Lucile à l’Abbé Favien
Que béni soit le jour où le ciel m’inspira la pensée de vous écrire ! Vous avez dissipé toutes mes incertitudes. Il me semble qu’un ministre de Dieu ne doit pas avoir de satisfaction plus grande que de ramener au bercail une brebis perdue. Eh bien ! Monsieur, je suis cette brebis, et c’est vous qui l’avez ramenée. Vous avez commencé du moins cette bonne œuvre, et je compte encore sur vous pour y mettre la dernière main.
J’ai reçu hier le paquet que vous avez eu l’obligeance de m’envoyer, avez la note qui l’accompagnait. J’accepte avec reconnaissance les Pensées de Pascal, et j’y ai déjà lu quelques-uns des endroits que vous m’indiquez. Cela est bien beau et bien fort. Mais comment vous dire surtout le plaisir que m’a fait votre manuscrit ? C’est une bonne et charitable idée que d’avoir mis par écrit les deux entretiens que nous avons eus ensemble ; et vous l’avez fait avez tant de naturel, que j’y crois être encore en vous lisant.
J’ai repassé avec un nouvel intérêt sur toute la suite de vos raisonnements ; et si j’avais pu craindre, en vous les entendant développer, la séduction de votre éloquence, j’ai pu me convaincre, en les étudiant à loisir, que cette éloquence est celle de la raison et que la solidité de vos preuves justifie la ferveur de votre foi. L’esprit et le cœur sont également pour l’Évangile, et je ne doute plus aujourd’hui que Jésus-Christ ne soit le Fils de Dieu, ni que l’Écriture sainte ne soit un livre inspiré.
Je ne saurais vous exprimer, Monsieur, combien je suis heureuse de cette persuasion. J’entrevois une lumière nouvelle ; je pressens une nouvelle vie. Quelque chose de sérieux et de profond va donc succéder à ces intérêts futiles qui m’ont seuls préoccupée jusqu’à présent ! J’ai entendu dire un jour à un homme pieux : « Il y a dans notre cœur une place vide que Dieu seul peut remplir ; » il me semble que je suis près d’en faire l’expérience. Ce n’est pas que l’avenir m’apparaisse semé de roses : je m’attends à des combats, à des sacrifices ; et pourtant cette perspective ne m’effraye point. Je commence aussi à me sentir mal avec moi-même ; je démêle insensiblement dans ma vie, dans mon cœur, des choses qui ne sont pas bien et qui doivent déplaire à Dieu. Mais si Dieu me fait voir le besoin que j’ai de lui, ce n’est sûrement pas pour me rejeter. Parmi toutes les pensées qui m’agitent, je trouve une consolation inexprimable à me dire : Dieu a parlé. Que me faut-il de plus ? Dieu a parlé, qu’ai-je à faire que de l’écouter et de le suivre ?
O vous ! qui m’avez appris à discerner sa voix, fournissez-moi encore les moyens de l’entendre, cette voix divine à laquelle j’ouvre d’avance tout mon cœur. Les fragments de la Bible que j’ai dans mon Manuel ne me suffisent plus. Je veux voir les Écritures inspirées, de Dieu dans leur ensemble, et dans cette belle harmonie que vous avez si bien dépeinte. Procurez-moi une Bible, Monsieur l’Abbé ; il me tarde de l’avoir, de la lire, de me livrer à cette sainte étude.
J’aurais pu l’acheter de quelqu’un de ces marchands ambulants qui la colportent dans nos campagnes depuis un an ou deux. Mais, bien qu’ils nous offrent des versions catholiques, notre curé nous a exhortés en chaire à ne pas la prendre, Il prétend que ce n’est pas la vraie Parole de Dieu : on y a fait, s’il faut l’en croire, des altérations notables, et l’on a osé même en retrancher des livres entiers. Je sais bien que le pauvre homme ne mérite pas une confiance sans bornes ; mais enfin il peut avoir raison, et je tremble à la seule pensée de prendre pour guide un livre auquel une main impie aurait changé la moindre chose. J’aime mieux différer un peu de posséder les saintes Écritures, pour les tenir de votre main.
Je ne veux pas finir ma lettre sans vous dire un mot de mon mari. Vous avez certainement fait une grande, impression sur son esprit. Depuis votre visite, je ne l’ai pas entendu plaisanter une seule fois de la religion. Il a lu attentivement votre manuscrit, et son intention est toujours de faire des recherches sur le christianisme. Je vois cependant avec quelque inquiétude qu’il remet d’un jour à l’autre à les commencer.