dLe terme d’organisme exprime une notion de date récente. L’idée d’un tout qui tout entier vit dans chacune de ses parties, et dont tous les membres se supposent tellement l’un l’autre, que la connaissance distincte de l’un d’eux suffît pour reconstituer tous les autres et recomposer l’être tout entier, — cette idée vraiment sublime est un produit de la pensée moderne, ou, pour mieux dire, c’est une révélation encore toute récente de la nature à la science. Car il est probable que l’esprit humain n’eût jamais conçu spontanément une pareille notion. Cuviere fut le prophète dont l’oreille recueillit, dont la bouche proclama pour la première fois cette conception, destinée à jouer un rôle décisif dans la science et même dans l’histoire de l’humanité. Geoffroy Saint-Hilairef étendit à l’ensemble des êtres une intuition qui paraissait déjà bien hardie, appliquée, telle qu’elle l’avait été par Cuvier, à l’être particulier. Dès que la création eut ainsi livré son plus important secret, celui de son unité organique et de sa merveilleuse harmonie, la notion d’organisme devint la loi de la pensée et presque son tyran. On l’appliqua naturellement au monde moral. Le génie allemand voulut y trouver la clef de la science en général, et de chaque science particulière. Une encyclopédie universelle dut se présenter, non plus comme une classification artificielle des sciences humaines, d’après un principe extérieur plus ou moins heureusement appliqué, mais comme une construction synthétique du savoir humain, en partant d’un principe inhérent à la nature même de la science ; et l’encyclopédie spéciale, au lieu de ressembler à un inventaire de connaissances groupées sous un même titre, eut désormais la tâche de faire sortir chaque science particulière d’un principe inhérent à l’objet même de cette science. Hegel le premier chercha à faire pénétrer la lumière de cette nouvelle méthode dans l’immense chaos du savoir humaing ; tandis que Schleiermacher en fit pour la première fois l’application spéciale à la science théologique, dans son immortel petit ouvrage : Darstellung des theologischen Studiums (1811).
d – Article paru dans le Bulletin Théologique de 1863.
e – Dans les Leçons d’anatomie comparée. 1800-1805.
f – Surtout dans la Philosophie anatomique. 1818. Ouvrage précédé de publications déjà remplies de la même pensée.
g – Voyez surtout son Encyclopédie des sciences philosophiques. 1817.
Quel est, se demanda ce penseur éminent, l’élément distinctif qui imprime à une portion de nos connaissances le caractère proprement théologique ? Qu’est-ce qui fait, par exemple, que l’histoire de l’Eglise est pour le théologien quelque chose de tout autre qu’une des branches de l’histoire générale de l’humanité ? Pourquoi l’exégèse du Nouveau Testament n’appartient-elle pas à l’étude littéraire de l’antiquité, au même titre que l’étude des classiques, et occupe-t-elle une place à part dans les sciences philologiques ? Une question bien posée est bien près d’être résolue, si même elle ne l’est déjà. Schleiermacher répondit comme chacun de nous répondrait à la question ainsi formulée : Ce qui marque d’un sceau spécial les connaissances que nous isolons de toutes les autres pour les réunir sous le nom de théologie, c’est leur but ; ce but, il est pratique ; c’est le service de l’Eglise. Le théologien n’étudie pas en amateur ou en savant ; il ne fait pas de la science pour la science. Il n’apprend que pour pouvoir diriger plus sûrement et servir plus efficacement l’Eglise. Schleiermacher trouva ainsi dans le but de la théologie le principe de son unité scientifique et sur cette base il essaya de construire tout l’édifice de cette science. Pour la première fois on la vit, semblable à la plante qui déploie organiquement les richesses renfermées dans son germe, sortir, comme par une loi nécessaire, d’un principe unique et vivant.
Selon Schleiermacher, la théologie se détache du tronc de la science universelle, à l’endroit où celle-ci a pris le nom de philosophie de la religion. L’objet de cette branche importante de la philosophie de l’esprit, c’est l’étude de la religion, dans son essence et dans ses manifestations historiques. Or, cette étude n’est-elle pas réellement la base scientifique sur laquelle chaque religion particulière, partant aussi le christianisme, doit élever sa théologie ? La philosophie de la religion conduit le penseur chrétien jusqu’au point où, devenant théologien et se plaçant au centre même du christianisme, il peut se rendre compte scientifiquement du caractère propre de cette religion et parvenir à constater ses rapports, soit avec la religion en soi, soit avec les religions positives. C’est donc là le point par lequel la théologie se rattache le plus immédiatement à la science universelle. C’est ici que nous découvrons la première partie de la science théologique. Schleiermacher l’appelle la théologie philosophique. Elle comprend selon lui deux sciences particulières : l’apologétique, qui, après avoir déterminé l’essence propre du christianisme, démontre l’identité de cette religion avec l’essence même de la religion ; et la polémique, qui rend à la confession particulière à laquelle appartient le théologien, le même service que l’apologétique rend au christianisme en général ; car la polémique a pour tâche de démontrer l’identité de cette confession avec l’essence du christianisme, tout comme l’apologétique a prouvé l’identité du christianisme avec l’essence de la religion.
