Jusqu’ici l’Éternel nous a secourus.
Pendant au moins vingt et un ansr, l’histoire se tait sur le compte de Samuel. Elle nous dit, d’une façon générale, que le peuple entier le reconnaissait comme un prophète ; qu’il était devenu l’instrument des révélations divines, et que ses prophéties retentissaient d’un bout à l’autre des douze tribus. Mais nous ne savons rien de ses circonstances domestiques : ni la mort de son excellente mère, ni son mariage, ni la naissance de ses fils qui devaient, un jour, abreuver son cœur d’amertume. Encore un de ces traits où nous voyons combien la manière d’écrire du Saint-Esprit est différente de celle des hommes. Un auteur moderne n’aurait certainement pas laissé son héros rentrer ainsi dans le silence, après l’éclat de ses débuts. A défaut de faits prouvés, il aurait bien découvert quelques traditions, pour tenir notre attention toujours en éveil et pour satisfaire notre curiosité. La Bible ne recourt point à ces procédés. Elle ne veut, elle ne raconte que la vérité.
r – Comparez 4.1 ; 6.1 et 7.2.
Un mot du chapitre quatrième de notre livre a travaillé l’imagination de quelques commentateurs. Ce chapitre s’ouvre en effet ainsi : « La parole de Samuel s’adressait à tout Israël. Israël sortit à la rencontre des Philistins pour combattre. » Entre ces deux affirmations, on a voulu voir une relation de cause à effet. Les Hébreux seraient partis en guerre, contre les Philistins, par suite d’un véritable appel aux armes que Samuel leur aurait adressé. Cela me paraît excessivement peu probable. Je sais bien que les prophètes ont souvent convoqué les armées de l’Éternel ; je sais que, dans la circonstance actuelle, la déclaration de guerre paraît lancée par les Israélites et non par leurs ennemis. Mais je ne saurais admettre que Samuel ait usurpé des fonctions qui n’appartenaient qu’à Éli. C’était au juge, non à son jeune élève, de réunir des troupes, s’il le croyait avantageux, et de les mettre en campagne. Sans compter qu’une telle entreprise eût été singulièrement fâcheuse pour le crédit du nouveau prophète, puisqu’elle devait aboutir à un désastre. Laissons donc ces hypothèses beaucoup trop aventurées, et disons plutôt quelques mots de ces Philistins qui vont bientôt infliger aux Hébreux une si sanglante humiliation. Nous les retrouvons assez souvent, dans l’histoire des Juges et dans celle de David, pour qu’il vaille la peine de les bien connaître.
Les Philistins habitaient un territoire étroit, borné au nord par la Phénicie ; au sud par l’Egypte et par l’Arabie ; à l’ouest par la Méditerranée ; à l’est par la Palestine. Quelques auteurs les croient originaires de l’île de Crète ; d’autres de l’Egypte ; deux opinions lui pourraient se concilier par le rapprochement des versets 13 et 14 du chapitre 10 de la Genèse. Nous y lisons en effet que Mitsraïm – l’Egypte – engendra les Casluhims d’où sont sortis les Philistins et les Caphtorim. Ce dernier nom est habituellement donné aux Crétois. « N’ai-je pas fait sortir, dit l’Éternel, Israël du pays d’Egypte, comme les Philistins de Caphtort (Crète) ? » Il faut même, probablement, faire remonter à cette émigration le nom de Philistins, dont le sens littéral parait être : les voyageursu.
s – Peut-être les Cassiotis, sur la côte d’Egypte.
t – Amos 9.7.
u – Voir Rihem Handiwörterbuch des bibl. Alterthums. p. 1196 et suiv.
Nous rencontrons ce peuple pour la première fois à propos d’Isaac. Le patriarche, pendant une famine, se rend à Guérar auprès d’Abimélec, roi des Philistins. Leur puissance est devenue telle, au moment de la sortie d’Egypte, que Moïse fait faire aux Israélites un grand détour afin d’éviter toute chance de conflit avec eux. Leurs cinq villes principales, chefs-lieux de gouvernement, étaient Askélon, Gath, Gaza, Asdod et Hékron. Les trois dernières ont été assignées à la tribu de Juda lors du partage de Canaan, après la conquête. Mais si jamais elles furent possédées par les Hébreux, elles retombèrent promptement aux mains de leurs anciens maîtres, et devinrent des foyers à peu près permanents d’hostilité contre leurs voisins.
La religion des Philistins, analogue à celle des Phéniciens, n’a probablement pas dépassé le culte de la nature. Ils adoraient Baal, le dieu du soleil, peut-être représenté sous différentes incarnations, par exemple celle de Baal-Zébub, ou dieu des mouches, filles du soleilv Astarté, déesse de la lune, mais plus exactement Vénus phénicienne ; Dagon le grand poisson, image tout ensemble et patron de la pêche qui les faisait vivre, étaient aussi au nombre de leurs divinités. Nous n’affirmerions pas qu’ils n’aient point adoré Jahveh. Ce qui est absolument certain c’est qu’ils étaient idolâtres ; nous en verrons la preuve lors de la réforme religieuse d’Israël.
v – 2 Rois ch. 1.
