Élisée fils de Saphat

5.
La multiplication de l’huile

La montagne de Dieu est une montagne fertilea, dit David dans le Psaume 68. Il faut entendre ces paroles spirituellement. La véritable Eglise est une ville sur une montagne. Combien ne se distingue-t-elle pas du reste du monde ; combien n’est-elle pas exposée aux orages ? Mais quels spectacles magnifiques, inconnus aux régions inférieures, y ravissent les yeux de tous côtés !

a – Traduction de Luther ; littéralement : un mont de Bassan.

C’est une montagne fertile. Et en effet que de fruits y prospèrent qu’on chercherait vainement ailleurs. C’est là que sont le véritable amour, la prière enfantine et tant d’autres rejetons du paradis qu’on ne trouve plus dans le jardin des hommes ! Heureux le peuple à qui l’héritage est échu dans ces lieux agréables ! (Psaumes 16.5-6)

Mais les habitants de cette montagne n’ont-ils que des biens spirituels ? Non, mes amis, ils recueillent du chanvre et de la laine pour leurs habits et du pain en abondance. De plus, ils n’ont jamais de famine. — Quoi, jamais ? — non, jamais. Car Dieu lui-même est leur champ, leur magasin, leur trésor, que sais-je encore ? Notre texte d’aujourd’hui nous fournit l’occasion de nous en convaincre.

2 Rois 4.1-7

1 Or une veuve d’un des fils des prophètes cria à Élisée, en disant : Ton serviteur, mon mari, est mort, et tu sais que ton serviteur craignait l’Eternel, et son créancier est venu pour prendre mes deux enfants, afin qu’ils soient ses esclaves. 2 Et Élisée lui répondit : Qu’est-ce que je ferai pour toi ? déclare-moi ce que tu as en la maison. Et elle dit : Ta servante n’a rien dans toute la maison qu’un pot d’huile. 3 Alors il lui dit : Va, demande des vaisseaux dans la rue à tous les voisins, des vaisseaux vides et n’en demande pas même en petit nombre. 4 Puis rentre et ferme ta porte sur toi et sur tes enfants, et verse de ce pot d’huile dans tous ces vaisseaux, faisant ôter ceux qui seront pleins. 5 Elle se retira donc d’auprès de lui, et ayant fermé la porte sur elle et sur ses enfants, ils lui apportaient les vaisseaux, et elle versait. 6 Et il arriva qu’aussitôt qu’elle eut rempli les vaisseaux, elle dit à son fils : Apporte-moi encore un vaisseau ; et il répondit : Il n’y en a plus ; et l’huile s’arrêta. 7 Puis, elle s’en vint et le raconta à l’homme de Dieu, qui lui dit : Va, vends l’huile et paie ta dette, et vous vivrez, toi et tes fils, de ce qu’il y aura de reste.

La guerre contre Moab est terminée, les rebelles sont couchés dans la poussière par la main du Tout-Puissant. Élisée a quitté l’armée ; il erre parmi son peuple, secourant les malades et les pauvres. Le trait que nous allons rapporter nous fournit une preuve nouvelle du caractère particulier de la vocation d’Élisée, envoyé de la part de Jéhovah, comme messager de pardon et d’amour. Oh ! c’est là une belle, une touchante histoire ; une histoire propre à affermir la foi. Examinons de plus près, et méditons sur l’affliction de la pauvre veuve, son recours au prophète et le secours qui lui est accordé.