Après avoir étudié le christianisme dans son essence, le théologien, pour se mettre en état de servir et de diriger l’Eglise, doit apprendre à connaître aussi son développement dans le temps. Ici apparaît un second groupe de sciences théologiques, que Schleiermacher désigne du nom de théologie historique. Si la théologie philosophique est la racine, la théologie historique est le tronc de l’arbre théologique. Cette partie renferme :
- La théologie exégétique. qui nous fait connaître les origines du christianisme et nous dévoile ainsi le fait chrétien dans sa vraie nature ; car, dit Schleiermacher, c’est toujours à son origine qu’un fait se manifeste dela manière la plus pure et la plus adéquate à son idée ;
- l’histoire de l’Eglise, qui nous présente le développement de la communauté chrétienne jusqu’à nos jours ;
- la théologie dogmatique et la statistique ecclésiastique, qui exposent l’état présent de l’Eglise, l’une au point de vue de la conception intellectuelle de l’Evangile, l’autre, sous le rapport de l’état extérieur.
Mais toutes les connaissances renfermées dans les deux parties précédentes n’ont une utilité réelle pour l’Eglise que par l’intermédiaire d’une dernière partie de la théologie, la théologie pratique. Celle-ci place le théologien immédiatement en face de l’Eglise à diriger, de la paroisse à desservir, et doit lui fournir les règles de cet art difficile. En organisant en vue de l’Eglise les fonctions diverses du ministère ecclésiastique, elle couronne l’arbre théologique d’une multitude de rameaux féconds, sur lesquels l’Eglise cueillera les fruits dont elle doit s’alimenter. C’est ainsi que tout s’enchaîne dans la science théologique, que rien n’y est accidentel, que tout y est organique, résultant nécessairement du but pratique qui est sa véritable raison d’être.
Cette courte esquisse suffira pour donner au lecteur une idée de l’œuvre de Schleiermacher. Cette conception de la théologie est aussi remarquable par son caractère systématique que par sa tendance pratique, par sa beauté esthétique que par son originalité.
Néanmoins cette construction si harmonique et si neuve n’a point échappé à la plus redoutable des critiques, celle d’un insuccès à peu près complet. Elle est demeurée la propriété exclusive de son auteur ; elle n’a point passé au nombre des acquisitions de la science ; elle n’est même jamais devenue, à notre connaissance, l’objet d’une réfutation approfondie. Trois ans à peine après la seconde édition de l’œuvre de Schleiermacher, le plus intelligent de ses disciples, Hagenbach, publiait une Encyclopédie théologiqueh dans laquelle il abandonnait à peu près complètement la voie frayée par son maître, et, tout en faisant l’éloge de son œuvre, revenait lui-même à une division empirique de la théologie. Cette division est celle qu’André Gerhard i, au seizième siècle, avait esquissée le premier et qui avait été établie plus nettement dans les écrits de Pfaff et de Buddée, au dix-huitième siècle. Les divers matériaux de la théologie sont groupés sous ces quatre chefs : théologie exégétique, historique, systématique et pratique. C’est revenir de l’organisme à l’agrégat. L’on peut adresser le même reproche à l’essai encyclopédique de M. Kienlenj, publié en 1842 et reproduit dans la Nouvelle Revue de théologie, dans lequel la théologie est divisée en trois branches : théologie biblique (ou exégétique), systématique et ecclésiastique, cette dernière renfermant l’histoire ecclésiastique et la théologie pratique. Dans cette division nous retrouvons encore, sous une forme légèrement modifiée, l’ancienne division en quatre groupes, et nous n’avons pas fait un pas. M. Kienlen cherche, il est vrai, à justifier logiquement cette division, en la déduisant du fait de la rédemption considéré, 1° en lui-même ; 2° dans l’esprit du théologien ; 3° dans la vie de l’Eglise. Mais ce principe de division est tout extérieur : il ne résulte point d’une nécessité interne. Nous avons manifestement reculé sur l’œuvre de Schleiermacher.
h – Encyclopædie und Methodologie der theolog. Wissenchaften. 1re édit. 1833.
i – Theologus seu se ratione studii theologici. 1572.
j – Encyclopédie des sciences de la théologie chrétienne. Strasbourg, 1842.
Quelle peut donc être la cause du manque de réussite de la tentative si remarquable de ce grand théologien ? C’est essentiellement, à ce qu’il nous paraît, la place malheureuse assignée à la théologie systématique. Ne voir dans la dogmatique qu’une exposition du point auquel est maintenant parvenue la pensée chrétienne, et en faire à ce titre une science de nature historique, marchant côte à côte avec la statistique, n’est-ce pas dégrader la théologie systématique et commettre un crime de lèse-majesté contre la reine des sciences théologiques ? De semblables attentats, lorsqu’ils sont commis par des hommes tels que Schleiermacher, sont punis par le silence dont ils restent entourés.
Essayons de reprendre le travail encyclopédique au point où ce grand théologien a incontestablement réussi à le conduire. La construction de l’édifice peut être défectueuse ; mais le fondement posé par lui n’en est pas moins de pur granit. Gardons-nous de l’abandonner ! Oui ; l’âme de la théologie, le principe de son unité organique, c’est bien le service de l’Eglise. La théologie est bien la science créée par l’Eglise et pour l’Eglise ; c’est le flambeau qu’elle allume pour éclairer sa marche et assurer ses pas dans l’accomplissement de sa mission au travers d’un monde rempli de ténèbres et dont l’obscurité ou les fausses lumières finiraient bientôt sans ce secours par l’envahir ou l’égarer elle-même.