C’est contre cette peuplade turbulente et guerrière que les tribus israélites allaient, par deux fois, briser leurs forces. Car c’était aux Philistins que l’Éternel avait confié la charge d’exécuter ses jugements contre la maison d’Éli et contre la nation entière. Battus dans une première rencontre qui leur coûta quatre mille hommes, les Hébreux essayèrent, non pas de retourner à Dieu par la repentance, mais, ce qui était beaucoup plus simple, de faire venir dans leur camp le symbole visible de Dieu, l’arche de l’alliance. Peine perdue. Cette arche, ces tables de la loi, ce propitiatoire d’or étaient les témoignages de leur honte, les présages d’un châtiment plus grand. Une seconde bataille est livrée. L’arche ne sauve rien. Elle est prise elle-même. Trente mille soldats sont frappés à mort. Hophni et Phinées, les deux fils d’Éli, ont peut-être essayé de racheter leur vie en combattant autour des chérubins. Ils sont tués aussi. Leur vieux père apprend la fatale nouvelle. Il ne la peut supporter, tombe de son siège à la renverse, et meurt. Sa belle-fille, femme de Phinées, expire le même jour, en mettant au monde un fils qu’elle n’a que le temps de nommer : I-Kabod, c’est-à-dire : Point de gloire ! Le pauvre petit orphelin va résumer par son nom seul le sort de sa patrie pour vingt longues années : Point de gloire !
Un remarquable fragment du Psaume 78, se rapportant selon toute apparence à cette catastrophe, montre qu’elle en fut l’étendue. Après avoir retracé très rapidement la conquête de Canaan, le psalmiste signale la période des juges comme un temps de révoltes fréquentes contre Dieu et d’infidélités multipliées à son culte, Puis il continue en ces termes : « Dieu entendit, et il fut irrité ; il repoussa fortement Israël. Il abandonna la demeure de Silo, la tente où il habitait parmi les hommes. Il livra sa gloire à la captivité, et sa majesté entre les mains de l’ennemi. Il mit son peuple à la merci du glaive, et il s’indigna contre son héritage. Le feu dévora ses jeunes hommes, et ses vierges ne furent pas célébrées ; ses prêtres tombèrent par l’épée et ses veuves ne pleurèrent pasw » Il paraît presque impossible de ne pas voir dans ces versets une allusion précise à la bataille d’Aphek. Ces prêtres qui tombent par l’épée sans que leurs veuves puissent pleurer ; cette gloire de Dieu emmenée en captivité, sa majesté livrée aux mains de l’ennemi, c’est bien l’arche prise, Phinées mourant avec son frère, la mère d’I-Kabod expirant, presque sans pouvoir verser une larme. Mais le texte du Psaume nous décrit une infortune encore plus vaste. Il semble en résulter que les Philistins victorieux se seraient avancés jusqu’à Silo, brûlant, pillant et massacrant tout sur leur passage. A peine les lévites demeurés sur les lieux auront-ils pu sauver quelques objets précieux. Samuel se sera échappé, sans que nous sachions comment, suivant peut-être les débris du tabernacle jusqu’à Nob où nous retrouverons plus tard la maison de Dieux. Bref, la défaite qui fut infligée à Israël dans cette rencontre aurait été, en quelque mesure, l’avant-coureur de ces désastres retentissants qui furent marqués deux fois par la prise de Jérusalem et par la ruine du temple, sous Nébucadnetsar et sous Titus.
w – Psaumes 78.59-64. Peut-être faut-il rapporter au même événement le passage de Jérémie 7.12 : « Allez donc au lieu qui m’était consacré à Silo… et voyez comment je l’ai traité. »
x – 1 Samuel 21.1.
Alors a commencé pour le peuple de Dieu une période prolongée d’abaissement et de souffrance. Alors, pour parler avec le savant Œhler, « le tabernacle, dépouillé de l’arche, a perdu sa signification comme centre des douze tribus ; l’action du sacerdoce est à peu près suspendue ; l’intermédiaire entre l’Éternel et les Hébreux n’est plus que la personne d’un prophète inspiré. Tandis que les anciens cadres de la loi cérémonielle sont en partie brisés, Israël sera conduit à comprendre que Jahveh n’a pas enchaîné ses secours ni sa présence au symbole vénéré de son habitation au milieu des hommes. Il peut, au contraire, être trouvé comme Dieu du salut partout où il est cherché sérieusementy. »
y – Voir Herzog, Real Encycl., XII, p. 214.
Il est vrai que les païens aussi ont reçu de sévères leçons. Lorsqu’ils ont traité l’Éternel à la façon de leurs dieux nationaux, lorsqu’ils ont tâché de l’humilier devant Dagon, bientôt ils ont dû comprendre que sa puissance ne pouvait être diminuée. C’est Dagon qui est tombé devant l’arche, et cela par deux fois ; il a même été décapité, et ses mains ont été détachées des bras. Un double fléau a frappé les Philistins, dans leurs champs et dans leurs corps. Au bout de sept mois, ils en ont eu assez de leur trophée. Ils en ont eu trop. Ils n’ont plus songé qu’aux moyens de se débarrasser décemment mais promptement de l’arche ; à quoi ils sont parvenus d’une façon qui leur fait honneur.
