Je vous ai expliqué ce que c’est que prendre garde à vous-mêmes ; je vais mettre sous vos yeux quelques-uns des motifs qui vous engagent à la pratique de ce devoir.
Il vous importe donc de commencer par vous, et de prendre garde à vous-mêmes aussi bien qu’aux autres. Votre prédication peut contribuer à sauver les autres, sans que vous soyez vous-mêmes sanctifiés ; mais elle ne peut pas vous sauver vous-mêmes. Plusieurs diront : « Seigneur, Seigneur, n’avons-nous pas prophétisé en ton nom ? » auxquels il répondra : « Je ne vous connais pas ; retirez-vous de moi, vous qui faites métier de l’iniquité. » O mes frères ! combien d’hommes ont prêché Christ et ont cependant péri faute de croire en lui ! Combien sont maintenant en enfer, qui ont exhorté leurs fidèles à éviter ce lieu de tourment ! Combien ont dénoncé aux pécheurs la colère de Dieu, qui portent maintenant tout le poids de sa vengeance ! Quoi de plus déplorable pour un homme que d’avoir eu pour mission de proclamer le salut, de montrer aux autres le chemin du ciel et d’en être exclu lui-même ! Hélas ! nous avons dans nos bibliothèques une foule de livres qui nous enseignent la voie du salut, nous passons nos années à les étudier, à méditer la doctrine de la vie éternelle, et nous la laissons échapper ! Nous prêchons le salut, et nous le perdons ; nous annonçons aux pécheurs la damnation éternelle, et elle est notre partage ! Et tout cela parce que nous sommes nous-mêmes indifférents au Christ et à l’Esprit de Dieu, qui font l’objet de nos prédications ; parce que nous proclamons la foi, et que nous ne croyons pas ; parce que nous prêchons la repentance et la conversion, et que nous vivons dans l’impénitence et dans l’endurcissement ; parce que nous annonçons la vie éternelle, tandis que nous sommes nous-mêmes charnels et attachés à la terre. Nous avons le titre de ministres de Dieu ; mais son image divine n’est point gravée dans nos âmes, sa volonté nous trouve rebelles, et il n’est point étonnant que nous soyons séparés de lui et privés éternellement de sa présence. Croyez-moi, mes frères, Dieu ne fait point acception de personnes ; il ne sauve pas les hommes en raison de leur profession ou de leur vocation, et le plus saint de tous les ministères ne sauvera jamais un homme non régénéré. Si vous vous tenez à l’entrée du royaume de la grâce pour y introduire les autres, et que vous ne vouliez pas y entrer vous-mêmes, vous frapperez vainement à la porte du royaume de gloire. Il faut que vous soyez pourvus de grâce aussi bien que de talents, de sainteté aussi bien que de science, si vous voulez participer à ce bonheur céleste que vous décrivez. Est-il besoin de vous dire que les prédicateurs de l’Évangile seront jugés d’après l’Évangile ; qu’ils paraîtront au même tribunal ; qu’ils seront soumis aux mêmes sentences que les autres hommes ? Croyez-vous que votre titre d’ecclésiastiques doive vous sauver ? Désabusez-vous. Dieu ne vous tiendra pas compte de votre doctrine, mais de votre vie et de votre foi. Vous ne pouvez en douter : prenez donc garde à vous-mêmes ; car vous avez une âme à sauver ou à perdre, comme le reste de votre troupeau.
Si, malgré son état d’innocence, Adam s’est perdu et a perdu le genre humain avec lui, faute de vigilance et de précaution, combien n’en avons-nous pas plus besoin que lui ! En vain prêchons-nous contre le péché ; il habite toujours en nous. Un péché en amène un autre ; une corruption prépare la voie à une autre corruption. Si un voleur s’introduit dans une maison, il en ouvre la porte à ses complices, parce qu’ils ont tous le même but et les mêmes inclinations. Une seule étincelle suffit pour allumer un incendie. Aveuglés par le péché, nous devons sonder notre chemin. Nos cœurs, comme ceux de nos auditeurs, sont naturellement étrangers à Dieu, éloignés de lui, dominés par des passions fougueuses et désordonnées. Nous sommes enclins à l’orgueil, à l’incrédulité, à l’égoïsme, à l’hypocrisie, aux vices les plus odieux. Il nous importe donc de prendre garde à nous-mêmes. Nos cœurs recèlent une foule d’ennemis cachés dont nous devons nous défier. Comme de faibles enfants, nous courons risque de tomber à chaque pas. Telle est notre faiblesse, que le moindre obstacle peut nous arrêter et nous perdre. Qu’il faut peu de chose pour nous égarer, pour enflammer nos passions et nos désirs, pour pervertir notre jugement, pour affaiblir nos résolutions, pour refroidir notre zèle et ralentir nos efforts ! non seulement nous sommes les enfants d’Adam, mais nous sommes aussi, comme les autres hommes, pécheurs et rebelles envers Christ. Nos cœurs, perfides et corrompus, sont toujours prêts à nous égarer. Nos péchés, morts, en apparence, sont toujours prêts à revivre. L’orgueil et la mondanité, que nous croyions avoir extirpés de nos âmes, peuvent à chaque instant y renaître avec tous les vices. Faibles comme nous le sommes, nous devons donc prendre garde à nous-mêmes et nous surveiller activement.
