Un homme dans la tour

UN SECOURS DANS LA DÉTRESSE

Saisi par le froid humide qui le pénètre jusqu’aux os, Etienne se réveille et se secoue nerveusement, ce qui a pour effet de tirer Jean-Paul de son profond sommeil. Ils sont plongés dans l’obscurité la plus complète.

— Eclaire vite. On n’y voit goutte !

Atterré, Etienne réalise que la lampe a brulé pendant qu’ils dormaient ; et maintenant on n’aperçoit que les filaments rougis de l’ampoule.

— Malheur ! s’écrie-t-il effrayé. La pile est grillée. Nous n’avons plus de lumière pour retourner… Puis il explique en deux mots à son compagnon combien la situation est grave.

— Crois-tu que nous pourrons regagner la sortie, demande Jean-Paul bouleversé.

— Nous essayerons, mais c’est peu probable. D’abord, comment quitter ce rocher qui surplombe l’abîme ? Le moindre faux-pas, et c’est la chute sans espoir. Ensuite, comment retrouver la ficelle que j’ai laissée de l’autre côté de la grotte ? Comment retrouver notre chemin ? L’obscurité est complète.

Etienne tâte la roche mouillée. Il allonge la jambe prudemment à droite, puis à gauche afin de trouver un point d’appui. Hélas ! Sous ses pieds, c’est le vide. Il recommence, mais en vain ! Il n’ose pas s’approcher du bord, de crainte de glisser et de tomber.

— Il n’y a rien à faire, dit-il. On risque trop à vouloir quitter le rocher. Il vaut mieux attendre qu’on vienne à notre secours.

Jean-Paul éclate en sanglots. Etienne voudrait en faire autant, mais il est l’aîné. Du reste, à quoi cela servirait-il ?

— Qu’allons-nous faire ? demande le plus jeune.

Il attend une réponse rassurante de son ami qui ne sait trop que dire. Il fait affreusement noir dans cette grotte.

— Il sera préférable d’attendre. Aux Oumbras comme aux Olivettes, on ne tardera pas à remarquer notre absence et à se mettre en campagne pour nous retrouver. Mais découvrira-t-on l’entrée de la grotte ? Personne ne la connaît dans le pays, j’ai trop bien gardé mon secret.

Les heures passent, interminables et angoissantes. Par moment, Jean-Paul a des accès de désespoir à fendre l’âme. Il est jeune encore ! Tour à tour, il appelle maman, papa. L’écho renvoie ces appels qui ont quelque chose de lugubre dans cette immense gouffre.

— Je ne les reverrai plus, gémit-il dans une nouvelle crise de larmes.

Il songe au beau soleil qu’il a quitté, aux arbres, aux cigales. Fini tout cela ! Finies les caresses de maman ! Finies les histoires de papa ! Fini Paris !… Oui, Fini !

Etienne qui s’était jusque là contenu, fond en larmes à son tour. Il comprend mieux que personne, combien la situation est désespérée. Et dans l’obscurité de cet immense tombeau, on entend des sanglots étouffés, des gémissements prolongés…

Tout cela est terriblement impressionnant. Pourtant, Etienne se ressaisit vite. Il prend la main de son compagnon d’infortune qui sursaute et lui dit d’un ton grave.

— Popol, si on priait Dieu !

Cette parole surprend notre jeune garçon qui n’est pas habitué à ce langage. Ses parents n’ont aucune piété, même pas celle de Noël et de Pâques. Jamais ils n’ont conduit leur bout d’homme au temple ou à l’église. « Ils n’ont que faire de la religion », répètent-ils à qui veut l’entendre.

— Je ne vois pas bien ce que tu veux dire, mais fais ce que tu voudras.

Alors comme un garçon qui en sait trop peu pour bien expliquer les choses, Etienne balbutie :

— Eh bien !… tu sais bien qu’il y a un Dieu au ciel… Celui qui a fait la terre… et nous aussi.

— Crois-tu qu’il s’occupe de nous et qu’Il nous voit dans notre mauvaise posture ?

— Bien sûr ! Je sais qu’il est partout à la fois et qu’Il voit tout.

— T’es sûr !

— Mais oui ! Notre pasteur répète souvent une parole de la Bible qui me revient à l’esprit : « Il est notre secours dans la détresse ! » Cette phrase me fait du bien aujourd’hui.

— La Bible ?

— Oui, la Parole de Dieu !

Jean-Paul ne comprend pas, mais il n’insiste pas davantage. Il n’a pas le cœur à démêler des choses compliquées. Et d’ailleurs, ce n’est pas le moment.

— Si on lui demandait de nous tirer d’affaire, continue Etienne. Je sais qu’il nous aime. C’est écrit en grosses lettres sur le grand mur du Temple.

— Eh bien, vas-y ! réplique Jean-Paul, sur un ton qui veut dire : Si ça ne nous fait pas de bien, ça ne nous fera pas de mal. Je te laisse faire car je ne saurais m’y prendre. Moi, je ne suis pas de la religion.

Et dans la nuit épaisse, Paul entend la voix émue et grave d’Etienne prononcer avec conviction :

Seigneur, je sais que tu nous vois dans ce trou noir… Je sais que tu nous aimes. Je sais que tu es notre Secours dans la détresse. C’est dans Ta Bible. Alors, nous te supplions de nous tirer d’ici. Merci !

Un amen sonore qui fait écho sous l’immense voûte de pierre termine cette courte prière qui bouleverse Jean-Paul. Les larmes coulent de leurs yeux. Un espoir secret les gagne l’un et l’autre. Jean-Paul admire son compagnon qui sait s’adresser au Dieu du ciel « qui nous a faits ».

Pourtant les heures passent ! Et avec ces longues heures remplies d’angoisse, l’espoir s’émiette. Le petiot est épuisé. Etienne s’agite sur le rocher, renouvelle de temps à autre sa tentative d’évasion, puis demeure silencieux de longs moments.

Tout à coup un bruit, à peine perceptible !

Nos deux garçons immobiles, la respiration suspendue, la tête en avant, l’oreille grande ouverte, écoutent.

— Qu’est-ce ? demande Jean-Paul nerveux.

— Je ne vois pas encore, mais le bruit a l’air de grandir. Viendrait-on à notre secours ? Dieu aurait-il déjà répondu ?

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