. On se souvient que son épreuve avait amené ces derniers à des certitudes gratuites. A leur idée, il y avait dans la vie de Job une faute cachée. Leur interrogatoire visait à la mettre en lumière. Leur échec mit sur leurs lèvres un impitoyable réquisitoire.
Jésus oppose un non absolu à cette double tentation. Selon lui, l’explication de certaines épreuves n’est pas à chercher dans les circonstances personnelles ou familiales passées de l’homme, mais dans la bénédiction, voire la guérison, qu’il plaira à Dieu d’en tirer.
Appliqué à cet aveugle par le Christ lui-même, cet enseignement aurait donné le commentaire suivant : “Si cet homme était né voyant, il ne m’aurait pas vu. Son infirmité a donc eu pour conséquence qu’il m’a rencontré. Cela m’a permis non seulement de lui rendre la vue mais de me faire connaître à lui comme son Messie et son Sauveur.”
En d’autres termes applicables à telles situations éprouvantes, il y a des infirmités, des souffrances, voire des maladies dont le sens profond n’est pas à chercher dans les causes mais dans les conséquences. A cet égard, nombreux seraient les chrétiens qui témoigneraient que telle épreuve passée ou présente a été et reste la bénédiction de leur vie. Au point qu’ils regretteraient de ne pas avoir connu l’épreuve quand ils discernent, après coup, quelle bénédiction en est résultée.
Ainsi, dans la souveraineté de Dieu, souffrances, infirmités, maladies, douleurs de toute nature font partie d’un dessein de miséricorde. Non pas que dans l’épreuve il y ait à choisir l’attitude de la résignation. Ni ce mot, ni ce comportement ne figurent parmi les recommandations évangéliques. Dans l’attente du jour où tout sera révélé. “où nous connaîtrons comment nous avons été connus” (1 Corinthiens 13.12) subsiste le mystère de l’iniquité, incompréhensible à l’esprit humain, même parfois incompatible avec ce que la Bible dit de l’amour et de la compassion de Dieu. Mais nous acceptons qu’il en soit ainsi.
Cette acceptation pèse parfois lourdement aux épaules d’infirmes par naissance ou accident, d’éprouvés par le deuil ou les circonstances ou l’hérédité ou la méchanceté de l’homme. Dans la foi en Jésus-Christ venu éclairer ce monde et notre vie, une partie de ce mystère est dévoilé. Ce que l’on peut en comprendre par la Parole, par la vie et la mort du Seigneur nous libère à toujours du doute ou de l’angoisse. Golgotha suivi du matin de Pâques laisse l’assurance que la nuit est vaincue, que le jour vient. Mystérieusement, mais non moins certainement, toutes choses — même celles qui feraient encore souffrir, même celles qui échappent à toute explication — concourent au bien de ceux qui aiment Dieu et, dans leur épreuve momentanée ou persistante, gardent intacte l’assurance d’être aimés de Lui.
Il y a un rapport certain entre Jean 9.1-8 et le texte de 1 Corinthiens 11.23-24, c’est-à-dire l’enseignement donné par l’apôtre Paul au sujet de la Cène. Rappelé lors de chaque communion, il est connu. Par contre — il y a quelque raison de s’en étonner — le contexte de cet enseignement apostolique est rarement cité lors des célébrations eucharistiques. Cela est d’autant plus regrettable qu’il souligne un des aspects de la vie communautaire souvent ignoré des fidèles. C’est même à se demander si un certain aveuglement à ce sujet expliquerait la faiblesse spirituelle, pour ne pas dire l’anémie. ou l’asthénie de beaucoup d’églises d’aujourd’hui.
Que dit en effet ce contexte ?
