La société juive à l’époque de Jésus-Christ

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Voyages en Palestine – Routes – Hôtellerie – Hospitalité – Employés du péage, publicains

Voyages. — Les grandes voies de communication. — Routes de second ordre. — Termes qui les désignent. — Voies romaines. — Réparation des grandes routes. — Véhicules. — Caravanes. — Hospitalité. — Paroles des Rabbins sur ce sujet. — Règles imposées à l’étranger et à celui qui le reçoit. — Hôtelleries. — Police secrète. — Péagers. — Impôts. Revenus du roi. — Taxes imposées par les Romains. — Scrupules religieux de l’Israélite en les acquittant. — Publicains. — Appel de Lévi.

C’est sur la route qui formait la scène mobile du commerce le plus actif de la Palestine, que le péager Lévi Mathieu était assis au bureau des impôts, lorsque le Seigneur l’appela à le suivre pour annoncer l’Évangile. Occasion mémorable dans laquelle il célébra ce grand festin auquel il invita les autres publicains, jusqu’alors ses compagnons d’œuvre, afin qu’ils pussent, eux aussi, voir et entendre Celui en qui il avait trouvé la vie et la paix (Luc 5.49). Parmi toutes les voies qui sillonnaient la Palestine, c’était ici la seule vraiment internationale. Elle constituait même une des plus grandes lignes commerciales du monde ancien. A cette époque, six grandes artères destinées au commerce et aux échanges traversaient la Terre Sainte. Les points essentiels auxquels elles touchaient, étaient Césarée, la capitale militaire, et Jérusalem, le chef-lieu religieux de la Judée.

Voici d’abord la route du sud, qui conduisait de Jérusalem, par Bethléem, à Hébron. De cette ville, elle se dirigeait du côté de l’Occident vers Gaza, du côté de l’Est, vers l’Arabie, d’où une voie directe conduisait à Damas. Les pieds de Paul la foulèrent, selon nous, lorsqu’il se retira en Arabie, immédiatement après sa conversion (Galates 1.17-18). La route d’Hébron doit avoir été fréquentée par les prêtres et les pèlerins, qui montaient à la ville de Jérusalem, par le père du Baptiste, et les parents de Jésus, lorsqu’ils se rendaient aux grandes fêtes d’Israël.

L’ancienne route qui suivait les côtes de la mer remontait de l’Egypte vers Tyr. De ce point, une voie directe, mais moins fréquentée, conduisait à Damas, en passant par Césarée de Philippe. Celle qui suivait les côtes de la grande mer, touchait successivement à Gaza, Ascalon, Jamnia, Lydda, Diospolis, et enfin à Césarée et à Ptolémaïs. C’était probablement la route militaire la plus importante du pays. Elle unissait la capitale à Césarée, la cité principale au point de vue politique comme siège du procurateur romain. Elle protégeait les bords de la Méditerranée, et ses ports, afin qu’ils fussent toujours libres pour les relations qui devaient exister entre ces diverses villes. Une ligne s’en détachait et conduisait à Jérusalem, à Lydda, bifurquait pour se diriger vers la capitale, soit par Beth-Horon, soit par Emmaüs ; celle-ci était la plus longue. C’est probablement par ce chemin que l’escorte romaine enleva saint Paul (Actes 21.31), les soldats le laissant à Antipatris, environ à 20 milles de Lydda, et à une distance de 52 milles romains de Jérusalem. (Le mille romain vaut 1618 yards anglais, le mille anglais 1600 mètres environ.) La distance que la cavalerie avait à parcourir, le jour suivant, pour parvenir à Césarée, était d’environ 26 milles romains ; en d’autres termes, cette ville était éloignée de 78 milles romains de la cité sainte. Cette rapidité dans les voyages, bien qu’assez grande, ne peut pas être considérée comme excessive, puisque la marche d’un jour ordinaire est estimée dans le Talmud (Pes. 936) à 40 milles romains.

Une troisième route conduisait de Jérusalem à Joppé par Beth-Horon et Lydda, d’où elle continuait, en suivant la côte, jusqu’à Césarée. C’est celle que durent suivre Pierre et ses compagnons sommés par Dieu d’aller prêcher l’Évangile à Corneille (Actes 10.23-24). A Lydda, séparée par 32 milles romains de Jérusalem, Enée fut miraculeusement guéri et, près d’elle, à quelques milles, à Joppé, eut lieu la résurrection de Tabitha Dorcas « la Gazelle » (Actes 9.32-43).

Il n’est point nécessaire de nous étendre sur la quatrième grande ligne de communication qui conduisait de la Galilée jusqu’à Jérusalem. Elle passait directement à travers la Samarie, à Sichem ; un embranchement s’en détachait sur Damas à l’est, et à l’ouest sur Césarée. Bien que plus courte, les voyageurs juifs l’évitaient, autant qu’il était possible. Néanmoins le Seigneur la suivait soit pour monter à Jérusalem (Luc 9.53 ; 17.11), soit pour en revenir (Jean 4.4, 43). La route qui, de Sion, se dirigeait en ligne directe vers le nord, se divisait à Gophna. De ce point, une des voies conduisait à Diospolis, l’autre à Césaréea. Mais ordinairement les voyageurs Juifs, plutôt que de passer par la Samarie, préféraient s’exposer au danger d’être dévalisés par les voleurs qui les attendaient (Luc 10.30) le long de la cinquième grande voie de communication (Luc 19.1, 28 ; Matthieu 20.17, 29) qui conduisait de Jérusalem, par Béthanie, à Jéricho. Là, on traversait le Jourdain, le chemin conduisait à Galaad. Ici il se dirigeait soit vers le sud, soit vers le nord par la Pérée. De ce point du territoire, le voyageur parvenait enfin en Galilée. Observons que toutes ces voies commerciales ou militaires établies en Judée, rayonnaient de Jérusalem, ou y aboutissaient.

a – Dans la Life and Epistles of Saint-Paul, Conybeare et Hawson (II p. 331) disent que ce fut le chemin suivi par les soldats romains qui conduisaient Paul à Césarée.