I

Le lieu où se passe notre histoire n’est pas nommé ; peut-être était-ce Guilgal, où se trouvait une école semblable à celle de Jéricho et de Béthel. Nous avons souvent parlé de ces écoles dans l’histoire d’Élie, afin de faire connaître cette institution et son but. Samuel en fut le fondateur. C’étaient des associations volontaires entre des jeunes gens et des hommes d’âge mûr, en partie réunis sous un même toit, en partie habitant dans des cabanes isolées ; ils vivaient en frères, travaillaient de leurs mains, cultivaient la vigne et l’olivier, conduisaient la charrue, mais s’occupaient en même temps de choses spirituelles, étudiaient l’histoire sacrée, les révélations divines, la musique, ainsi que les autres arts et sciences qui peuvent se rattacher au service de Dieu. Un prophète dirigeait l’institution sacrée. Lorsque le Seigneur ne l’appelait pas ailleurs, il demeurait tantôt chez l’un des frères, tantôt chez l’autre, les visitait tous, les enseignait individuellement, ou les rassemblait autour de lui pour les instruire dans la connaissance et la sagesse divine, pour prier avec eux et chanter les louanges du Seigneur. Ces écoles libres, suivies par des hommes pieux et éclairés, et que l’on peut comparer jusqu’à un certain point à nos instituts de missions, réunissaient l’élite du pays et, depuis Samuel, étaient les foyers où brûlait dans toute sa pureté et son éclat le feu de Jéhovah. Ce qu’Israël était au monde, ces écoles l’étaient à Israël, les dépositaires de la vraie lumière. La vie spirituelle et divine s’y concentrait, et de là se répandait dans le reste du peuple pour le ranimer, comme dans le corps humain le sang circule du cœur dans les membres. C’étaient des sources vives au sein du désert ; de florissantes pépinières pour le royaume de Dieu ; c’était enfin le sel d’Israël, en même temps que sa plus belle couronne. Aussi l’Eternel y choisissait-il la plupart de ses prophètes.

Beaucoup de ces hommes, que l’Ecriture nous désigne sous le nom de fils des prophètes, étaient mariés et pères de famille. Nous comprenons donc le sens de cette expression : une veuve d’un des fils des prophètes. L’imagination nous transporte dans l’humble demeure de cette femme ; et ces murs dépouillés, ces meubles chétifs, cette table et ce banc de bois, ce lit de paille dans un coin obscur, nous disent assez sa malheureuse position ; mais elle se lit bien mieux encore sur le pâle visage de cette femme mal vêtue qui vient au-devant de nous, les yeux baignés de larmes, et dont les traits rappellent un paysage nocturne faiblement éclairé par la douce lueur d’une étoile. — Si elle n’offre pas l’image d’une douleur sans espoir, c’est qu’elle est fille d’Abraham non seulement par la chair, mais aussi par la foi. Elle connaît le Seigneur et lui appartient. Et Lui, Il l’aime, Il la porte dans ses bras ; Il a pour elle une demeure dans les cieux, des vêtements blancs et une couronne de justice ! Elle connaît, en partie du moins, les gratuités de l’Eternel ; elle en fait son appui, elle y attache ses regards comme à l’étoile dont la lueur bienfaisante vient percer les ténèbres qui l’environnent. Sans cette consolante assurance, elle eût déjà succombé à sa misère, et le sombre abîme du désespoir l’eût engloutie. Les épreuves les plus sévères qui puissent être dispensées aux mortels lui ont été infligées. Son mari, l’ornement et la couronne de sa maison, dort dès longtemps sous le vert gazon de la tombe ; une mort prématurée l’a ravi à son amour. Aucun être dans ce monde ne saurait désormais remplir ce vide. Un voile de deuil est jeté sur sa vie, et jamais la blessure que cette perte a faite à son cœur fidèle ne pourra se cicatriser. — Cependant l’affliction causée par la mort de son bien-aimé n’est pas sa plus grande épreuve. Il y a de la douceur et de la consolation dans cette douleur même. L’image chérie de celui qu’elle a perdu est constamment devant ses yeux. Elle se souvient de son amour, de sa fidélité, de l’heure mémorable et sacrée de son départ pour la céleste patrie ; surtout son âme se réjouit à la pensée de le retrouver bientôt dans les lieux saints où l’Eternel essuie pour toujours les dernières larmes de ses enfants affligés, où il n’y aura plus de souffrances, plus de mort, plus de départ ni de séparation. — Oh ! quel baume cette espérance répand sur cette âme blessée ! — D’ailleurs, elle a reçu ce coup directement de la main de Dieu, et quelque douloureux qu’ils soient, de tels coups ne sont jamais les plus accablants, surtout si le cœur sait prononcer le nom d’Abba, et qu’il croie à ces paroles : Le Seigneur châtie ceux qu’il aime. — Oh ! c’est alors qu’on peut s’écrier avec David : Je te prie que je tombe entre les mains de Dieu plutôt qu’entre les mains des hommes. La pauvre veuve a fait, elle aussi, la triste expérience de ce que c’est que tomber entre les mains d’hommes sans pitié ; et cette expérience a été la goutte la plus amère de son calice de douleur. — Son mari n’avait pu faire autre chose avant sa mort que la recommander à la paternelle protection du Tout-Puissant ; il la laissait dans la plus grande pauvreté et n’ayant pour asile qu’une petite chaumière probablement déjà engagée pour dettes. Ces dettes (le plus lourd des fardeaux terrestres), elle n’avait aucun moyen de les payer ni pour le présent, ni même pour l’avenir. Qui sait comment elles avaient été contractées ? Sans doute la légèreté n’en était point la cause. — Il est intéressant de lire à ce sujet une ancienne tradition hébraïque, quoique l’on ne puisse être parfaitement certain de l’authenticité des faits qu’elle rapporte.