Ici pourtant, deux observations veulent être faites. La première, c’est qu’en renvoyant dans le territoire israélite la dépouille la plus glorieuse qu’ils eussent conquise sur leurs ennemis, ils n’entendent nullement pour cela renoncer aux fruits de leur victoire. Ils continuent à faire peser leur domination sur les Hébreux. Et cela pendant plus de vingt ans, sans aucun relâche à nous connu. Peut-être bien qu’ils ne furent pas en état de l’exercer partout d’une manière également efficace ; toutefois, ils en usèrent pendant à peu près un demi-siècle et, partout où ils le purent, il est probable qu’ils en abusèrent.
Notre seconde remarque, c’est que la rentrée de l’arche au pays d’Israël n’eut aucun effet immédiat. Transportée de Beth-Schemesch à Kirjath-Jearim, elle y fut reléguée dans la maison d’un certain Abinadab, sur une collinez ; et telle était la misère spirituelle dans laquelle le peuple était tombé, si général avait été le massacre des prêtres après la prise de Silo, qu’il ne s’était point trouvé de sacrificateur prêt à garder ce dépôt sacré. Présente dans les rangs d’Israël lors de la dernière bataille livrée, elle n’avait point empêché la défaite. Présente dans le pays durant vingt années, elle n’y a point amené de conversions. Il faut, pour secouer des âmes, autre chose qu’un coffre doré et des tables de pierre. Il faut la prédication fidèle, persévérante de la vérité.
z – 7.1.
Cette prédication fut la mission de Samuel. Les renseignements précis sur son activité nous font défaut. Nous pouvons, cependant, les conjecturer sans trop hasarder d’hypothèses ; et, d’ailleurs, les résultats prouvent ce que dut être le travail de préparation.
L’autorité civile et l’autorité religieuse s’étaient trouvées soudain concentrées dans les mains du fils d’Elkana, comme elles l’avaient été dans celles d’Éli. Le jeune prophète, devenu juge, dut vite comprendre que l’heure n’était pas aux larmes stériles, mais à l’action. En même temps, saisissant bien les causes auxquelles sa patrie devait l’humiliation présente, il se rendit compte qu’un relèvement politique était impossible sans une réforme de la foi et des mœurs. C’est à cette dernière œuvre qu’il consacra d’abord tous ses soins. N’était-ce pas aussi le meilleur moyen d’éviter de s’énerver dans les regrets du passé ? Il pria donc, il prêcha, il censura, il exhorta. Avec quelle ardeur, nous pouvons le deviner aux rares paroles de lui qui nous ont été conservées. Au début, et pour ceux qui ne regardent qu’au succès immédiat, ses peines furent perdues. Son peuple ne se convertissait point. Israël avait pris son parti de l’oppression, et n’avait plus même la force de confesser son péché. Il semblait donc que son prophète n’eût qu’à redire, découragé, l’exclamation que tant d’autres ont poussée après lui : « J’ai tout le jour étendu les mains vers un peuple rebelle et contredisanta. »
a – Romains 10.21.
En fait, c’était dans ce silence et dans cet insuccès qu’il achevait de mûrir. C’est la manière d’agir de Dieu envers ses serviteurs les plus distingués. Il les met à part pour un temps ; seuls les observateurs légers peuvent se figurer que c’est de l’oubli. Moïse, après l’élan irréfléchi qui l’a poussé à défendre les opprimés, vivra quarante ans ignoré dans les pâturages de Madian. Saul de Tarse, avant de débuter dans l’apostolat, passera trois années en Arabie, sans que ses amis ni ses ennemis sachent ce qu’il est devenu. Jésus restera quarante jours au désert, entre son baptême et sa première apparition en public. Ainsi en est-il pour Samuel. Vingt ans sans gloire et sans éclat, entre les premières révélations reçues à Silo et le triomphe à Mitspa.
C’est une leçon, sans doute. Mais c’est un encouragement aussi, pour ceux qui désirent un réveil au milieu de leurs contemporains et qui, loyalement, s’emploient de toutes leurs forces à l’amener. Cela ne marche pas aussi rapidement qu’ils l’espéraient. Les efforts demeurent inutiles. Les bonnes intentions sont paralysées. Le sommeil est d’autant plus profond que les appels sont plus éloquents… Regardez Samuel, et comptez. Vingt ans de labeurs soutenus. Au bout des dix premières années, vous auriez cru qu’il n’y avait plus rien à faire ; et c’est déjà bien long, dix ans ! Samuel attendit et travailla dix autres années. Alors seulement il put s’apercevoir que ses paroles n’étaient pas tombées à terre. Le peuple qui semblait mort se mit à s’agiter. Très peu d’abord, et puis davantage. Et à mesure que cette agitation grandissait, le prophète pouvait mieux en discerner la nature ; c’était bien le mouvement de l’âme cherchant son Dieu. Pour commencer, ce ne sont encore que des soupirs. Mais ce sont ceux du pécheur qui demande son pardon. Ils montent vers l’Éternel. Ils deviennent peu à peu des gémissements ; toute la maison d’Israël en est ébranlée… Ah ! mes amis, le réveil de la nature au printemps n’est pas plus beau que celui de cette nation. Pour elle aussi l’hiver est passé, les glaces fondent, la neige disparaît ; les fleurs se montrent ; les fruits ne tarderont pas à se compter par milliers.
