Fondé sur le Roc

Chapitre 4

Trois conseils

Celui qui goûte pour la première fois la liberté spirituelle de l’enfant de Dieu et la joie du salut a souvent la tendance de penser qu’il peut marcher seul. Il est enclin à mépriser l’utilité de l’expérience des autres, et à douter de la sincérité de leur désir de lui aider dans les premiers pas de sa vie chrétienne. Certes, il existe un terrible danger : celui des mauvais conseillers, ces gens qui n’ont pas en vue le seul bien du jeune converti, mais qui cherchent à le détourner du chemin de l’obéissance à Christ au profit de leur but intéressé. Heureuse la jeunesse qui possède de vrais conseillers ! Heureux ceux qui savent « apprendre de Celui qui est doux et humble de cœur » !

Je voudrais parler de trois conseils qui m’ont été donnés par trois serviteurs de Dieu, en trois différentes occasions. La suite a prouvé que ces conseils étaient en corrélation avec le plan d’éducation du Père céleste. Hélas ! j’ai aussi rencontré de mauvais conseillers qui prirent avantage de mon ignorance, de ma bonne foi, et qui voulurent profiter de mon feu et de mon zèle de jeune chrétien. Ils auraient pu être un piège et compromettre tout le plan de Dieu qui a cependant abouti, au moment où j’écris ces lignes, à la grande et solennelle responsabilité d’éditer les Saintes-Ecritures pour les pays en guerre, où règne la famine de la Parole.


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Le premier de ces conseils me fut donné par mon pasteur. Après mon instruction religieuse, qui eut lieu au moment où je faisais mes premières expériences dans l’œuvre d’évangélisation, complétées par l’influence vivifiante et décisive qu’exerça sur ma vie la grande œuvre du Dr Torrey, l’Esprit de Dieu travailla profondément en moi, me communiquant le désir de me donner entièrement au service de Dieu.

Je fis part de ce désir à qui de droit, c’est-à-dire à mon conducteur spirituel. Un jour qu’il avait rendu visite à mes parents, je l’accompagnai chez lui et, en route, je lui dis : « Je sens que je dois me consacrer au ministère » — car je croyais que je devais forcément suivre mes frères sur le chemin de la Faculté de théologie qui, dans ces milieux ecclésiastiques, était plus ou moins considérée comme la seule voie et la seule façon de servir Dieu.

C’est à ce moment que mon pasteur se montra de nouveau un véritable homme de Dieu. Nous nous trouvions à l’angle de notre rue ; il s’arrêta, posa sa main de vieillard sur mon épaule, et me dit : « Pour toi, les études théologiques ne sont pas le chemin à suivre, tu y perdrais la foi. Moi-même, après sept ans d’études, j’ai dû commencer par tout désapprendre. » Je ne m’attendais pas à une telle réponse. J’en fus très étonné, mais je sentais aussi dans la parole de ce vieillard une autorité spirituelle que j’acceptai. Alors il me parla de l’Ecole Biblique de Glasgow dont il connaissait le directeur. Il m’offrit de lui écrire.

Ce pasteur, docteur en théologie, connu dans toute l’Eglise écossaise, aurait eu tout intérêt à ce que ses jeunes gens suivissent son exemple dans la voie du ministère établi de l’Eglise nationale, comme ce fut le cas de mes trois frères. Mais il connaissait la vie mieux que moi, et il me connaissait mieux que je ne me connaissais moi-même. C’est pourquoi il me donna ce conseil qui devait avoir un si grand effet dans ma vie. Tout ce que j’avais reçu par le moyen des influences spirituelles que j’ai rappelées plus haut et par l’éducation biblique qui avait été mon privilège : mon amour pour la Bible, mon amour pour les âmes et le besoin d’un service agressif et du combat spirituel, tout cela ne pouvait pas se livrer à une autorité qui n’était pas celle de Dieu, ni à des études qui étaient autre chose que l’approfondissement des Saintes-Ecritures et l’entière soumission à leur autorité divine.

Très impressionné par ce conseil inattendu, j’en fis part à ma mère qui, sagement, confirma la pensée de mon conducteur spirituel. Priant avec moi, elle demanda au Seigneur d’ouvrir la voie pour son troisième fils. En revanche, mon père, ancien d’Eglise, tenait fortement à la tradition ecclésiastique et à la forme religieuse. Il était heureux que ses autres fils suivissent la ligne habituelle, et il eut de la peine à accepter — au début seulement, je me hâte de l’ajouter — la voie indépendante dans laquelle je m’engageais.

Le conseil de mon pasteur fut suivi, et le service qui en résulta en fut la justification. Il est évident qu’au moment même, j’en ignorais la portée. J’ignorais de même les raisons pour lesquelles Dieu avait inspiré Son serviteur à me donner cette orientation et quelle était la vocation qu’Il me préparait. Mais je tiens à souligner ceci : Quelle bénédiction pour le ministère de plusieurs, si les études de théologie tenaient davantage compte de la nécessité de mettre les candidats au ministère en contact avec les grandes foules, les conduisant à faire leurs premières armes dans un travail pratique, dans la lutte auprès des âmes, et si l’on exigeait pour le diplôme la faculté de sauver les âmes, accompagnée d’une connaissance pratique de la Bible et de la puissance dans la prière, c’est-à-dire la théologie véritable, la connaissance de Dieu et des choses de Dieu. On serait alors plus près du modèle et de l’exemple apostoliques, et quel changement n’en résulterait-il pas pour nos Eglises !