S’il déteste plus que nul autre Christ, le chef de notre foi et de notre salut, le destructeur de la puissance des ténèbres, il déteste de même ceux qui combattent immédiatement sous sa bannière ; c’est surtout aux chefs qu’il s’attaque, parce que leur chute doit entraîner la défaite de toute l’armée. Il veut frapper le berger, afin de disperser le troupeau ; il a si souvent employé ce moyen avec succès qu’il n’y renoncera pas aisément. Votre ennemi ne vous perd pas de vue : vous êtes le point de mire de ses ruses, de ses trahisons, de ses attaques. Prenez donc garde à vous, de peur que, tout sages et tout prudents que vous êtes, il ne vous fasse tomber dans ses pièges. Le prince des ténèbres est plus savant et plus habile que vous ; il peut se transformer en ange de lumière pour vous tromper ; il s’insinuera auprès de vous et vous enlacera dans ses artifices ; il vous ravira votre foi et votre innocence, avant que vous soupçonniez que vous les avez perdues ; il vous fera croire que votre grâce se fortifie et s’augmente, quand déjà vous ne l’aurez plus ; il déguisera si bien ses pièges et ses appâts, que vous ne les apercevrez point ; il vous présentera des tentations si bien appropriées à votre caractère et à vos penchants, qu’il fera servir vos propres principes à votre ruine ; et quand il vous aura perdus, il se servira de vous pour perdre les autres. Oh ! quel triomphe pour lui s’il peut rendre un ministre négligent et infidèle, s’il parvient à l’entraîner dans la cupidité et dans le désordre ! Dans son orgueil, il insultera à l’Église de Dieu et s’écriera : « Voilà donc vos saints prédicateurs ! voilà où les conduit leur rigorisme ! » Il insultera à Christ lui-même : « Voilà, dira-t-il, tes défenseurs ! voilà tes serviteurs qui te trahissent ! voilà les ministres de ta maison qui te sont infidèles ! » S’il poussa la présomption jusqu’à insulter Dieu, en prétendant qu’il forcerait Job à le maudire en face, que ne fera-t-il pas s’il triomphe de vous ? Quelle sera sa joie, s’il peut vous rendre infidèles à votre mission, vous pousser à déshonorer votre profession et faire de vous ses esclaves, vous dont il est le plus mortel ennemi ! Oh ! ne lui donnez pas cette satisfaction ; ne souffrez pas qu’il vous traite comme les Philistins traitèrent Samson, qu’il vous affaiblisse, qu’il vous aveugle, et qu’il fasse de vous l’objet de ses insultantes railleries.
Vous ne pouvez tomber sans que le monde en retentisse. Le soleil ne peut s’éclipser sans une multitude de témoins. Placés pour être les lumières de l’Église, vous êtes exposés aux regards de tous. Les autres hommes peuvent pécher sans attirer l’attention ; vous, vous ne le pouvez pas. Et vous devez remercier Dieu d’être ainsi en vue, et d’avoir une foule de témoins prêts à vous avertir de vos fautes, et par conséquent à vous en préserver. Peut-être le feront-ils avec une joie maligne, mais ils ne vous en seront pas moins utiles. A Dieu ne plaise que nous soyons assez imprudents pour commettre le mal ouvertement, volontairement, tandis que tout le monde nous regarde ! « Ceux qui dorment, dorment la nuit ; et ceux qui s’enivrent, s’enivrent la nuit. » Songez que vous êtes toujours en vue, et que la lumière même de votre doctrine ne fera que rendre vos fautes plus éclatantes.