Il avertit l’Église que ce saint repas pris dans de mauvaises dispositions peut avoir pour conséquence une aggravation de l’état spirituel des participants : “Vous vous assemblez non pour devenir meilleurs, mais pour devenir pires.” Et ce ne sont pas là paroles gratuites, exhortations pieuses d’autant plus bruyantes qu’elles ne seraient pas suivies d’effets. Les précisions données nous enlèvent toute illusion si nous en avions encore. En effet, après avoir rappelé que manger, puis boire à la coupe sans avoir discerné le Corps et le sang du Seigneur, ce serait avoir mangé et bu un jugement contre soi-même, l’apôtre conclut : “C’est pour cela qu’il y a parmi vous beaucoup d’infirmes et de malades et qu’un grand nombre sont morts. Si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés.”
Même si de telles paroles aujourd’hui aussi sont “dures à entendre” (Jean 6.60), ce serait insensé de faire la sourde oreille. La repentance à laquelle cet enseignement doit conduire pourrait être une grande bénédiction pour les églises locales, pour ceux qui en sont membres, pour ceux aussi qui, invités, y trouveraient leur guérison.
En effet, dans tout l’Evangile, guérisons et miracles sont des manifestations de la présence du Seigneur. S’il a dit aux disciples qu’ils feraient les mêmes œuvres qu’il a faites, ce n’est pas comme on l’a parfois entendu, qu’il ait jamais conféré à ses disciples des pouvoirs qui tiendraient à leur personne et qu’ils auraient à manifester de manière autonome. La puissance de l’Esprit saint demeure dépendante du Seigneur, reste donc attachée à sa présence en son Corps sur la terre, c’est-à-dire l’église locale et universelle. Si, dans la communauté, la présence du Seigneur est primordiale, l’unité des chrétiens en communion personnelle avec le Christ et liés les uns aux autres par ‘‘une même foi, un même amour, une même vie” ne l’est pas moins. À la table du Seigneur, ils manifestent cette communion. En participant au saint repas, ils témoignent de leur dépendance de Christ, de leur solidarité avec son peuple ; ils reconnaissent dans les frères et les sœurs les membres de ce Corps, comme eux rassemblés par grâce et miséricorde, comme eux engagés dans la préparation et l’attente du Royaume de Dieu.
Dans le chapitre 5 de l’épître aux Corinthiens, Paul disait : “Ce que je vous ai écrit, c’est de ne pas avoir de relations avec quelqu’un qui, se nommant frère, est impudique, ou cupide, ou idolâtre, ou outrageux, ou ivrogne, ou ravisseur, de ne pas même manger avec un tel homme” (1 Corinthiens 5.11). Cet aspect de la discipline communautaire a son importance dans le partage de la Cène. Déjà l’on pourrait déplorer qu’en pratique ce souci d’une vraie fraternité et d’une vraie sainteté commune soit rarement manifesté.
Mais dans le chapitre 11, une autre grave défaillance est mise en lumière : l’aveuglement qui empêche de discerner le Corps du Seigneur. Cette cécité n’est pas fortuite. Ses causes sont évidentes : “Il y a parmi vous des divisions… l’un a faim, l’autre est ivre…” (v. 18 et 21).
Ce qui est dénoncé ici, c’est le fait de prendre la Cène dans l’ignorance des autres. Il est nécessaire et urgent de le reconnaître. Dans la pratique courante, sitôt pris le repas et bue la coupe, le Corps souvent et habituellement morcelé se désagrège à nouveau. Telle est la force de l’individualisme. Et la Sainte-Cène n’est pas toujours l’occasion d’en être guéri. Jusque dans cette manifestation qui devrait traduire la réalité de l’unité, de la solidarité, de l’amour fraternel entre chrétiens, l’Eglise reste souvent un “auditoire” et non une communauté. Alors que la Cène signifie, en paroles et en actes, que les participants se sont mutuellement pardonnés comme le Seigneur leur pardonne, acceptés et accueillis comme il les accueille, préoccupés des uns des autres et attentifs à l’entraide et au soutien mutuel comme le Seigneur le fait envers eux, ils mangent et boivent sans que s’incarne entre eux et par eux la vérité et la réalité de ce Corps, signe du Royaume.
Un corps en santé fait face aux agressions microbiennes, tandis qu’un corps débile, selon l’adage connu “attrape toutes les maladies” quand il ne devient pas le lieu où elles s’aggravent jusqu’à leur ultime conséquence. “C’est pour cela qu’il y a parmi vous beaucoup d’infirmes et de malades et qu’un grand nombre sont morts.”