Suivant ce récit, la position actuelle de la pauvre veuve offre un contraste frappant avec celle où elle se trouva jadis. « C’était, est-il dit, une femme appartenant à une famille distinguée. Son mari était ce pieux Abdias qui remplissait une charge à la cour du roi Achab, et dont il est rapporté dans l’histoire d’Élie qu’il cacha cent prophètes dans de secrètes tavernes, et les y nourrit de pain et d’eau tant que dura la persécution de Jésabel contre les fidèles d’Israël. On dit que cette reine, ayant appris la généreuse conduite d’Abdias, le priva de son emploi et qu’il se fixa alors avec sa famille au milieu des prophètes, afin de vivre de ses mains et de se consacrer entièrement au Seigneur et à sa cause. La dette qu’il avait laissée à sa femme provenait de l’entretien de ces cent frères pendant le temps de leur exil. — Il avait espéré de pouvoir éteindre peu à peu cette dette en prenant sur son revenu de chaque année ; mais bientôt après il reçut sa démission, et dans l’état de pauvreté auquel il fut réduit, il ne put en payer qu’une faible partie.

Telle est la tradition. La pauvre veuve se trouve donc dans une grande détresse : elle a vendu, pour satisfaire son impitoyable créancier, tout ce qui ne lui était pas absolument indispensable, et les fils des prophètes, malgré leur pauvreté, lui ont aussi apporté leur obole. Mais hélas ! ces ressources réunies ne suffisent point pour compléter la somme, et le cruel lui annonce que s’il n’est pas payé à un temps fixé, il prendra les deux fils de la veuve pour en faire ses esclaves pendant sept ans. La loi d’Israël lui en donnait le droit. Représentez-vous ce que dut souffrir la pauvre mère à l’ouïe de ces paroles ! Ses enfants ! tout ce qui lui restait ! sa seule consolation, et après Dieu son unique espérance ! Et se les voir enlever d’une manière aussi cruelle ! Ah ! pendant combien de nuits ne baigna-t-elle pas son chevet de larmes à la suite de cette menace ! Sa situation semblait désespérée et elle aurait succombé à sa douleur, si la parole de l’Eternel n’eût été sa consolation et la lumière qui l’éclairait au milieu des ténèbres. A ceux qui pourraient douter de l’amour du Père céleste à son égard, nous répondrons que le Tout-Puissant le manifeste de diverses manières ; il peut quelquefois, dans son amour pour ses enfants, les serrer dans ses bras et les presser si étroitement contre son cœur, qu’ils succombent à cette étreinte. — Oh ! dans combien d’occasions l’enfant de Dieu est abandonné des hommes dans le cours de la vie ! Mais qu’importe ! dans ce désert se trouve quelqu’un pour qui c’est chose facile que de faire jaillir l’eau du rocher ou croître des raisins sur des épines. Il n’accomplit ces merveilles qu’au désert. Si les saints de Dieu sont affligés et souffrants dans ce monde, on doit les comparer à des gens que l’on conduit les yeux bandés au haut d’une montagne, afin que la vue dont on jouit de son sommet les surprenne et les charme davantage. Ce n’est pas non plus pour amener la nuit que le soleil se couche, mais pour laisser le ciel étoilé se dévoiler dans toute sa gloire. Lorsqu’un berger prend sa faible brebis et la plonge dans l’eau pour la nettoyer de ses souillures, il s’incline vers elle en lui répétant : « Je suis près de toi, il ne t’arrivera aucun mal ! Pourquoi donc gémir ? — Laisse, ô petite brebis, laisse faire le berger selon son bon plaisir ! »

