La morale chrétienne emprunte son caractère spécifique aux prémisses que lui impose la foi. Ces prémisses se résument dans un fait unique au monde : l’incarnation de Dieu en Christ, le verbe fait chair. En Christ, le fils unique de Dieu et le fils de l’homme, nous pouvons contempler le vrai Dieu et la véritable humanité. Nous n’avons qu’à regarder à lui pour saisir toute la distance qui oppose le péché à la grâce, car il est la rédemption du monde et le couronnement de la création. Il est le médiateur, il vient unir l’homme et Dieu ; le révélateur de Dieu, il sauve et réconcilie. Par sa grâce, nous recevons notre justification devant Dieu, le pardon de nos péchés, le droit d’être faits enfants de Dieu. Il est le chef de son église, car il est le ressuscité et par la puissance du Saint-Esprit, l’efficace de sa parole et de ses sacrements ; toujours présent quoique invisible, il agit au milieu de nous. Mais il n’est pas le médiateur religieux sans être en même temps le médiateur moral, c’est-à-dire le rédempteur qui fait concourir et aboutir tous les efforts moraux de l’homme à sa pleine réconciliation avec Dieu. « Voici je fais toutes choses nouvelles » (Apocalypse 21.5). Cette parole, Christ en a fait une réalité pour le monde moral. Le souverain bien, il nous le révèle avec un éclat que ni Platon, ni Aristote n’ont jamais entrevu et, en même temps, toutes les entraves qui pesaient sur l’ancien monde, il les brise en proclamant le royaume de Dieu comme le seul idéal. Il donne à la vertu une forme et un attrait que l’antiquité a pu appeler à l’heure de ses meilleurs désirs mais qu’elle n’a jamais pu réaliser. Car il ne nous donne pas seulement une doctrine ou des préceptes moraux mais un exemple, afin que nous l’imitions et marchions sur ses traces (1 Pierre 2.21). Il a réalisé l’idéal du sage que les Grecs contemplaient dans une personnalité idéale, toujours Roi même sous les mépris de la foule, toujours libre quoique dans les chaînes, toujours riche quoique ne possédant rien. L’idéal que le juif adorait sous la forme du serviteur de l’Eternel, accomplissant dans la douleur la volonté de son maître et consommant son obéissance dans la gloire (Ésaïe 53.11), grâce à lui, cet idéal est devenu la réalité ; aussi, pour nous, il n’est plus une idée, il est la réalité, l’histoire qui prophétise notre destinée véritable. Sur la loi et le devoir il a fait la lumière et une lumière que ne pouvaient pressentir ni le Juif ni le Grec. Mais il fait plus : révélateur de la loi, type idéal de la perfection morale, il est, en même temps et pour toujours, celui qui dispense aux siens la force nécessaire afin qu’ils puissent le suivre.
A son entrée dans l’histoire, Christ trouve un monde en pleine décomposition. Quel est donc le secours qu’il vient lui apporter ? Non seulement il nous sauvera de ce que nous avons l’habitude de considérer comme le mal, mais encore de notre propre moralité, car n’étant que la nôtre, elle ne peut pas être la vraie. Il nous trouve captifs sous la loi du péché, il ne peut donc nous sauver qu’en nous arrachant à la fausse moralité, celle qui n’est inspirée que par l’esprit de l’homme et n’a son principe et son but qu’en l’homme seul. Cette moralité fausse, il faut qu’elle disparaisse et fasse place à la moralité vraie dont Dieu est le commencement et la fin et que seule peut accomplir en nous la force de Christ. Mais l’homme qui tient sa moralité à lui pour la justice véritable, ne se la laisse pas volontiers arracher. Ce n’est pas la morale indépendante qui, seule, se laisse aveugler par cette prétention de propre justice. Elle se retrouve aussi obstinée et aveugle dans toutes les écoles religieuses qui, au mépris de la grâce qui est en Christ, repoussent la justice divine (Romains 10.3) et cherchent à établir leur propre justice. Les pharisiens avec leur austérité, leur piété méticuleuse, leur prosélytisme ardent, leur zèle amer, leur orgueil intransigeant, sont restés le type de cette fausse justice. Elle se retrouve dans toutes les écoles. Quelles que soient les prétentions religieuses dont elle se pare, elle ignore toujours la réalité du péché et la puissance de la rédemption ; car pour elle, l’homme peut accomplir le bien et lorsque ses efforts deviennent impuissants au regard de la tâche, elle s’en prend à la fragilité de notre nature aux limites étroites qui enserrent notre existence, et de toutes ces imperfections elle fait tout autant de titres à l’indulgence divine. Ignorant la puissance du péché, elle n’est que conséquente avec elle-même quand elle nie la nécessité d’une rédemption surnaturelle. L’Eglise condamne et comprend sous le nom de pélagiens et de pélagianisme toutes les sectes qui reconnaissent à l’homme le pouvoir d’accomplir la véritable morale et, par conséquent, sa justification à l’aide de ses seules forces. Il est à remarquer que tous ceux qui, en morale, sont pélagiens, quant au dogme, sont ébionites. Avec ces hérétiques condamnés par la primitive église, ils ne veulent voir dans le Christ qu’un homme semblable à nous. Il nous dépasse et dépasse les hommes de tous les temps par son génie, la puissance de sa parole et la sagesse de ses enseignements, mais il n’est jamais qu’un homme ; et cet homme, si grand soit-il, ils ne veulent pas le reconnaître comme le médiateur divin qui apporte au monde la vie nouvelle.