L’Etat invente pour son usage une science par laquelle il se rend compte à lui-même de sa nature, de son but et de ses ressources, l’économie politique ; pourquoi donc l’Eglise n’instituerait-elle pas, elle aussi, une science destinée à lui rendre les mêmes services ? Pour remplir une tâche manifestement inférieure, la médecine met à contribution toutes les sciences naturelles ; elle exploite la botanique, la chimie, la physiologie, etc., et crée de tous les matériaux hétérogènes qu’elle leur emprunte, la science médicale. Pourquoi l’Eglise, au service d’une tâche bien autrement élevée, la guérison des âmes, le salut du monde, n’userait-elle pas d’un procédé analogue, et ne constituerait-elle pas, en exploitant pour son but toutes les sciences historiques et morales, une science à son usage ? Telle est réellement le mode de formation de la théologie. La foi dit à la philologie : « Viens à mon aide pour accomplir une mission, à laquelle tu n’eusses pu aspirer sans moi, » et elle la transforme en exégèse. Elle invite la philosophie à venir s’asseoir à son école et finit, après l’avoir sérieusement disciplinée, par en tirer la dogmatique. Elle ne méprise pas même la rhétorique et parvient à en faire son auxiliaire sous le nom d’homilétique ; et ainsi de toutes les autres sciences théologiques. Faudrait-il conclure de là que la théologie ne soit qu’un assemblage de connaissances purement humaines, juxtaposées ? Nullement. Le corps humain a beau être composé de matériaux empruntés aux milieux environnants ; il n’est point un simple agrégat ; car il y a là une âme, qui imprime son type à toute cette matière en l’assujettissant au travail de l’élaboration organique. La théologie possède également un principe organisateur, un centre autour duquel elle se constitue en corps de science. Ce centre, nous l’avons vu, c’est son but ; c’est le service de l’Eglise. Otez-lui ce but, il lui arrive comme au corps privé de son âme ; comme on voit dans le cadavre les éléments matériels retomber sous la loi des affinités chimiques à laquelle les avait soustraites pendant un temps la force vitale, pour se disperser et retourner aux divers milieux auxquels l’âme les avait empruntés, ainsi les connaissances théologiques, privées du principe qui les a recrutées et assimilées, rentrent dans leurs domaines respectifs ; l’histoire ecclésiastique redevient une branche de l’histoire générale ; la dogmatique n’est plus qu’un essai de philosophie religieuse ; l’exégèse n’a plus de motif de s’isoler de la philologie ; la critique sacrée ne forme plus qu’un chapitre de l’histoire littéraire ; la liturgique n’est plus qu’une application intéressante de l’esthétique. Le corps est dissous ; c’en est fait de la théologie.
La théologie n’existe donc que comme auxiliaire de l’Eglise dans sa mission de sauver le monde, et le service qu’elle aura à lui rendre résultera de la nature même de cette mission. L’Eglise doit demander deux choses à la théologie : 1° la connaissance approfondie d’un fait ; 2° la théorie réfléchie d’un art.
Le fait sur lequel la théologie doit répandre une pleine lumière, c’est celui du salut ; l’art dont elle doit fournir à l’Eglise une théorie complète et approfondie, c’est l’art de sauver. La science du salut et la théorie de l’art de sauver, telles sont les deux branches de l’arbre théologique. C’est là le vrai principe de la division des disciplines théologiques.
Ces deux parties se réclament et se supposent mutuellement. Comment établir une théorie de l’art de sauver sans la connaissance intime du salut ? Et d’autre part, à quoi bon la science du salut, si ce n’est à fournir à l’Eglise les connaissances propres à perfectionner dans son sein l’art de sauver ? En théologie, tout savoir vise à un faire ; comme tout faire, pour être conscient de lui-même et digne de l’Eglise, doit reposer sur un savoir. N’en est-il pas de même dans les beaux-arts ? Tout repose ici sur la science du beau ; mais cette science à quoi sert-elle, sinon à établir la théorie de chacun des arts au moyen desquels il nous est donné de réaliser le beau ? Le point de départ de la théologie, c’est la science du salut ; mais cette science n’existe qu’en vue de l’art de sauver. Comme l’a dit Nitsch, une seule des parties de la théologie est proprement une scientia de praxi ; mais la théologie tout entière n’en est pas moins une scientia ad praxin.