La lumière élevée sur une colline ne peut être cachée. Travaillez donc, en vous souvenant que le monde a les yeux sur vous, prêt à interpréter méchamment votre conduite, à découvrir vos moindres faiblesses, à grossir vos moindres fautes, et à vous en imputer même d’imaginaires. Avec quelle prudence devez-vous donc marcher sous les yeux de tant de juges prévenus contre vous !
« Un grand homme, disait le roi Alphonse, ne peut commettre une petite faute : » A plus forte raison pouvons-nous dire qu’un homme éclairé, chargé d’instruire les autres, ne peut pas commettre un léger péché, ou du moins qu’une faute légère chez un autre devient grave chez lui.
1° Vous êtes plus exposés que les autres à pécher sciemment, parce que vous avez plus de lumières et plus de moyens d’en acquérir. Vous n’ignorez pas que la cupidité et l’orgueil sont des péchés. Vous n’ignorez pas combien vous êtes coupables lorsque, infidèles à votre charge, par négligence ou par égoïsme, vous laissez perdre les âmes. « Vous connaissez la volonté de votre maître, et vous savez que si vous ne la faites pas, vous serez battus de plus de coups. » Plus vos connaissances sont étendues, plus votre zèle doit être ardent.
2° Vos péchés sont entachés de plus d’hypocrisie que ceux des autres, parce que votre mission est de prêcher sans cesse contre le péché. Vous cherchez à détruire le péché dans les autres, vous voulez le leur rendre odieux et méprisable, vous seriez donc criminels d’aimer en secret ce que vous blâmez en public. Vous ne seriez que de misérables hypocrites, si vous viviez habituellement dans les transgressions que vous condamnez, et si vous imposiez aux hommes des fardeaux que vous ne voudriez pas vous-mêmes toucher du bout du doigt, si enfin votre prédication n’était pas sincère. Oh ! gardez-vous de cette hypocrisie pharisaïque, qui parle d’une façon et agit d’une autre ! Plus d’un ministre de l’Évangile, au jour du jugement, sera confondu par cette accusation d’hypocrisie.
3° Vos péchés sont plus odieux que ceux des autres, parce que vous avez pris l’engagement solennel d’y renoncer. Outre vos engagements comme chrétiens, vous en avez beaucoup d’autres comme ministres. Combien de fois avez-vous proclamé la honte et le danger du péché ! Combien de fois l’avez-vous menacé des jugements de Dieu ! Combien de fois, par conséquent, vous êtes-vous engagés à y renoncer ! Chaque sermon, chaque exhortation, chaque confession publique des péchés, vous imposaient l’obligation de ne plus en commettre. Toutes les fois que vous avez administré le baptême ou la sainte cène, vous avez déclaré implicitement que vous renonciez au monde et à la chair pour vous donner à Christ. Et cependant, après vous être si souvent élevés en témoignage contre la nature odieuse et condamnable du péché, après tant de professions et de protestations, vous le commettriez encore ! Oh ! quelle trahison, après l’avoir si souvent condamné en chaire, de l’entretenir encore dans votre cœur, et de lui donner la place qui n’est due qu’à Dieu !
Un homme exposé à de moins rudes épreuves peut fournir sa carrière avec une plus faible mesure de grâce ; il lui faut moins de force pour porter un fardeau moins pesant. Mais si vous voulez vous charger du poids immense du ministère, conduire les soldats de Christ contre Satan et ses auxiliaires, faire la guerre aux principautés et aux puissances de l’enfer, arracher les pécheurs aux chaînes du démon, n’espérez pas en venir à bout au moyen de faibles efforts. Si vous n’apportez à une telle œuvre qu’une âme faible et insouciante, vous serez couverts de plus de honte et de blessures plus cruelles, que si vous aviez suivi la carrière commune. Non seulement l’œuvre en elle-même exige de la vigilance, mais aussi l’ouvrier doit examiner s’il est propre à l’accomplir. On a vu des chrétiens qui jouissaient d’une honorable réputation de talents et de piété dans la vie privée, se couvrir de honte et de ridicule dans la magistrature ou dans l’armée, parce que la charge était au-dessus de leurs forces, parce que les tentations étaient trop grandes pour eux. De même, on en a vu qui, estimables comme hommes privés, ont embrassé la carrière du saint ministère, et, trop confiants dans leur capacité, sont devenus pour l’Église un inutile fardeau. Si donc vous voulez vous lancer au milieu des ennemis et supporter le poids et la chaleur du jour, prenez garde à vous-mêmes.