II

Le jour où doit s’accomplir la terrible menace est arrivé. Comment décrire l’angoisse de la pauvre veuve ? Les prières des fils des prophètes n’auront pas fait défaut, mais le cœur du créancier n’a point été atteint, il est au contraire devenu plus dur et plus inflexible, car il hait le peuple du Seigneur ; il est ennemi de la paix. La veuve opprimée n’a de recours qu’en Celui qui est le juge de la veuve et le père des orphelins ; elle essaie de lui ouvrir son cœur brisé. Mais vous savez qu’au temps de la loi, les fidèles n’osaient pas s’approcher du trône de Dieu avec autant d’assurance que les disciples de l’Evangile. « Le chemin des lieux saints » n’avait point été manifesté. Nous comprenons à peine quels épais nuages ils avaient à traverser dans leurs prières, surtout lorsqu’elles avaient rapport à des bénédictions terrestres. Ah ! lorsque ce trône dont le fondement est justice se révélait à leur œil intérieur, et que le feu ardent de la sainteté brillait devant eux ; lorsque la majesté devant laquelle les anges tremblent apparaissait à leur âme, et que la pureté éclatante du Très-Haut leur montrait les taches de leur vie plus sombres et plus noires encore, ne devait-il pas leur sembler téméraire d’oser pénétrer, misérables enfants de la poudre, au séjour de l’infinie splendeur pour importuner de leurs affaires le roi des rois ! Que de combats, que d’angoisses, avant que le suppliant, presque anéanti dès ses premiers pas, pût seulement atteindre le seuil du sanctuaire ! Oui ! mes bien aimés ! il nous est facile de prier notre Dieu fait homme. Nous lui disons ce qu’aucun Israélite ne pouvait lui dire : « Seigneur ! tu as éprouvé toi-même ce que désire un pauvre ver de terre dans tel ou tel cas ». Nous nous écrions : Abba, notre Père en Jésus-Christ ! exauce-nous ! Nous savons que notre médiateur est auprès de Dieu, et que nos demandes sont purifiées par ses mérites. Oh combien la prière s’élève facilement sur les ailes de pareilles pensées ! Comme elle perce les nuages ! Ce n’est plus un travail. Il devient aussi facile, aussi doux de prier que de respirer. La prière des anciens, au contraire, était une lutte contre mille obstacles, une pénible navigation par un vent contraire et par une mer orageuse à travers les brisants. De quels épais nuages un lointain avenir ne leur voilait-il pas alors l’œuvre de la sanglante expiation ! Ne nous étonnons plus en voyant ces âmes droites recourir si souvent aux prophètes au lieu d’implorer directement Jéhovah. Dans ces temps d’ombres et de figures, les prophètes, sauvés eux-mêmes par le Médiateur à venir, étaient établis de Dieu comme des précurseurs et comme des vicaires de cet intercesseur parfait. C’est pour cela qu’on réclamait leur typique intercession. Nous voyons donc notre pauvre veuve s’adresser à Élisée comme à un homme qui mieux qu’elle peut s’approcher du Tout-Puissant et qui, étant l’intermédiaire des dons célestes, saura bien lui donner aide et conseil. Elle s’approche en pleurant et lui dit : « Ton serviteur mon mari est mort et tu sais que ton serviteur craignait l’Eternel, et son créancier est venu pour prendre mes deux enfants pour qu’ils soient ses esclaves ! » Ainsi parle cette affligée ; elle ne peut en dire davantage, les larmes étouffent sa voix. Sa bouche ne demande rien, mais on lit sa requête dans ses traits suppliants à peine animés par la lueur d’une timide espérance. Elle avait, sans doute, ouï parler de la délivrance accordée à la veuve de Sarepta, par le moyen d’Élie. Il est si doux, si consolant, de connaître et de méditer les dispensations divines envers d’autres malheureux ! « Ah ! pense-t-elle sans doute, si cette femme a été secourue, pourquoi serais-je abandonnée ? Ne suis-je pas aussi une veuve en détresse, et Élisée pourra-t-il moins accomplir dans la force de Dieu que celui dont il porte le manteau ? »