La conduite de Samuel en cette circonstance mérite d’être citée comme un modèle. A la fois lévite, nazaréen et prophète, il était plus propre que personne à diriger le mouvement qu’il avait provoqué avec tant de persévérance. Il le dirige en effet. Deux écueils surgissaient devant lui : il les évite l’un et l’autre. – Trop de sévérité, d’une part : Vos pleurs sont inutiles ; ils arrivent trop tard ; Dieu en est lassé ; taisez-vous ! – D’autre part, une indulgence excessive : Ne vous faites pas des idées si noires ; tout ne va pas si mal ; vous avez gémi, c’est bien ; il n’en faut pas davantage et vous n’avez plus qu’à vous calmer. – Rien de pareil, heureusement. Samuel veut mettre à l’épreuve le repentir des Hébreux. Donc, il demande des actes. « Si c’est de tout votre cœur que vous revenez à l’Éternel, ôtez du milieu de vous les dieux étrangersb. » En d’autres termes, prouvez votre sincérité. Il n’y a point d’accord possible entre le culte de Jahveh et celui de Baal. Si vous vous décidez pour le premier, renoncez au second. Otez du milieu de vous les Baals et les Astartés.
b – 7.3.
Or cet ordre, s’il préludait à une réforme, ne conduisait pas moins à une révolution. Les Philistins victorieux avaient certainement introduit leurs divinités dans le pays vaincu. Faire disparaître ces idoles, c’était secouer le joug de l’étranger ; c’était faire acte d’indépendance, préparer une restauration nationale. Il fallait à cette entreprise du cœur et du courage, Samuel n’en était pas dépourvu. Aurait-il pu déjà en communiquer assez à ses compatriotes ? On a peine à mesurer exactement, à la distance où nous sommes des événements, tout ce qu’il fallut d’énergie pour mener à bien une telle entreprise. On en avait vu de pareilles, quelquefois, sous la domination des juges. Mais dans aucune occurence on n’avait vu les tribus d’Israël aussi profondément humiliées. Pour se soulever comme elles vont le faire contre l’oppresseur, elles doivent avoir acquis peu à peu une confiance en elles-mêmes qui leur faisait, il y a vingt ans, complètement défaut. Si elles la possèdent aujourd’hui, c’est qu’elles ont repris peu à peu confiance au Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob.
Du reste, pas de recours à des symboles extérieurs. Pas même à l’arche. Nous ne voyons pas Samuel faire le moindre effort pour aller la chercher à Kirjath-Jearim et pour la ramener dans une position plus centrale. On ne paraît guère s’inquiéter d’elle. Peut-être on a le sentiment qu’il n’y a pas lieu de la rétablir en sa place, tant que le pays n’est pas débarrassé des idoles : là est la tâche essentielle. Et c’est encore, mes amis, celle du temps présent. Au nombre des progrès que le XIXme siècle semble vouloir se hâter de réaliser avant de mourir, il a placé l’alliance entre le vrai Dieu et les idoles. Le monde moderne, continuateur du monde ancien, prétend. s’appeler chrétien, sans renoncer à ses plaisirs ni à ses faux dieux. Il poursuit des chimères. On ne peut pas appartenir à demi à l’Éternel ; il faut ou lui tourner le dos ou lui donner tout son cœur. Si l’apôtre Jean termine une lettre adressée à des croyants en les pressant de se garder des idolesc que n’aurait-il pas à reprendre dans nos vies soi-disant pieuses, où tant de paganisme trouve encore moyen de se glisser ! Notre époque compte par milliers des adorateurs de l’argent, des âmes qui se prosternent devant la jouissance. Baal et Mamon ont encore leurs temples parmi nous, et ces temples sont presque les seuls qui ne soient jamais désertés. Jeunes gens, jeunes filles, n’avez-vous pas vu ces idoles dans bien des productions ignobles de la littérature contemporaine ? N’est-ce pas l’antique Astarté, travestie en déesse moderne, qui vient réclamer vos hommages dans ces feuilletons plus que légers, dans ces romans réalistes où les grâces du langage déguisent mal l’obscénité de la pensée et des sentiments ; dans ces pièces de théâtre où l’auteur réserve son admiration pour la femme tombée, tandis que l’épouse honnête est flétrie du nom de bourgeoise ? N’insistons pas, je le veux bien. Nous descendrions dans des bas-fonds où l’air même est empoisonné. Mais j’estimerais manquer à mon devoir si je ne vous les signalais pas par un garde à vous ! que me dictent tout ensemble et mon amour pour votre âme et mon devoir envers Dieu.
c – 1 Jean 5.21.
La sévérité de Samuel n’a point été trop forte. Le peuple ne trouve pas exagérées les exigences de son juge. Comme la famille de Jacob, au moment où elle s’apprêtait à rentrer en CanaanGenèse 35.2, il a fait résolument disparaître les dieux étrangers. Il les a ôtés, entendez bien. Non pas seulement placés à l’écart, pour pouvoir les reprendre et les servir encore quand les circonstances auront changé. Non : ôtés, enlevés, ces dieux trompeurs ; une vraie destruction de l’idolâtrie. Alors, mais seulement alors, Samuel qui avait tant prié pour Israël pourra prier avec lui. Il convoque une assemblée générale pour demander le pardon et les bénédictions de l’Éternel. C’est, on l’a dit, une sorte de landsgemeinde, où les destinées d’Israël vont se décider. Bien, du reste, ne nous autorise à y voir un conseil de guerre ; le but de la convocation est purement religieux.
