Les grands hommes, on en a fait la remarque, doivent beaucoup à l'éducation première qu'ils ont reçue de leur mère, et il en est bien ainsi du sâdhou Sundar Singh. Non seulement il accompagnait sa mère au temple dès sa plus tendre enfance, mais elle sut lui inculquer la conviction que la religion est l'intérêt suprême de la vie. Il la voyait pleine de vénération pour les saints hommes qu'elle allait souvent consulter, et il en vint très tôt à considérer la vie de sâdhou comme la seule digne d'être vécue.
Sa pieuse mère lui apprit aussi qu'il existait une paix du cœur, la « shanti », qu'on ne peut acquérir sans la rechercher avec persévérance mais qui, une fois trouvée, est le plus précieux trésor du monde. Et son désir de la posséder alla grandissant. Lui qui, petit enfant, avait « touché de son front la porte du temple » et s'était assis aux pieds des saints hommes de l'Inde, le voici qui se met en quête de cet inestimable trésor...
Il commence par lire et étudier le « Granth » des Sikhs, les livres sacrés des Hindous, voire même le Coran. Il lui arriva plus d'une fois de rester penché sur ces pages saintes pendant que les siens dormaient. Il en apprenait par cœur maints passages, sans toutefois aboutir à autre chose qu'à accroître le trouble de son âme.
Les prêtres du temple, les sâdhous qu'il voyait souvent, même sa pieuse mère, ne parvinrent pas à lui procurer le repos du cœur au moyen des nombreux passages de leurs livres sacrés qu'ils lui citaient. Il en était là lorsqu'il fut envoyé à l'école de la mission presbytérienne américaine du village. On y lisait et expliquait la Bible chaque jour, et Sundar entendit ainsi des choses qui éveillèrent dans son esprit les sentiments les plus contradictoires.
La première fois qu'on lui dit de lire la Bible, son sang de Sikh bouillonna : « Lire la Bible ? Pourquoi donc ? Nous sommes Sikhs, c'est le Granth qui est notre livre sacré. » Mais, avec un camarade de même rang, il finit par se laisser persuader d'obéir à la règle de l'école ; il acheta même un Nouveau Testament et se mit à le lire. Son horreur ne fit que croître quand il s'aperçut que l'enseignement de la Bible bouleversait de fond en comble tout ce qu'il avait appris dès son enfance. Sa vénération innée et presque fanatique pour sa religion le mit dans un état indescriptible. Il fut bientôt à la tête de la bande écolière des adversaires du christianisme. Il déchira ostensiblement les pages haïes de son Nouveau Testament et les jeta au feu.
Quand son père l'apprit, il essaya de raisonner avec lui, assurant que la Bible était un bon livre, et ajoutant qu'il aurait dû la rendre au missionnaire plutôt que de la traiter de cette façon.
Là dessus Sundar revint à ses livres sacrés, le cœur plein de haine pour Christ et plus résolu que jamais à trouver cette paix dont lui avait parlé sa mère.
On le retira de l'école de la Mission pour l'envoyer a celle du gouvernement, à une heure de marche de chez lui. Cette longue marche sous le soleil torride ne tarda pas à nuire à sa santé, et il devint bientôt évident qu'il lui faudrait retourner à l'école de la Mission s'il voulait achever son éducation.
Il ne cessait toutefois de chercher la paix, son cœur soupirait sans cesse après la « shanti », à la fois paix du cœur et pleine satisfaction de l'âme. Mais plus il soupirait, plus il souffrait de ses perpétuelles désillusions.
De retour à l'école de la Mission, Sundar se retrouva l'Évangile à la main, obligé d'entendre chaque jour cet enseignement biblique. Sa haine aussitôt de se réveiller, au point qu'il ne pouvait plus entendre sans colère le nom de Christ. Telle était la violence de ce sentiment qu'un jour, l'ombre d'un missionnaire l'ayant frôlé, il mit une heure entière à se laver et se purifier de cette souillure.
Il parle de cette époque de sa vie comme d'un temps des plus douloureux, parce qu'il en était venu d'une part à constater la totale impuissance de sa religion, tandis que d'autre part sa haine du christianisme l'empêchait de chercher dans l'Évangile « la perle de grand prix ».
Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice car ils seront rassasiés. (Matt. 5.6)
Venez à moi... et je vous donnerai du repos. (Matt. 11.28)
Jusqu'ici, Dieu avait mené Sundar par un chemin qu'il ne connaissait point et qui semblait ne le conduire que dans une nuit plus noire. Après avoir étudié ligne après ligne toutes les religions qu'il connaissait, après avoir écouté tout ce que de nombreux maîtres avaient à dire, il éprouvait un besoin toujours plus pressant de trouver à tout prix cette « shanti » désirée.
C'est alors que, dans le silence du sanctuaire de son propre cœur, surgit enfin la pensée qu'il trouverait peut-être quelque clarté dans ce livre méprisé qu'il avait détruit avec tant de fureur, et il reprit la lecture du Nouveau Testament... Dans l'angoisse qui le torturait et le désespoir qui le labourait, il lut : « Venez à moi... et je vous donnerai du repos. » Son attention éveillée par ces mots, il poursuivit sa lecture avec un intérêt croissant. L'histoire de la croix le plongea dans l'émerveillement. Il ne pouvait plus maintenant faire chorus avec les railleurs. Il s'entretenait parfois avec le maître, tout tranquillement. On le remarqua, on en fit part à son père, mais celui-ci ne s'en émut point : sa mère l'avait trop solidement ancré dans la religion des Sikhs.
Le levain de l'Évangile était entré dans son cœur, et lorsqu'il arriva à la grande nouvelle que « Dieu a tant aimé le monde qu'Il a donné son Fils unique afin que quiconque croit en Lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle », ce fut déjà comme un baume consolateur sur la plaie de son âme. Cependant, il était trop angoissé pour trouver aussitôt le repos et une fois encore il jeta la Bible au feu. Il sentit enfin qu'il fallait mettre un terme à cette lutte. Il résolut donc, un soir, de trouver la paix avant le jour, coûte que coûte, dans ce monde ou dans l'autre. Il savait qu'à cinq heures du matin, l'express de Ludhiana passait au fond du jardin, et sa conscience d'enfant hindou ne lui interdisait point de mettre fin à sa misère...
Réveillé avant 3 heures, il se baigna d'abord, à la mode hindoue, puis il se retira dans sa chambre, décidé à passer le reste de la nuit dans la prière. Un peu avant l'aube, Sundar eut l'impression qu'une nuée lumineuse remplissait la chambre ; il vit, dans cette nuée, la radieuse figure de Christ et entendit sa voix lui parler avec amour. A ce moment, jaillit dans son cœur cette grande « shanti » si longtemps cherchée.
La vision s'évanouit, mais depuis ce moment-là, Christ est resté avec lui, et la « shanti » a été dès lors son trésor le plus précieux.
Le cœur débordant de joie, Sundar alla dans la chambre de son père et lui annonça qu'il était chrétien. Le père, ne pouvant croire que la chose fût sérieuse, l'envoya se coucher et se rendormit. Mais en cette nuit mémorable, Sundar avait entendu l'appel de Jésus couronné d'épines, l'engageant à suivre ses traces ; dès lors, parler du Christ vivant reste son thème préféré, jusqu'au jour où il sera amené en présence de son Sauveur pour l'éternité.
L'homme aura pour ennemis ceux de sa propre maison. (Matt. 10.36)
Car il vous a été fait la grâce, par rapport à Christ, non seulement de croire en lui, mais aussi de souffrir pour lui. (Phil. 1.29)
Je regarde toutes choses comme une perte... afin de Le connaître... et la communion de ses souffrances. (Phil. 3.8-10)
Les neuf mois qui suivirent, et qu'il passa encore dans la maison paternelle, ne furent que chagrin sur chagrin, douleur sur douleur ; il eut à boire la coupe amère jusqu'à la lie.
Les membres de sa famille trouvèrent odieux qu'il eût choisi Jésus pour Maître. Ils ne pouvaient admettre que l'un d'eux, appartenant à une famille aussi fière et influente, pût rêver de faire partie de cette secte méprisée des chrétiens.
Le père, dans une conversation sérieuse et pleine de tendresse, supplia son fils de mettre de côté des idées aussi déshonorantes et insensées, de se rappeler sa situation et l'avenir qu'il avait devant lui. Il fit passer devant les yeux de Sundar des visions de richesses et d'honneurs, de brillantes positions ; puis, voyant le peu de résultat qu'il obtenait, il lui représenta la honte que ce serait pour sa famille s'il persistait dans sa résolution. Le père connaissait le cœur de son fils, son affection pour sa mère et tous les siens.