La sixième grande route qui traversait la Galilée, n’était pas juive, dans la pensée originelle de ceux qui l’avaient tracée. Elle unissait l’est à l’Occident, Damas avec Rome. De Damas, elle conduisait, en traversant le Jourdain à Capernaüm, à Tibériade et à Naïn — (où elle tombait dans la route directe de la Samarie) jusqu’à Nazareth ; et de là à Ptolémaïs. Ainsi, par sa position même, Nazareth était assise sur une des grandes voies de communication du monde ancien. Les paroles ici prononcées pouvaient trouver un écho dans toute la Palestine, et être portées jusqu’aux pays les plus lointains de l’Est et de l’Occident.

Il est à peine besoin de l’ajouter, nous ne venons d’indiquer que les principales voies. Mais un grand nombre de routes secondaires sillonnaient également le pays dans toutes les directions. Depuis les temps les plus éloignés il semble même qu’on ait apporté beaucoup d’attention à rendre les communications faciles entre toutes les localités. Dans les jours de Moïse, il nous est déjà parlé des « voies royales » d’Edom (Nom.20.17,19 ; 2.22). En hébreu, à côté de deux expressions générales (derech et orach) nous avons trois mots qui désignent un sentier battu (nathiv de nathav, fouler aux pieds), une route faite ou levée (messilah de salah lever une chaussée) et route royale, celle-ci évidemment destinée à des intérêts nationaux, et entretenue par le trésor public. Pendant le temps des Rois (par ex. 1 Rois 12.18) et même antérieurement il y avait des routes de voiture régulièrement tenues. Il nous est cependant difficile d’ajouter foi aux déclarations de Josèphe (Antiq. VIII : 7, 4), quand il nous dit que Salomon avait fait paver les routes principales avec des pierres de couleur sombre, probablement de basalte.

Au temps d’Esdras, les droits de péage étaient évidemment perçus (Esdras 4.13, 20), mais les membres du clergé étaient exempts de cette taxe, aussi bien que de toutes les autres (Esdras 7.24). La loi exigeait que les routes qui conduisaient vers les cités de refuge fussent toujours entretenues avec soin (Deutéronome 19.3). Selon le Talmud, elles devaient avoir 48 pieds de largeur, être pourvues de ponts et de signes indicateurs, quand elles se divisaient en plusieurs branches.

Dans une époque plus récente, les Romains portaient naturellement une grande attention aux routes qui rattachaient les unes aux autres les diverses villes du territoire. Les voies militaires étaient pavées, et pourvues de pierres milliaires. Mais celles de communication étaient surtout des sentiers qui ne pouvaient être parcourus que par des voyageurs à pied. Le Talmud distingue les voies publiques et les chemins privés. Les premières doivent être larges de 24 pieds, les derniers de 6. Il ajoute qu’il n’y a aucune mesure prescrite pour les voies royales, et pour celles que suivent les convois funèbres (Baba. B. VII : 7).

Toutes ces lignes étaient, chaque année, réparées au printemps, afin qu’elles fussent en bon état au moment des grandes fêtes. Pour prévenir tout danger, il n’était permis d’établir aucune construction au-dessous du sol, en prenant même toutes les précautions possibles. On devait élaguer les branches des arbres qui s’étendaient sur la route, afin qu’il fût possible à une personne montée sur un chameau de passer au-dessous. Même règle pour les balcons, les maisons en saillie. Il était interdit, au reste, d’en construire de telles, afin de ne pas ôter le jour de la rue. Celui qui se permettait de laisser divers objets entassés sur le chemin, ou des liquides dégoutter du char qui les portait, devait payer le dommage qu’il pouvait, par ce fait, avoir causé aux voyageurs. Dans les villes et dans leurs environs immédiats, les lois de police étaient encore plus strictes. Des ordonnances prescrivaient d’enlever, dans les 30 jours, les arbres déracinés ou les murailles qui menaçaient ruine. Elles interdisaient de répandre de l’eau, de jeter quoi que ce fût sur la voie publique, de laisser autour des édifices des matériaux, des verres brisés, des épines, sans parler d’autres prescriptions destinées à protéger la sécurité et la santé publiquesb.

b – Ceci est tiré surtout des Traités Juridiques Baba Kama et Baba Bathra.

