L’authenticité de la lettre de Clément de Rome étant reconnue, le temps où elle fut composée se trouve ramené entre des limites fort étroites. Il est naturel de supposer que l’épître date non des années où Clément était seulement un presbytre notable de l’Église de Rome mais de celles où il exerçait la charge de l’épiscopat. Or ces années sont approximativement de 92 à 101.
Cependant, sans rien faire dépendre de l’existence de l’épiscopat monarchique à Rome, il est possible de chercher dans l’épître elle-même les précisions utiles quant à l’époque où elle fut rédigée. Les allusions qu’elle renferme à des faits connus de l’histoire permettraient de la situer dans les dernières années du premier siècle, alors même qu’on en restituerait la composition à quelque scribe inconnu de l’Église romaine,
L’opinion de quelques critiques essayant de reculer la date de l’épître assez tard dans le règne de Trajan ou même d’Hadrien est démontrée fausse par le fait que l’épître était entre les mains de saint Polycarpe aux environs de l’an 110 ou bien peu de temps après.
Des critiques beaucoup plus nombreux et plus graves ont au contraire fait remonter la composition de la lettre jusqu’à la fin du règne de Néron, aux environs des années 64-68. L’auteur écrit, sans aucun doute, au sortir d’une persécution dont « les malheurs et les calamités soudaines » l’ont empêché quelque temps de « prêter attention à l’exécrable sédition » (1.1) qui est en train de ruiner le renom de l’Église de Corinthe. Mais tous les traits qui suivent, bien loin de convenir au temps de Néron, s’appliquent au contraire excellemment à celui de Domitien (81-96). Il est vrai que lorsqu’il vient à parler des apôtres Pierre et Paul, « athlètes tout récents, et nobles exemples de notre génération » (5.1), il semble que les apôtres viennent à peine de périr. En réalité, ils ne paraissent si récents à l’écrivain que par comparaison avec les personnages de l’Ancien Testament : Caïn, Abel, Moïse, Aaron, David, qu’il vient de rappeler (ch. 4) ; mais il est évident par plusieurs endroits de l’épître que la mort des apôtres, bien qu’elle compte encore des témoins vivants à Rome, et parmi eux l’auteur tout le premier, subit déjà l’effet d’un certain recul : de leur vivant, les apôtres avaient institué des évêques et des diacres (42.4), et l’auteur de la lettre a déjà vu succéder d’autres évêques et diacres à ces premiers successeurs des apôtres (44.2-3). Est-ce trop s’avancer que de conclure qu’il s’est passé une vie d’homme de vingt-cinq à trente ans, depuis la mort des envoyés du Christ ? Les porteurs de la lettre, Claudius Ephebus, Valerius Biton et Fortunatus (65.1), se sont montrés « des hommes fidèles et sages, qui ont vécu sans reproche » parmi les chrétiens de Rome « depuis la jeunesse jusqu’à la vieillesse, ἀπὸ νεότητος ἕως γήρους » (63.3). Il faut donc supposer cinquante à soixante ans écoulés depuis les premiers commencements de la communauté chrétienne. Toutes ces diverses évaluations concordent à nous ramener vers la fin du règne de Domitien.
L’Église de Corinthe est qualifiée d’ancienne ou d’antique (ἀρχαία, 47.6), ce qui ne se pouvait dire à l’époque de Néron, vingt ans au plus après que saint Paul adressait ses propres lettres aux Corinthiens. On a essayé de tirer argument de cette qualification d’ἀρχαία en faveur de l’opinion qui ramène la date de composition bien plus bas que le règne de Domitien ; mais ἀρχαῖος signifie : qui remonte aux origines, à l’encontre de παλαιός : qui existe depuis longtemps. S. Clément, écrivant à la fin du règne de Domitien, rendait donc exactement sa pensée en usant d’un mot qui impliquait pour l’Église de Corinthe une ancienneté toute relative.
Enfin les termes mêmes dont l’auteur se sert pour dépeindre les malheurs de la persécution toute récente (συμφορὰς καὶ περιπτώσεις) conviennent admirablement, le deuxième surtout qui emporte la signification d’embarras, pour caractériser la persécution de Domitien, moins sanglante que celle de Néron, mais combien plus chicanière. Elle avait eu pour origine le refus des chrétiens de payer le didrachme demandé par l’empereur à tous ceux qui menaient « la vie judaïque » ; et dans la suite elle fut marquée par les condamnations à l’exil et par les confiscations bien plus que par les sentences de mort. Les-coups successifs et imprévus portés au christianisme du temps de S. Clément, selon l’épître aux Corinthiens, rappellent ce que Suétone a dit de la cruauté mêlée de ruse et procédant par à coups chez Domitien : non solum magnæ sedet callidæ inopinatæque sævitiæ (Domit.,11). On ne saurait donc se tromper beaucoup en plaçant la composition de l’épître aux Corinthiens soit en 95 ou 96, au terme du règne de Domitien, soit en 97 ou 98, sous l’empereur Nerva.