Personne, sinon Sundar Singh lui-même, ne pourra dire les affreuses tentations qu'il eut à supporter à ce moment-là. Quelle angoisse dans son âme à l'idée qu'il attirerait le blâme sur ceux qu' il aimait ! il vit, étalés devant lui, les tentations, les ambitions comme le faste du monde et sentit une fois de plus la force séductrice des attraits et de l'amour terrestres.
Mais Dieu n'avait pas retiré Sundar du désespoir et de la nuit pour le laisser devenir la proie des tentations. Il lui sembla que Jésus murmurait à son oreille : « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi, et celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas, n'est pas digne de moi. » Quand il vit les larmes de son père, il sentit son cœur se déchirer ; cependant, tout en protestant de son amour filial, il reçut d'en haut la force de parler de l'amour plus grand encore qu'il avait voué à Celui qui lui avait ordonné de Le suivre, et auquel il ne pouvait désobéir.
Des scènes aussi tragiques ne peuvent se décrire tout au long.
Quand on vit Sundar absolument décidé à suivre Christ, on fit encore une tentative suprême pour le ressaisir et le ramener à son ancienne croyance. Un oncle, très riche et honoré, l'emmena un jour dans son immense demeure et le conduisit dans une cave profonde sous le bâtiment principal. Après l'avoir fait entrer, l'oncle referma la porte sur eux deux et Sundar se demandait déjà si sa dernière heure était venue, lorsque l'oncle s'avança, prit une clef, et ouvrit un grand coffre-fort. Une fois la porte ouverte, le jeune garçon put voir des richesses telles qu'il n'en aurait jamais rêvé de pareilles. Il y avait des liasses de billets de banque, des bijoux d'un prix infini et de l'argent en quantité. Son oncle le supplia de ne pas déshonorer le nom de la famille en devenant un chrétien ; et, ôtant son puggaree de sa propre tête, il le déposa sur les pieds de Sundar comme la dernière et la plus humble des supplications, en disant : « Tout ceci sera à toi si tu restes des nôtres. »
Sundar se sentit fortement tenté, car non seulement ses yeux étaient éblouis par tant de richesses, mais son cœur était douloureusement ému de voir son oncle condescendre à s'humilier de la sorte devant le plus jeune fils de la famille. Ses yeux se remplirent de larmes, tandis qu'il regardait le puggaree posé sur ses pieds, représentant l'opprobre qu'il attirait sur ceux qu'il chérissait, et son oncle vénéré nu-tête devant lui.
Mais, à ce moment précis, son cœur se trouva rempli d'un tel amour, d'un tel dévouement pour Christ, que le refus vint aisément à ses lèvres, et en même temps il eut un tel sentiment de l'approbation divine et de l'acceptation de son Sauveur bien-aimé, que sa sainte résolution de Le suivre en fut aussitôt puissamment fortifiée.
Après cela, son père lui déclara catégoriquement qu'il n'était plus de la famille, mais un « hors caste ».
Sundar et un camarade Sikh avaient tous deux trouvé Christ et le confessèrent dans leur famille. Les parents de l'ami de Sundar intentèrent un procès aux missionnaires américains, les accusant d'avoir usé de contrainte sur leur garçon. Amené devant le juge, celui-ci rendit vaillamment témoignage de sa foi ; questionné, il tira de sa poche son Nouveau Testament et répondit en le montrant, la main tendue : « Ce n'est pas ce que m'a dit le Padri Sahib, c'est la lecture de cet Ingil qui m'a fait croire en Christ ; ainsi, laissez aller le Padri Sahib. » L'accusation tombait, mais pendant un temps Sundar et son ami furent obligés de rester avec leurs familles jusqu'à ce qu'ils fussent en âge de faire le pas décisif qui devait avoir pour eux de telles conséquences.
Il est facile de comprendre comment l'attitude résolue de ce jeune garçon devait soulever contre lui l'hostilité la plus acerbe de la part des siens. Son pire ennemi fut son propre frère, qui se mit à le persécuter journellement et à le faire amèrement souffrir. Nul propos ne lui semblait trop méprisant pour cet apostat et pour son « Jésus » ; aussi devait-il se cacher et user de mille précautions pour lire son précieux Testament.
Il fut naturellement retiré de l'école de la Mission, qui dut se fermer d'ailleurs à cause de la persécution. L'hostilité devint même telle dans le village que la petite communauté chrétienne, ne pouvant plus rien acheter dans les magasins, dut se transporter dans un endroit plus accueillant, laissant Sundar seul et sans un ami.
