1° L’Introduction à l’A. T., qui s’occupe de la composition des livres sacrés de l’ancienne alliance, est tout autre chose que la Théologie de l’A. T. ; mais elle en a besoin, elle doit tenir compte des résultats obtenus par elle, comme celle-ci à son tour peut recevoir de l’Introduction de précieux renseignements.
On se plaît souvent à mettre la Théologie de l’A. T. dans une position de complète dépendance vis-à-vis de l’Introduction. Il semble vraiment qu’elle ne puisse absolument rien faire à elle seule. C’est la manière de voir de Rothe. Avant de songer à extraire de la Bible les vérités qui y sont révélées, il faut, dit-il, commencer par en soumettre les différents livres à une étude critique pour voir quels sont ceux sur lesquels on peut compter ; il faut d’abord se mettre au clair sur la question d’authenticité. — Fort bien ! Seulement il est regrettable que bien souvent on se laisse influencer dans cette étude critique par des idées préconçues. Ces livres dont on prétend étudier en toute impartialité l’origine, on n’est pas sans les connaître déjà plus ou moins bien. On se fait de la Révélation une idée qui n’est point celle qu’elle donnerait d’elle-même, si l’on daignait la consulter sur sa propre nature. On attribue à l’histoire sainte des facteurs qu’elle répudie. Il est aisé de comprendre que de cette manière on arrive sur la date de la composition de tel ou tel livre, à des résultats tout autres que ceux qu’on obtiendrait si l’on interrogeait la Bible sans préoccupations dogmatiques. Tout ce que Rothe demande de celui qui se livre à l’étude critique de la Bible, c’est qu’il considère la Révélation, abstraction faite de la Bible, comme un fait réel. Il estime que, lorsqu’on est arrivé par la lecture de l’Écriture sainte à avoir une impression profonde de la majesté du grand événement qui s’appelle la Révélation, on peut sans inquiétude soumettre la Bible à la critique la plus sévère ; on ne se départira jamais, à l’égard du volume sacré, du respect qu’il mérite. — Rothe a raison. La Révélation est un fait réel, abstraction faite de la Bible. La Bible n’est pas la Révélation elle-même, elle en est le document. Mais si c’est grâce à la Bible qu’on a de la Révélation cette impression unique de grandeur, ne ferait-on pas mieux, plutôt que de se mettre à la critiquer, de se livrer tout simplement à elle ? Lorsqu’on a acquis la conviction personnelle que l’Écriture sainte contient la vérité sur le plan du salut, — alors on peut témoigner un certain respect aux traditions humaines relatives à la Bible, que ces traditions proviennent de la synagogue, de l’antiquité chrétienne, ou de l’ancienne Théologie protestante, — mais on ne s’y livre pas pieds et poings liés. Eh bien ! l’on se défiera davantage encore d’une critique qui, par toute son allure, montre qu’elle ne croit pas à l’inspiration du livre du salut ; car on sait à quoi s’en tenir sur son compte, on sait qu’elle n’est pas dans le vrai, parce qu’elle est incapable d’expliquer le rôle que ce livre a joué dans l’Église ; on se pose une question bien simple : on se demande ce que serait une Bible qui aurait été produite par les facteurs que fait entrer en jeu la critique que nous combattons ? Ce ne serait certainement pas celle que nous possédons, celle qui fait passer sous nos yeux comme un cortège magnifique tout le grandiose enchaînement des révélations accordées à l’homme depuis la Genèse jusqu’à l’Apocalypse, — celle qui depuis deux mille ans exerce sur les cœurs l’empire que nous savons.
On peut signaler un parallélisme parfait entre le développement de la Révélation et celui de la Littérature sacrée. Plus il y a de révélations, plus il y a de livres qui se composent. — Mais, a-t-on dit, Moïse vivait dans un temps trop reculé pour qu’il ait pu écrire tout ce qu’on lui attribue. H. Schultz, dont la Théologie de l’A. T. renferme cependant tant de bonnes choses, n’a pas craint de reproduire cette objection. Comme si les antiquités égyptiennes n’étaient pas là pour nous montrer que l’écriture était chose fort ordinaire en Egypte quinze siècles avant J.-C. !