A retenir la moralité chrétienne dans la dépendance d’un rapport personnel avec le Seigneur Jésus, nous sommes obligés de nous demander comment elle peut se concilier avec les diverses vocations que nous impose notre existence en ce monde. En d’autres termes, il nous faut savoir si le Christianisme reconnaît la valeur d’une moralité laïque, ce mot restant entendu dans sa signification la meilleure et la plus vraie, ou s’il exige que toute moralité, pour devenir morale, devienne d’abord religieuse au sens strict du mot. Très résolument, nous répondons affirmativement à la première question et négativement à la seconde. Il est, il est vrai, une conception qui n’admet entre le Christianisme et le monde qu’un rapport d’opposition et de contradiction. Ils ne peuvent que s’éviter, se fuir ou s’entre détruire. Cette manière de voir qui procède directement de la vieille hérésie manichéenne de la matière, a pour conséquence la négation de la nature humaine en Christ.
Quand on nie cette humanité, il faut nier aussi qu’entre le Christ et la nature humaine il ne saurait jamais s’établir un rapport réel et vivant. Il faut nier aussi que Christ et son royaume puissent jamais conquérir et s’assujettir le monde. S’il est une erreur antichrétienne au premier chef c’est, à coup sûr, celle qui voudrait établir un abîme entre le monde religieux et celui de la vie réelle, entre la vie qui prie et celle qui travaille. Le Christianisme véritable veut, au contraire, réunir et concilier toutes choses en Christ, seul chef et seul Seigneur (Éphésiens 1.10). Le Christianisme vrai, authentique, bien loin de méconnaître la valeur de notre existence dans le temps, telle qu’elle se manifeste par la famille, l’état, l’éducation, la civilisation, l’industrie, les affaires, veut, au contraire, la relever, la sanctifier pour qu’elle devienne sous son influence, un moyen de grâce pour l’édification et la construction du royaume de Dieu sur la terre. Cette existence dans le temps et dans le siècle, ne saurait servir à cette fin si on la condamnait à n’être qu’un outil inconscient et asservi. Elle ne ferait que des esclaves, si le travail qu’elle impose ne pouvait que contredire à notre véritable destinée. Le Christianisme ne veut que des ouvriers de bonne volonté et toujours libres, capables de reconnaître leur œuvre propre dans celle qu’ils accomplissent. Ce n’est, en effet, qu’à ce prix que leur travail et leur dévouement peuvent acquérir une réelle valeur. Aussi, s’il est une nation que le Christianisme ait réellement pénétrée de son influence, non seulement il l’affranchit de la servitude du péché, mais aussi de toutes les autres servitudes qui pourraient contredire à sa liberté, et il lui dispense tous les bienfaits de la civilisation afin qu’elle soit toujours plus au service de Dieu sur cette terre. Comment, en effet, pourrait-il produire tous les trésors de vie religieuse qu’il renferme, sans un peuple libre et capable de les faire valoir ? A l’heure où ce peuple vient à lui, il n’est certainement pas inspiré par l’esprit religieux, mais c’est son œuvre à lui, de lui donner une âme et la puissance qui, désormais, le rendent capable de produire, au dehors et dans toutes ses œuvres, la preuve de son affranchissement. Le fleuve de la vie chrétienne ne se laisse pas volontiers comprimer et resserrer entre les barrières d’une dévotion étroite et sèche qui ne connaîtrait que l’existence d’outre-tombe. Il va, au contraire, se répandant à larges ondes au profit de toutes nos activités sociales. Aussi, l’expérience atteste que l’on rencontre de vrais disciples du Christ dans tous les domaines et dans toutes vocations qu’impose l’activité sociale. L’esprit de Christ ne souffle pas seulement sous les voûtes de nos églises ; on entend également sa voix et sur nos places publiques et dans l’atelier de l’artiste et dans l’humble retraite du savant et du travailleur. En plein océan, au milieu de la tempête, plus fort encore que le sifflet du commandement, le matelot peut entendre sa voix et, sur le champ de bataille, les cris et les horreurs de la lutte ne l’empêchent pas de retentir au cœur du soldat, qui triomphe ou qui meurt pour la sainte cause de l’honneur et de la patrie.