Nous désignerons la première branche de la science théologique, celle qui se rapporte à l’étude du salut, du nom de théologie spéculative. Nous ne nous laissons point arrêter dans l’emploi du terme spéculatif, par l’abus que l’on en fait généralement. Nous nous rappelons avec une satisfaction intime ce que nous enseignait l’excellent Steffens. Spéculer, disait-il, ce n’est point, comme on le croit, tirer de sa propre pensée l’objet de sa pensée. Par ce moyen-là, l’on n’a jamais affaire qu’aux fantômes de son imagination. Spéculer signifie proprement être aux aguets, épier. Voilà le caractère de la vraie spéculation, digne de ce nom ; c’est observer avec amour l’objet, le suivre d’un regard avide et docile dans son apparition, son développement, son épanouissement ; c’est se livrer à lui en le contemplant avec ce recueillement, avec ce calme profond dans lequel il peut se dévoiler à l’âme, et l’âme peut se l’assimiler par un procédé d’intussusception qui est la seule méthode de réelle connaissance. L’activité de l’âme, qui s’appelle spéculation, n’est donc pas créatrice ; elle a bien plutôt le caractère d’une intime et puissante réceptivité, dont la condition première est le complet oubli de soi-même. Ce mode de connaissance est tout spécialement l’organe du savoir théologique. C’est par ce moyen seul que le théologien parvient à établir et à perfectionner la science du salut. Ainsi se justifie le nom de théologie spéculative, par lequel nous n’hésitons pas à désigner la première branche, la partie proprement scientifique, de la théologie.
La seconde partie, celle qui doit tracer la théorie de l’art de sauver, est la partie technique de la théologie. Elle enseigne à l’Eglise le moyen de réaliser ce fait du salut dont la théologie spéculative lui a dévoilé la nature et le développement jusqu’à cette heure. Ce sera la théorie pratique, proprement dite.
Si le christianisme était une création du génie religieux de l’humanité, un système de vérités du à l’intelligence humaine, la première tâche de la théologie et de chaque théologien serait de le reproduire de toutes pièces et sous une forme toujours plus adéquate à son principe, la raison absolue. La première branche de la théologie serait, à ce point de vue, la théologie systématique. Mais le christianisme n’est point essentiellement un système de vérités. Comme le développe saint Paul 1Cor. ch. 1, l’Evangile, dans son essence, n’est point une sagesse, mais un salut. Or ce salut, c’est un fait, et un fait divin ; c’est Dieu qui sauve ; et lui seul accomplissant le fait, lui seul aussi peut le dévoiler d’une manière adéquate, et l’offrir pur à la foi de l’homme. Dieu est le révélateur du salut aussi certainement qu’il en est l’auteur. Aussi le développement de la révélation a-t-il marché de pair, dans l’histoire de l’humanité, avec celui de la rédemption. L’une n’était que le commentaire de l’autre ; c’était l’œuvre interprétée par son auteur. Commencées ensemble à l’heure de la chute, la rédemption et la révélation, après s’être développées parallèlement dans toute l’ancienne alliance, se sont consommées simultanément à la fondation de l’Eglise. Cette révélation progressive a été graduellement déposée dans des documents divins comme elle, et le premier service que l’Eglise réclame par conséquent de la théologie, c’est de l’aider à fouiller dans ces écrits sacrés, archives de la révélation, documents authentique du salut, et de lui en dévoiler tout le sens ; car c’est le mot de Dieu et non celui de l’homme que l’Eglise a par-dessus tout besoin d’entendre. Dans cette manière de concevoir l’Evangile, qui est celle de l’Evangile lui-même, la première branche de la théologie spéculative est naturellement la théorie exégétique.
Sous cette dénomination, nous comprenons non seulement l’exégèse proprement dite, mais en général toutes les sciences qui se rapportent à l’intelligence des Ecritures. La critique, qui recherche scientifiquement l’origine des livres bibliques et qui travaille à en rétablir le texte dans sa pureté ; la philologie sacrée, qui étudie les langues originales dans lesquelles ils furent composés, et dont la haute mission est de reproduire fidèlement la Bible dans les langues modernes, de manière à la rendre également accessible à tous ; l’herméneutique sacrée, qui indique les modifications que doivent subir les lois de l’interprétation générale, lorsqu’elles s’appliquent à des écrits inspirés ; l’archéologie, qui rassemble toutes les données historiques, géographiques et sociales, auxquelles font allusion les écrivains sacrés, et présente le tableau complet des circonstances extérieures au sein desquelles s’est développée la révélation. Le couronnement de toutes ces sciences particulières, c’est l’exégèse proprement dite, dont elles ne sont que les auxiliaires. Le télescope découvre chaque jour au ciel de nouveaux soleils et de plus éclatantes merveilles. Les Ecritures sont le ciel de l’Eglise, et l’exégèse est l’instrument par lequel la théologie, en sonde les profondeurs, et ouvre chaque jour à l’Eglise de nouvelles perspectives dans l’infini du plan divin, ce « mystère conçu avant les siècles pour notre gloire » (1 Corinthiens 2.7).