C’est sur ces routes que passaient les voyageurs peu nombreux d’abord, et la plupart pèlerins, mais qui, s’accrurent en même temps que les relations sociales et politiques. Les voyages se faisaient à pied, sur des ânes ou dans des chariots (Actes 8.28). Les Juifs se servaient de trois sortes de voitures ; la voiture ronde, probablement comme nos cabriolets, — la voiture allongée en forme de lit — et le chariot proprement dit, destiné surtout au transport des effets ou des marchandises. On comprend que les voyages de ce temps n’étaient pas chose facile. Généralement les gens du peuple les faisaient en compagnie. Tous les lecteurs des livres saints connaissent les caravanes de voyageurs qui, au temps des fêtes, se rendaient à Jérusalem. Dans les autres circonstances, on se préparait pour un voyage comme pour un changement de domicile. On devait se munir de tentes, de vivres, et de tout ce qui était nécessaire pendant la route. Il en était autrement des voyageurs qui colportaient diverses marchandises, et qui étaient accueillis comme des amis, dans toutes les provinces qu’ils traversaient. Ces derniers apportaient les nouvelles du jour, échangeaient les produits d’une région contre ceux d’une autre, et répandaient partout les inventions les plus récentes de l’industrie ou du luxe. Quant aux lettres, elles étaient envoyées par des messagers spéciaux ou par des voyageurs.

Dans de telles circonstances, le précepte : « N’oubliez pas d’exercer l’hospitalité, » avait une signification toute particulière. Non seulement la Bible mais les Rabbins, le recommandaient dans les termes les plus pressants. A Jérusalem, personne ne considérait sa maison comme lui appartenant d’une manière exclusive. On disait que pendant les fêtes, nul ne se refusait à recevoir volontiers les pèlerins qui s’y rendaient. Le traité Aboth mentionne les paroles suivantes, comme formant deux des trois sentences de José, fils de Jochanan de Jérusalem : « que ta maison soit largement ouverte ; considère les pauvres comme les enfants de ta demeure. » Les lecteurs du Nouveau-Testament ont un intérêt spécial à savoir que, selon le Talmud (Pes. 53), Bethphagé et Béthanie auxquels se rattachent pour eux de si touchants souvenirs étaient particulièrement renommées pour leur hospitalité à l’égard des pèlerins qui venaient célébrer les fêtes dans la ville Sainte. Il semble que c’était la coutume, à Jérusalem, de suspendre une tenture au-dessus de la porte, pour indiquer qu’il y avait encore de la place pour les étrangers. Quelques-uns même allaient jusqu’à prétendre qu’il devait y avoir quatre portes à chaque maison, pour inviter à y entrer les voyageurs qui viendraient de tous les points du territoire, en leur montrant qu’ils seraient les bienvenus (Actes 21.5). Selon les Rabbins, l’exercice de l’hospitalité avait autant de mérite, et même de plus grands, que l’assistance matinale à une leçon dans une Académie. Pouvaient-ils dire davantage si l’on pense à l’importance qu’ils attachaient à l’étude ? Naturellement l’ordre des Rabbins avait la préférence, et l’hospitalité qui s’exerçait à l’égard d’un savant, qui ne s’en retournait qu’avec des présents, était déclarée aussi méritoire que l’offrande d’un sacrifice ordinaire (Ber. 10, 6).

Evitons cependant ici toute méprise. Toutes les fois qu’il s’agit du devoir de l’hospitalité, ou du soin affectueux des pauvres et des malades, il est impossible d’employer des paroles plus dignes que celles des docteurs Juifs. « L’entretien des voyageurs, disaient-ils, est un acte aussi important que la réception de la Schechinah » dans sa demeure. Ces mots ne donnent-ils pas un intérêt tout nouveau à l’exhortation de l’épître adressée particulièrement aux chrétiens (Hébreux 13.2) : « n’oubliez pas l’hospitalité ; c’est en l’exerçant que quelques-uns ont logé des anges sans le savoir ? » Un des plus anciens commentaires Rabbiniques présente à ce sujet une glose vraiment belle sur le texte Psaumes 109.31. « Il se tient à la droite du pauvre. » « Toutes les fois, dit le commentateur, qu’un pauvre homme se présente à ta porte, le Saint d’Israël, — béni soit son nom ! — est debout à sa droite. Si ta main ne lui refuse pas l’aumône, sache que tu recevras ta récompense de Celui qui se tient à son côté. » D’après un autre commentaire, Dieu lui-même et ses anges visitent les malades. Le Talmud ajoute que l’hospitalité est une des choses pour lesquelles l’homme reçoit un salaire dans la vie présente, et un autre dans la vie à venir (Shah. 127, a). En d’autres passages (Sot. 14 : a) nous sommes invités à imiter Dieu dans les quatre actes suivants. Il revêt ceux qui sont nus (Genèse 31.21), Il visite les malades (Genèse 17.1). Il console ceux qui pleurent (Genèse 25.11) et Il ensevelit les morts (Deutéronome 34.6). Lorsqu’ils parlent de l’hospitalité, le langage des maîtres de la synagogue manifeste la plus touchante tendresse et la délicatesse la plus grande, mêlée à une fine connaissance du monde, et à un humour plein d’originalité. En règle générale, ils entrent ici dans tous les détails. C’est ainsi qu’ils nous décrivent la manière dont celui qui exerce l’hospitalité doit se comporter à l’égard de ses hôtes. Il faut qu’il montre, dans son maintien, le plaisir qu’il éprouve à les avoir sous son toit, à leur prodiguer lui-même ses soins attentifs, à promettre peu, et à donner davantage, etc. « Considère, ajoutent-ils avec finesse, considère tous les hommes comme s’ils étaient des larrons, mais traite-les comme s’ils étaient le Rabbin Gamaliel en personne ! » D’un autre côté ils imposent aux hôtes des règles de politesse et de reconnaissance. « Ne jette pas une pierre, disent-ils, dans la source où tu t’es désaltéré. » (Baba K. 92.) ou bien : « un hôte convenable est reconnaissant pour toutes choses. Il dit : quel mal s’est donné celui qui m’a reçu dans sa demeure ! et tout cela pour moi ! » Tandis qu’un hôte méchant fait la remarque suivante : « Bah ! quelle peine a-t-il prise ? » Et après avoir énuméré le peu de soins dont il a été entouré, il conclut par ces mots : « après tout, il n’a pas même fait cela à cause de moi. C’est seulement pour sa femme et pour ses enfantsc ! » En fait, quelques-unes de ces paroles offrent un parallélisme remarquable avec les directions que le Seigneur donnait à ses disciples, au moment de leur départ pour la première mission. L’une d’elles consistait à s’informer de l’aisance de la famille qui devait les recevoir, de ne pas aller de maison en maison, de manger de tout ce qui serait placé devant eux ; et enfin de ne s’éloigner qu’en appelant sur la demeure hospitalière la bénédiction du ciel.