Beaucoup ne discernent pas le Corps du Christ, soit parce qu’ils sont encore aveugles, soit parce que la communauté où ils auraient à recouvrer la vue leur présente une image si floue de ce Corps qu’ils sont incapables de le discerner. A cause du Corps, ils restent informes. À cause du mauvais état de santé du Corps, ils restent malades ; il arrive même qu’ils en meurent. On pense avec quelque effroi à cette parole du Christ : “Seigneur, n’avons-nous pas mangé et bu en ta présence ? Il répondra : Je ne sais d’où vous êtes, retirez-vous de moi, vous tous ouvriers d’iniquité” (Luc 13.26-27).
On comprend mieux la conclusion qu’en tire l’apôtre : “Si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés. Mais quand nous sommes jugés, nous sommes châtiés par le Seigneur afin que nous ne soyons pas condamnés avec le monde” (1 Corinthiens 11.31-32).
Les infirmités et les maladies des “gens d’église” allument au tableau de bord des communautés un clignotant indicateur. Le lire au seul titre d’un jugement, c’est mal entendre l’avertissement apostolique. Mais déplorer une situation serait en quelque sorte l’aggraver si l’on en reste à des constatations sentencieuses. Ici, comme dans Jean chapitre 9, Dieu voudrait que son œuvre d’amour et de compassion soit manifestée. Il ne faut pas chercher des responsables. Solidairement à ceux qui souffrent, il faut se laisser guérir communautairement : alors la souffrance de ceux qui réclameraient l’intervention du Seigneur trouvera dans la communauté la puissance de vie à même de les délivrer.
Certainement l’étude de Jacques 5.13-18 proposée plus loin prolongera-t-elle cette réflexion. Il y a lieu cependant d’en relever un détail : En même temps que le malade, les anciens de l’Eglise sont invités à confesser leurs péchés. C’est que la compassion de Dieu n’est jamais à courte vue. Quand, à l’heure de son intervention en faveur d’un malade, elle oblige ce dernier à faire le détour par la communauté dont il est membre, c’est que son état de souffrance ne le concerne pas lui seul. En Christ, nous sommes si proches les uns des autres et la communauté des vivants est une telle réalité que si l’un des membres souffre, tous souffrent de son mal. L’asthénie de l’éprouvé ne saurait donc requérir le secours du Seigneur sans que la communauté — le Corps — en soit éprouvée puis guérie autant que le malade et en même temps que lui.
Cette compassion de Dieu pour les éprouvés trouve à s’exprimer dans deux autres situations explicitées par Esaïe 26.8-10, puis par le livre de Job.
Le premier est moins connu que le second, c’est pourquoi il est nécessaire de transcrire ici son message :
“Toi qui es juste, tu aplanis le sentier du juste.
Aussi nous t’attendons, Ô Eternel, sur la voie de tes jugements ;
Notre âme soupire après ton nom.
Car, lorsque tes jugements s’exercent sur la terre,
Les habitants du monde apprennent la justice.
Si l’on fait grâce au méchant, il n’apprendra pas la justice.
Il se livre au mal dans le pays de la droiture,
Et il n’a point égard à la majesté de Dieu.”
Sans nul doute, la crucifixion du Christ “fait péché pour nous” est l’accomplissement de cette parole prophétique. Mais la lumière qui vient de Golgotha n’éclaire pas seulement la justice divine. Elle souligne ce qui en est le complément : dans sa compassion, Dieu veut rééduquer la créature rachetée.