Le Seigneur Jésus nous a montré dans deux paraboles ce que doit être le Christianisme dans ses rapports avec le monde. Le royaume de Dieu, nous dit la première, est semblable à une perle pour laquelle le marchand vend tous les biens qu’il possède. Et la seconde le compare à un levain qu’une femme met dans trois mesures de farine pour qu’il les pénètre de sa vertu. (Matthieu 13.33,45). La perle nous dit le royaume de Dieu dans sa signification strictement religieuse, il est le trésor auprès duquel tous les autres ne valent que pour être sacrifiés. Le levain, au contraire, nous enseigne que le Christianisme doit pénétrer dans la sphère des intérêts matériels et temporels pour les relever et les sanctifier par son influence. En entrant dans le monde, le Christianisme trouve comme tout autant de puissances avec lesquelles il doit compter, la société, l’état, la famille, l’art, la science, les mœurs ; à lui, comme au levain, de les pénétrer et de les régénérer. De même que le levain dans la pâte doit se dissoudre et se faire invisible, de même le Christianisme dans la vie sociale ne doit et ne veut se laisser entrevoir que par ses bienfaits et son influence rédemptrice. Si l’on veut comprendre le Christianisme, il faut savoir concilier ces deux paraboles. Ceux qui ne retiennent que la perle ne connaissent que la piété exclusive, timorée, qui tremble devant les hommes, se fait ascétique et claustrale et ne vit que pour rechercher un milieu privilégié, capable de la défendre contre les poursuites du monde. Quand, au contraire, on sacrifie la perle au levain, on enlève à la religion toute valeur propre et on ne la considère plus que comme un moyen pour servir au profit des grands intérêts sociaux.
Parmi les moralistes contemporains, il en est un qui ne saurait échapper au reproche d’avoir trop exclusivement conçu le royaume de Dieu comme le levain destiné à se perdre dans la pâte. Si éminent qu’il fut par les services rendus à la science et à l’Eglise, Rothe, ce théologien dont on ne saurait oublier le nom, par suite de l’étroitesse de cette conception, en vient à subordonner toujours plus le Christianisme à l’état, à la civilisation et à leurs grands intérêts.
Le Christianisme se partage en deux grandes confessions rivales : le Catholicisme et le Protestantisme. Il est donc impossible que cette division qui a sa raison d’être dans le passé et retient toujours son influence dans le présent, ne se retrouve pas également dans la morale. Il serait difficile et dangereux de le méconnaître : nous avons une morale catholique et une morale protestante. La différence des deux églises, des deux conceptions religieuses, se retrouve tout entière dans la manière dont l’une et l’autre envisagent la vie morale et la liberté humaine. Dans le Catholicisme, la dépendance qui doit nous unir à Christ se trouve subordonnée pour ne pas dire sacrifiée, ici-bas sur la terre, au profit de la hiérarchie ecclésiastique représentée par le prêtre. En haut, dans le ciel, elle l’est encore plus à l’honneur et au profit de tout un Olympe d’avocats, d’intercesseurs, la vierge Marie et les saints. L’œuvre première de la Réforme fut donc pour affranchir le chrétien du joug que sur lui faisaient peser toutes ces autorités d’invention humaine. On doit lui en rendre le témoignage, elle ne voulut qu’une seule chose : au Christ, restituer les âmes qu’on lui ravissait et à ces âmes, la liberté qu’on leur refusait. Le caractère de la Réforme est donc essentiellement religieux et moral ; elle n’est intervenue dans l’histoire que pour protester et protester, au nom de la conscience méconnue et outragée, contre l’odieux trafic des indulgences. Elle ne voulut pas souffrir que dans l’Eglise, on fît argent et marchandise du saint et du juste. Pas un seul instant, elle ne voulut admettre que l’argent pût remplacer la repentance et valoir la grâce divine pour les consciences troublées et froissées.