cBer. 58 : a. Abrégé de Jer. et de Bab. Talmud. Voyez aussi Ber. 636, 6 a, où on donne les exemples des bénédictions attachées à l’hospitalité selon l’enseignement de la Bible.

[Dès qu’un étranger s’approchait d’une tente de nomades ou d’une ville, on l’invitait à entrer. Il aurait été honteux pour le pays entier qu’il fût obligé de passer la nuit en plein air. (Juges 19.13). Les droits de l’hôte étaient sacrés. Il était accueilli par le baiser de paix. (Luc 7.45). Celui qui offrait l’hospitalité se hâtait alors de présenter à l’étranger l’eau nécessaire pour se laver les pieds, mal garantis contre la poussière de la route par les sandales qui les couvraient. Plus étaient élevés la dignité, l’âge de celui-ci, plus grands les honneurs qui lui étaient rendus. On le faisait asseoir à table. Une des meilleures parts lui était réservée. (1 Samuel 9.23), quelquefois une double portion. (Genèse 43.34). Pour donner plus de charme au repas on employait parfois la musique et le chant. On oignait la tête du convive d’une huile odoriférante. Il semble même que les couronnes de fleurs, qui ont joué un si grand rôle chez les Grecs, n’aient pas été ignorées des Israélites. (Sagesse 2.8, Cp. Ésaïe 28.1. Jos. Ant. XIX : 9,1). V. Herzog. Real. Encycl. IV : 752. s. (G.R.).]

Tout ceci doit s’entendre de l’entretien des voyageurs dans l’intérieur des familles. Sur les routes peu fréquentées, où on ne rencontrait que des villages très éloignés les uns des autres, en dehors des villes (Luc 2.7), il y avait des khans réguliers, ou des espèces de logements pour les étrangers. Comme les khans des temps modernes, ces sortes d’hôtelleries étaient ouvertes à tous, et généralement bâties en carré. La vaste cour du milieu était destinée aux bêtes de somme ou aux chariots. Des chambres ouvrant sur les galeries entouraient de toutes parts la place située au centre. Il va sans dire que ces appartements étaient dépourvus de tout meuble, et qu’on n’attendait aucune rétribution du voyageur qui y passait la nuit. Une personne était habituellement attachée au khan, le plus souvent un étranger, qui, en guise de salaire, faisait quelque bénéfice sur les objets qu’il fournissait à ceux qui s’y arrêtaient. En veut-on un exemple ? On le trouvera dans la parabole du bon Samaritain (Luc 10.35). Ces hôtelleries sont déjà mentionnées dans l’histoire de Moïse (Genèse 4227 ; 43.21). Jérémie les nomme « une place pour les étrangers » (Jérémie 41.17), mot mal traduit dans les versions anglaises par celui d’« habitation ».

[Ordinairement une lampe suspendue au-dessus de l’entrée du khan en indiquait l’accès. Si le voyageur avait le malheur d’arriver trop tard et que les appartements fussent occupés par des hôtes arrivés avant lui au caravansérail, il ne lui restait qu’une seule chose à faire. Il devait se contenter d’une place sur le sol de la cour. Après avoir nettoyé imparfaitement un petit espace de terrain occupé par les chevaux et les chameaux, il pouvait s’y établir avec sa famille. Il arrive souvent que le khan entier, ou du moins la portion où les animaux séjournent est l’une de ces caves qui abondent dans le rochers calcaires des montagnes du centre de la Palestine. Il semble qu’il en a été ainsi dans le petit village de Bethléem Ephrata en Judée, pendant la nuit de Noël. Justin Martyr l’apologiste qui, par sa naissance à Sichem, connaissait bien la Terre Sainte, et qui vivait moins d’un siècle après J.-C. (103 à 166) place dans une grotte la scène de la Nativité. C’est la plus ancienne et la constante tradition des Églises d’Orient et d’Occident. (V. Farrar, o. c. p. 4) (G.R.)]

