Non au yoga

II
Qu’est-ce que le yoga ?

Devant cette interrogation, on souhaiterait donner une définition précise, complète, à même d’aider aussitôt tout questionneur. Car s’il importe de choisir pour ou contre le yoga, s’il importe de le recommander ou au contraire de mettre en garde ceux qui, par ignorance, deviendraient ses adeptes et peut-être ses victimes, ce choix se doit d’être motivé. Il n’y a rien de moins chrétien que la foi du charbonnier. Sans cesse, l’Ecriture nous invite à connaître, à savoir, à examiner toutes choses ; d’ailleurs, il nous est dit d’aimer Dieu de toute notre pensée. C’est donc la première démarche d’une vraie fidélité chrétienne que de s’informer, de chercher à comprendre.

Or, il faut avouer qu’une étude objective sur le yoga se heurte à quelques difficultés.

Est-il une culture physique ? Une thérapeutique ? Une philosophie ? Une science ? Une métaphysique ? Une religion ? Une hygiène mentale ? Une méthode d’introspection ?

Aussi ahurissant que cela puisse paraître, le yoga est tout cela à la fois ; mais il est aussi plus que tout cela. En effet, le yoga — nous dit-on — conduit à la contemplation de l’Etre suprême en même temps qu’à la découverte des secrets de la création.

Bien plus, il est la voie d’une synthèse entre l’Occident — sa culture, sa science, sa technique, « ces choses par lesquelles les Occidentaux nous devancent », dit un yogin — et l’Orient — ses forces mentales et spirituelles, « ces choses dans lesquelles les Orientaux ont déjà atteint le but », ajoute ce maître à penser.

Nous voilà loin de compte, de ce compte simplifié sur la base duquel on nous assure qu’à pratiquer le yoga, on s’adonne uniquement à de la gymnastique !

De l’homme à Dieu.

Certes, il serait bien difficile de nier que le yoga soit visiblement et d’abord une culture physique ! Et pour cause ! Cette culture-là est l’abc de l’apprentissage du yogin, en Occident en tout cas ; mais il faudrait aussitôt avoir l’honnêteté d’ajouter que ces exercices corporels ont une « visée ». Ils doivent nous entraîner à rejoindre notre « Moi immortel, toujours vivant, qui n’est jamais né et ne pourra jamais mourir », ce Moi qui est la Vie, qui est l’unité retrouvée entre l’esprit et la matière. Car tel est le but suprême du yoga aux nobles intentions : éduquer l’homme jusqu’à rendre en lui la création parfaite, c’est-à-dire : faire de l’homme un dieu.

Peut-être en ai-je déjà trop dit. Il est des chrétiens, informés bibliquement, à qui la lecture de tels propos fera faire une grimace significative. Ils diront en savoir assez pour décider de leur choix… négatif absolument !

Ils auraient tort. Même s’ils discernent déjà la nature de cette prétention du yoga, il est important qu’ils saisissent comment, sachant cela, il est pourtant possible de se laisser séduire. A preuve, deux livres écrits par un prêtre, J.M. Déchanet, lequel, dans ses ouvrages qui ont reçu l’imprimatur et dont l’un a connu, en huit ans, huit éditions successives, initie au yoga déclaré « favorable à la contemplation, à l’approche de Dieu, au contact personnel avec les Personnes divines ».

Revenons donc aux origines.

Le yoga plonge ses racines dans l’histoire la plus ancienne d’Asie, lors même qu’il a trouvé aux Indes sa terre d’élection.

« Qui est l’homme, quel est son destin sur la terre ? » Voilà le thème d’une réflexion millénaire, à laquelle les sages orientaux ont cherché à donner réponse. Suite à leurs découvertes, leur enseignement est devenu « une voie de rédemption et de libération ». Cette voie peut emprunter des parcours divers. C’est à l’ensemble de ces cheminements qu’on donne le nom générique de yoga.

Avec raison, on nie qu’il soit une religion. Il est plutôt une ascèse, une technique de salut. Ses exercices conduisent à la découverte de soi, des possibilités de ce « soi » que par ignorance nous laissons en friche.

Il est juste d’ajouter qu’il est aussi un état d’esprit, une manière de vivre qui s’acquiert par une discipline, des exercices à la fois physiques et mentaux.

En général, cette éducation a besoin du contrôle d’un maître appelé « gourou » ou « guru », car mal comprise ou mal dirigée, elle irait à fins contraires. Au lieu de libérer l’homme, elle l’asservirait davantage encore.