Il faut dire aussitôt que cette vérité élémentaire est ignorée du plus grand nombre. Pour des raisons diverses trop longues à expliquer ici, dans la bouche de nombreux prédicateurs de ce 20e siècle et de ceux qui les ont écoutés, la grâce et l’amour de Dieu soit aussi sa compassion, sont devenues une sorte de panacée universelle et gratuite. Elle agit tel un remède miracle, applicable à n’importe quelle situation, pourvu que ceux qui en usent disent simplement : “J’y crois !” Résultat : on ne sait bientôt plus qu’une seule vérité quant à Dieu : Il est amour. Il pardonne tout. Il efface tout, Il paie tout. Et le résultat ? Ces vérités privées du contexte qui leur donnerait leur véritable sens, laissent finalement croire aux gens que dans son amour Dieu ferme les yeux sur toutes les actions des hommes, même les scandaleuses, qu’il pardonne à tous, même aux propres justes, qu’il efface toutes fautes, même si ceux qui les font ne s’en repentent jamais et continuent à les commettre.
Avec une plume acérée, D. Bonhoeffer a décrit cette situation : “La grâce à bon marché est l’ennemie mortelle de notre Eglise. La grâce à bon marché, c’est la grâce considérée comme une marchandise à liquider, le pardon au rabais, la consolation au rabais, le sacrement au rabais ; la grâce servant de magasin intarissable à l’Eglise où des mains inconsidérées puisent pour distribuer sans hésitation ni limite… La grâce à bon marché, c’est la grâce envisagée en tant que doctrine, en tant que principe, en tant que système… Dans cette Eglise, le monde trouve à bon marché un voile pour couvrir ses péchés, péchés dont il ne se repent pas et dont, à plus forte raison, il ne désire pas se libérer… La grâce à bon marché, c’est la justification du péché et non point du pécheur.”
Il n’est pas nécessaire d’ajouter à cette parole prophétique. Elle concerne non le chrétien seulement, mais la communauté locale tout entière. Là où Bonhoeffer concluait : “Sous couvert de cette grâce, le monde entier est devenu chrétien ; mais sous couvert de cette grâce, le christianisme est devenu le monde à un point encore jamais atteint” il y aurait lieu d’ajouter : là où la communauté aurait en partage une grâce sans justice, sans jugement, sans repentance, sans réparation, sans réconciliation, la sainte-Cène devient insignifiante, c’est-à-dire n’est plus accompagnée de signes au sens où Marc le promettait. Son Evangile, en effet, se termine par de merveilleuses promesses : “Voici les signes qui accompagneront ceux qui auront cru : en mon nom — et le nom c’est la personne vivante, présente, c’est donc la vie communautaire réelle, visible — ils chasseront les démons. ils imposeront les mains aux malades et les malades seront guéris” (Marc 16.17). Donc s’il y a parmi les christianisés beaucoup d’infirmes et de malades, si même le grand nombre meurt sans avoir reçu la vie, la raison première de cette débilité dans le témoignage n’est pas attribuable à Dieu, mais à ceux qui dans l’Église se contentent d’être des amateurs. Et la communauté locale en est constituée lorsque la prédication ne comporte aucune des exigences de justice et de sainteté que produit la vérité (Ephésiens 4.24) ; lorsque le témoignage personnel et conmunautaire contredit la parole proclamée.
La parole d’Esaïe le dit avant l’Evangile : le sentier du juste n’est pas un chemin large et facile. Il conduit à une maison aux murs solides, et la porte d’accès à l’intérieur est étroite et resserrée…
Qu’on ne se méprenne pas sur la sévérité de ces mots. La compassion de Dieu n’est pas celle d’un chef de bande attentif à rassembler des durs. Un certain rigorisme légaliste et non chrétien pourrait le laisser croire. Non, son amour miséricordieux est celui d’un père qui sait qu’on ne forme pas des personnalités responsables par des théories démenties par les faits, par une éducation lâche et permissive s’interdisant d’interdire.
Gratuitement, Dieu nous justifie en Christ. En conséquence, il nous veut justes, dépouillés de toute méchanceté, vraiment libérés sur le plan personnel et communautaire de cette hypocrisie du monde qui dit et ne fait pas. C’est dans la justice que se trouve notre vraie liberté ; c’est dans la justice encore que s’inscrit sa charité.