Ce retour à la véritable liberté, à la communion des saints, les églises de la Réforme l’ont solennellement affirmé dans toutes leurs confessions de foi en proclamant la Bible la parole de Dieu, la seule autorité pour le croyant, et la justification par la foi, le seul moyen de salut. La Bible, seule autorité ou le principe formel de l’Eglise, nous délivre du joug des doctrines humaines en assurant au croyant le droit de n’obéir qu’à la parole de Dieu, seule révélation authentique et première. Il veut que dans l’église de Dieu, seule, la parole de Dieu ait le droit de se faire entendre et que devant elle, aucune autre autorité ne puisse subsister. Il faut cependant se garder de croire que notre communion avec Christ devienne un fait définitif et pour toujours accompli par un acte d’adhésion à la lettre de l’Ecriture, qui ne serait qu’une foi morte. Nous avons un Christ présent et vivant qui exerce son autorité, non seulement par sa parole et par le ministère de l’Eglise, mais surtout par l’influence de son esprit, alors que cet esprit nous régénère, nous sanctifie et fait de nous de nouvelles créatures, rendant témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu (Romains 8.16). Le point de départ, le commencement de notre régénération se trouve dans la justification par la foi. Cette justification par la foi constitue le principe matériel des églises de la Réforme. Lorsque nous disons que l’homme pécheur est justifié par la foi, nous entendons un acte de la grâce souveraine de Dieu en vertu de laquelle et au nom des seuls mérites de Christ Dieu nous reçoit dans son alliance comme ses enfants et ses héritiers, et nous remet tous nos péchés. Ce n’est que dans cette justification, œuvre de la foi et non pas des œuvres, que la plus complète obéissance peut s’allier avec la liberté la plus vivante. Il n’est ni mérite, ni œuvre, ni aucune expiation d’invention humaine qui puissent effacer mon péché et la conscience de ma condamnation. Ce n’est que par pure grâce que Dieu peut me pardonner, et je n’ai qu’à accepter le pardon et à me laisser réconcilier avec Dieu (2 Corinthiens 5.20). Altéré de justice, je n’ai qu’à puiser dans les trésors de la grâce divine ; dépouillé de tout mérite, qu’à me revêtir de la justice qui est en Christ. Mais l’homme ne peut ni prendre ni recevoir si, au préalable, il n’accepte et ne tient pas pour assurée la toute puissance de la grâce.
En renonçant à lui-même, en s’abandonnant complètement à la toute puissance de la grâce, l’homme accomplit l’acte de liberté le plus complet, le plus conscient qui puisse s’accomplir sur la terre ; Mais il ne faut pas oublier que cet abandon et cette assurance ne sont en lui que l’œuvre de la grâce. Ce n’est pas, en effet, spontanément que l’homme peut croire que, sans qu’il l’ait mérité, Dieu peut faire abonder dans son cœur la plénitude de sa grâce. Pour le croyant, la justification par la foi est la perle de grand prix à laquelle il sacrifie tout ce qu’il possède, même sa sagesse et sa justice humaine propres. Tandis que dans l’église catholique, la foi est un acte de l’intelligence, une adhésion à un corps de doctrines accomplie au commandement et par l’intermédiaire de l’Eglise. Que tout autre est notre foi ! Elle est un acte personnel qui saisit le Christ tout entier et se l’approprie tout entier, comme celui qui est mort pour nos péchés et ressuscité pour notre justification. Notre foi à nous n’est donc pas un simple assentiment, une adhésion intellectuelle à un ensemble de doctrines que l’Eglise nous certifie conformes à la parole de Dieu. Notre foi à nous n’est point sur la terre, entre les mains d’hommes pécheurs et faillibles ; elle est au ciel, Christ est son seul garant. Cette foi fut pour Luther le trésor caché dans un champ. Il ne le trouva dans son couvent qu’après l’avoir vainement cherché dans de dures expiations, des jeûnes incessants, des prières cent fois redites et des œuvres surérogatoires. Elle fut pour lui l’eau vive qui le transforma et le régénéra dans la force et dans la joie. La foi justifiante est plus qu’une doctrine, plus qu’un axiome ; elle est, au sens le plus élevé, un principe, un commencement nouveau qui porte avec lui tout un monde de régénération et de salut. On ne se trompe donc pas quand on impute au Protestantisme, comme point de départ, le subjectivisme le plus absolu, un acte de foi personnel. Il suffit seulement de s’entendre sur la véritable signification de ce subjectivisme, de cet acte de foi. Avant d’être une foi subjective, la foi justifiante c’est Dieu qui ne veut pas que l’homme périsse, et qui affirme le prix infini d’une âme immortelle. Mais c’est aussi l’acte que l’homme accomplit avec le concours de la grâce divine et dans l’intimité de Dieu, l’acte solennel, redoutable du tête à tête du pécheur avec Dieu. Cette heure sainte ne peut donc souffrir aucun intermédiaire entre le pécheur et son sauveur. Aussi, Luther a-t-il pu dire : « La foi c’est ta vie, elle ne peut donc être que ton œuvre à toi seul. » Ce principe de la liberté évangélique a pour conséquence celui de l’égalité évangélique qui veut que devant Dieu, tous nous soyons égaux et qu’il n’y ait plus ni prêtres ni laïques. Cette vérité est à la base de la doctrine du sacerdoce universel de tous les croyants. Ce serait étrangement la méconnaître, cette grande doctrine, si on s’en servait pour nier la légitimité du ministère qui annonce la parole de Dieu et administre les sacrements ; car notre Dieu n’est pas le Dieu du désordre, mais de l’harmonie et de la paix. De même que dans l’Eglise il y a diversité de dons, il faut qu’il y ait aussi diversité de fonctions. Mais cette diversité ne permet pas non plus d’oublier que tous les chrétiens ont le même accès au trône de la grâce, et qu’ils n’ont plus besoin de prêtres et de sacrificateurs s’interposant entre Dieu et le fidèle. Tous les chrétiens ont donc le même droit devant le trône de la grâce. Ils peuvent tous se présenter devant la croix de Christ, sans craindre que l’infaillibilité d’un prêtre ou d’un pape puisse jamais leur en interdire l’accès. De ce principe il résulte enfin, que l’exclusion de l’église visible n’entraîne pas celle de l’église invisible.