Les réunions du Dr Torrey avaient commencé en Ecosse au moment où la nouvelle théologie, disons plutôt le rationalisme théologique — cette « cinquième colonne » de l’Eglise — prenait pied dans les Facultés écossaises qui, jusqu’alors, étaient restées fidèles à la foi. Non seulement le Dr Torrey prêcha l’Evangile avec une grande puissance et amena des milliers d’âmes à la conversion, mais il donna aussi des conférences sur l’inspiration de la Bible et sur le sens véritable du rationalisme. La lutte était engagée entre les défenseurs de la foi « une fois délivrée aux saints » et ceux qui, sous couvert d’une « science faussement ainsi nommée », minent les fondements de la foi et savent si bien camoufler leurs erreurs. Le combat fut dur et les forces opposées irréconciliables. Sur ce point-là, j’avais l’appui de mon père.

Quand je vins en Suisse, des années plus tard, c’était au moment où cette même philosophie pseudo-chrétienne étendait ses ravages, le plus souvent camouflés par ce mot si élastique dans certaines bouches : « évangélique ». Quand j’’arrivai à Genève, ma tante venait de protester contre ces hérésies que l’on commençait à enseigner aux enfants des Ecoles du dimanche. Elle fut l’une des premières à agir de la sorte. Il avait été convenu entre elle et quelques-unes de ses amies que si cet état de choses persistait, elles manifesteraient leur désapprobation d’une façon explicite. Mais quand le moment en fut venu, en automne de cette même année, ma tante se trouva seule à donner suite à sa décision. Il y a, en effet, beaucoup de personnes dont la fidélité à Dieu se contente de paroles. Elles sont pour la vérité aussi longtemps que cela ne coûte rien, mais quand il faut se compromettre, endurer la critique ou le mépris, elles s’arrangent à l’éviter.

Le conseil de mon pasteur peut être comparé à l’aiguille qui engage le train sur une nouvelle voie et l’amène à suivre la bonne direction. Et ce train doit couvrir beaucoup de kilomètres et conduire beaucoup d’âmes avant d’atteindre le terminus. Il suffit d’une différence de quelques centimètres au départ pour mener tout le convoi vers une autre destination. Si cette aiguille est manœuvrée par une main sage et sanctifiée, il en résulte une bénédiction inestimable pour ceux qui se laissent ainsi diriger !


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Le deuxième conseil me fut donné pendant les réunions du Dr Torrey. Un soir, ayant un message à lui communiquer de la part d’un de mes cousins, le Rev. James MacFarlane, qui avait organisé sa campagne de réunions en Tasmanie, j’eus le privilège de causer avec lui et son aide, M. Charles Alexander, qui chantait dans ses réunions. Ce dernier me présenta au Dr Torrey en disant que j’avais consacré ma vie à Dieu. Le Dr Torrey me donna sa bénédiction, à laquelle M. Charles Alexander ajouta : « Keep singing Number 37 ! » (Ne cessez pas de chanter le n° 37 !) Il s’agissait du cantique bien connu : « Entre Tes mains, j’abandonne tout. »

Ce soir-là avait eu lieu une réunion très bénie où la présence de Dieu avait agi profondément dans l’auditoire. Le Dr Torrey avait prêché avec une grande puissance, et mon cœur était ému et grand ouvert à l’Esprit de Dieu. Cette parole tomba dans un terrain tout préparé. Je ne savais pas alors ce que ce conseil allait être pour moi en de nombreuses occasions. Jamais le Seigneur n’aurait pu agir, conduire et bénir comme Il l’a fait si j’avais voulu marchander, me soustraire à Son autorité, plaire aux hommes et chercher la popularité. Que de fois, dans les moments de tentation, de décision, quand un chemin plus facile s’offrait à moi, ce « Keep singing Number 37 » m’est revenu à l’esprit ! Je ne veux pas dire que j’aie toujours été fidèle, hélas non ! mais je me suis toujours souvenu de ce conseil et me suis efforcé de le suivre.

Pendant le réveil en Suisse romande, un vieux pasteur du Jura Bernois me fit appeler. C’était un homme fidèle qui touchait au terme de sa course. Ce vieillard à cheveux blancs me dit en me donnant sa bénédiction : « Dites-moi, quel est le secret de la puissance de ces réunions ? » Etonné, je lui répondis : « Il n’y a pas de secret, seulement je crois à la Parole de Dieu tout entière ; je Le prends au mot, et je m’efforce de tout abandonner entre Ses mains. »


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Voici le troisième conseil : J’étais depuis deux mois à l’Ecole Biblique de Glasgow. J’y étais allé avec beaucoup d’entrain et d’espérance. Je me trouvais avec des jeunes gens de différentes congrégations, tous Zélés pour Dieu. Je me donnais à ma nouvelle vie, et je cherchais toutes les occasions de travailler dans les lieux les plus pauvres, difficiles et dangereux. Mon ami, le Rev. T.-J. Mitchell, et moi, nous étions surnommés les deux « brandons ». Où nous nous trouvions, il y avait beaucoup de mouvement et d’efforts.