Mais l’exégèse livre à l’Eglise les éléments de la révélation, comme elle les trouve dans les livres où ils sont déposés, c’est-à-dire sans ordre logique, épars, comme les fragments d’une pensée brisée dont l’expression a dû se régler, à toutes les époques, sur la marche historique de l’humanité. La révélation, en effet, ne s’est pas produite systématiquement, sous la forme d’un catéchisme ; son développement a été incessamment assujetti à des circonstances particulières de temps et de lieux qui en ont déterminé à chaque phase le contenu et les contours. Chaque prophète ne recevait du trésor de la pensée divine que ce que le moment où il parlait réclamait et pouvait supporter. Comment l’esprit de l’homme, dominé comme il l’est par la loi de l’unité, pourrait-il s’en tenir là ? Comment ne chercherait-il pas à coordonner ces matériaux, que le travail exégétique a mis au jour, et en quelque sorte extraits de la mine ? Il le fera d’autant plus nécessairement qu’il pressent, dans ce désordre apparent, un ordre sublime ; dans cette variété infinie, une unité supérieure de plan et de conduite. Comme la science de la nature n’a pas eu de repos qu’elle ne soit parvenue à découvrir dans chaque créature une pensée divine, entre chacune de ces pensées une connexion, et dans le chaos apparent de la création, une conception unique, une marche continue, une pensée qui se ramifie à l’infini dans cette merveilleuse variété de formes et d’organismes, ainsi la théologie aspire à recomposer le corps dont elle rencontre les membra disjecta dans les textes bibliques, et à ramener tous ces matériaux à leur unité idéale, antérieure à toute existence réelle. Elle prétend repenser cette divine προθθεσις dont parle si souvent saint Paul, et qui est le fond éternel d’où jaillit l’histoire. L’unité cherchée par la théologie n’est donc point une simple conception logique, elle réside dans la pensée même de Celui qui a conçu et exécuté le salut. La théologie, en systématisant, n’invente pas plus que la science de la nature ; elle découvre ce qui était. Mais, dira-t-on, l’Evangile serait-il donc essentiellement un système, une sagesse ? Assurément non ; mais le même saint Paul, qui le nie si énergiquement, déclare cependant hautement que lui aussi il annonce « une sagesse parmi les parfaits » (1 Corinthiens 2.6). Cette sagesse, c’est précisément le plan éternel du salut, qui a abouti à la croix. Antérieur au monde, il a été le principe de sa création, la norme de son développement, la clef de son histoire, le type de sa perfection. La croix a traduit en fait cette pensée éternelle ; la théologie travaille à retraduire le fait en pensée, et à le ramener ainsi en quelque sorte à sa forme première, afin de le contempler dans son essence. L’intelligence humaine n’a pas de tâche plus sublime ; c’est spécialement celle de la théologie systématique, seconde branche de la théologie spéculative.
Elle ne l’accomplit que graduellement. Notre intelligence ne parvient que peu à peu à établir le lien qui rattache à la pensée centrale du salut, les éléments variés et hétérogènes, que l’exégèse livre à notre méditation. La tâche de la théologie, sous ce rapport, ne sera achevée que lorsque tout le contenu de tous les textes bibliques sera parfaitement rattaché et subordonné à la pensée du salut, et que de la croix la lumière aura pénétré, comme de son centre, jusqu’aux points les plus reculés de la circonférence biblique ; en d’autres termes, lorsque tous les résultats de l’exégèse auront trouvé leur place dans le système.
Trois sciences particulières nous paraissent appartenir à cette seconde branche de la théologie spéculative : la dogmatique, qui cherche à comprendre le salut dans sa réalisation, aussi bien que dans ses présuppositions et ses conséquences ; l’éthique, qui pose ce fait du salut comme fondement de l’édifice d’une vie humaine spiritualisée, soit dans l’individu, soit dans la société ; et la polémique, qui repousse les altérations dogmatiques ou morales que peut subir dans l’Eglise l’interprétation du droit divin. Cette dernière discipline n’est que la contre-partie des deux précédentes.
La pensée éternelle du salut s’est réalisée dans le temps, et a été dès ce moment proposée à la foi de l’homme, pour se développer et se consommer dans l’humanité. A partir donc du jour de la fondation de l’Eglise, le salut peut être étudié, non plus seulement dans la Parole écrite qui déroule les phases de son développement intrinsèque, ou dans la pensée divine qui en renferme le type éternel ; mais dans l’histoire de l’humanité dont il forme désormais le principal moteur, le fait saillant. Il est impossible que l’Eglise de chaque siècle ne demande pas à la science, qu’elle entretient pour son usage, de lui faire connaître le développement de la société, que l’on peut appeler la communauté des sauvés, et ne cherche pas à se mettre en relation avec ses propres origines ; car, pour devenir librement ce qu’elle doit être, elle doit comprendre ce qu’elle est ; et elle ne peut y parvenir qu’en connaissant ce qu’elle fut. Voilà le service que l’Eglise réclame de la théologie historique, troisième branche de la théologie spéculative.
De même que l’Eglise s’adresse, pour l’intelligence des Ecritures, à ceux de ses membres qui ont le droit d’interpréter les langues, c’est-à-dire les paroles inspirées, et que pour être initiée à la pensée divine dans sa simplicité éternelle, elle fait appel aux docteurs, à ceux qui ont reçu le don de connaissance, de même elle a recours à ceux de ses membres qui possèdent le don de divination historique, l’esprit de prophétie pour comprendre, par son passé, son présent, et deviner par son présent son avenir, afin de travailler avec Dieu à le réaliser.