La morale évangélique n’étant que la conséquence et le développement de la foi au salut gratuit, ne peut être qu’une œuvre de liberté et de charité et ne s’inspire que de la seule grâce de Dieu. La morale catholique, au contraire, qui, en retenant comme sa première raison d’être l’obéissance absolue au commandement de l’Eglise, porte toujours l’empreinte et la sujétion d’un légalisme cérémonial et ecclésiastique ; alors même qu’elle s’inspire des sentiments les plus purs, on est toujours sûr de voir reparaître dans cette morale les procédés, la préoccupation du mercenaire, s’attendant à son salaire ou redoutant le châtiment. Et cependant, dans cette église, à l’honneur de Dieu et de son Christ, on a toujours pu constater la présence d’un mysticisme libéral et élevé ; mais ce mysticisme lui-même, toujours sous la domination de la loi, retient je ne sais quel accent de tristesse qui semble porter le deuil du père qui est au ciel. Et pourquoi en serait-il autrement alors que, dans cette église, on chercherait en vain la justification par la foi, c’est-à-dire le principe de la vraie liberté ?
Si le Protestantisme sait unir la religion et la morale dans un rapport de nécessaire et mutuelle dépendance, c’est qu’au préalable, et contrairement à la doctrine catholique, il a su distinguer et nettement séparer la justification et la sanctification. On ne peut, en effet, unir et concilier les hommes et les idées, les intérêts et les choses, qu’à la condition de connaître les différences qui les séparent. Si l’on méconnaît ou si l’on ignore ces différences, si distinctes et si graves que soient les réalités, les vérités qu’il s’agit de concilier, au lieu de les unir, on ne peut que les confondre. Ainsi avait fait le Catholicisme. Il retenait confondus dans le même chaos, pour se contredire et se repousser, la parole de Dieu et la tradition, les commandements de Dieu et ceux de l’homme, les préceptes de la sagesse humaine et ceux de l’Évangile, la justification et la sanctification, la foi et les œuvres. L’œuvre première de la Réforme fut pour établir l’ordre dans ce chaos, la distinction dans cette confusion. Nettement elle affirme les différences méconnues. Et ce n’est point au détriment des bonnes œuvres et de la morale que si hautement elle proclame la justification par la foi et sans les œuvres de la loi, mais, au contraire, pour les sauvegarder en distinguant les œuvres de la foi et la religion de la morale. On peut donc être sans crainte pour l’honneur de la conscience ; il sera d’autant mieux sauvegardé que nous saurons mieux nous rappeler que, devant Dieu, nous ne pouvons pas nous justifier par nos propres œuvres et qu’au lieu de mériter notre salut, nous ne pouvons que le recevoir comme un don gratuit. Et qui peut, en effet, ne pas le voir ? Nous ne pouvons travailler à notre sanctification et à notre régénération, que dans la certitude de la miséricorde de Dieu et de son pardon. Ce n’est qu’à cette condition que notre vie trouvera sa signification et sa voie.