Dans le Talmud, ces khans portent un nom Grec ou Latin, revêtu de la forme Araméenne. L’une d’elles est la même que celle qui est employée dans Luc 10.34, ce qui prouve que ces maisons étaient surtout destinées aux étrangers et par eux fréquentéesd. Dans les derniers temps, il nous parle de Oshpisa, évidemment dérivé de hospitium. Ce mot trahit son origine romaine. Il nous les dépeint comme des maisons où le public est nourri, et où l’on vend des aliments tels que sauterelles confites, ou enveloppées de farine et de miel, de la bière de Médie ou de Babylone, des boissons Egyptiennes, et du cidre ou du vin fait dans le pays. Les proverbes suivants avaient cours parmi les compagnons de plaisir qui les fréquentaient : « Manger sans boire, c’est dévorer son propre sang. » (Shab. 41 a) Souvent ces hôtelleries retentissaient des cris grossiers des hôtes excités par la colère. Des jeux de hasard y étaient tenus par ceux qui y dissipaient leur fortune et leur vie dans la débauche. C’était là que la police secrète employée par Hérode, épiait l’opinion de la populace plongée dans les dégradantes jouissances de l’ivressee. Cette institution était largement utilisée par l’habile prince. Selon Josèphe (Ant. 15 : 10, 4), des espions sans nombre vous assiégeaient partout, dans la ville et dans la campagne, épiant la conversation même dans les épanchements intimes de l’amitié. On dit qu’Hérode se mêlait parfois aux agents de sa police soupçonneuse, parcourait les rues pendant la nuit sous quelque déguisement pour s’emparer, par surprise, des citoyens imprudents, ou pour les traquer dans quelque piège adroitement dressé. On croirait même qu’une fois la ville de Jérusalem a été placée sous le régime absolu de l’état de siège. Défense était faite à tous les citoyens de s’arrêter pour s’entretenir entre eux, de marcher ou de prendre leurs repas ensemble, probablement de tenir des réunions ou de faire des démonstrations, ou de célébrer des banquets publics. Les pages de l’histoire sont pleines du récit des terribles vengeances qui suivaient les plus légers soupçons. Dans le Nouveau-Testament, nous n’avons pas oublié le meurtre de tous les petits enfants à Bethléem (Matthieu 2.16). Acte infâme dont l’objet était d’anéantir parmi eux le royal rejeton de David. Ce fait est en parfaite harmonie avec la nature d’Hérode et le caractère de son règne. On trouve au moins une confirmation indirecte de ce récit dans les écrits du Talmud. Il paraît évident que tous les registres généalogiques déposés dans le Temple furent détruits par l’ordre du roif. C’est ici un fait remarquable. A toutes ces cruautés les Juifs répondirent par une haine intense qui les poussa à donner au jour de la mort d’Hérode (2 Shebet) la solennité d’une fête annuelle, où toute plainte était absolument interditeg.

d – Dans les anciens itinéraires de Palestine, la longueur du voyage se mesure par les mansiones (quart de la nuit) et mutationes (changement de chevaux). On compte de cinq à huit de ces changements pour le voyage d’un jour.

e – Voyez une scène admirablement décrite par Delitzch, Handwerker-Leben sur Zeit Jesu.

f – Hamburger : Real Encyc, p. II, p. 293. Iost : Gesch. d. Jud., l, p. 324.

g – Voyez The Meg. Taan. ou rouleau des jeûnes XI : I. C. p. sur cette date Derembourg, Hist. de Pal. p. 164, 165, et Gratz, Gesch. des J. III, pp. 426, 427.

Partout, cependant, en Palestine, dans les villes ou à la campagne, sur les routes silencieuses ou peu fréquentées et sur les voies royales, une scène venait frapper l’attention du voyageur, et s’il était d’origine Juive, réveiller sans cesse son indignation et sa haine. Partout, il se heurtait à l’employé bien connu dont la fonction consistait à lever les impôts. Partout, il devait en subir les insolences, les vexations, et les exactions. Par eux-mêmes, ces hommes étaient déjà le symbole frappant de l’assujettissement d’Israël à une domination étrangère. Toutefois, si ce fait soulevait la secrète colère de l’Israélite, il faut chercher ailleurs la cause de la haine violente des Rabbins pour ces fermiers (Mochès), et ces collecteurs des impôts (Gabbaï). Les uns et les autres étaient absolument rejetés du sein de la société Juive. Ce qui les faisait tout particulièrement haïr, c’est qu’ils apportaient, dans l’accomplissement de leurs fonctions, une immoralité qui dénotait l’absence la plus absolue de respect humain, de pudeur, et de conscience. Jamais, depuis leur retour de Babylone, sauf pendant un court intervalle, les Juifs n’avaient été accoutumés à verser l’argent des impôts dans la caisse de l’étranger. Au temps d’Esdras (Esdras 4.13,20 ; 7.24) ils payaient au monarque Persan « le péage, le tribut, et les droits de douane » — middah, belo, et halach — ou plutôt un impôt foncier (impôt sur le revenu et la propriété). Les droits de douane étaient prélevés sur tout ce qui servait à la consommation, ou était importé en Palestine. Les droits perçus sur les routes constituaient les péages.

Sous le règne des Ptolémées, les impôts paraissent avoir été affermés au plus offrant. Le prix variait de 8 à 16 talents. Cette somme, bien faible en réalité, permettait aux fermiers des taxes de la Palestine d’acquérir des richesses immenses. Il avaient cependant à payer des agents nombreux pour les recueillir, et à acheter à prix d’or les faveurs de la cour (Jos. Ant. XII : 4,1,3,4,5). Pendant la domination syrienne, il semble que les impôts ont consisté en un droit sur le sel, un tiers du produit de toutes les semences, la moitié des fruits des arbres, outre un impôt personnel, des droits de douane, et une contribution vaguement désignée sous le nom d’« argent de la couronne » (l’aurum coronarium des Romains). Ce dernier tribut consistait, à l’origine, dans le don annuel d’une couronne d’or. Il fut ensuite acquitté en argent monnayé (Joseph Ant. XII : 3, 3). On pense que, sous les Hérodes, les revenus royaux provenaient de terres appartenant à la couronne, d’une taxe imposée aux biens fonds et au revenu. Ils portaient enfin sur les produits importés ou exportés, aussi bien que sur tout ce qui était vendu ou acheté sur la place publique. A toutes ces taxes ajoutons un impôt perçu sur les maisons de Jérusalem.