C’est pourquoi, toute désobéissance connaît tôt ou tard une sanction. Le vrai signe d’une filialité retrouvée avec le Père céleste, c’est que cette sanction ne se relâche point jusqu’à ce qu’elle ait produit son fruit (Hébreux 12.4-11). Il est bien dit que le jugement de Dieu commence par sa maison (1 Pierre 4.17). Epreuves et souffrances peuvent en être le signe rassurant et encourageant.
L’Eglise est en crise, dit-on partout. Cela atteste l’actuelle bonté de Dieu envers sa maison. On se souvient qu’il y a une quinzaine d’années, la Hollande à la suite d’une tempête catastrophique conjointe à une marée haute avait connu de dramatiques inondations. A l’époque, des chrétiens hollandais réfugiés dans des arbres élevés et proches de leurs demeures quasi recouvertes par les eaux, avaient étonné le monde. En effet, ils refusaient d’être délivrés de leur dangereuse situation. Cette catastrophe nationale était à leurs yeux un jugement de Dieu. Lui seul donc, en retirant les eaux, pouvait attester la grâce qui leur était faite.
Les païens ont ri de ce comportement. Il était facile d’en rire. Les plus fous n’étaient pas nécessairement ceux dont on se moquait !
L’autre aspect de la compassion divine évoquée dans cette cinquième remarque trouve son illustration dans l’histoire connue de Job. On se souvient que cet homme pieux et intègre connut une série d’épreuves lui faisant perdre successivement ses biens, ses troupeaux et ses enfants. Comble de misère, sa femme se détournait de Dieu et invectivait son mari parce qu’il refusait de maudire son Créateur.
Dans son épreuve, Job avec ténacité cherche une réponse à ses justes pourquoi. Ses amis ne trouvent qu’une explication : ‘Tu as fauté… reconnais-le.” Job tient tête à ses amis fâcheusement accusateurs. A leur confusion et pour la consolation de Job, la vérité finira par éclater : Il était l’objet d’une attaque de Satan, l’enjeu d’un investissement divin. Dieu et Job triompheront de l’Ennemi.
Cette “consolation” servira dès lors d’appui à beaucoup d’éprouvés, plus encore, à de nombreuses Eglises sous la croix.
La chute a fait de l’homme un malheureux. La ruse du diable, c’est de faire croire à cet homme révolté que la cause première de ses maux tient non à sa révolte mais aux frustrations qui la motivaient et dont Dieu seul serait le responsable. Dans la perspective de la croix, l’histoire de Job est un démenti à ce mensonge blasphémateur. Tout au long de son épreuve, ce serviteur fidèle attestera devant les hommes comme devant les créatures célestes qu’on peut aimer Dieu pour ce qu’il est et non pour ce qu’il donne.
Un tel amour non seulement honore le Créateur, mais également celui qui y consent. Car il comporte des récompenses sans comparaison possible avec les sacrifices auxquels il obligeait.
Autrement dit et une fois de plus, à la lumière de la souveraineté de Dieu et de sa compassion, même et surtout à l’heure où l’épreuve serait inexplicable, le chrétien reste assuré que cette souffrance n’est pas vaine et qu’elle s’inscrit dans un dessein qui n’est pas dénué de sens, même s’il échappe momentanément à sa compréhension. L’histoire de Job en est la garantie.
Elle a du reste inspiré les membres d’une honorable congrégation connue sous le nom des “Coccinelles”. Elle groupe en une association d’affection, de soutien, d’intérêt spirituel, moral et matériel, des infirmes de naissance et des handicapés suite d’accident. L’insecte dont cette association a pris le nom est connu vulgairement comme “la bête à bon Dieu”. Ce patronyme est donc tout un programme. Les infirmes et autres handicapés pourraient se révolter de leur condition dépouillée, frustrante de mille manières. Et pourtant, une foi solide, renouvelée, d’autant plus affermie qu’elle a été davantage éprouvée, est souvent la marque distinctive et première de ces vies singulières, justement désignées de “bête à bon Dieu”. Elles sont marquées par des années de dépendance, de solitude, de maux de toutes sortes. Les “Coccinelles” apportent aux hommes volontiers ingrats et revendicateurs un témoignage irréfutable : on peut aimer profondément Dieu pour ce qu’il est et non pour ce qu’il donne. Un amour lié à la seule personne et indépendant des avantages qu’on en aurait n’est-il pas le seul authentique amour ? Dans la lumière du Christ — une lumière que Satan enrage de ne pouvoir éteindre, ou pour le moins voiler — Job envers et contre tout fidèle à Dieu, donne un sens précis à beaucoup de souffrances injustes.