Plus vous pouvez lui être utiles, plus aussi vous pouvez lui faire de tort. Plus les hommes sont près de Dieu, plus ils peuvent le déshonorer par leur inconduite, parce que le vulgaire stupide attribue leurs fautes à Dieu même. De terribles jugements furent prononcés contre Héli et sa famille ; car, par le crime de ses fils, les offrandes du Seigneur étaient tombées dans le mépris. David, par sa conduite, encouragea les ennemis de Dieu à blasphémer contre lui, et Dieu lui infligea de terribles châtiments. Si vous êtes vraiment chrétiens, la gloire de Dieu vous sera plus chère que votre vie même, et vous ferez, pour la conserver, ce que vous feriez pour sauver votre vie. Ne seriez-vous pas blessés au cœur, si vous entendiez le nom de Dieu blasphémé à cause de vous, si les hommes disaient en vous voyant : « Voilà des ministres adonnés à l’avarice ou à l’ivrognerie ; voilà des hommes qui prêchent la pureté et qui sont aussi dissolus que les autres ; en dépit de leurs discours, ils ne valent pas mieux que nous. » Ah ! mes frères ! pourriez-vous souffrir de voir les hommes jeter la honte de vos iniquités à la face de Dieu, à la face de l’Évangile et de tous ceux qui craignent le Seigneur ? Pourriez-vous souffrir que votre inconduite exposât les véritables chrétiens à d’injustes reproches ? Si un des chefs du troupeau se laisse entraîner à quelque désordre scandaleux, est-il un seul chrétien désireux du salut qui n’en soit profondément affligé, et qui ne soit exposé aux reproches et aux outrages des impies pour des fautes qu’il déplore et qu’il déteste.
Vos fautes seront un sujet de triomphe pour toutes les familles dépourvues de piété ; les époux, les parents, les enfants, les serviteurs se diront les uns aux autres : « Voilà donc vos saints prédicateurs ! voilà le résultat de leur morale ! » Il est impossible qu’il n’arrive pas de scandale, mais malheur à l’homme par qui le scandale arrive ! Prenez garde, mes frères, à chacune de vos paroles, à chacune de vos démarches ; car vous portez l’arche sainte ; l’honneur de Dieu vous est confié ! Vous connaissez la volonté de Dieu, l’excellence de ses commandements, la sainteté de sa loi ; « vous êtes les guides des aveugles, la lumière de ceux qui sont dans les ténèbres, les docteurs des ignorants et les maîtres des simples » ; si donc votre conduite est en opposition avec votre doctrine ; si, en violant la loi, vous déshonorez le Seigneur, le nom de Dieu sera blasphémé à cause de vous parmi les impies et les insensés (Rom.2.17-24). » Vous connaissez ce décret immuable du Très-Haut : « J’honorerai ceux qui m’honorent, mais ceux qui me méprisent seront dans le dernier mépris. » Un homme ne peut déshonorer Dieu sans se déshonorer lui-même. Dieu trouvera assez de moyens d’effacer la honte faite à son nom ; mais pour vous, vous ne laverez pas aussi facilement la souillure que vous aurez imprimée à votre front.
Enfin prenez garde à vous-mêmes ; car de cette vigilance dépend le succès de vos travaux.
Avant d’employer les hommes à une œuvre quelconque, Dieu leur donne les qualités nécessaires pour y travailler. Si l’œuvre du Seigneur n’est pas accomplie dans votre cœur, pouvez-vous espérer qu’il bénisse vos travaux pour l’achever dans le cœur des autres ? Certes, il peut le faire ; mais rien ne vous assure qu’il le veuille. Je vais maintenant essayer de vous prouver que Dieu bénit rarement les travaux de ceux qui ne sont pas sanctifiés.