Le Catholicisme, au contraire, en confondant la sanctification et la justification, en enseignant que nous ne sommes pas justifiés par la foi seule, mais par la foi et les œuvres, ne peut que jeter le trouble et la confusion dans la conscience et contredire à son véritable développement. Et si le pardon de mes péchés dépend de ma sanctification, je suis condamné à vivre dans une perpétuelle et énervante incertitude car, dans mes œuvres les meilleures, je trouverai toujours la tache qui a besoin d’être effacée et pardonnée. Elles ne peuvent donc pas me valoir le pardon et apporter aux mérites de Christ la part de mérites personnels nécessaires à ma justification. Mon existence morale n’est plus qu’une suite de progrès et de reculs, de haut et de bas. Et alors même que le plus haut elle s’élève, je ne puis qu’entrevoir le but, sans pouvoir jamais le saisir. Pour la certitude de mon pardon, il me faut une affirmation dont aucune puissance ne puisse amoindrir l’infaillible autorité. Cette autorité, elle n’est qu’en Christ, alors que par la foi je suis à lui et qu’il est à moi. La doctrine catholique de la justification par la foi en Christ et par les œuvres, n’est que la conséquence de l’insuffisance et de la pauvreté de sa conception de la foi, qui n’est pour elle qu’un acte intellectuel purement passif, la répétition de la leçon enseignée par l’Eglise. Il faut donc qu’à l’insuffisance de la foi vienne en aide la charité agissant par la sanctification. Mais la foi, au sens protestant, est l’action du Christ crucifié nous ouvrant ses bras, se donnant à nous dans toute la puissance de son amour et la souveraineté de son sacrifice. La polémique protestante contre les œuvres n’attaque donc point les bonnes œuvres, mais les œuvres incomplètes qui prétendent suppléer à l’insuffisance de la foi et accomplir ce qu’aucune puissance humaine n’est capable d’accomplir : l’expiation de nos péchés et la réconciliation avec Dieu. Cette polémique, avant de servir à l’intérêt de la religion, a bien plutôt pour but de défendre l’honneur de la morale. On ne doit donc pas hésiter à le reconnaître ; par sa conception de la foi, le Protestantisme a sauvé la morale, car il a réalisé l’indissoluble union de la religion et de la morale. Ainsi que le dit fort bien Luther : « Ce ne sont pas les bonnes œuvres qui font l’homme pieux, mais l’homme pieux qui fait les bonnes œuvres. »
La foi est le grain de sénevé qui devient le grand arbre. Elle n’est donc pas la vaine redite d’une leçon apprise par cœur, mais un acte du cœur saisissant le Christ tout entier. Elle est, comme le dit encore Luther : « La vérité essentiellement bonne, le cœur essentiellement droit et la raison faite nouvelle. » Elle n’est donc pas cette chose inféconde et morte qui ne peut que se corrompre et rester à jamais ensevelie dans le cœur du pécheur, mort dans ses péchés. La foi qui ne porte pas de fruits n’est pas la foi. Si l’arbre qui ne peut reverdir et reste sans feuilles et sans fruits, ne vaut que pour être jeté au feu, ainsi il en est de la foi qui ne produit pas les œuvres. La foi n’est pas cette larve qui reste morte au cœur de l’hiver ; toujours agissante et toujours vivante, elle accomplit le bien sans jamais s’arrêter. Elle n’a pas besoin qu’on lui dise quelles sont les bonnes œuvres à faire ; avant même qu’on les lui indique, elle les a déjà accomplies car jamais ne s’interrompt son action. Mais plus Luther exalte la foi, et moins il est tenté de confier l’accomplissement de son salut au mérite de ses bonnes œuvres. Le salut, pour lui, n’est qu’en Christ nous recevant et nous prenant à lui déjà par le baptême, et ne cessant de perfectionner cette union dans la communion avec le Dieu trois fois saint. « Les bonnes œuvres, dit-il encore, sont certainement agréables à Dieu, mais le jour où elles tendraient à devenir des mérites, elles ne pourraient plus que provoquer sa colèrea. »
a – Voir le commentaire de Luther sur l’épître aux Galates et la préface de l’épître aux Romains.
La distinction de la morale et de la religion entraîne celle du monde religieux et du monde civil. Cette dernière reste capitale dans l’intérêt de la civilisation. A l’admettre, on ne peut plus ne pas voir que, s’il est une morale que directement inspire la religion, il en est une sur laquelle forcément elle ne peut exercer son influence que d’une manière indirecte et en quelque sorte par un contact inconscient. Cette distinction assure l’indépendance de l’Eglise au regard de l’Etat, et celle de l’Etat au regard de l’Eglise. Le principe catholique, au contraire, confondant l’institution ecclésiastique avec le royaume de Dieu, veut que l’Etat se considère toujours comme une dépendance de l’Eglise et n’exerce son autorité que sous son bon plaisir ; aussi, les grands papes du moyen-âge ont ils poursuivi le rêve d’une monarchie absolue. Se considérant comme les seuls représentants du droit divin, ils ne voulaient voir dans le souverain temporel que leur délégué, et encore le tenaient-ils comme toujours révocable à leur merci. Forcément le Catholicisme appelle une théocratie qui subordonne à la loi de l’Eglise toutes les forces sociales. Sous ce rapport, grâce à la Réformation, toutes choses encore sont devenues nouvelles. Le même principe de liberté qui, pour elle, s’imposait dans le monde religieux, a dû forcément et victorieusement revendiquer sa place dans toutes les sphères de la vie civile. Avec la liberté, nous avons eu également cette justice rétributive et distributive qui pacifie, en les séparant, toutes les activités sociales. Grâce à cette distinction, une seconde fois encore elle a reconquis toute sa vérité, la parole du Christ qui veut que nous rendions à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu.
