Méditations sur la Genèse

III
La Chute

Genèse 3.1-6

« Dieu vit tout ce qu’il avait fait, et voilà cela était très bon. » Cependant la plus noble de toutes les créatures de Dieu, l’homme, n’avait point encore atteint sa destination. Pour y parvenir, l’épreuve lui était nécessaire. La créature libre doit s’élever, par l’exercice de sa liberté, à un degré supérieur de félicité et de gloire. Ainsi l’a voulu la divine sagesse. La tentation ne fut donc point épargnée à nos premiers parents. Il fallut une épreuve qui ne fût pas de pure apparence, mais réelle, périlleuse, propre par là même à démontrer la fidélité de l’homme, que Dieu se proposait de couronner. A nous aussi, il faut l’épreuve et la tentation ; et c’est par la même voie que le Fils de Dieu lui-même est parvenu à la perfection.

Si nous ne connaissions pas Jésus-Christ demeuré fidèle dans l’épreuve, la chute des premiers hommes serait pour nous le sujet d’une incurable tristesse. Cette chute est là pour nous avertir ; mais nous puisons dans la victoire de Christ consolation et force.

I

La séduction n’a pas été purement sensuelle. Sans doute, Eve fut fascinée par la beauté du fruit défendu, et le tentateur sut éveiller ce désir et en profiter. Mais il y a dans la tentation un autre côté plus dangereux encore. « Vous serez comme Dieu, connaissant le bien et le mal », lui dit l’ennemi. Le désir de la connaissance, ainsi excité dans son. cœur, y répand la mauvaise semence de l’orgueil. Mais pour réussir, le séducteur cherche avant tout à lui inspirer des doutes sur la parole de Dieu : « Vous ne mourrez nullement. » Dieu avait interdit à l’homme de toucher à l’arbre de la connaissance. Le tentateur pervertit son dessein et ose l’accuser d’agir par malveillance et par envie : « Dieu sait qu’au jour où vous en mangerez, vos yeux seront ouverts et vous serez comme Dieu. » Il met en suspicion la véracité et la bonté du Père céleste, et cherche à miner par là leur confiance en lui. Et, au lieu de fermer l’oreille à ces insinuations, ils y ouvrent leur cœur ; l’incrédulité les envahit ; et c’est par l’incrédulité qu’ils tombent : l’orgueil et la convoitise, ne rencontrant plus en eux de principe de résistance, ont bien facilement raison d’eux.

Le véritable auteur de la chute, c’est donc le diable — cet esprit ambitieux, menteur, rebelle à Dieu, animé contre l’homme d’une haine meurtrière, qui se cache derrière le serpent pour perdre Adam, en faire son esclave et se servir de lui dans sa lutte contre Dieu.

C’est à Eve qu’il s’adresse, sachant bien qu’elle est plus faible qu’Adam ; faiblesse qui ne l’excuse pas, puisqu’elle n’avait qu’à s’en tenir à la parole de Dieu et à s’appuyer sur le protecteur que Dieu lui avait donné, Adam. Au lieu de cela, elle veut agir par elle-même, elle compte sur ses forces, et elle tombe.

La chute n’a pas été l’affaire d’un instant ; elle s’est accomplie graduellement. L’imagination d’Eve s’ouvre d’abord aux pensées séduisantes ; elle se complaît dans le fruit défendu et dans le rêve enivrant de devenir comme Dieu et de connaître le bien et le mal. Son cœur en est troublé, sa volonté affaiblie ; le mauvais désir toléré grandit ; et, sans y prendre garde, elle est entraînée à la désobéissance. Saint Jacques décrit ce progrès en ces mots : « Dieu ne tente personne, mais chacun est tenté quand il est attiré et amorcé par sa propre convoitise ; et après que la convoitise a conçu, elle enfante le péché ; et le péché, étant consommé, engendre la mort » (Jacques 1.13-15). Quand l’homme laisse son imagination jouer avec le fruit défendu et le savourer intérieurement, le désir prend insensiblement possession de lui, et après qu’il a ainsi grandi en secret, il éclate soudain au dehors sous la forme de la mauvaise action.

La même chose se répète chez Adam. Lorsqu’Eve lui présente le fruit défendu, son cœur n’est déjà plus intact. Il pourrait encore tenir bon, se souvenir de sa responsabilité comme chef et protecteur de sa femme, et s’appuyer sur Dieu. Mais lui aussi n’a plus confiance dans son Père céleste ; il écoute la voix de la femme plutôt que celle de Dieu ; comme elle, il tombe par l’incrédulité.