Quant au mot yoga lui-même, il signifie : se mettre au joug, s’atteler à l’ouvrage ; il est aussi : l’action de joindre.

Les pratiques du yoga varient beaucoup mais se ressemblent toutes par leur intention : une volonté persévérante d’harmonie avec soi-même et avec Dieu. Dans cette recherche le corps, loin d’être une fin en soi — l’oriental a une vue plus haute de l’existence — tel un violon sous l’archet doit manifester l’esprit, c’est-à-dire un amour sans égoïsme. Ce que l’homme est loin d’avoir compris et que le yoga va lui révéler.

Notre Moi.

En effet, telle est la condition humaine, vue selon cette sagesse orientale :

Notre Moi immortel en se dédoublant, c’est-à-dire en prenant forme matérielle, s’est laissé étouffer jusqu’à l’inconscience par le fardeau de la matière. Au cours des millénaires, progressivement la conscience de l’être a émergé, s’est affirmée. Aujourd’hui, cette manière de résurrection est loin d’être achevée. Elle peut l’être pour tel individu chez qui le moi humain, par une vie entièrement consacrée, a retrouvé l’unité avec son Moi suprême et divin. Cette réussite est le privilège de quelques-uns seulement.

Cela expliquerait deux choses :

  1. La diversité des personnalités correspondant aux variations infinies du degré de « conscience » auquel elles sont parvenues.
  2. L’histoire de l’humanité qui, telle un grand corps, d’époque en époque, manifeste universellement un certain progrès. Elle aussi dans son ensemble comme en ses individus, est en marche vers le Moi universel, son Etre véritable.

Donc, le malheur de cette humanité tient au fait qu’aujourd’hui encore, chez la plupart des individus, la partie inconsciente de leur être supplante la partie consciente.

La Source de la Vie.

Cependant, lorsque par le moyen du yoga, l’être conscient reprend sa place et son autorité, le disciple — appelé aussi yogi ou yogin — découvre que tout ce qui existe dans l’univers obéit à deux lois : la polarité et le rythme.

Par ses deux pôles, notre terre est l’image de cette polarité universelle. Entre les deux pôles alternent des courants, « s’établit un rapport de pulsations », un rythme, qui est la manifestation même de la vie.

Ce rythme né de la polarité se retrouve partout, aussi bien dans l’atome de matière dite inanimée que dans le flux et le reflux de la mer, aussi bien dans la respiration de l’homme et les battements de son cœur que dans le mouvement des astres.

Toujours selon cette doctrine, la Vie ou Force primordiale — le Moi absolu, le Moi personnel — peut être captée puis irradiée en nous. Le corps humain possède quatre postes récepteurs : les deux paumes des mains et les plantes des pieds (la femme en a un cinquième : son sexe) et vingt postes émetteurs : dix doigts et dix orteils (l’homme en à un vingt et unième : son pénis).

Ces détails doivent être pris en considération si l’on veut comprendre comment et pourquoi, dans leurs exercices ou poses, les yogins veillent à étaler leurs « récepteurs » à l’air libre et à mettre leurs « émetteurs » en contact avec la peau. Il s’agit avant tout d’établir un circuit intérieur. Certaines poses sont faites pour recevoir au maximum, d’autres pour distribuer au maximum les forces ainsi captées, les doigts faisant office tantôt d’antenne de la vie cosmique, tantôt de distributeur de cette même vie.

Redonner à l’être conscient pleine autorité, rétablir les circuits de vie, telle est l’intention première du hatha-yoga, défini comme yoga primaire ou yoga d’initiation. En effet, cette discipline orientale connaît bien d’autres écoles et s’accompagne généralement d’une ou même plusieurs idéologies. « En Inde même, écrit un connaisseur, elle présente de multiples facettes et finit par absorber et intégrer toutes sortes de techniques spirituelles et mystiques, des plus élémentaires aux plus compliquées. Chacun de ces types de comportement magico-religieux correspond d’ailleurs à une forme déterminée de yoga. »

Une gymnastique ?

Le hatha-yoga est communément pratiqué en Occident ; il ne faut surtout pas le confondre avec une simple gymnastique.

Au gré d’exercices ordonnés selon un rythme et une cadence plus ou moins rapide et vigoureuse, une certaine gymnastique veut assouplir les muscles, les fortifier, l’attention étant portée à la fois vers une perfection de mouvement et un développement musculaire. Contractions et détentes alternent, de même aspirations et expirations. C’est à proprement parler, de la culture physique liée à une saine oxygénation.