En vertu de cet idéal, la religion tout en respectant son indépendance, doit apprendre à respecter celle de toutes les institutions humaines qui concourent à l’œuvre sociale. L’Etat, par conséquent, n’a plus à se considérer comme le délégué de l’Eglise, car tout aussi bien qu’elle, il est d’ordre divin. Mais il n’en est pas moins tenu à respecter les rapports qui l’unissent à la religion, au nom même de son propre intérêt, et parce qu’il sait qu’elle importe à son honneur et à sa prospérité ; car seule, elle peut inspirer les idées de devoir, de respect, d’obéissance et de dévouement sans lesquelles la patrie et l’institution sociale elle-même ne sont plus possibles. L’indépendance que nous affirmons pour l’état, nous la voulons également pour les sciences, les grands intérêts sociaux qui importent à la civilisation. Si divers et si nombreux soient-ils, il n’en est pas un seul qu’on puisse impunément sacrifier, car tous ils représentent une des forces de l’humanité et un des moyens du progrès que lui impose le créateur. Dès lors, il est impossible de vouloir un art ecclésiastique, une science ecclésiastique. L’art et la science ne sont qu’à la condition de s’appartenir en propre, de se mouvoir et de se produire dans un monde indépendant de celui de l’Eglise. Bien loin de contredire à cette exigence, la Réforme fut la première à la reconnaître, car elle fit de la religion la puissance souveraine qui domine toutes les réalités d’ici-bas, mais à la condition de n’exercer cette domination que par l’influence de l’esprit. L’esprit et la parole sont les seules armes que lui ait laissées le maître du royaume qui n’est pas celui de ce monde. Le glaive n’a pas qualité pour représenter et pour défendre les intérêts de ce royaume. Lorsque saint Pierre saisit l’épée pour défendre son maître et que, dans l’ardeur de son zèle, il frappe le serviteur du grand Prêtre, il est bien le représentant de ces papes souverains qui se réclament de son nom et qui, comme lui, veulent servir l’Eglise comme on sert les rois de la terre. Mais à revendiquer sa succession, ils auraient dû l’accepter tout entière et ne pas oublier la parole qui leur dit à eux tous aussi bien qu’à leur chef : « Pierre, remets ton épée au fourreau ! » Oui, il est vrai, l’Évangile doit être le principe et l’inspiration de toutes les énergies et de toutes les forces qui concourent à l’œuvre de la civilisation. Mais il ne doit pas oublier qu’il ne peut agir que sur des volontés conscientes de leur indépendance et de la tâche qui leur est assignée, et que son influence ne peut jamais être un acte extérieur agissant magiquement sur les forces sociales. Vertu vivifiante et rédemptrice, elle ne peut donc se produire qu’intérieurement, et elle a besoin du concours du temps pour ressortir à son effet. Mais cette grave et difficile question, nous ne pouvons la traiter ici qu’incidemment et d’une manière générale. Qu’il soit permis seulement de le constater, le grand principe évangélique veut que tous les pouvoirs et toutes les activités de la vie sociale se limitent et se contiennent entre eux par des rapports de dépendance et d’indépendance respectives. Mais il sait que ce n’est pas en un jour et tout à la fois qu’il parviendra à s’imposer. Pour lui, c’est affaire de temps et d’un progrès patient et continu. Nous devons nous attendre à voir dans l’histoire l’esprit de servitude reprendre son empire et pour de longs jours entraver la victoire et le développement du principe protestant. Nous pourrons voir aussi la liberté protestante elle-même se contredire, invoquer l’appui du bras séculier ou se déconsidérer et se perdre dans la licence et le désordre. Cette liberté sous la loi toute de dépendance et de respect, que le Protestantisme a voulu pour tous, et dans tous les domaines de l’activité sociale, plus d’une fois, nous la verrons servir de prétexte à l’intransigeance anarchique et radicale. C’est alors qu’apparaîtra l’Etat sans Dieu et la morale sans religion.