On se réunit à Mitspa. Beaucoup de villes en Canaan portaient ce nom ; il s’agit, sans doute, ici de celle dont les restes subsistent encore dans la tribu de Benjamin, au nord de Jérusalem, et qui a joué plusieurs fois un rôle important. Le camp des Israélites y avait été dressé, sous la conduite de Jephthé, dans la guerre contre les enfants d’Ammona. Une foule énorme y était accourue pour délibérer sur les mesures à prendre, après le crime des Benjamitesb. Bientôt Samuel en fera un des sièges de sa magistraturec, et c’est là que le sort décidera de l’élection de Saül comme roi. Bâtie sur un plateau qui domine la plaine d’environ 150 mètres, Mitspa méritait bien son nom de « veilleur » ou « tour de garde. » C’était un excellent poste d’observation. M. le professeur d’Orelli décrit ainsi la visite qu’il y a faite en 1876 :
a – Juges 10.17 ; 11.11.
« Il commençait à se faire tard, et nous devions nous hâter pour arriver encore de jour sur la hauteur de Nebi-Semwil. Mitspa, c’est-à-dire la sentinelle, était autrefois le nom de cette ville située sur la montagne ; et certes, cette colline haute de 1000 mètres au-dessus de la mer devait, mieux que toute autre aux environs de Jérusalem, être un observatoire d’où l’on pouvait signaler l’approche d’un malheur, celle, entre autres, de l’ennemi. On l’appelle aujourd’hui le lieu de Samuel le prophète. S’il n’y a pas à chercher ici son tombeau, malgré la supposition des croisés, cette localité cependant tient à l’histoire de Samuel. C’est ici qu’il a plusieurs fois convoqué des assemblées populaires… On trouve, au sommet de la colline, un village avec une mosquée et une tour, d’où l’on jouit d’une vue magnifique sur Jérusalem et sur les montagnes de Juda et d’Éphraïm. Les villes de Benjamin, entre autres, se groupent autour de nous ; au nord El Dschib (Gabaon) ; plus loin Ramallah, Beitin ; à l’est Beth-Hanina, Tulleilel-Fûl (Guibah), etc. Ésaïe, peut-être, les contemplait comme nous aux paisibles rayons du soleil couchant, lorsque le Saint-Esprit lui fit voir la marche envahissante de l’armée assyrienned… Les prophètes, ces sentinelles spirituelles ainsi qu’ils sont nommés, ont dû souvent examiner de ces collines le pays confié à leur garde.
Nous aurions volontiers attendu ici les dernières clartés du jour. Mais la nuit vient très vite, et nous savions que le retour n’était pas exempt de difficultés. Nous n’en eûmes la preuve que trop vite. Nous n’avions pas quitté le sommet, que nous nous trouvions en pleine obscurité, au milieu de pentes rocailleuses. Comme pour être mieux dans la situation locale, nous perdîmes bientôt le chemin, d’ailleurs à peine tracé, et, sans s’en douter, notre caravane se trouva partagée en trois bandes qui ne purent plus se rejoindre. Je n’ai pas de peine à comprendre que Saül ait perdu ici ses ânesses. Même un jeune garçon né tout près de Mitspa, ne put nous donner aucune directione. »
e – Von Orelli, Durch’s heilige Land, p. 181-182.
Samuel a donc très bien choisi le lieu où il rassemble le peuple. Position centrale, souvenirs nationaux, tout concourait à le désigner. Qu’y vont faire aujourd’hui les enfants d’Israël ?
En premier lieu, ils puisent de l’eau, et la répandent devant l’Éternel. Acte étrange, qui ne nous semble pas faire partie des prescriptions cérémonielles dans la loi de Moïse. Quelle peut bien en être la signification ?
Suivant quelques interprètes, le peuple aurait voulu de la sorte rendre plus rigoureux, plus complet, le jeûne qu’il allait célébrer. Il se serait enlevé la possibilité de boire même quelques gouttes d’eau. Sous cette forme absolue, l’idée ne nous paraît pas soutenable ; car si l’on a puisé de l’eau pour la répandre, il est probable qu’il en restait encore beaucoup, et qu’on aurait pu en puiser pour la boire. Mais qu’il y ait eu dans l’acte accompli un symbole d’abstinence et par conséquent de jeûne, de souffrance volontairement subie pour l’Éternel, cela n’est point impossible. Un fait analogue s’est reproduit dans l’histoire de, David, lorsqu’il répandit devant l’Éternel l’eau de la citerne de Bethléhem, que trois guerriers lui apportaient au péril de leur vief.
f – 2 Samuel 23.14-17.