Le yoga est tout autre chose.

Les poses.

Il ne s’agit plus de mouvements, mais de poses successives, à prendre sans hâte ni vigueur. Chacune d’elles est l’objet d’une lente recherche. En effet, chaque exercice est caractérisé par une position particulière à donner à la tête, au dos, aux membres, en accord avec des temps d’aspiration et d’expiration. Lorsque la pose est obtenue, il importe de la garder le temps convenable ; puis, par le même mouvement lent, il faut se laisser aller à une vraie relaxation, aussi totale et prolongée que l’était la concentration.

Chaque pose a un nom, illustrant la position obtenue. Exemples : la salutation, la feuille pliée, l’arbre, la chandelle, l’arc tendu, le cadavre, le dauphin, le lotus, … etc.

Chacune de ces poses a des effets sur telle ou telle partie du corps. Au premier abord, il semble que ces poses concernent ou la colonne vertébrale, ou le bassin, ou le buste, ou les membres. En réalité, ce travail imposé d’abord aux muscles, aux vertèbres et aux membres, vise d’une part les viscères et les glandes (foie, cœur, intestins, reins, ou alors hypophyse, thymus, thyroïde, pancréas, prostate, etc.), d’autre part, certains centres nerveux.

La respiration.

Selon le principe de base du hatha-yoga (une solidarité entre toutes les parties du corps humain, entre organisme physique et organisme mental), l’action sur tel organe a des répercussions sur l’être tout « entier, aussi bien physique que moral et spirituel.

Cette action est d’abord liée à la respiration, car respiration et vie vont ensemble ; le rythme même du souffle inspiré et expiré est le premier signe d’un éveil à la vie.

Pour un yogin, la respiration est « la fonction biologique la plus importante de notre organisme ». Elle est à la source de notre état de santé. Alors qu’il est possible de vivre longtemps sans manger et quelques jours sans boire, le besoin de respirer est constant. C’est dire la valeur de cette fonction, l’attention à y donner.

Mais ce serait être un ignorant que de limiter la respiration à une absorption d’oxygène.

Le prâna.

Selon la sagesse orientale, tout ce qui existe est l’effet de « l’énergie vitale cosmique ».

Le yogin distingue donc dans l’air appelé à oxygéner notre organisme une autre substance, encore plus vitale que l’air, le prâna.

Le prâna est « l’âme de toute force et de toute énergie ». Il se trouve partout dans l’univers, aussi bien dans l’air, dans l’eau, dans la nourriture que dans les pensées et dans les regards. En respirant, nous absorbons du prâna. Une respiration consciente dirigée nous permet d’en emmagasiner jusqu’à en avoir en réserve. La vitalité ne serait qu’une dépense de nos réserves de prâna.

C’est pourquoi la respiration ne doit pas être une fonction « inconsciente ». Par une concentration de la pensée, « on apprend à diriger le prâna absorbé — le cerveau en est le principal condensateur — vers les centres nerveux (ou châcras), où il peut être également emmagasiné ». L’image est ici adéquate : « c’est comme si on construisait des barrages sur un fleuve. Ils constituent pour nous une immense réserve de puissance ».

Encore faut-il savoir utiliser ces réserves. C’est pourquoi, après l’art primordial de la respiration et conjointement aux poses, il y a cet autre aspect important du hatha-yoga :

La maîtrise de conscience.

Son siège reconnu est la matière grise. Selon les yogins, il est possible d’« importer de la conscience » dans d’autres cellules nerveuses. C’est ainsi que par volonté et concentration, on peut intervenir soi-même, agir sur toutes les parties de notre être, aussi bien sur les battements du cœur que sur la conduite de la digestion, aussi bien sur la sécrétion d’une glande que sur l’afflux du sang dans telle partie du corps.

Pratiquement, la ou les poses choisies jointes au contrôle de la respiration, facilitent l’emmagasinage du prâna (le temps de l’inspiration), puis l’envoi du prâna dans telle partie du corps (le temps de l’expiration), ce qui en accroît la force, l’activité, les possibilités.

Par des exercices déterminés, on opère un massage des organes de la digestion. D’autres poses et mouvements agissent sur la circulation sanguine. Certaines contractions influent le travail des glandes endocrines, certaines autres fortifient le système nerveux.

En résumé, le yoga est donc utilisé d’abord au rétablissement, au maintien et à l’accroissement de la santé.

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