Nous étions à la veille du réveil quand je tombai subitement malade et dus rentrer à Edimbourg pour me soigner. Un jour, comme j’étais alité après une crise vraiment douloureuse de ce mal, mon frère aîné entra dans ma chambre et me proposa de me lire un discours qui avait été fait cette année-là à la Convention de Keswick. J’y consentis volontiers. Le texte était le suivant : « J’ai quelque chose contre toi, c’est que tu as abandonné ton premier amour » (Apocalypse 2.4). Je ne me souviens pas du discours, mais cette parole du Fils de Dieu à l’Eglise d’Ephèse entra en moi comme une flèche. Puis mon frère pria et se retira. Ma chambre m’apparut alors comme remplie de cette parole : « J’ai quelque chose contre toi, tu as abandonné ton premier amour. » Pourtant, pensai-je, j’ai été fidèle en ce qui concerne la doctrine… Mais j’entendais encore : « J’ai quelque chose contre toi, tu as abandonné ton premier amour. » — Pourtant, pensai-je encore, j’ai été parmi les plus zélés pour la cause du Seigneur… « J’ai quelque chose contre toi, tu as abandonné ton premier amour. » — J’ai eu l’amour des âmes, des fruits dans mon travail… « J’ai quelque chose contre toi, tu as abandonné ton premier amour. »

Ce jour-là, deux choses se passèrent : premièrement mon mal cessa et ne revint jamais, et deuxièmement l’orthodoxe en moi reçut son coup mortel. J’appris une fois pour toutes que ce n’est pas dans le zèle que nous montrons, le service que nous accomplissons, ni même dans la foi que nous professons, que le Seigneur est avant tout glorifié, mais dans notre amour pour Lui-même. « J’ai quelque chose contre toi, tu as abandonné ton premier amour. »

Alors me fut révélé tout ce qui, dans mon service, était charnel ; fidélité à Dieu, mais efforts charnels ; zèle pour Dieu, mais zèle charnel. Je compris aussi combien j’avais dû être une cause d’inquiétude pour mon vieux pasteur, et combien inutilement j’avais dû troubler mon père. Il est vrai qu’il ne faut pas éteindre le lumignon qui fume, ni briser le roseau froissé ; Dieu accepte notre service imparfait, Il tient compte de l’amour du cœur qu’Il discerne derrière un zèle intempestif ou des gestes inconsidérés. Bénis sont les serviteurs de Dieu qui font preuve, comme mon vieux pasteur, de ces deux qualités spirituelles : qui savent reconnaître la consécration des jeunes guerriers et canaliser leur vie dans des voies sûres !

Ce jour-là, dans ma chambre, à Edimbourg, je fus repris par l’Esprit de Dieu qui me montra que mon service avait pris la place que le Seigneur Lui-même devait avoir, que mon zèle pour Lui était celui de Jacob plutôt que celui d’Israël. Je n’ai jamais oublié cette expérience, et cette parole m’a suivi toute ma vie. Quand mon travail m’accaparait toujours davantage, souvent je me suis retiré à l’écart, de peur que mon service n’étouffe ma communion avec Dieu, de peur que je n’abandonne mon premier amour.

De même, bien des années plus tard, lors des grandes missions de réveil en Suisse, et ensuite quand Dieu donna l’Ecole Biblique pour la formation d’ouvriers pour Son service, j’éprouvai un réel soulagement à me retirer à l’écart. Il existe un danger, un très grand danger pour l’évangéliste, le pasteur, le conférencier ; si vite l’évangélisation noie l’évangéliste, le ministère dessèche le pasteur, et les conférences dominent le conférencier, détruisant sa vie spirituelle. Jusqu’aux portes du ciel, le serviteur de Dieu doit entendre la voix du Seigneur l’avertir, de peur qu’il n’abandonne son premier amour.

L’Esprit de Dieu m’a donc montré de bonne heure le néant de l’orthodoxie intellectuelle la plus biblique. « Il ne sert de rien d’être circoncis ou incirconcis ; ce qui est quelque chose, c’est d’être une nouvelle créature. » Etre fidèle à la Bible, rien qu’à la Bible, mais à toute la Bible, est notre devoir élémentaire. Mais il faut plus que cela, il faut la communion personnelle avec le Seigneur Jésus. Il faut veiller au feu de ce premier amour afin qu’il grandisse, et qu’en grandissant il devienne toujours plus pur. Cet avertissement divin est pour toute l’Eglise de Jésus-Christ. Ephèse, avec tous ses privilèges, toutes ses connaissances et toutes ses richesses, peut devenir Laodicée, avec toutes ses responsabilités, toute sa pauvreté et ses illusions.

Ainsi ces trois conseils, reçus à différents moments et par différents canaux, se complétèrent en m’orientant dans la vraie voie, le seul secret et le véritable esprit du service chrétien.

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