Nous aurons à plus d’une reprise l’occasion de constater un progrès, une différence de niveau, dans la connaissance religieuse que dénotent les divers livres de l’A. T. Cela peut servir à déterminer l’époque de la composition de plus d’un livre. Comment, par exemple, si l’on part de l’idée que le Pentateuque date des derniers siècles de l’ancienne alliance, parviendra-t-on à exposer d’une manière satisfaisante le développement de la doctrine de Dieu, des perfections divines, des anges ou de l’état de l’homme après la mort ? Nous verrons que, pour la plupart des doctrines, les livres de Moïse sont évidemment la base sur laquelle sont venus bâtir plus tard les prophètes et les hagiographes. Voilà ce que la critique de l’A. T. oublie très souvent. Et pourtant il y a là de quoi prouver, non pas que le Pentateuque dans sa forme actuelle soit de Moïse, mais qu’il est le frère aîné des livres prophétiques.
2° Quant à l’archéologie, il est évident que, si l’on y fait rentrer, avec Hupfeld, l’étude de la géographie, de l’histoire, des mœurs et des coutumes domestiques, sociales et religieuses de tous les peuples dont il est parlé dans la Bible, elle n’aura pas grand’chose de commun avec la Théologie de l’A. T. Si, au contraire, avec de Wette et Keil, on pense que l’archéologie sacrée doit s’en tenir à l’étude de l’état social des Israélites en tant que peuple de Dieu, — alors elle se trouve avoir de nombreux points de contact avec notre étude, car chez ce peuple consacré à Dieu la religion présidait à tous les actes quelque peu importants de la vie sociale et domestique. Cependant, même lorsqu’elles étudieront les mêmes matières, ces deux disciplines conserveront toujours leur point de vue particulier. Pour ce qui est du culte, par exemple, la Théologie de l’A. T. le présentera comme un moyen de communion entre Dieu et le peuple, elle en fera la symbolique, et elle en laissera à l’archéologie le côté purement technique.
3° Il en est à peu près de même des rapports de la Théologie de l’A. T. avec l’Histoire des Israélites. La Théologie de l’A. T., avons-nous dit, doit aussi s’occuper des événements qui forment la base historique de la religion de l’ancienne alliance, comme la sortie d’Egypte ou le don de la loi à Sinaï ; grands faits dont l’A. T. ne peut pas plus se passer que le Nouveau ne le peut faire de la mort ou de la résurrection de Jésus-Christ. Mais elle cherchera à considérer ces événements sous le même jour que le faisaient les hommes de Dieu qui les voyaient se passer sous leurs yeux. Ayant pour tâche de donner une juste idée de ce que les hommes de foi ont cru avant Jésus-Christ, de ce qui a fait leur force pendant leur vie et en face de la mort, elle s’efforcera d’étudier l’histoire au point de vue de la foi, sans se laisser influencer par les idées préconçues avec lesquelles la plupart des historiens entreprennent aujourd’hui leurs travaux.
Il y aura toujours un abîme entre les théologiens, auxquels je déclare me rattacher, qui laissent subsister comme des faits réels ce que la Bible nous présente comme tels, qui par conséquent sont convaincus que ce que les hommes de Dieu croyaient, avait commencé par avoir lieu, — et ceux qui ne voient dans les croyances des Israélites qu’un effet de leur imagination, des légendes n’ayant tout au plus pour fondement historique que des événements assez mesquins, qu’il incombe à la critique de réduire à leurs vraies dimensions. Lorsque, pour comprendre l’A. T., on refuse de se servir de la clef qu’il nous offre lui-même, à quoi aboutit-on ? Comme on ne peut expliquer les destinées du peuple d’Israël, on se contente d’y voir un insoluble problème. Rosenkranz raconte, dans sa biographie de Hegel, que l’histoire juive a toujours été une écharde dans l’esprit du grand philosophe. Elle était pour lui un objet de répulsion, et pourtant elle le préoccupait sans cesse.
Il faut reconnaître aussi que beaucoup de ceux qui ne contestent point le caractère historique de la Révélation, pourraient être plus conséquents qu’ils ne le sont. On accorde bien que la religion judaïque repose sur des faits, mais sur lesquels ? Voilà où l’on aime assez à rester dans le vague. Nulle critique n’a cependant réussi à réfuter ces belles paroles de Herder dans sa 12me lettre sur l’étude de la Théologie : « Une histoire comme celle de l’A. T. ne s’invente pas. Un peule comme le peuple Juif n’est pas une fiction ; ses destinées sont le drame le plus grandiose qu’on puisse imaginer, — un drame dont le dénouement ne peut probablement pas se séparer de celui de l’histoire de l’humanité elle-même. » Nous n’avons ici qu’un mot à changer. Rom.11.25 et sq. nous permet de dire certainement au lieu de probablement.