1° Peut-on espérer que Dieu bénisse les efforts d’un ministre qui ne travaille pas pour Dieu, mais pour lui-même ? car telle est la position de tout ministre qui n’est pas sanctifié. Il n’y a que les hommes sincèrement convertis qui fassent de Dieu leur unique fin, et qui travaillent avec zèle pour son honneur ; les autres ne regardent le ministère évangélique que comme une profession qui leur donne les moyens de vivre. Ils embrassent cette profession plutôt qu’une autre, parce que leurs parents les y ont destinés, parce que c’est une carrière qui leur fournit les moyens de s’instruire, qui exige d’eux peu de fatigues corporelles, qui leur attire le respect et la considération des hommes ; parce qu’ils regardent comme un honneur de conduire et d’instruire les autres, et de leur annoncer la loi de Dieu. C’est pour de tels motifs qu’ils sont ministres et prédicateurs, et, sans ces vues purement mondaines, ils renonceraient bientôt à leur vocation. Et peut-on espérer que Dieu bénisse les travaux de pareils ouvriers ? Ce n’est pas pour lui qu’ils prêchent, mais pour eux-mêmes, pour leur réputation ou pour leur avantage. Ce n’est pas Dieu qu’ils cherchent et qu’ils servent. Il n’est donc pas étonnant que Dieu les abandonne à leurs propres forces, que leurs travaux n’aient pas plus d’efficacité qu’ils ne peuvent eux-mêmes leur en donner, et que de leur parole il ne résulte pas plus de bien que la parole humaine n’en peut produire.
2° Peut-il obtenir autant de succès que les autres, celui qui ne travaille pas avec fidélité et avec zèle, qui ne croit point ce qu’il dit et qui n’est point véritablement pénétré, même quand il paraît le plus actif ? Croit-on qu’un homme non sanctifié puisse s’occuper sérieusement et cordialement à l’œuvre du ministère ? Sans doute, la croyance que la parole de Dieu est véritable peut lui donner un certain degré de gravité ; il peut d’ailleurs être animé d’une chaleur naturelle ou montrer du zèle par des motifs intéressés ; mais il est dépourvu de cette conviction sincère, de cette fidélité du vrai croyant qui ne recherche que la gloire de Dieu et le salut des hommes. O mes frères ! toutes vos prédications et toutes vos exhortations ne sont qu’une misérable hypocrisie, tant que l’œuvre de Dieu n’est pas accomplie dans votre cœur. Comment pourrez-vous travailler nuit et jour à une œuvre à laquelle vos cœurs charnels sont étrangers ? Comment pourrez-vous engager ardemment les pauvres pécheurs à se repentir et à retourner à Dieu, vous qui ne vous êtes jamais repentis ni convertis ? Comment pourrez-vous presser les pécheurs de s’abstenir du péché et de travailler à leur propre sanctification, vous qui n’avez jamais senti l’horreur du mal ni le prix de la sainteté ? Pour connaître ces sentiments, il faut les avoir éprouvés ; autrement vous n’en parlerez jamais avec conviction, vous ne les ferez jamais naître chez les autres. Comment pourrez-vous vous adresser aux pécheurs, le cœur ému de compassion, les yeux baignés de larmes, les priant au nom du Seigneur de s’arrêter, de retourner à Dieu pour avoir la vie, vous qui n’avez pas même pitié de votre âme, vous qui ne voulez point avoir la vie ? Pouvez-vous aimer les autres plus que vous-mêmes ? Pouvez-vous avoir pour eux plus de compassion que pour vous ? Serez-vous bien empressés à sauver les autres de l’enfer, si vous y croyez à peine ? Désirerez-vous sincèrement de conduire les âmes au ciel, si vous n’êtes pas bien convaincus de leur immortalité ? « Celui qui néglige son salut, dit Calvin, s’inquiétera peu de celui des autres. » Celui qui ne croit pas assez fermement à la parole de Dieu et à la vie à venir pour détacher son cœur des vanités du monde et pour travailler avec ardeur à son salut, ne travaillera pas avec plus d’ardeur au salut des autres. Celui qui ne craint pas de se damner lui-même, ne craindra pas de laisser les autres dans le chemin de la damnation ; celui qui, comme Judas, vend son maître pour de l’argent, ne se fera pas scrupule de regarder son troupeau comme une marchandise ; celui qui aime mieux renoncer à ses espérances célestes que d’abandonner ses plaisirs mondains, ne les abandonnera pas pour sauver les autres, et l’on ne doit pas confier le salut des âmes à celui qui vend la sienne au démon pour les joies passagères du péché. Pour moi, je le déclare, je ne confierai jamais « le soin et la conduite des âmes à celui qui ne prend pas garde à lui-même et qui néglige son propre salut. »
3° Est-il probable que celui qui est le serviteur de Satan combatte Satan de tout son pouvoir ? Sujet et citoyen du royaume des ténèbres, combattra-t-il sa propre patrie ? Allié du démon, sera-t-il fidèle à Christ ?