La société contemporaine est avant tout matérialiste et les églises sont encore souvent accrochées à la notion vétéro-testamentaire d’une bénédiction liée aux seuls verbes avoir, détenir et posséder, avec toutes les injustices qui peuvent accompagner leur conjugaison. C’est-pourquoi un témoignage d’amour et de dépouillement, lié aux seuls verbes être et aimer, est aussi urgent que primordial. Le Saint-Esprit, de tout temps parent pauvre de l’Eglise, a été affublé par celle-ci d’un vêtement qui a contribué.à en voiler la vraie nature. Ce paraclet ‘“‘consolateur” n’est pas avant tout, un donateur de mouchoirs parfumés à l’eau de Cologne, propres à éponger les larmes d’une église en peine. Il n’est pas non plus un esthéticien chargé de sauver les apparences et, dans la souffrance, de garder à l’Eglise quelque dignité. Le sens premier de Consolateur, c’est consolidateur. La compassion du Seigneur envers son Eglise éprouvée n’est pas d’abord et toujours de lui éviter la souffrance, mais à l’heure du châtiment éducatif et nécessaire, de lui permettre de souffrir sans se lamenter, de tenir ferme sans vaciller, voire de se réjouir d’être ainsi corrigée puisque de cette manière le monde apprendra la justice.
A cette lumière, il est même possible de dire que la santé n’est pas l’absence d’infirmités ou l’éloignement de toute souffrance. On ose affirmer que vu sous un autre angle, il est des malades, des éprouvés, des infirmes plus en santé que des bien portants nageant dans un bien-être insolent.
L’avant-dernière remarque sera d’abord le rappel d’une vérité énoncée au début de cet exposé : dans le Nouveau Testament, en effet, aussi bien au livre des Actes que dans les épîtres, la souffrance des chrétiens et de leur église locale a pour cause première non pas leurs maladies, leurs faiblesses, fruits de leur désobéissance, mais leur fidélité à Jésus-Christ et leur solidarité envers tout frère martyr. L’apôtre Paul le dit à sa manière quand il écrit aux Colossiens 1.24 : “Je me réjouis maintenant dans mes souffrances pour vous, et ce qui manque aux souffrances de Christ je l’achève en ma chair, pour son Corps qui est l’Eglise.”
S’il est évident que cette souffrance n’ajoute rien au salut de Paul et encore moins au salut des Colossiens, il n’est pas inutile de relever que les églises de la Réforme et beaucoup de chrétiens en particulier ont fait trop peu de cas de cette “joie” évoquée par l’apôtre. Par peur de la souffrance méritoire si fâcheusement enseignée par le catholicisme traditionnel, les réformés et les évangéliques ont banni même la pensée d’une valeur à donner sinon à rendre à la souffrance fruit de la fidélité.
Déjà 1 Corinthiens 3.10 avertissait chrétiens, églises et communautés d’avoir à prendre garde à la manière dont ils bâtissent sur le fondement posé. Mais plus explicite encore est la conclusion donnée par l’apôtre à ce chapitre 3, versets 21-23 : “Que personne ne mette. sa gloire dans les hommes ; car tout est à vous, soit Paul, soit Apollos, soit Céphas, soit le monde, soit la vie, soit la mort, soit les choses présentes, soit les choses à venir, Tout est à vous; et vous êtes à Christ, et Christ est à Dieu.”
Dans le contexte de la réflexion de Paul, le sens de cette conclusion est clair : aucun des serviteurs du Seigneur ne saurait admettre qu’on puisse se prévaloir de son nom lié à son ministère et lui en attribuer des avantages qui feraient de lui, dans l’église, un fondateur de parti. Tout, y compris les serviteurs, tout y compris leur vie et leur mort, tient à la Providence divine. De quoi pourraient-ils se prévaloir ? Qu’’ont-ils, en effet, qu’ils n’aient pas reçu ?