Quelque lourd que fût le poids de ces exactions, sur une population comparativement pauvre et composée surtout d’agriculteurs, ces détails ne s’appliquent qu’à la vie civile.

[Dans l’esprit de l’Ancien-Testament, le sol du pays qu’habitait l’Israélite était, aussi bien que tout ce qu’il possédait, la propriété de Jéhovah. Pour graver cette pensée dans son âme, le Juif fidèle devait consacrer à Dieu une portion de chacun de ses biens qui, par ce sacrifice, étaient sanctifiés. C’étaient :
  1. Les premiers nés mâles des hommes et des animaux impurs étaient rachetés. Pour ces derniers, ou en payait la valeur accrue d’un cinquième. Ceux des animaux purs, s’ils étaient sans défaut, étaient immolés le huitième jour en sacrifice de prospérité.
  2. Les prémices du sol et de la toison des brebis, les premières gerbes, les premiers pains étaient offerts à Jéhovah.
  3. La première dîme payée à Dieu (Lévitique 27.30-33) était destinée aux Lévites qui n’avaient pas reçu une portion du territoire dans le partage de la terre sacrée. Ceux-ci en donnaient, à leur tour, la dixième partie aux prêtres. Tous les trois ans, une autre dîme semble avoir été prélevée sur le blé, le vin et l’huile, soit qu’elle remplaçât alors la dîme ordinaire, comme quelques-uns le prétendent, ou qu’elle constituât un nouvel impôt destiné à assurer aux Lévites non seulement le nécessaire, mais aussi un peu de superflu.
  4. Chaque Israélite avait, lors de tous les dénombrements, à payer un demi-sicle en faveur du Temple (Exode 30.12), sorte d’offrande expiatoire destinée à rendre Dieu propice à Israël.
(C. p. Œhler, Theol. de l’A. T. trad. par Rougemont, II : 62-65). (G.R.)]

Chaque ville et chaque communauté percevait des droits particuliers pour l’entretien de la synagogue, des écoles élémentaires, des bains publics, des pauvres, des routes, des murailles et des portes de la cité, ainsi que d’autres objets d’utilité publique. Il faut reconnaître toutefois, que les autorités Juives répartissaient le fardeau des tributs afférents à la cité avec une grande modération et une bonté singulières. Ils appliquaient les revenus qui en résultaient au bien-être de tous d’une manière si large, que les contrées les plus civilisées atteignent difficilement à la sagesse de leur administration. Les règles portées par les Rabbins pour l’éducation, la santé, la charité publiques, étaient, à tous les égards, bien plus avancées que celles des législations modernes. Et, encore ici, prenaient-ils bien soin eux-mêmes de ne pas se charger des fardeaux qu’ils imposaient aux autres. Ils exemptaient, d’une manière expresse, des taxes civiques tous ceux qui se vouaient à l’étude de la loi.

Tout autre était le système Romain qui pesait lourdement sur Israël. Méthodique, cruel, il était sans miséricorde et sans égard pour personne. En général les provinces de l’empire étaient soumises à deux contributions : L’impôt personnel et l’impôt foncier. Toute propriété ou revenu qui ne tombait pas sous le coup du second, relevait de l’impôt personnel. Ce dernier s’élevait pour la Syrie et la Cilicie à un pour cent. Le tribut personnel était déjà double. Il se composait d’une taxe sur le revenu, et du produit de la capitation, qui était naturellement le même dans tous les cas. Il était perçu sur toutes les personnes (libres ou esclaves), depuis l’âge de 12 ans pour les femmes, de 14 ans pour les hommes, jusqu’à 65 ans. Les propriétés immobilières étaient assujetties au versement du dixième de tous les grains, du cinquième du produit du vin et des fruits. On payait une portion en produit naturel, et une autre en argent.

[L’Afrique du Nord (sans y comprendre l’Egypte), fournissait à Rome, par ce moyen, le grain nécessaire pour huit mois de l’année, et la cité d’Alexandrie pour les quatre autres mois. (Guerres Juives : II : 16, 4).]