III

Élisée, profondément touché de la situation de la pauvre mère et sympathisant avec elle, comprend qu’il est appelé à sécher ses larmes et à mettre fin à sa misère par un miracle. Il la regarde avec bienveillance et lui dit par l’impulsion de l’Esprit : « Que veux-tu que je te fasse ? Qu’as-tu à la maison ? » « Ah ! répond-elle, ta servante n’a rien dans toute sa maison qu’un pot d’huile. » « Bien, dit Élisée, va demander des vases à tous tes voisins, des vases qui soient vides et n’en demande pas en petit nombre. Puis entre, ferme ta porte sur toi-et sur tes enfants et verse de ce pot dans tous les vases faisant ôter ceux qui seront pleins. » A ces paroles, le regard de la veuve s’illumine de joie. Comme un homme égaré dans un souterrain, qui, après avoir longtemps erré, verrait tout à coup s’éclaircir les ténèbres, elle pressent avec une vive émotion ce qui va arriver. Peut-être eût-elle hésité à croire que le secours pût lui venir par cette voie extraordinaire, si le miracle de Sarepta ne se fût présenté à sa mémoire. Mais rien ne l’étonne, elle croit fermement qu’une délivrance pareille lui sera accordée. Remarquez ici l’utilité des narrations bibliques. Dieu a voulu qu’elles fussent écrites pour fortifier les croyants jusqu’à la fin des siècles. La veuve s’empresse d’exécuter l’ordre du prophète. Elle emprunte à ses voisins un grand nombre de vases, les porte dans sa chambre, où elle s’enferme avec ses deux enfants, puis, ô moment solennel, elle prend sa cruche presque vide et l’incline sur l’un des vases ; le liquide doré commence à couler, mais ô miracle ! ce vase dix fois plus grand peut-être que la cruche se trouve bientôt rempli. Un second le remplace et se remplit de même, et ainsi de tous les autres. A voir couler l’huile, on eût dit qu’elle ne devait jamais tarir. Déjà tous les vases étaient pleins. La mère, voyant le dernier presque comble, dit à son fils : Apporte encore un vase ! Il répond : il n’y en a plus. Alors, dit le texte, l’huile s’arrêta. Hors d’elle-même d’admiration, de reconnaissance et de joie, la veuve laisse son trésor, court vers l’homme de Dieu et lui raconte ce qui vient de lui arriver ; mais Élisée lui dit : « Va, vends l’huile et paie ta dette et toi et tes enfants vous vivrez du reste. » Qu’elle est heureuse à présent ! Le fardeau qui l’oppressait vient de lui être ôté ! Elle est sauvée des terribles poursuites du créancier, et ses fils, seuls soutiens de sa faiblesse, lui demeurent. Le ciel naguère si sombre lui paraît si bleu, si riant ; l’avenir si doux, si plein d’espérance ! Il lui semble qu’elle fait un rêve de félicité. Mais ce secours était si inattendu, il émane si directement de Dieu, que le prix en est inestimable, N’est-ce pas comme une déclaration formelle de protection et d’amour, n’est-ce pas comme si Dieu lui disait bouche à bouche : « Ne crains point… Moi le soutien des veuves et le père des orphelins, je suis et je serai avec toi ? »

Vous venez de voir encore une fois, mes amis, comment le Seigneur peut délivrer ses élus, et comme il se montre riche en conseil et puissant en moyens lorsque toutes les sources des consolations humaines sont taries. Mais, dites-vous, il n’accorde plus aux siens de telles délivrances ; il ne paie plus ainsi les dettes de ses enfants ! En êtes-vous bien sûrs, mes