La théologie historique renferme les sciences suivantes : 1° et 2° l’histoire de la théocratie, avec son complément, la théologie biblique. Cette dernière science cherche à saisir dans leur individualité les époques successives de la révélation qui correspondent aux phases de l’histoire théocratique, ainsi que les types divers et simultanés sous lesquels s’est produite la révélation au terme de son développement, en Jésus-Christ et dans ses apôtres. La théologie biblique pourrait être appelée l’histoire des dogmes dans le cours même de la révélation. Rien de plus délicat que l’analyse à laquelle se livre cette science ; c’est une mer pleine d’écueils, si l’on n’a pas en main la boussole ; et voilà pourquoi il ne faut s’y aventurer qu’avec le secours de la théologie systématique. Comme dans la nature la connaissance des espèces suppose celle du genre auquel elles appartiennent, ainsi dans la révélation, la distinction des phases successives et des types variés suppose la connaissance approfondie de l’unité qui sert de base à ces formes de la vie ; autrement, l’on cède à l’attrait de forcer les différences, de découvrir des contrastes, de changer les nuances en opposition et la variété en contradiction. C’est là, ce nous semble, l’un des principaux défauts de la théologie biblique, telle qu’elle a été traitée récemment en France. 3° et 4° l’histoire de l’Eglise, avec son complément, l’histoire des dogmes. Elle nous montre le développement de l’arbre dont les deux sciences précédentes nous avaient présenté le germe, 5° et 6° la statistique et la symbolique, qui achèvent le tableau du développement de l’Eglise et donnent, si l’on ose dire ainsi, la coupe de l’arbre dans le moment actuel. La première est la clôture de l’histoire ecclésiastique ; la seconde, celle de l’histoire des dogmes, dont le terme est en effet l’exposé des différences confessionnelles actuellement
Nous voici arrivés au point où la théologie spéculative peut passer le sceptre à la théologie pratique. L’Eglise ne voulait savoir que pour agir. L’étude des Ecritures l’a fait assister au développement de l’œuvre divine ; La théologie systématique lui a fait contempler cette œuvre dans sa beauté idéale. Elle a vu enfin dans la théologie historique cette même œuvre réalisée, d’une manière imparfaite encore, dans sa propre histoire. A l’œuvre maintenant pour achever ce que Dieu a fondé, ce que l’Eglise a édifié de concert avec lui ! Mais de quelle manière et par quels moyens ? C’est ce qu’une nouvelle branche de la théologie est chargée de conclure de toutes les sciences précédentes. Car, après avoir compris l’histoire, l’Eglise est appelée à la faire. Le terme de la théologie spéculative, la connaissance de l’état présent de l’Eglise s’offre ainsi comme le point de départ normal de la théologie pratique.
Orientée par la théologie spéculative, l’Eglise se trace dans la théologie pratique son plan de travail en partant du point auquel l’œuvre divine est actuellement parvenue. Or, la forme de son activité pratique est déterminée par la nature variée des matériaux sur lesquels elle doit exercer sa puissance. L’Eglise a devant elle trois espèces de sujets sur lesquels elle est appelée à agir. Les uns lui appartiennent déjà virtuellement et partiellement ; ce sont des éléments qui, dans une certaine mesure, lui sont homogènes et qu’elle doit travailler à s’assimiler tout à fait. Les autres lui sont encore étrangers ; elle n’a soutenu jusqu’ici aucune relation avec eux ; sa tâche est de s’approcher d’eux et de les gagner. Des troisièmes enfin lui sont positivement hostiles. Ils connaissent le christianisme et n’usent de cette connaissance que pour l’attaquer et le détruire. C’est à se défendre que l’Eglise est appelée vis-à-vis d’eux.
L’art de sauver se ramifiera donc dans la pratique en trois activités différentes : édifier les croyants, gagner les non-croyants, réfuter les adversaires ; administrer, conquérir, défendre ; et la théologie pratique renfermera par conséquent trois disciplines principales : la science de l’édification de l’Eglise, que nous appellerons l’économie ecclésiastiquek ; celle de la conquête du monde ou la théorie de la mission, et enfin, la théorie de la défense du christianisme ou l’apologétique.
k – Ce nom que je propose n’est pas sans précédents bibliques (Luc 12.42 ; 1 Timothée 3.5). Le terme d’ecclésiologie désignerait plutôt, ce me semble, le chapitre de la dogmatique qui traite de l’Eglise.
L’économie ecclésiastique est la science du gouvernement et de l’administration de l’Eglise en vue de l’édification de ses propres membres.
Elle comprend, à ce qu’il nous paraît, deux sciences : la politique ecclésiastique et la théorie du saint ministère. La première, empruntant l’idée de l’Eglise à la théologie systématique, recherche les facteurs premiers de la vie ecclésiastique et fonde sur cette analyse la théorie de l’organisation de l’Eglise, de son gouvernement et de ses relations avec les autres formes sociales, celles de l’Etat, par exemple, dans lesquelles s’organise la vie de l’humanité. La seconde applique ces principes aux fonctions multiples par lesquelles le ministère est chargé d’alimenter et de développer la vie de l’Eglise jusqu’à ce qu’elle soit arrivée à l’entière stature de Christ. Ces fonctions sont : le culte, dont cette science donne la théorie dans la liturgique ; la prédication, dont la théorie est fournie par l’homilétique ; l’enseignement religieux de la jeunesse et la cure d’âmes, que la catéchétique et la théologie pastorale guident de leurs conseils.