En outre, des taxes nombreuses venaient frapper tous les produits importés et exportés par toutes les grandes voies de communication, et par les ports de mer. Qu’on y ajoute le péage des ponts, des routes, et de tout ce qui était vendu en public dans les villesh. Ces contributions, que l’on peut appeler régulières étaient indépendantes de toute contribution forcée, et de l’entretien du Procurateur romain, de sa maison et de sa cour à Césarée. Pour éviter toute perte possible au détriment du trésor, le Proconsul de Syrie Quirinus (Cyrenius) avait fait faire un recensement régulier, dont le but était de relever le nombre des habitants et le chiffre de leurs ressources. Aux yeux des Maîtres de la Synagogue, c’était là un crime d’une gravité exceptionnelle. Ils se rappelaient que si un acte semblable avait été considéré comme un forfait très odieux dans les temps passés, le péché serait cent fois plus grand, si le recensement était accompli par des païens et pour leur utilité. Que disons-nous ? La pensée que le tribut apporté jusque-là à Jéhovah seul, devait être maintenant donné à un empereur païen, était, pour eux, un nouveau sujet de scandale. « Est-il permis de payer le tribut à César ? » C’était là une question difficile et douloureuse que maint Israélite s’adressait à lui-même, lorsqu’il déposait le droit de capitation dû à l’empereur, à côté du demi shekel pour le sanctuaire. La conscience protestait en lui, quand il apportait au publicain la dîme de son champ, de sa vigne, de son verger, réclamée par le collecteur des impôts, tandis qu’auparavant ce revenu sacré n’avait été donné qu’au Seigneur. Le but même que l’on poursuivait en soumettant cette question à Jésus-Christ, et qui n’était autre que d’obtenir un motif de le dénoncer au Procurateur, montre combien ce sujet difficile était agité parmi les Juifs patriotes. Qui ne sait qu’il en coûta des rivières de sang, non pour répondre à la question elle-même, mais pour l’étouffer ! Les Romains usaient d’un moyen tout spécial pour percevoir ces tributs. Ils ne les levaient pas directement par le moyen des employés de l’Etat. C’était d’une manière indirecte qu’ils les percevaient. Cette méthode avait l’avantage, au point de vue financier, de préserver le trésor de toute perte, quels que fussent les ennuis qu’elle dut coûter à ceux sur lesquels retombait le poids de ces impositions. Elle rejetait sur eux en même temps la dépense nécessaire pour les recueillir. Défense était faite aux sénateurs et aux magistrats Romains de faire le commerce ou de se livrer à l’industrie. Mais l’ordre le plus élevé, celui des Chevaliers, était composé de grands capitalistes. Ceux-ci s’associaient pour former des compagnies qui achetaient aux enchères publiques les revenus d’une province à un prix déterminé. Le fermage en était accordé en général pour 5 ans. C’était à Rome que le conseil d’administration avait son président, ou magister, et ses bureaux. Ces derniers étaient, en réalité, les Publicani ou publicains. Ils sous-louaient certaines de ces impositions. Pour recueillir les tributs, les Publicani ou leurs sous-locataires, employaient des esclaves ou des personnes de la classe la plus infime, les péagers du Nouveau-Testament. On affermait et on recueillait tous les autres impôts d’une manière semblable. Quelques-uns d’entre eux étaient très onéreux. Ils s’élevaient parfois, comme taxe ad valorem, à une proportion de deux et demi, de cinq, et dans les articles de luxe, de douze et demi pour cent. Les droits sur les ports étaient plus élevés que les impôts ordinaires, et la contrebande ou les fausses déclarations étaient punies par la confiscation des marchandises. C’est ainsi que les publicains percevaient les droits d’importation, d’exportation, de péage sur les ponts, sur les routes, sur les villes, etc. Et si les citoyens débonnaires, les laboureurs, les commerçants, les manufacturiers étaient constamment exposés à leurs exactions, le voyageur, la caravane, le colporteur, les rencontraient à leur tour à chaque pont, sur chaque route, à l’entrée de chaque ville. On devait alors décharger chaque ballot, retourner tout ce qu’il contenait, sens dessus dessous, pour l’examiner. Les lettres mêmes étaient ouvertes. Ne fallait-il pas, en vérité, quelque chose de plus que la patience de l’Oriental, pour supporter leur insolence, et un esprit singulièrement débonnaire pour se soumettre à leurs injustes accusations, lorsqu’ils fixaient d’une manière entièrement arbitraire le rapport de la terre ou du revenu, ou la valeur des biens, etc ? Nul appel possible de leur sentence, bien que la loi l’autorisât, puisque les juges étaient ceux-là mêmes qui bénéficiaient directement des revenus réclamés de la gent corvéable. Les membres du tribunal devant lesquels étaient portées les réclamations de ce genre, appartenaient précisément à l’ordre des chevaliers intéressés au fermage des revenus. Naturellement, la compagnie des Publicains à Rome attendait ses beaux dividendes, les collecteurs d’impôts en faisaient autant dans les provinces, aussi bien que ceux auxquels ils avaient sous-loué ces mêmes taxes. Tous avaient besoin de battre monnaie avec les pauvres populations, sans compter qu’il était nécessaire d’obtenir, en sus de la taxe elle-même, le montant des frais indispensables pour les recueillir.

h – Voyez entre autres Hausrath, Neutest. Zeitgesch. s. 167.

Nous pouvons maintenant comprendre les paroles de Zachée dans l’Évangile. Inspecteur de ces receveurs de contributions dans le district de Jéricho, où les récoltes et les exportations de baume devaient fournir de larges revenus, il pouvait bien dire, en rappelant sa vie passée : « si j’ai dérobé quelque chose à quelqu’un par de fausses accusations » ou plutôt « si, par des moyens illicites, j’ai obtenu des contribuables des impôts qu’ils ne devaient point », je le leur rends au quadruple.

