- Article I. De la norme de la dogmatique.
- Article II. De la méthode de la dogmatique.
- Article III. Du rang de la dogmatique dans l’ensemble des disciplines théologiques.
Le résultat supposé acquis de l’apologétique chrétienne, c’est que le christianisme étant la suprême révélation de la vérité absolue, la norme de la vérité chrétienne sera reconnue par là même pour la norme de toute vérité religieuse et morale ; c’est-à-dire que tout élément exclu par la donnée chrétienne authentique, le sera par là même de toute religion et de toute morale véritable.
Or il résulte de notre précédente discussion que si la norme de la connaissance chrétienne ne peut se trouver ni dans la tradition, ni dans l’expérience chrétienne, elle ne saurait être cherchée que dans la donnée du christianisme originel ; et il ne reste plus qu’à nous demander quel en est le document authentique pour l’Eglise et la science contemporaine.
Dès les premiers temps de l’Eglise, la lutte avec les hérésies diverses qui surgirent de toutes parts, obligèrent les Pères à s’enquérir d’une norme ou regula fidei à opposer aux falsifications de la vérité chrétienne ou des opinions qu’ils identifiaient avec elle ; et de bonne heure aussi, cette norme apparut sous les deux formes distinctes de la tradition orale et de la tradition écrite (ἔγγραφος ἅγραφος). Tant que le souvenir des apôtres et de leurs enseignements était encore frais et vivant dans l’Eglise, ces deux normes pouvaient sans inconvénient passer pour équivalentes l’une à l’autre, comme ce fut le cas chez Ignace, Polycarpe et Papias. Chez Irénée et Tertullien encore, le consentement de l’Eglise est tenu pour regula fidei, κανὼν τῆς πίστεως, en regard des déviations des sectes hérétiques, tandis que Cyprien et l’école d’Afrique commencèrent à opposer l’autorité de l’Ecriture à celle de la traditioni.
i – Voir Hase. Ev. prot. Dogmatik, page 335.
La Réformation fut un retour décisif à l’Ecriture, qui dès lors fut appelée dans la dogmatique protestante : regula fidei, sous la réserve qu’elle serait interprétée selon l’analogie de la foi (Rom.12.6), c’est-à-dire que les textes dont le sens était difficile à découvrir ou contestable, devaient être interprétés selon l’analogie universellement admise des textes fondamentaux.
L’excellence du critère admis par la dogmatique protestante depuis la Réformation, selon lequel l’Ecriture sainte est et doit rester la règle suprême comme la source de la croyance et de la connaissance chrétiennes, résulte du fait incontestable que l’Ancien et le Nouveau Testament sont les seuls documents authentiques qui nous aient été conservés des révélations divines actuelles et verbales comprises dans la préparation du salut en Israël et dans son accomplissement en Jésus-Christ.
La méthode de la dogmatique, comme celle de la Théologie systématique en général, peut être qualifiée : analytique-téléologique, en ce sens qu’après avoir décrit, « analysé » les actes accomplis par Dieu au cours de ses révélations, notre discipline rapporte tous ces faits à la synthèse finale vers laquelle ils convergent selon un plan divinement conçu et divinement conduit. Or cette synthèse finale du plan de Dieu est l’accomplissement en Jésus-Christ du salut de l’humanité déchue.
Nous avons constaté d’ailleurs que ces deux procédés, que nous pouvons désigner d’une manière plus générale encore comme le procédé empirique et le procédé synthétique, ne sont pas propres à la dogmatique ou à la Théologie systématique seulement, mais à toute science et à tout domaine où s’exerce une activité scientifique.
Nous ajoutons que dans la dogmatique du moins et dans la Théologie systématique, ces deux opérations ne sont pas successives mais simultanées, qu’elles se pénètrent l’une l’autre, en ce que l’unité de principe qui doit s’exprimer dans l’ordonnance de la matière, domine en même temps la tractation de chaque article particulier.
La Théologie systématique, dont la dogmatique fait partie, occupe selon nous le second rang dans la généalogie des disciplines théologiques, que nous avons établie comme suitj :
j – La place que nous assignons à la dogmatique avant et non après la Théologie historique, à l’encontre de la plupart des théologiens contemporains, résulte de la conception de l’objet de la dogmatique exposée plus haut.
Premier groupe comprenant les disciplines se rapportant au fait primitif du christianisme et aux documents relatifs à ce fait :
Etudes analytiques : Exégèse.
- Théologie biblique
- Théologie systématique.
Deuxième groupe, comprenant les disciplines théologiques se rapportant aux réalisations successives du fait chrétien :
- Théologie historique.
- Théologie pratique.
La dogmatique forme la première partie de la Théologie systématique, dont la Morale ou éthique forme la seconde.
Si la dogmatique traite des actes divins accomplis dans l’œuvre passée, présente et future du salut, la Morale ou éthique chrétienne traitera des actes ou de l’activité humaine qui, sous la forme de l’initiative individuelle, doivent incessamment répondre à ces actes divins une fois certifiés. Ces deux disciplines se distinguent nettement l’une de l’autre en ce que la dogmatique a le caractère descriptif, tandis que celui de la Morale ou de l’éthique est impératif ou optatif. L’une traite de choses qui sont, furent, ou seront ; l’autre de la chose qui doit être, abstraction faite de sa réalisation effective. L’objet de l’une est divin et objectif, effectif par conséquent ; l’objet de l’autre est humain, individuel et éventuel.
Nous n’avons pu nous rendre à la critique qui nous a été adressée par M. le professeur Bois au sujet de la distinction de la dogmatique et de la Morale que nous avons tentée dans notre Méthodologie. Notre éminent contradicteur voit dans notre tentative, comme d’ailleurs dans toute autre du même genre « le caractère de la rupture violente d’un tout organique et unk ». Il estime que cette séparation de l’homme et de Dieu « est une supposition absolument contraire à l’essence du christianisme, qui a pour but d’opérer la réconciliation de l’homme avec Dieu, et qui se réalise tout entière et parfaitement dans le Christ-homme ». M. Bois prétend enfin que notre définition prise rigoureusement ne laisserait à la dogmatique que l’article de la création, et que tout le reste devrait passer à la Morale.
k – Revue théologique, 13e année. n° 1, page 33.
Nous avons cru pouvoir répondrel que le caractère impératif que nous assignons à la Morale pour la différencier de la dogmatique, en excluait du coup la sotériologie et l’eschatologie aussi bien que la cosmologie ; et si nous avons distingué « les faits purement et simplement objectifs, réalisés sans aucun concours et sans l’intervention du facteur humain » de ceux où le « facteur humain, réduit même aux plus minimes proportions, concourt avec le facteur divin, » c’est du facteur individuel que nous avons entendu parler, et tel qu’il se réalise, doit ou devrait se réaliser incessamment à travers les économies de l’histoire.
l – Revue théologique no 3.
Nous avons constaté, en revanche, avec plaisir que M. Daubenton nous avait donné raison sur ce point dans l’article qu’il a consacré à notre ouvrage dans les Études théologiques de Hollande, année 1886.