Toutes ces fonctions supposent déjà une certaine affinité entre celui qui les remplit au nom de l’Eglise et ceux qui en sont les objets. Mais l’Eglise n’est pas seulement appelée à conserver et à cultiver ce quelle possède. Elle a des droits et même des obligations de conquête. Elle est appelée et elle se sent intérieurement poussée à la mission. Cette activité conquérante s’exerce d’abord sous la simple impulsion de l’instinct chrétien, c’est-à-dire de la charité ; mais l’Eglise se sent bientôt pressée de recueillir au profit de l’avenir les expériences du passé. L’activité instinctive se transforme en activité réfléchie, et ainsi naît la théorie de la mission, qui est comme la stratégie ecclésiastique. Cette science est très récente. Elle ne fleurit encore que dans les instituts de missions. Nous savons qu’elle est remarquablement traitée dans celui de Bâle par l’homme éminent qui le dirige actuellement.
Cependant l’œuvre de l’Eglise dans le monde et dans son propre sein ne produit pas seulement la foi, elle engendre aussi la résistance et provoque la lutte. L’Eglise est ainsi forcée de revenir de la conquête à la défense, et tout en s’avançant constamment sur le sol étranger, de se retrancher parfois sur le terrain même qu’elle a déjà conquis, derrière ses propres remparts. L’apologétique est le terme de la théologie pratique et en même temps la couronne et le faîte de la théologie tout entière. Elle fait appel, en effet, à toutes les ressources de la science chrétienne. Elle est pour la théologie ce qu’est, pour un peuple dont l’existence même est menacée, la levée en masse. Elle prouve d’abord, au moyen des documents étudiés par l’exégèse, que le christianisme veut et prétend être la religion absolue et définitive. C’est ce qui ressort du caractère divin que sou fondateur attribue à sa personne et à son œuvre. Elle démontre ensuite que ce que le christianisme prétend être, il peut et il peut seul l’être ; cette preuve, elle l’a tirée de l’étude interne du christianisme et de l’étude critique des autres religions. Elle emploie surtout dans ce but la théologie systématique. Enfin, elle prouve par les faits de l’histoire de l’Eglise, considérés en eux-mêmes et en rapport avec les prophéties accomplies et non accomplies ; que ce qu’il veut et peut être, il l’a été dès longtemps, et il l’est présentement pour des milliers d’âmes ; il le devient de plus en plus pour toute l’humanité. Ce caractère, en quelque sorte récapitulatoire de l’apologétique, légitime la place dernière que notre construction de la théologie est naturellement conduite à assigner à cette science. L’apologétique est comme le fruit parfait et exquis de l’arbre théologique.
Résumons-nous : la théologie, c’est l’étude des merveilles de l’amour divin envers l’humanité et la recherche des moyens les plus propres à les publier et à les réaliser complètement sur toute la terre. Pour accomplir sa noble tâche, la théologie commence par contempler. Elle contemple et sonde les merveilles du salut telles qu’elles s’étalent au firmament des Ecritures. Elle contemple et saisit l’ordre dans lequel elles se groupent autour de leur centre, la croix. Elle contemple et suit avec admiration leur réalisation imparfaite encore, mais croissante, dans le développement de l’Eglise. La théologie spéculative a achevé son œuvre. Saturée de contemplation, la science se tourne vers l’action. Enflammée d’amour pour l’Eglise, objet, théâtre et instrument de si grandes œuvres, la théologie recherche avec un saint empressement les moyens les plus efficaces d’achever le développement de l’Eglise en consommant ses membres, en étendant son domaine et en faisant ployer le genou devant le chef de l’Eglise à ceux qui le renient.
Cela fait, la théologie a accompli sa tâche ; il ne reste plus à la foi chrétienne qu’à s’alimenter des fruits de cet arbre de la science qu’elle a elle-même planté. Sortie de la vie, la théologie ramène à la vie. Le ministère évangélique est l’intermédiaire par lequel s’opère ce retour. Il n’est pas un acte du saint ministère, fût-ce le plus modeste et le plus obscur, pas une leçon de religion, pas une visite de malade, pas le plus simple service liturgique à l’accomplissement duquel ne concoure le savoir théologique tout entier, aussi réellement que dans chaque fruit de la plante se concentre le travail de toute la végétation annuelle.
En terminant ce travail, je ne puis m’empêcher de présenter une observation. Du point où nous sommes parvenus, ne pouvons-nous pas mesurer du regard le danger qui menace à cette heure la théologie en France ? A la tendance pratique, qui est l’âme de la théologie, qui en détermine l’existence et en règle la marche, se substitue une tendance que nous appellerons spéculative dans le sens ordinaire et fâcheux du mot. Ce qui semble présider en bien des cas à l’étude théologique, ce n’est plus la préoccupation du salut, c’est celle de la vérité. La théologie est ainsi altérée dans son essence. Au lieu de la science que l’Eglise a fondée et qu’elle entretient à son usage, nous avons une science d’amateur, destinée à satisfaire la curiosité ou l’amour-propre de celui qui la cultive, une sorte de philosophisme religieux qui n’est plus qu’une branche du savoir humain. La tâche que se propose une pareille théologie, c’est la lutte intellectuelle contre l’erreur, non la destruction du péché. Subjuguée par l’attrait palpitant des questions sociales et humanitaires, cette théologie-là perd de vue les intérêts austères du salut, et ne tarde pas à en effacer jusqu’à la notion. Elle aspire à obtenir de la société la reconnaissance collective du christianisme et oublie de viser à la conversion individuelle, qui est pourtant la seule œuvre solide et salutaire, et poursuivant l’utopie judaïque d’une transformation graduelle de la société humaine en royaume des cieux, elle déchire de ses mains, qui devaient être les gardiennes du dépôt sacré, le vrai programme messianique, applicable aussi bien à l’Eglise qu’à son Chef : arriver à la vie par la mort, à la victoire par la défaite, au dimanche de Pâques par le vendredi de la Passion. Sans doute on pourrait penser que se proposant pourtant aussi une noble tâche, cette théologie aura néanmoins son utilité. Mais il n’en est rien. Une pareille science perd pied peu à peu sur le sol qu’elle prétendait défendre, et, précisément parce que le but est mal placé, elle fait fausse route dès le point de départ et finit par passer à l’ennemi avec armes et bagages.