Comme l'orage allait grandissant, Sundar comprit qu'il lui devenait impossible de rester dans la maison paternelle, et il finit par se réfugier au Quartier général de la Mission presbytérienne américaine, à Ludhiana, où il trouva l'accueil le plus affectueux. On prit des mesures spéciales pour la préparation de ses aliments, afin de prévenir des réclamations de la part des siens, et Sundar entra à l'école supérieure pour continuer ses études.
Il se faisait une idée très élevée de ce que doit être un chrétien, et il s'aperçut bientôt que la plupart de ses camarades n'étaient chrétiens que de nom. La conduite de certains d'entre eux le décida même à quitter la mission et à s'en retourner chez lui. Ses parents crurent naturellement, en le voyant revenir à Rampur, qu'il avait abandonné le christianisme et ils l'accueillirent avec bonté. Mais ils furent bientôt désillusionnés : il était plus décidé que jamais à suivre Jésus.
C'est alors qu'il fit le pas décisif qui allait rompre les derniers liens qui pouvaient encore le rattacher aux siens et à leur religion : il coupa sa longue chevelure, montrant ainsi qu'il n'était désormais plus un Sikh. Le Granth, leur livre sacré, interdit aux Sikhs de se couper les cheveux, de sorte qu'un vrai Sikh met sa gloire dans sa longue chevelure. Parmi les races diverses de l'Inde, la longue touffe de cheveux est entourée d'un respect tout particulier ; aussi est-ce la dernière trace d'hindouisme dont se défait un homme attaché à sa caste en devenant chrétien.
En se coupant les cheveux, Sundar prononçait contre lui-même une sentence d'ostracisme et se déclarait du même coup disciple de Christ, se chargeant de sa croix. Il attirait ainsi sur lui l'opprobre suprême : renié par les siens, rejeté, hors caste, traité comme le dernier des derniers, et cela par ceux qui le chérissaient le plus. « Nous sommes devenus les balayures du monde », disait l'apôtre Paul et après lui, maintenant, ce garçon de seize ans, qui ne s'était pas encore donné comme vraiment chrétien !
Dès lors on ne le regarde plus comme de la famille. On lui sert ses repas hors de la maison comme à un paria ou à un pestiféré, et c'est là aussi qu'il lui faut dormir. La première fois qu'il dut subir ce traitement, ses yeux s'emplirent de larmes la croix lui semblait vraiment trop lourde.
Peu de temps après, un de ses beaux-frères, au service du Raja de l'État de Nabha, l'emmena chez lui pour un jour ou deux, dans l'espoir de le faire changer d'avis. C'est alors que le Raja entendit parler de l'affaire et assigna Sundar à comparaître devant le Durbar, ou l'assemblée de l'État, pour y rendre compte de sa conduite. En termes des plus persuasifs, le Raja lui fit des offres fort alléchantes, y joignit un appel austère à son orgueil de race, lui rappelant qu'il était un Singh (un lion) et que devenir chrétien c'était devenir un chien. Sa réponse, quelle qu'elle ait été, lui fut « donnée à l'heure même », et ni raisonnements, ni appels, ni séductions ne purent ébranler sa résolution.
A son retour chez lui, toute la colère amassée dans le cœur de son père se déversa sur lui : le pauvre garçon fut maudit, renié, et averti qu'il aurait à quitter la maison de ses pères pour jamais dès le lendemain matin.
Il se coucha donc ce soir-là pour la dernière fois sous la vérandah paternelle, le cœur saignant. Il fut expulsé à l'aube du lendemain, sans autre chose que les minces vêtements qu'il portait et juste assez d'argent pour prendre le train jusqu'à Patiala.
Il s'en alla ainsi dans le vaste monde, dépouillé de tout, sans foyer, sans ami.
J'ai pris ma croix pour te suivre,
O Jésus, pour être à toi.
Privé de tout, comment vivre ?...
Mais tu seras tout pour moi.
Tu as été appelé, et... tu as fait une belle confession en présence d'un grand nombre de témoins (I Tim. 6.12).
Une fois dans le vagon, Sundar se rappela qu'il y avait à Ropur une petite colonie de chrétiens, dont quelques-uns étaient même des réchappés de Rampur. Il y descendit donc et s'en alla tout droit chez l'excellent pasteur hindou de l'endroit. Direction providentielle, car tôt après il tomba gravement malade, et il fallut chercher un médecin ; on avait mis un poison mortel dans le dernier repas qu'il avait pris chez lui, dans l'espoir qu'il mourrait dans le train !