Cela signifie aussi qu’ils peuvent librement disposer de ces biens sans en retirer aucun mérite supplémentaire, les faire valoir à la gloire de Dieu en réponse à sa compassion, “offrir leur corps comme un sacrifice vivant.” Ce que firent ceux dont parle la fin du chapitre 11 des Hébreux : “Livrés aux tourments, aux moqueries, au fouet, à la prison, lapidés, sciés, torturés” tous, à la manière de Paul, se réjouirent d’avoir à endurer épreuves et souffrances, fruits de leur témoignage fidèle.
La liste de ces témoins est impressionnante. Leurs noms sont connus de Dieu seul. Le rappel de leur témoignage est salutaire. Car la chrétienté contemporaine de l’Europe de l’ouest, facilement fait état de vies consacrées. Elles sont nombreuses, en effet, aussi longtemps que les forces et la santé leur sont renouvelées. Mais sont-ils nombreux à avoir l’audace d’un Jean XXIII qui, se sachant condamné suite à une maladie incurable, a dit qu’il consacrait sa mort au service du Seigneur ?
“Tout est à nous” dit l’apôtre. Il y a deux manières d’entendre la parole apostolique, et elles ne sont pas nécessairement contradictoires. Première manière : il y a possibilité de tout mettre en œuvre pour prolonger une vie, échapper aux conséquences de la maladie, de l’infirmité, de la vieillesse. Hélas ! à l’enseigne de l’actuel acharnement thérapeutique, on sait ce que ce “tout” peut signifier. Deuxième manière : ne faudrait-il pas envisager un témoignage qui offrirait en sacrifice vivant, non pas seulement les contrariétés, les incompréhensions, les violences qui seraient faites aux chrétiens, mais aussi leurs peines, leurs infirmités, leurs faiblesses, leurs accidents, leurs deuils, soit aussi leurs propres maladies mortelles ?
Durant ces dernières années, on a beaucoup écrit sur le ministère des guérisons dans l’Eglise. Il était juste et nécessaire que soient retrouvés ces dons négligés et parfois même ignorés. Mais il faut admettre que la joie partagée par les bénéficiaires et les témoins des miracles opérés par le Seigneur s’accompagne aussi parfois de la profonde tristesse de ceux qui, s’attendant à lui, ne sont pas exaucés, restent infirmes, ou même meurent.
Quel que soit leur âge, quel que soit leur désir de vivre, leur témoignage fidèle ne pourrait-il pas être parfois, en réponse à la compassion de Dieu, de lui offrir non plus leur vie, mais leur mort ?
La fidélité coûte. Le Christ ne l’a jamais caché. Ses apôtres non plus. L’histoire de l’Eglise martyre est jalonnée de vies et de morts offertes. Dans l’actualité, les déchirures occasionnelles des rideaux de fer ou de bambou laissent voir que de nouvelles pages sont ajoutées à l’histoire des souffrances, de la vie et de la mort de fidèles confesseurs de la foi.
A l’heure donc où serait demandée dans la compassion du Seigneur une intervention libératrice de la souffrance et de la mort, la réponse à une telle prière pourrait être déjà entre les mains de ceux qui supplient. Leur souffrance, voire leur mort, s’inscrirait mystérieusement dans le dessein de Dieu et contribuerait à la préparation de son règne.
Bien sûr, il faut dire ces choses avec prudence, même avec une certaine retenue : elles pourraient être mal entendues et des déductions fâcheuses déformeraient la pensée originale de l’Ecriture. Peut-être faudrait-il même ajouter ici : seuls ceux qui vivent ces choses et en témoignent sur le chemin d’une incurable maladie ou d’un martyre prolongé sont autorisés à en instruire les autres.