Ce danger est grave, non seulement en lui-même et parce que l’œil de l’Eglise étant mal éclairé, le corps entier risque d’être pour un temps plongé dans les ténèbres ; mais encore par la réaction qui doit résulter d’une telle erreur, et par l’excès opposé qu’elle ne manquera pas de provoquer.
Choqués de voir s’élever une science qui méconnaît l’essence de l’Evangile, qui, au lieu d’y trouver avant tout un salut, n’y cherche plus qu’une sagesse, les meilleurs diront : A quoi bon tant de savoir ? et se refuseront à y chercher encore ce système admirable, cette sagesse pour les parfaits, que saint Paul déclare pourtant être renfermée dans le salut même (1 Corinthiens 2.6). La vraie spéculation pâtira des écarts de la fausse, et la vraie science chrétienne aura peine à se dégager de toute solidarité avec cette science faussement ainsi nommée, que signalait déjà saint Paul. Antioche et Alexandrie feront de nouveau scission, au grand dommage de l’une et de l’autre et de l’Eglise entière. Ne sommes-nous pas déjà témoins des premiers symptômes de cette inévitable mais redoutable réaction ?
Que la théologie de nos jours consente donc, avant tout, à se retremper dans le vrai principe sur lequel repose son existence ! Ce sera le moyen efficace de remédier à un développement qui se fausse ! Qu’au lieu de vouloir dominer la foi elle consente à la servir ! C’est encore un assez beau rôle que d’être l’ancilla Ecclesiæ, la servante de l’épouse de Jésus-Christ. Que le théologien se rappelle que, quand il étudie, c’est l’Eglise qui étudie en lui, et que sa satisfaction personnelle n’appartient point à l’essence d’une telle étude ; que, semblable à l’œil qui ne perçoit la lumière qu’au nom et pour le compte du corps, il envisage chaque regard qu’il lui est donné de jeter dans les merveilles de l’amour divin comme une grâce accordée, non à sa personne, mais à l’Eglise, et qu’il doit faire valoir à son profit.
Voilà l’étroitesse de la science théologique. Il faut l’accepter sous peine de voir s’évanouir la théologie et bientôt l’Eglise elle-même. S’en départir, c’est en effet dissoudre la théologie dans la science et l’Eglise dans l’humanité. Mais la théologie a aussi sa largeur. Si, d’un côté, l’Evangile ne doit pas s’évaporer en oiseuse spéculation, de l’autre, il ne doit pas non plus se dessécher en mesquine pratique ou en morte formule. Cet Evangile, que Dieu a étendu sur nos têtes comme une tente destinée à parer aux ardeurs brûlantes du péché, du doute, de la tentation, de la douleur et du remords, ne le laissons pas sans doute s’envoler dans les airs comme un ballon au souffle de la science, mais ne permettons pas non plus que, sous la pression de l’ignorance, ses courtines se replient et, s’affaissant sur elles-mêmes, étouffent ceux que l’abri devait sauver ! Conservons à la foi évangélique toute sa largeur, sans rien sacrifier de son caractère positif ; et pour cela, maintenons dans l’Eglise une vraie science théologique qui, tout en reconnaissant le salut comme l’essence de l’Evangile, sache de plus en plus mettre au jour les trésors de connaissance et de science renfermés en Jésus-Christl. Entretenons toujours dans l’Eglise une sagesse assez élevée pour tenir tête à celle du siècle, assez forte pour s’en assimiler toutes les réelles conquêtes, et assez souple pour offrir en chaque temps à l’Eglise le modèle d’une organisation et d’une action parfaitement adaptées aux besoins sociaux.
l – « En qui sont renfermés tous les trésors de la sagesse et de la science. » (Colossiens 2.3)
Tout croyant ne doit certainement pas être théologien, mais il est bon, il est indispensable pour tout croyant qu’il y ait une théologie ; et serait-il téméraire d’appliquer au rapport de la foi et de la science les paroles de saint Paul sur la relation mutuelle des deux sexes (1 Corinthiens 11.8-11), en disant et aux théologiens et à l’Eglise :
« La foi n’a pas été tirée de la science ; c’est la science qui a été tirée de la foi… Néanmoins la foi n’est pas sans la science, pas plus que la science sans la foi en notre Seigneur. »