A considérer l’état social contemporain d’un regard d’ensemble et au point de vue moral, nous voyons s’accuser trois tendances principales. Disons d’abord le Protestantisme évangélique et croyant. Il veut revenir à ses origines premières, reprendre conscience de lui-même et faire pénétrer dans toutes les couches sociales, avec le respect de la vraie autorité, l’influence régénératrice de la vraie liberté. Mais, en sens contraire, s’accuse un parti puissant que semble porter le courant de l’opinion ; il a pour devise : « l’Etat sans Dieu et la morale sans religion. » Les droits de l’homme et le suffrage universel, à la manière du contrat social et de la révolution française, constituent pour lui son idéal et son autorité. Tout ce que ce programme contient de vérité et de légitime a déjà été proclamé par la Réforme. N’est-il pas, en effet, évident qu’étant donné le prix infini de l’âme humaine, la conscience de sa liberté et de sa grandeur devant Dieu, nous avons le droit de réclamer de la part de l’état, la liberté civile et politique, la liberté de conscience et de culte et le droit pour la science de ne plus relever que d’elle-même et de ses propres recherches. Dès lors, s’il est une exigence légitime c’est, à coup sûr, celle qui proclame que l’homme ne s’appartient qu’à lui-même et que nul n’a le droit de le contraindre à servir de moyen à l’ambition d’une puissance et d’une personnalité, si grandes soient-elles. Mais la part de vérité que légitimement peut revendiquer ce parti, devient une monstrueuse erreur, un dissolvant redoutable, parce qu’il nie l’autorité en elle-même et par cela seul qu’elle est l’autorité. N’est-ce pas, en effet, la nier, alors qu’on ne lui donne plus d’autre raison d’être que le suffrage universel ? Les arrêts de ce souverain capricieux et brutal, ne les voyons-nous pas sans cesse se contredire ? Il ne serait que temps d’apprendre qu’il ne sert de rien de supprimer la fausse autorité, si l’autorité véritable, on ne sait pas la relever. Mais nous n’avons pas d’illusion à nous faire ; comme un véritable Prothée, l’esprit révolutionnaire sans cesse change d’aspect et de forme, mais partout il s’étend et se propage. Et comment en douter en présence de notre société agitée et malade qui cherche, sans pouvoir la trouver, une puissance capable de concilier l’obéissance nécessaire avec la liberté légitime ? Il faudrait donc, à notre époque, une religion qui pût devenir pour elle l’autorité suprême et invisible. Toute autorité de fait, quelle qu’elle soit, quelque grands que soient la place et les titres qui la recommandent, est désormais impossible. Elle est incapable de nous garder, incapable qu’elle est de supprimer l’opposition entre la foi et l’incrédulité. Telle est cependant la seule et grande question d’aujourd’hui.
Le Catholicisme romain est la troisième tendance que nous avons à signaler. Cette religion n’a encore abandonné aucune de ses prétentions d’autrefois. Elle entend toujours les reconquérir. Tandis que nous marchons, elle s’immobilise dans le moyen-âge à l’état de réaction permanente. Elle ne veut rien apprendre, ni de la révolution, ni de la réforme ; elle les confond toutes les deux dans le même anathème. Elle ne veut et ne sait qu’une seule chose : ramener la pensée humaine, la société contemporaine sous le joug détesté qu’elle a brisé et dont elle ne veut plus. Mais persuadée qu’elle est seule la véritable maîtresse, avec ce joug que sans cesse elle restaure et décore de nouvelles couleurs, elle se fait un titre de gloire à l’aide duquel elle entend reconquérir l’opinion. La proclamation du dogme de l’infaillibilité n’est-elle pas la preuve de cette prétention ? Une pareille politique, si antichrétienne et si brutale soit-elle, n’en est pas moins la preuve d’une haute intelligence. Elle a pressenti que le retour à l’autorité était un des premiers besoins de notre époque. Mais malheureusement, ce besoin incontesté, elle ne saurait le satisfaire avec une autorité qui ne peut, ni se recommander à la conscience humaine comme la révélation de la vérité, ni se donner elle-même comme la vérité ; car c’est à peine si, dans son propre sein, elle peut trouver des croyants. On ne doit pas cependant oublier que l’église romaine, malgré les erreurs qui la déparent et parfois la déshonorent, n’en a pas moins gardé une part de l’antique tradition chrétienne. Elle a donc quelque droit de se comparer au roc qui toujours résiste aux flots de la grande mer populaire, qu’incessamment soulève l’irrépressible besoin de liberté. Mais il faut aussi se rappeler que c’est une nation catholique qui, à l’incitation de ses prêtres, après avoir violemment arraché de son sein le Protestantisme, a enfanté la plus terrible et la plus grande de toutes les révolutions. Il faudrait volontairement s’aveugler pour ne pas voir que contre cette révolution, l’église catholique a vainement invoqué ses plus magiques incantations et ses plus redoutables anathèmes et que jamais elle n’a pu ni la contenir, ni la diriger. On a eu beau restaurer en France le trône et l’autel ; cette restauration n’a pas pu faire cesser l’antagonisme toujours persistant d’une liberté toujours plus irrépressible et d’une religion qui, pour ne rien vouloir oublier de ses prétentions injustes et païennes d’autrefois, reste pour le passé et pour l’avenir, l’obstacle inéluctable à la prospérité d’un peuple grand et généreux entre tous. Il faut donc le reconnaître, il est impossible de concilier et de faire vivre ensemble la liberté toujours plus grande dans le monde civil et politique, avec la foi et l’obéissance aveugle en religion. On ne trouvera jamais, en ce monde, une autorité, si forte soit-elle, capable de concilier ces deux exigences contraires. Ces deux principes opposés ne sauraient, au reste, coexister dans la même conscience sans la froisser et l’irriter. Un pareil état d’âme impose le doute et provoque la révolte, non seulement contre l’autorité religieuse qui l’inspire, mais surtout contre l’autorité civile qui voudrait s’en faire le défenseur et le garant.