Dans cette interrogation sur le sens de la souffrance et de la maladie, c’est à l’Ecriture Sainte qu’a été demandé l’essentiel d’un enseignement conforme à ce que l’Esprit dit à l’Eglise.
Loin de nous la pensée d’avoir si bien écouté qu’il n’y aurait rien à ajouter aux réponses données.
Cependant, quelqu’un reprendrait-il ce thème et informerait-il avec davantage d’autorité, avec une connaissance plus étendue et mieux fondée, il aboutirait sans doute à cette même conclusion : quelles que soient les explications, les enseignements, les révélations donnés par l’Ecriture, le mystère de l’iniquité demeure encore et toujours partiellement voilé à l’entendement humain.
Il y a des accidents, il y a des cataclysmes naturels, il y a des épreuves, il y a des injustices, il y a des infirmités, il y a des maladies, il y a des morts, il y a des souffrances et des deuils qui laissent sans parole, voire tellement bouleversés qu’on s’interdit même un essai d’explication de peur de blasphémer.
Cependant, en certaines circonstances, ce silence pourrait être tenu pour de la lâcheté ou du reniement. Nos contemporains comptent un nombre grandissant de consciences littéralement révoltées par l’injustice humaine, aggravée par des cataclysmes naturels parfois terriblement meurtriers. Même s’il n’y a aucune explication plausible à donner, il n’est pas toujours possible de se taire devant une remarque telle celle-ci : s’il y avait un Dieu d’amour et de justice, on ne verrait pas le spectacle qu’en certains endroits et en certaines circonstances le monde nous offre.
Dans ces situations-là, il faut écouter les paroles du Psaume 4 :
“Fils des hommes, jusques à quand ma gloire sera-t-elle outragée ?
Jusques à quand aimerez-vous la vanité, chercherez-vous le mensonge ?
Sachez que l’Eternel s’est choisi un homme pieux.
Tremblez et ne péchez point.
Parlez en vos cœurs sur votre couche, puis taisez-vous.
Offrez des sacrifices de justice,
Et confiez-vous à l’Eternel.”
Devant la mise en doute de la justice et de l’amour divins, trois brèves réponses sont ici données, bonnes à entendre et à retenir :
La révélation biblique n’apporte pas la réponse à tout ce que l’homme aimerait comprendre. Dans ce qu’il lui plaît de leur communiquer (1 Corinthiens 13.12), Dieu dit ce qui est nécessaire à leur salut et à leur marche par la foi.
Si Dieu devait appliquer sa totale justice au sens où tant d’interlocuteurs voudraient qu’il intervienne, ses interlocuteurs indignés ne tomberaient-ils pas eux les premiers sous ses coups ? N’auraient-ils pas d’abord à comprendre que la bonté de Dieu envers eux les convie à se repentir plutôt qu’à juger de ce que Dieu devrait faire ?
A la différence de beaucoup de ses interlocuteurs, Dieu ne se contente pas de s’indigner de l’état du monde. “Il s’est choisi un homme pieux.” En son Christ, il est venu mettre ordre au désordre du monde. Et parce qu’il est Dieu, un Dieu révélé dans sa justice et son amour, une certitude est donnée au monde : à cause de Christ, on ne verra pas toujours le spectacle qu’offre ce monde dans certains lieux et certaines circonstances.
En d’autres termes, parce que Jésus-Christ est présent, parce que son œuvre passée et actuelle est garante du lendemain, il est acceptable aujourd’hui de ne pas tout comprendre. Devant l’iniquité qui demeure, se prolonge et même s’amplifie, à cause de Jésus-Christ, et quelle que soit l’épreuve à traverser encore, le croyant peut se réjouir. Au cœur du mystère de l’iniquité, la croix a été dressée et la résurrection accomplie. Il y a quelque chose de nouveau sous le soleil. “Il essuiera toute larme de leurs yeux et la mort ne sera plus. Il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur. Ces paroles sont certaines et véritables.”
A cause de Jésus-Christ, la marche dans la foi non encore totalement éclairée est cependant totalement assurée. Les chrétiens ont goûté aux prémices, ils savent qu’elles mènent à leur accomplissement.