La femme du pasteur ne quitta pas son chevet de la nuit, le médecin ayant déclaré le cas désespéré et ayant promis de revenir le matin pour les funérailles...
Sundar souffrait atrocement, perdant rapidement son sang et ses forces. Toutefois, convaincu que Dieu ne l'avait pas arraché aux ténèbres pour le laisser mourir avant qu'il eût pu rendre témoignage de sa foi, il se mit à prier, avec le peu de forces qui lui restaient.
Le matin venu, il était encore là, quoique extrêmement faible. Le médecin fut tellement émerveillé de le retrouver vivant qu'il emporta un Nouveau Testament pour l'étudier. C'est ainsi qu'il est devenu un croyant, et qu'aujourd'hui il est à l'œuvre comme missionnaire en Birmanie.
L'ami de Sundar passa par des expériences semblables. Mais, tandis que Sundar était encore entre la vie et la mort, son ami, empoisonné aussi, était rappelé dans la présence de son Rédempteur, pour être « avec le Seigneur à jamais », après avoir pu donner son témoignage bien court, mais combien héroïque !
Dès que Sundar fut en état de supporter le voyage, il retourna à Ludhiana se placer sous les soins bienveillants des missionnaires américains.
Tant qu'il y fut, ses parents firent plusieurs tentatives d'enlèvement, une fois même de vive force, tellement qu'il fallut faire intervenir la police.
La tentative la plus douloureuse pour Sundar fut celle que fit son vieux père, venu pour lui adresser un dernier appel. La vue de ce pauvre père aux traits ravagés par le chagrin lui fit une impression profonde, et comme le vieillard lui parlait du tendre amour de sa mère et des jours heureux de son enfance, un rapide panorama passa devant son imagination, lui retraçant tout le bonheur de la vie de famille, du chez-soi, de l'amour dont il avait joui ; ses larmes jaillirent et un violent combat s'engagea dans son cœur... Mais il ne se trouva pas seul pour combattre, il y en eut Un qui se tint à son côté pour fortifier la résolution de son âme et l'aider à se charger de sa croix pour Le suivre.
Quand son père reprit le chemin de la maison, le dernier grand sacrifice était fait et Sundar se trouvait, comme aujourd'hui encore, dépouillé de tout ce que peut offrir la vie, mais accepté par son Seigneur.
Ces longs mois d'épreuves de tout genre avaient été l'effort suprême de l'ennemi, et chaque souffrance nouvelle ne pouvait plus qu'ajouter un peu de douceur et de fermeté à son caractère.
On jugea toutefois nécessaire de le mettre à l'abri des attaques perfides de ses ennemis, et on l'envoya à la Mission médicale américaine de Sabathu, petite localité à 36 kilomètres de Simla, pour qu'il pût se plonger sans distraction dans l'étude de son cher Nouveau Testament.
Dégagé de tous liens terrestres, il désirait ardemment confesser sa foi par le baptême. Après l'avoir demandé à réitérées plusieurs fois, il obtint enfin d'être baptisé le jour même de son seizième anniversaire, le 3 septembre 1905, à Simla.
Il retourna dès le lendemain à Sabathu, le cœur débordant d'allégresse à la pensée qu'il était « enseveli avec Lui par le baptême..., et ressuscité avec Lui par la foi. » (Col. 2.12.) Toutes les pénibles luttes des mois écoulés s'effaçaient devant cette joie nouvelle de porter le nom du Maître bien-aimé pour qui il avait déjà tant souffert.
Son cœur dès lors brûla du désir de faire connaître à d'autres le Sauveur à qui il s'était donné, et ses regards se portèrent sur la grande œuvre à laquelle il allait vouer sa vie. Le jour était venu enfin où il pouvait s'abandonner corps et âme à Jésus-Christ : dès longtemps il se sentait attiré par la vie de sâdhou, et bien qu'il sût tout ce qu'impliquait ce genre de vie, le sacrifice était fait.
Après avoir disposé de ses livres et de ses effets personnels – ce ne fut pas long – le 6 octobre 1905, trente-trois jours après son baptême, il adopta la simple robe de safran qui allait pour jamais faire de lui un homme voué à une existence de religieux. Pieds nus, sans rien pour vivre, son Nouveau Testament à la main, son Seigneur à son côté, le sâdhou Sundar Singh partit pour sa campagne d'évangélisation qui dure encore...