Restant encore sur le terrain de l’interprétation symbolique, nous pourrions voir dans cette eau jetée sur le sol, où elle se perd, une image soit du péché, dont Israël est las et dont il veut se défaire, soit de l’état d’abaissement où l’a réduit l’oppression des Philistins : il a presque disparu de son pays, comme ces gouttes d’eau promptement absorbées par le sable. La première pensée trouve un appui dans un passage des Lamentations de Jérémie, où l’auteur parle d’un cœur contristé sous le sentiment de ses iniquités, et qui se répand comme de l’eaug. La seconde est rappelée peut-être par divers soupirs des Psaumes où l’eau qui s’écoule représente une vie qui se fond, par suite des souffrances, des épreuves, du découragement. C’est ainsi que David gémissait, dans un de ses cantiques les plus messianiques : « Je suis comme de l’eau qui s’écouleh. » Et c’est ainsi que les Israélites se seraient considérés, à l’heure où ils furent accablés tout ensemble sous le joug du péché et sous celui de l’étranger.
g – Lamentations 2.19.
h – Psaumes 22.15. Comparez aussi Josué 7.5, dans le texte hébreu.
Certaines traditions, enfin, donnent à croire qu’en Orient il n’était pas très rare de verser de l’eau sur la terre pour accompagner et pour confirmer un serment. L’idée serait alors celle-ci : Comme l’eau que je répands ne peut pas être reprise, de même la parole que je prononce ne le sera jamais. Le Dr Kitto rapporte à ce propos deux traits curieux, tirés de la mythologie hindoue. Vischnou, déguisé en nain, ayant demandé au géant Bali l’autorisation de faire un seul pas dans son empire, Bali lui accorda cette permission et la garantit en répandant de l’eau devant le nain. – Dans une autre occasion, lors du mariage de Shiwa avec la déesse Paravati, le père de la fiancée plaça la main de l’épouse dans celle de l’époux, puis versa de l’eau sur la terre en disant : Je te la donne de tout mon cœur. – Il n’est pas impossible qu’une pensée de ce genre ait présidé à l’acte qui nous occupei.
i – Un interprète fort sagace, le Revérend W. Deane, rapproche ce rite de celui qui accompagna dans Jérusalem la fête des tabernacles : l’eau puisée à Siloé par le grand prêtre et versée à la vue de tout le peuple au haut des degrés du temple. Mais il me paraît que cette joyeuse cérémonie rappelait l’eau coulant du rocher dans le désert, bien plutôt que l’eau Puisée et répandue à Mitspa.
Israël, au surplus, ne s’en contenta pas. Il y joignit le jeûne et la confession de ses péchés. Il se laissa publiquement juger, par conséquent tancer, peut-être même punir, par ce prophète dont la voix avait semblé durant vingt ans perdue dans le désert.
Que manquait-il donc à ce repentir pour pouvoir être couronné par de nouvelles bénédictions ? Il y manquait l’épreuve, mes amis. L’épreuve, dont Satan voudrait faire pour toute âme une tentation qui la rejette dans le mal, mais que Dieu veut transformer en un creuset, où l’or se dégagera de toutes ses impuretés.
Elle se présentera, cette fois, sous la forme d’une attaque imprévue et tout à fait sérieuse. Les Philistins ont appris ce qui se passe à Mitspa. Inquiets, comme les conquérants sont toujours plus ou moins condamnés à l’être, ils n’ont pas eu de peine à discerner, dans le mouvement religieux qui se manifeste, les symptômes d’un soulèvement général contre eux. On ne rejette leurs dieux que pour mieux secouer leur joug. Il est donc de leur l’intérêt bien entendu de devancer les Hébreux. Ceux-ci, probablement, ne sont point armés. Tomber sur eux à l’improviste, les mettre en déroute, leur tuer quelques milliers d’hommes, ce plan est tout indiqué et ne paraît pas devoir être d’une exécution fort difficile. Après cela, toute velléité d’indépendance sera réprimée pour longtemps.
Au point de vue stratégique, c’est fort bien combiné. Au point de vue divin, si souvent négligé par les généraux, c’est une folie. Car attaquer un peuple en prière, c’est s’attaquer à Dieu lui-même.
Avouons, du reste, que la crise était grave pour la foi naissante des Israélites. Ils ont été aussi humbles, aussi soumis qu’on pouvait le leur demander. Les idoles ont été enlevées ; le serment d’alliance avec Dieu a été renouvelé ; le jeûne observé consciencieusement. Et c’est ce moment que l’Éternel choisit pour lâcher contre eux leurs ennemis les plus acharnés ! Est-ce juste ? Est-ce sage ? Samuel, en les assemblant à Mitspa, les aurait-il conduits dans un guet-apens ? Si c’est là le sort réservé à la conversion, alors à quoi bon se convertir ?… Il y en aurait long à dire sur ce thème. Les concitoyens de Samuel ne songent heureusement pas à discuter ni à récriminer. Ils songent à prier. Dans leur détresse, ils ne rappellent point ces dieux dont ils viennent de se débarrasser ; pas un cri n’est poussé vers Baal ni vers Astarté. Jahveh seul est redevenu leur Dieu. Le juge fidèle est leur seul médiateur et leur intercesseur. Représentant universellement reconnu de son peuple, Samuel offre en sa faveur un holocauste, et fait monter vers le ciel ses plus ardentes supplications. Il s’agit en quelque sorte maintenant de la consécration de tout son ministère.