II

La tentation d’Adam est le type de celle de Jésus. Le second Adam, le nouveau chef de l’humanité, recommence la lutte dans laquelle Adam a succombé.. Le même séducteur qui s’était glissé dans le paradis sous la figure du serpent, s’approche du Fils de l’homme pour le perdre. Cette fois encore, il excite le désir sensuel pour pousser à la désobéissance. « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent du pain. » Puis il suggère à Jésus d’usurper la gloire et de se faire, contre la volonté de son Père, égal à Dieu et Seigneur de toutes choses. A l’attrait sensuel, il ajoute les séductions de l’esprit. Le Seigneur passe par une épreuve plus redoutable que celle de nos premiers parents dans le paradis. Mais il triomphe par la foi. Il s’empare de la Parole de Dieu et l’oppose victorieusement à l’adversaire. Son « est écrit » le met en fuite. Il ne vacille pas dans sa confiance en son Père, comme si Dieu allait le laisser mourir de faim dans le désert ; il compte qu’au moment voulu et de la manière qui sera la meilleure, il le secourra et le couronnera de gloire et d’honneur ; il ne permet pas que les images de félicité mondaine que le séducteur fait passer devant ses yeux, occupent sa pensée et éblouissent son âme. Son cœur demeure intact, et sa volonté affermie en Dieu. Le Malin ne trouve point de prise en lui. Jésus, vrai Dieu en même temps que vrai homme, ne fait point usage de ses perfections divines pour s’alléger les épreuves qui lui sont assignées. Il n’oppose pas au tentateur le bouclier de la toute-science ou le glaive de la toute-puissance. Ce qu’il disait à Pierre : « Remets ton épée dans le fourreau, » il le fait ici lui-même. Ce n’est point avec les forces surnaturelles dont il dispose qu’il soutient le combat, mais avec le bouclier de la foi et l’épée de l’Esprit, qui est la Parole de Dieu ; c’est avec ces armes qu’il triomphe. C’est comme vrai homme qu’il souffre la tentation et qu’il remporte la victoire. Bien qu’enveloppé de faiblesse humaine, il persévère dans sa confiance en son Père, s’attache à sa Parole et demeure fidèle dans les plus terribles épreuves qui puissent atteindre une créature. C’est ce qu’il fait encore quand l’ennemi, qui ne l’avait quitté que pour un temps » (Luc 4.13), revient et tente une seconde fois de le faire tomber par la crainte de la souffrance. Obéissant jusqu’à la mort, il montre à son Père l’amour sans bornes qu’il a pour lui, et tient bon, même alors qu’il se sent abandonné de lui. Là encore — et nous lui en rendons grâces — il remporte la victoire par la foi.

III

La chute d’Adam et d’Eve est comme un miroir de notre propre fragilité et de notre infidélité. Nous, leurs descendants, n’avons pas agi autrement qu’eux. Nul ne peut se lever et dire : Si j’eusse été à leur place, j’eusse mieux fait ! Nous avons succombé aussi bien dans de grandes que dans de petites épreuves. L’exemple de nos premiers parents, l’expérience amère qu’ils ont faite, ne nous a point sauvés et ne nous sauve point encore de la défaite. En Jésus seul résident pour nous la justice et la force. C’est dans sa victoire que nous puisons de quoi sortir nous-mêmes victorieux de la tentation.

La situation de l’homme sans Jésus-Christ est plus déplorable que n’était celle d’Adam dans le paradis. Dans ses membres règne la loi du péché, qui s’est attachée à nous depuis la chute (Romains 7.23). Nous portons l’image, non plus d’Adam innocent, mais d’Adam tombé sous la puissance du péché et de la mort (1 Corinthiens 15.48). C’est notre état naturel. Mais quand nous avons trouvé Christ, ou plutôt qu’il nous a trouvés, nous ne devons plus dire que nous portons ces chaînes. Incorporés à Christ, nous avons acquis une position nouvelle ; nous avons des armes pour subsister dans l’épreuve et remporter la victoire (Romains 6.3-14 ; Éphésiens 6.10-18). Nous avons un appui qu’Adam, même dans son état d’innocence, n’avait pas : nous sommes en Christ, nous lui demeurons unis par la foi. La malédiction et l’esclavage du péché sont passés ; nous appartenons à cette sainte cité dont le prophète a dit : « Aucun de ceux qui y habitent ne dira : Je suis malade ! Au peuple qui demeure en Sion, son iniquité est pardonnée » (Ésaïe 33.24). Il ne nous convient donc pas d’être découragés — ce serait renier Christ — et pas davantage de nous excuser lorsque nous avons bronché — ce se-sait encore renier Christ et son œuvre.

Nous avons foi en Celui qui veut vaincre en nous. Toutefois l’exemple d’Adam demeure devant nos yeux comme un salutaire avertissement. Ni la témérité, ni la sécurité ne sont la foi. Hors de Christ, nous sommes sans force pour vaincre ; ce qu’il nous faut donc, avant tout, c’est l’humilité et la défiance de nous-mêmes ; sur ce fondement-là, peut se développer la foi qui saisit Christ.

Veiller et prier, résister au premier commencement du péché dans nos cœurs, renoncer à la secrète jouissance que le mal nous procure, de peur que le Seigneur ne nous punisse en nous retirant sa main protectrice, et que nous ne tombions dans le cercle magique de la séduction, où la résistance devient impossible, — voilà notre tâche. Que notre fidélité se montre d’abord dans les petites choses, pour pouvoir se montrer dans les grandes ! Notre arme, à nous aussi, c’est la Parole de Dieu ; il ne faut pas qu’elle échappe de nos mains ; il faut apprendre à la manier contre l’adversaire. Demeurons d’ailleurs dans la condition où Dieu nous a placés. C’est dans l’accomplissement du travail de notre vocation que sa protection nous est assurée.

Telles sont les conditions que nous avons à remplir pour être certains de la victoire. La victoire elle-même est dans les mains du Seigneur. C’est lui qui en nous et par nous exécutera son jugement contre le mal. Nous nous fondons sur sa fidélité, et si nous parvenons au but, c’est à lui seul que nous en donnerons gloire.

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