C’est qu’en effet, rien n’était plus ordinaire aux publicains, que de donner une valeur fictive à la propriété ou au revenu d’un Israélite. Ils usaient encore d’une autre tromperie qui consistait à faire l’avance de l’impôt à ceux qui étaient incapables de le payer, et de réclamer ensuite des intérêts usuraires pour la dette privée qu’ils avaient ainsi contractée. On sait avec quelle rigueur se poursuivait le remboursement de semblables créances. Le Nouveau-Testament nous la décrit d’une manière saisissante. La procédure était aussi sommaire qu’impitoyable. L’Évangile de St Mathieu (Matthieu 18.28) nous dépeint le créancier d’une petite dette de cent deniers. Voyez-le traînant son débiteur dans la rue en le tenant à la gorge, et le faisant jeter en prison ! C’est en vain que le pauvre homme, effrayé des conséquences de l’affaire, tombe à ses pieds, le supplie d’avoir patience, et de ne pas exiger immédiatement le paiement de sa dette. Le créancier demeure inexorable. Remarquez, dans la même parabole, la gravité des suites de la procédure. Nous y voyons le roi menacer non seulement de faire vendre tout ce que le débiteur possède, mais de le vendre lui-même, sa femme, et ses enfants qui deviendront ainsi esclaves (v. 25). Quant à ce qu’il a à attendre du magistrat, la procédure rigoureuse qui nous est décrite (Luc 12.58), et qui aboutit à l’emprisonnement prolongé jusqu’au solde du dernier quadrain, nous le dit clairement.

Sans doute, dans la lointaine ville de Rome, Cicéron pouvait décrire les Publicains « comme la fleur de la chevalerie, l’ornement de l’état et la force de la République ». Mais en présence des actes odieux de leurs agents, on peut excuser les Rabbins de Palestine d’avoir ressenti contre eux la plus vive répugnance, ou plutôt la plus vigoureuse animosité. Toutefois c’était dépasser la mesure que de les déclarer incapables de porter témoignage dans un tribunal Juif, ou que de défendre d’accepter leurs dons charitables ou de changer de l’argent à leur trésorerie (Baba, K. : 1). Il y avait abus à les mettre non seulement au rang des prostituées et des païens, mais surtout à celui des voleurs de grande route et des meurtriers (Ned. III : 4). Il n’était pas juste, non plus, de les frapper d’excommunication ; et de déclarer, en même temps, qu’il était permis de leur faire de fausses déclarations, d’user avec eux de mensonges, et d’employer tous les moyens pour éviter de payer les tributs (Ned. 27, 6, 28, a). A l’époque de Jésus-Christ le poids de ces exactions devait être d’autant plus lourd, qu’une grande crise financière se produisit, l’an 33, dans tout l’empire, entraînant dans la banqueroute un grand nombre de capitalistes, et qu’elle dut exercer indirectement une influence désastreuse sur la situation même de la lointaine Palestine.

C’est de tels hommes — Galiléens méprisés, pêcheurs sans lettres, publicains excommuniés, que notre divin Sauveur, durant les jours de son humiliation volontaire, fit ses apôtres particuliers, et ses amis les plus intimes. Quel contraste avec les notions pharisaïques du Messie et de son royaume ! Quelle leçon propre à nous apprendre que ce n’est point par la puissance et par la force, mais par son Esprit que le Seigneur accomplit ses desseins, et qu’il se plaît à choisir les choses viles et méprisées du monde pour confondre les fortes ! Certainement, il y a ici une nouvelle difficulté, un problème plus insurmontable que beaucoup d’autres, pour ceux qui veulent expliquer toutes choses par des causes naturelles. Quelles que soient les louanges qu’ils puissent donner à la supériorité de l’enseignement de Jésus-Christ pour expliquer le succès de son œuvre, nulle religion n’aurait soulevé des difficultés plus insurmontables dans sa marche, nulle cause populaire ne se fût présentée dans des circonstances plus défavorables que l’Évangile du Sauveur aux Juifs de la Palestine. A ce point de vue même, il n’y a, pour le penseur érudit qui s’est familiarisé avec la vie intérieure et extérieure des hommes de cette période, qu’une seule explication capable de rendre raison de l’établissement du royaume de Christ, c’est celle de la puissance de l’Esprit-Saint !

[On connaît ce proverbe Juif, expression du dégoût et de la haine qu’inspire le publicain. « Ne prends pas une femme dans la famille d’un péager, car ils sont tous des publicains ». Les Gentils n’avaient pas d’eux une opinion meilleure. A la question de savoir quelle est l’espèce la plus méchante des bêtes fauves, Théocrite répond : « Sur les montagnes ce sont les ours et les lions ; dans les villes, les publicains et les gens de chicane ». (Far. p. 88). (G.R.)]

Mathieu Lévi était un employé d’un bureau des douanes, lorsque la voix du Seigneur retentit dans le sanctuaire le plus secret de son âme, et le somma d’entreprendre une œuvre bien différente de celle à laquelle il avait voué sa vie. Chose merveilleuse. Le saint a parlé à un être aussi indigne ! et sa voix avait un accent si différent de celle des hommes qui jusqu’alors avait frappé son oreille ! Ce n’était pas là seulement un acte de condescendance, de bonté, de compassion, ou même de bienveillance pour un homme habituellement considéré comme un paria. Non, Jésus l’a convié à la communion la plus étroite avec lui. Il veut le recevoir dans le cercle le plus intime de ses amis ; il appelle Lévi à l’œuvre la plus haute et la plus sainte. C’en est fait. La route bruyante près de laquelle il était assis pour recevoir les impôts ne reverra plus le visage bien connu de Lévi le publicain. S’il y revient, ce sera sous l’image d’un messager de paix, apportant de divines nouvelles, sources d’une joie immense pour le monde racheté !

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