Vous figurez-vous cette scène, mes amis ? D’un côté ces bataillons serrés, hardis, qui montent à l’assaut de Mitspa. De l’autre une foule en prière, sans défense apparente, proie facile livrée à l’assaillant. Ici, les cris de guerre, le cliquetis des épées et des boucliers. Là, le pétillement de la flamme qui consume le sacrifice, le murmure à demi-couvert de la terreur. Par-dessus tout cela, la voix mâle de Samuel que le tumulte n’épouvante point. Il sait que l’Éternel lui-même est en cause maintenant dans la personne de ses enfants. Cela suffit pour qu’il soit certain de la victoire. Avec une foi grandie par les années et par l’expérience, il peut redire comme jadis dans sa petite chambre de Silo : « Parle, Seigneur, ton serviteur écoute ! »
Eh bien, Dieu parle, en effet. Au moment marqué par lui, – pas une minute plus tôt, mais aussi pas une minute trop tard, – sa voix éclate, sous la forme de ce tonnerre que l’hébreu nomme d’un mot bien significatif : « la voix de l’Éternel. » Au cri de Samuel, la parole de Dieu répond. Toute autre eût été perdue, sans doute, en ce moment suprême. Mais elle ne manque point son effet. « Jahveh, dit le texte, fit retentir son tonnerre sur les Philistins, et les mit en déroute. Ils furent battus devant Israël. » Ne reconnaissez-vous pas, dans ce qui se passe, un accomplissement littéral de la prophétie d’Anne ? Dans son cantique, elle avait chanté, avec des accents de victoire : « Les ennemis de l’Éternel trembleront ; du haut des cieux il lancera sur eux son tonnerre ? » Les voilà, ces foudres annoncées. Ce que la foi de la mère promettait, la prière du fils l’obtient aujourd’hui. L’arche n’est pas là, pourtant. Il n’y a pas de sacrificateurs dans les rangs d’Israël. Non ; mais le Seigneur y est, même sans son arche. Les Philistins, habitués à vaincre, et qui certainement ne sont pas des lâches, ne comptaient point cette fois sur un pareil adversaire. Ils ne peuvent pas tenir. La panique pénètre leur armée ; ils fuient épouvantés. Israël, qui paraît n’avoir pas même eu besoin de se battre, n’a plus qu’à poursuivre maintenant. Se lançant comme un torrent sur les pentes de Mitspa, il arrive sans résistance jusqu’à Bethcar, localité inconnue, peut être identique à Ain-Karim qui fut une place forte de la Philistiej.
j – Jos. Ant., IV, 2, 2.
Qu’en pensez-vous, mes amis ? Est-ce du temps perdu, est-ce un moyen de s’affaiblir que de chasser de chez soi les Baals et les Astartés, et de retourner à l’Éternel ?
Après la victoire, l’action de grâce. Pendant que le peuple achève la poursuite, Samuel songe à dresser un monument qui rappellera aux générations à venir la mémoire d’une si magnifique délivrance. Monument très simple d’ailleurs. Pas de colonne, pas d’obélisque. Une pierre suffira. Le prophète a soin de la placer au lieu même où, vingt ans auparavant, Israël s’était honteusement enfuik. La tache d’autrefois est effacée. Quant au nom de cette pierre commémorative, Samuel n’a pas à le chercher longtemps : « Eben-Ezer ! Pierre du secours, car jusqu’ici l’Éternel nous a secourus. »
k – Comparez 4.1. La localité de Schen (la dent), mentionnée 7.12, demeure inconnue.
Le voyageur qui navigue sur le lac des Quatre-Cantons salue, à l’entrée de la branche de Fluelen, au pied du Seelisberg, un rocher abrupt, détaché du flanc de la montagne. Sur une face aplanie de la pierre, un sapin décharné abrite à moitié l’inscription suivante : Dem Sænger Tell’s, Friedrich von Schiller, die Urkantone ! (Au chantre de Tell, Frédéric de Schiller, les cantons primitifs !) C’est modeste et grand tout ensemble ; digne de la nature imposante qui sert de cadre à ce souvenir ; digne aussi du merveilleux poète qui a chanté la Suisse avec de si nobles accents.
Il ne fut ni moins modeste ni moins grand, le pieux mémorial consacré sur la hauteur de Mitspa, au Dieu qui avait sauvé son peuple. Un rocher, une inscription. Et dans cette inscription, deux mots qui, en résumant tout un passé, engagent tout un avenir : Jusqu’ici ! C’est l’anneau qui rattache la délivrance d’aujourd’hui à celles d’autrefois… Jusqu’ici ! Les châtiments mêmes et les épreuves ont été une marque du secours de Dieu. Il n’y a rien de plus terrible que l’abandon ; mais quand le Père céleste frappe ses enfants, c’est qu’il ne les abandonne pas… Jusqu’ici ! Mais Dieu marche toujours, et en marchant il ne change jamais. Il a secouru ; il secourra encore. Eben-Ezer ! Pierre du secours !