Et telle est en effet la position de tous les hommes non sanctifiés, quels que soient leur rang ou leur profession. Ils sont les serviteurs de Satan, les sujets de son royaume, les esclaves de sa volonté, et par conséquent ils ne peuvent être fidèles à Christ. Voilà ce qui a fait de tant de prédicateurs des ennemis de cet Évangile qu’ils prétendent prêcher. Il n’est point étonnant qu’ils tournent en dérision la pieuse obéissance des fidèles, et que, prêchant la sainteté, ils raillent ceux qui la pratiquent. Combien de traîtres dans tous les âges de l’Église, qui, enrôlés sous la bannière de Christ, lui ont fait plus de mal que s’ils eussent été ses ennemis déclarés ! Ils annoncent Jésus-Christ, ils prêchent la piété ; mais ils font tout ce qu’ils peuvent pour les déshonorer, et pour faire croire aux hommes que ceux qui cherchent Dieu de tout leur cœur sont des enthousiastes ou des hypocrites. Ce sont des loups ravisseurs chargés de conduire un troupeau. S’il s’est trouvé un traître parmi les douze apôtres de Jésus-Christ, ne nous étonnons pas qu’il s’en trouve tant de nos jours. L’esclave de Satan, « qui a son ventre pour Dieu, qui attache ses affections aux choses de la terre, est l’ennemi de la croix de Christ. » Il peut prêcher avec gravité et faire extérieurement profession de la religion ; mais s’il n’est pas ferme dans la foi, entièrement dévoué à Christ, il peut être enchaîné dans les liens de Satan par la mondanité, par l’orgueil, par un secret éloignement de la piété, aussi fortement que les autres le sont par l’ivrognerie, l’impureté et les autres vices scandaleux. Les Publicains et les gens de mauvaise vie entrent dans le royaume de Dieu plus facilement que les Pharisiens, parce qu’ils sont plus facilement convaincus de leurs péchés et de leur misère.
Plusieurs de ces ministres paraissent d’excellents prédicateurs, et s’élèvent contre le péché aussi fortement que les autres ; mais ils n’ont que l’apparence du zèle, et toute leur piété s’exhale en vaines paroles ; car celui qui nourrit le péché dans son cœur ne l’attaquera jamais sérieusement. Je sais qu’un homme corrompu peut paraître plus désireux de réformer les autres que de se réformer lui-même, parce qu’il lui est plus facile de prêcher contre le péché que d’y renoncer ; aussi voit-on des ministres ou des parents corrompus donner d’excellentes leçons à leurs fidèles ou à leurs enfants. Néanmoins, malgré ce zèle apparent, ils n’ont rien de cette ardeur, de cette résolution qui ne se trouvent que chez les fidèles serviteurs de Christ. Ils ne font pas la guerre au péché comme à l’ennemi de Dieu, comme au destructeur des âmes. Ce sont des traîtres qui tirent sur l’ennemi avec des armes chargées à poudre ; ils font du bruit, mais point de mal. Ils tonnent contre le péché avec une ferveur affectée, mais ils ne font aucun ravage dans l’armée de Satan. Pour combattre avec ardeur, il faut haïr son ennemi, et un homme irrégénéré, loin de haïr le péché, le regarde comme son bien le plus précieux. Il est donc évident que celui qui n’est point sanctifié, et qui aime l’ennemi de Christ, ne peut commander son armée. Esclave du monde et de la chair, il ne peut efficacement engager les autres à y renoncer.