frères ? Et lors même qu’il n’agirait plus d’une manière surnaturelle, le secours en est-il moindre parce qu’il se sert de moyens humains et qu’il confie à des mains bienfaisantes les dons qu’il nous destine ? Ecoutez, mes frères, une histoire, mais une histoire véritable. Une veille de Noël, dans un temps de misère et de disette, une pauvre veuve était couchée sur son lit, faible et souffrante. Dans les maisons voisines tout étincelait de lumière ; les enfants joyeux faisaient retentir l’air de leurs cris. Mais elle, pauvre, délaissée, elle n’a que ses larmes. Ses jeunes enfants entourent tristement son lit de douleur. Il n’y a pas un morceau de pain dans la maison, il n’y a pas un sou pour en acheter ! O Seigneur, pense-t-elle, par quel chemin me conduis-tu ? et un profond soupir s’échappe de sa poitrine oppressée. Soudain elle entend dans son cœur : « Qu’as-tu à la maison ? » Ce que j’ai, se dit-elle ? Deux ou trois assiettes vides… voilà tout. — « Mets-les sur la table, et demande des vases à tes voisins et n’en demande pas même un petit nombre. » — La veuve soupire : Que signifie cela ? pense-t-elle ; — mon bon Seigneur, voici mes enfants, sont-ce là les vaisseaux vides ? Ils n’ont ni nourriture, ni vêtements ! « Crois seulement, » lui est-il répondu. A l’instant même la porte s’ouvre, quelqu’un entre, salue amicalement, dépose quelque argent sur la table, et sort aussitôt. Un moment après surviennent d’autres personnes apportant de la viande ou d’autres aliments. Déjà les assiettes sont chargées, et de nouveaux dons arrivent encore. Les enfants doivent aller emprunter des vases et pas en petit nombre. Tout se remplit et ils reçoivent de plus des vêtements et jusqu’à des jouets pour étrennesb. Ce fut l’affaire de quelques instants ; on eût dit que ces personnes bienveillantes s’étaient entendues et cependant aucune d’elles n’avait su les intentions des autres. — Il semblait à la veuve étonnée que son âme était le jouet d’une riante illusion. Mais bientôt elle dut s’écrier : Certainement le Seigneur a visité ce lieu ! et son cœur put à peine contenir sa reconnaissance. En ce moment elle se souvient que son mari, à son lit de mort, lui dit pour dernières paroles : Ne pleure pas, sois tranquille, le Seigneur ne t’abandonnera pas ! « Ah ! dit-elle, je le vois maintenant, c’est le Seigneur qui me parlait par sa bouche ! » Et ceci lui donne plus que jamais l’assurance que son mari appartenait au Seigneur et qu’elle le retrouvera dans le séjour des cieux. O Seigneur, dit-elle alors, puisque ton amour est si grand, tu peux aussi me rendre la santé ! A peine cette prière est-elle formée dans son cœur qu’elle se sent plus forte, plus alerte que depuis des années : elle se lève, rend grâces à Dieu avec ses enfants ; le lendemain elle peut se rendre à l’église, le jour suivant encore, et si, depuis, elle s’est encore sentie faible et malade, elle n’a plus douté, depuis cette époque, qu’il ne fût aisé au Seigneur de la soulager, si tel était son bon plaisir. Telle est mon histoire. — Dites !… la main du Seigneur ne s’y montre-t-elle pas avec évidence ? Mais de quelle époque, de quel pays est cet événement ? Sachez, mes frères, qu’il s’est passé de nos jours, dans notre vallée, au sein de notre Eglise ! Ces choses arrivèrent l’an dernier, la veille de Noël, exactement comme je vous les ai racontées. Jusqu’ici la veuve et moi les avons seuls connues, maintenant vous les connaissez tous, quoiqu’il ne soit pas nécessaire que vous sachiez le nom et la demeure de la veuve. Gravez dans votre mémoire le souvenir de son expérience ; un jour viendra, peut-être, où il contribuera à vous fortifier et à vous consoler. — Frères, je connais une grande et magnifique demeure située au-dessus des nues ; les étoiles l’illuminent, et la route en est plus fréquentée qu’aucune autre en ce monde. C’est de là que tout don parfait descend sur nous. Vous comprenez de quelle demeure je veux parler. Oui, si les sources qui en dérivent étaient fermées, nos prairies et nos champs languiraient, nos labourages et nos semailles seraient inutiles. Si, de ces hauts lieux, la bénédiction n’est prononcée sur nous, nos sueurs demeurent stériles, ou, comme dit Aggée : « Nous mangeons et ne sommes point rassasiés ; nous nous habillons et ne sommes point réchauffés, et nous mettons notre salaire dans des bourses trouées. » Dans cette demeure habite un grand et puissant Seigneur ; les yeux de tous s’attendent à Lui et Il leur donne leur nourriture au temps convenable. Il possède tout en abondance. Il trône dans la majesté et la splendeur ; toute puissance terrestre ou céleste lui est subordonnée. Il règle le monde et ce qu’il contient. Aucun passereau ne tombe en terre sans sa volonté, et pas un cheveu de vos têtes sans qu’il le sache. Il conduit le soleil comme un époux qui sort de la chambre nuptiale ; il trace le chemin des étoiles et les nomme toutes par leur nom. Il revêt de plus grandes splendeurs les lis des champs que Salomon lui-même. Il nourrit les petits des corbeaux ; il pare les arbres de fruits dorés, et il console l’âme affligée et abattue. Il n’a pas besoin qu’on lui donne quelque chose pour donner lui-même. Il a du pain au désert pour nourrir son peuple. Il a de l’eau qui ne vient pas des puits ni des citernes, de la farine et de l’huile pour la veuve, sans moulins et sans pressoirs ; il nourrit et fait servir le solitaire au torrent de Kérith, sans assistance humaine. Jamais il n’est en peine des moyens. Chaque bénédiction qu’il prononce est une corne d’abondance contenant mille bienfaits. « C’est en vain qu’on se lève matin et qu’on se couche tard, et qu’on mange le pain de douleur : Certainement c’est Lui qui donne du repos à celui qu’Il aime ! » (Psaumes 127.2). Et c’est à Lui, à ce Dieu tout puissant, à ce Dieu si riche en bénédictions, si grand en magnificence, que nous devons nous adresser dans le besoin. Il s’est incliné vers nous en Jésus-Christ ! Nous pouvons porter au seuil de sa maison nos corbeilles vides. Ah ! si tels et tels d’entre nous l’avaient essayé, ils ne seraient pas des mendiants ; d’autres ne seraient pas morts dans la misère et dans la détresse, et il y aurait bien moins de pauvreté sur la terre !