Mes amis, n’en avez-vous point à dresser dans votre vie, pour monotone qu’elle soit d’ailleurs ? Seriez-vous trop ingrats ou trop légers pour avoir noté les occasions où vous pouviez et deviez dire : L’Eternel l’a secouru jusqu’ici ? Plusieurs d’entre vous ont connu la lutte ; plusieurs se sont trouvés aux prises avec la tentation. S’ils ont résisté, si la souillure n’a pas imprimé ses stigmates dans leur âme, s’ils osent se réjouir encore au sein de leur famille, lever vers un vieux père un front qui n’a pas à rougir, à qui donc le doivent-ils, sinon au Dieu de Samuel, qui a fait échapper les Hébreux aux mains des Philistins. Une telle délivrance ne vaut-elle pas un Eben-Ezer ? J’en appelle aux plus déshérités. Oseraient-ils affirmer que le Seigneur ne les a jamais secourus ? Oui, jusqu’ici, n’est-ce pas ? Eh bien ! pour l’âme croyante, cela veut dire : Jusqu’à la fin.
La défaite des Philistins est maintenant aussi complète que l’avait été, près d’une génération plus tôt, celle des Israélites. Nous les reverrons plus tard, et fréquemment, pendant les jours de Saül. Mais à présent, pendant la vie de Samuel et surtout aussi longtemps que dure sa magistrature, ils sont fermement tenus en bride. Ils ne pourront avant des années se remettre en campagne. Nous ne voyons pas, il est vrai qu’ils aient abandonné tout le territoire de la Palestine. Néanmoins leur joug est bien brisé pour le moment. Samuel, qui ne paraît pas avoir accompli d’autres exploits guerriers, peut se consacrer désormais aux trois fonctions principales que nous lui savons dévolues.
Celles de juge, d’abord. Il en reçoit le titre pour la première fois dans notre texte, au verset six du chapitre sept. D’après les localités où il exerce cette charge alternativement, on est tenté de conclure que le midi seul, et principalement le pays qui forma plus tard le royaume des deux tribus, était tout-à-fait débarrassé de la domination étrangère. Dans ses tournées officielles, Samuel allait siéger successivement à Béthel, où le retenaient volontiers les souvenirs d’Abraham et de Jacob ; à Guilgal, où il aimait à contempler le monument élevé par Josué pour rappeler le passage du Jourdain ; à Mitspa où il saluait Eben-Ezer d’un regard reconnaissant. Sa résidence, au reste, n’était dans aucune de ces villes. Il demeurait à Rama, son séjour de prédilection, sans doute, parce que ce fût celui de sa mère… Était-il trop peu à la maison ? Ses courses annuelles ont-elles eu pour résultat de trop l’éloigner de ses fils et d’habituer ceux-ci à se passer de sa tutelle ? Nous ne savons ; à peine osons-nous hasarder la question.
En second lieu, fonctions de prophète. Il en avait conquis de haute lutte les privilèges ; il en accomplissait fidèlement les devoirs. De même que tous ses successeurs, il ramène le peuple à la loi et se montre ennemi impitoyable de l’idolâtrie. Il n’y aurait rien d’impossible à ce que les écoles des prophètes eussent pris naissance, grâce à son initiative, précisément à l’époque où nous sommes arrivés. Le réveil qui venait de rajeunir Israël était particulièrement propre soit à créer, soit à développer cette institution. Mais nous aurons à en reparler plus tard.
Fonctions sacerdotales, enfin. Samuel ne les avait pas revêtues, convenons-en, sans quelque irrégularité. Bien que lévite, il n’était pas prêtre, et la loi conférait au prêtre seul le droit d’offrir un holocauste. En outre, pour son sacrifice il bâtit un autel. Légalement, cela ne se devait pas ; l’autel d’airain seul était destiné à brûler les victimes, et nous ne voyons pas trop comment, à Mitspa, Samuel aura pu se procurer du feu consacré, pour consumer l’agneau qu’il a choisi. Aucun blâme, toutefois, ne lui est infligé pour cette infraction aux règles mosaïques. La situation a souvent justifié des dérogations analogues. Non seulement Abraham et Jacob ont élevé des autels, mais, bien après la promulgation de la loi, Gédéon, qui n’était pas un prêtre, a reçu de Dieu même l’ordre d’en consacrer unl. Quoi de plus naturel aux jours de Samuel, où l’arche était fort éloignée, et le tabernacle en quelque sorte disloqué ?
l – Juges 6.26.
Dès cette époque, le Seigneur voulait montrer que le culte selon la lettre est destiné à faire place au culte selon l’esprit. C’est dans ce sens que sera dirigée désormais l’activité de Samuel, jusqu’au moment où il enseignera que l’obéissance vaut mieux que le sacrificem. Et c’est ainsi surtout que son ministère sera vraiment prophétique. Nous l’avons déjà vu ne pas intercéder publiquement pour son peuple avant d’avoir offert pour lui l’holocauste expiatoire, et nous donner ainsi une leçon capitale sur les exigences de la prière. De même, nous le verrons annoncer par son travail, autant et plus que par ses paroles Celui qui doit venir, Celui qui sera tout ensemble roi, sacrificateur et prophète. Les hommes de Dieu dans l’ancienne Alliance n’ont, au fond, pas d’autre mandat ; et c’était bien à ce rôle que la pieuse Anne avait destiné son fils en le consacrant à l’Éternel.
m – 15.22.