4° Si la conduite d’un ministre est en opposition avec sa prédication, ses auditeurs ne feront aucun cas de sa doctrine ; s’il n’est pas lui-même persuadé, il ne persuadera pas les autres. Si un homme vous pressait de vous sauver pour échapper à la poursuite d’un ennemi ou d’une bête féroce, et si lui-même ne précipitait point ses pas, vous croiriez naturellement qu’il plaisante et qu’il n’y a point de danger. Quand un prédicateur vous dit que « sans la sanctification nul ne verra le Seigneur, » et qu’il n’est pas lui-même sanctifié, vous êtes fondés à penser qu’il ne parle ainsi que pour passer le temps, ou pour gagner son argent. En vain élèverez-vous les mains et la voix contre le péché, les hommes ne le croiront jamais si dangereux que vous le dites. Ils seront plutôt tentés de le regarder comme un bien dont vous voulez les dégoûter, pour vous l’approprier tout entier. Ils ont des yeux aussi bien que des oreilles, et s’en rapporteront plutôt à la vue qu’à l’ouïe, pour juger de vos véritables intentions. Si vous passez votre vie dans l’avidité ou dans l’indolence, vous encouragez ces vices par votre exemple ; si vous buvez, si vous jouez, si vous perdez votre temps à de frivoles conversations, c’est comme si vous disiez à vos auditeurs : « Voilà la vie que vous devez mener, vous pouvez vous y hasarder sans crainte. » Si vous n’élevez pas votre famille dans la crainte de Dieu, si vous ne blâmez point les péchés de ceux avec qui vous vous trouvez, si vous ne cherchez pas à les détourner de leurs futiles entretiens pour leur parler du salut, c’est comme si vous leur déclariez que le soin de leur salut est inutile, et qu’ils peuvent hardiment imiter votre conduite. Vous faites pis encore ; vous leur apprenez à mal penser de ceux qui sont meilleurs que vous ; vous exposez à la haine et aux reproches plus d’un ministre fidèle, plus d’un chrétien sincère. « Eh quoi ! leur dira-t-on, pourquoi cette sévérité outrée ? pourquoi nous parler sans cesse de péché et de devoir, tandis que tel autre ministre, aussi savant que vous, aussi bon prédicateur que vous, se divertit et plaisante avec nous, nous laisse tranquilles et ne nous importune pas de pareils discours ? Vous faites plus de bruit qu’il ne faut ; vous aimez à nous menacer de l’enfer et de la damnation, tandis que d’autres théologiens raisonnables, prudents et éclairés, se tiennent tranquilles et vivent avec nous comme les autres hommes. »
Telles sont les pensées, tels sont les discours auxquels votre négligence donne lieu. Les hommes vous permettront volontiers de prêcher contre le péché et de recommander la piété tant que vous serez en chaire, si vous voulez ensuite les laisser tranquilles, vous égayer avec eux, parler et agir comme eux, et vous mêler à leurs frivoles entretiens. Ils regardent la chaire comme un théâtre sur lequel les prédicateurs jouent leur rôle, comme un lieu où ils peuvent pendant une heure dire tout ce qu’il leur plaît ; mais ils n’en font aucun cas ; il faudrait apparemment que les ministres vinssent leur dire à eux-mêmes et en face que leurs exhortations étaient sérieuses. Quel bien peut opérer un ministre qui prêche pour Jésus-Christ pendant une heure, le jour du sabbat, et qui, par sa conduite, prêche contre lui toute la semaine, démentant par sa vie privée ses discours publics ?
Et quand même quelques-uns des fidèles seraient assez sages pour ne pas suivre les mauvais exemples de leurs pasteurs, ces mauvais exemples ne tendront pas moins à détruire l’effet de leur doctrine. Quoiqu’une nourriture soit bonne et saine, bien des gens ne la prendront qu’avec dégoût, si elle est apprêtée ou servie par des personnes sales ou malsaines. Prenez donc garde à vous-mêmes, si vous voulez faire du bien aux autres. Enfin, considérez que le succès de vos travaux dépend de l’assistance et de la bénédiction du Seigneur. Or, le Seigneur n’a promis nulle part son assistance et sa bénédiction aux impies ; il les a promises à l’Église, mais non à eux. Il a promis à ses serviteurs fidèles qu’il sera avec eux, qu’il mettra son Esprit sur eux, et que « Satan tombera du ciel devant eux comme un éclair. »
Mais une seule de ces promesses s’adresse-t-elle aux ministres impies ? Bien plus, par votre hypocrisie et par vos outrages envers Dieu, ne le provoquez-vous pas à vous abandonner, à frapper d’impuissance toutes vos prédications, du moins pour ce qui concerne votre salut, quoiqu’il puisse les bénir pour celui de ses élus ? Sans doute, Dieu peut faire servir des ministres corrompus au bien de son Église ; mais ses serviteurs fidèles ont seuls le droit de compter sur sa bénédiction.
Et ce que j’ai dit des ministres impies s’applique également aux prédicateurs pieux, lorsqu’ils se laissent entraîner à quelque désordre ; plus leurs fautes sont graves et fréquentes, plus leurs efforts sont impuissants.