b – Il est d’usage en Allemagne de préparer aux environs de Noël des vêtements et d’autres dons destinés aux pauvres.

Mais cette demeure est si éloignée ! dites-vous. — Oh non ! pas tant que vous vous l’imaginez. — Mais le Maître qui l’habite est si grand ! — Oui, il est grand, et c’est pour cela même que rien n’est trop petit à ses yeux. — Mais il est saint. — Oui, il est saint, jusqu’à nous remplir d’effroi ! mais il y a un chemin qui conduit les pécheurs à sa demeure, à son cœur ; ce chemin, c’est Christ. Quiconque va, par ce chemin, frapper à sa porte, ne sera jamais renvoyé à vide. Car, sache-le bien, en Christ, tes prières ne sont plus celles d’un transgresseur, mais d’un juste ; en Christ, ce n’est plus un mauvais serviteur, c’est un enfant chéri qui revient chez son père. En Christ, ce n’est plus un mendiant qui s’approche, mais un héritier de toutes choses. Oui, s’il n’y avait pas de Christ, tu pourrais dire : Le chemin pour aller au palais d’En Haut est trop long ! Car alors il n’y aurait pas de chemin, un abîme nous en séparerait, et quand même toutes les vertus du monde seraient réunies en toi, tu ne pourrais t’en faire un pont pour traverser cet abîme ; mais les mérites de Christ sont suffisants, et tu n’as plus besoin de chercher à franchir par toi-même le précipice. Donne-toi seulement a Christ, alors le Dieu des cieux ne te paraîtra plus éloigné, mais infiniment près. Tu ne verras plus en lui un feu dévorant, mais un tendre père ; tu ne reculeras plus devant lui, mais tu te jetteras dans ses bras ; tu ne te demanderas plus : Oserai-je lui présenter ma corbeille ? Tu iras la lui présenter comme un fils, e elle sera remplie. Tes prières s’élèveront portées sur les ailes de la joie. Et si la porte ne t’est pas immédiatement ouverte, alors, sers-toi des promesses comme d’un bâton pour heurter à la porte du palais. Dis-lui : Seigneur ! je viens chercher ces choses dont tu as promis que tu me les donnerais par dessus ; car je cherche avant tout ton royaume et ta justice. Dis-lui : Je vaux plus que les oiseaux de l’air que tu nourris et que les fleurs des champs que tu revêts, et voici, j’ai faim et je suis nu. — Dis-lui : Père, ce n’est pas un corbeau qui demande sa pâture, c’est un membre de ton fils bien-aimé. — Dis-lui : Tu nous as commandé de nous reposer sur l’Eternel, qui prendra soin de nous ; Père, prends soin de moi !— Ne te lasse point de heurter et de faire du bruit. Que crains-tu ? tu seras exaucé, et lors même qu’il te voilerait son amour, ne recule point ; il a promis de céder à ton importunité comme l’ami de la parabole ! Tout va bien pour vous, frères au Seigneur ! Vous ne manquerez jamais de rien. Au contraire, les biens et la gratuité vous accompagneront tous les jours de votre vie ; les trésors des cieux vous sont ouverts en Jésus. « Toutes choses sont à vous ! » C’est pourquoi soyez joyeux et ayez bon courage !

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