Ceux qui ont autrefois soupçonné l’existence d’une édition française de l’Institution, antérieure à la première latine, et ceux qui aujourd’hui continuent à présenter cette supposition comme fort probable, ont fondé leur opinion sur un fait assez singulier et en même temps incontestable, lequel est en apparence entièrement à leur faveur. C’est la différence des dates qu’on lit à la fin de la dédicace dans les diverses éditions de l’Institution. Voici les faits :
La préface de la première édition latine est datée du 23 Août sans désignation de l’année. Toutes les éditions latines subséquentes portent au même endroit le 1er Août 1536. D’autre part on a constaté que les éditions françaises mettent régulièrement l’année 1535. La conclusion qu’on en tire est naturellement celle-ci : Calvin a publié son Institution d’abord en français et cette publication a précédé de toute une année la première édition latine. Nous avons déjà prouvé que cette conclusion est inadmissible, Calvin lui-même affirmant explicitement le contraire, et qu’elle ne peut être soutenue que par des personnes qui n’ont jamais eu sous les yeux un seul exemplaire des anciennes éditions françaises de son ouvrage. Tout de même le fait est assez bizarre et demande à être expliqué.
Mais avant d’essayer une explication, il conviendra de compléter les faits sur lesquels elle doit porter. Les éditions françaises varient également entre elles. Les deux premières (1541 et 1545) portent la souscription suivante : De Basle le vingt-troysième d’Aoust mil cinq cent trente cinq. Dans les autres on lit : De Basle le premier iour d’Aoust mil cinq cent trente cinq. Il y a donc à examiner deux variantes différentes, celle qui concerne l’année, et celle qui regarde le jour du mois.
Pour ce qui est d’abord de l’année nous devons commencer par établir la vraie date de la première édition latine. A l’égard de celle-ci nous sommes en mesure de dire qu’il n’y a que son extrême rareté qui ait pu faire commettre aux bibliographes la grossière erreur de la supposer achevée seulement au mois d’août 1536. Car à la fin du volume on lit une note des imprimeurs bâlois Thomas Platter et Balthasar Lasius, laquelle constate l’achèvement de l’ouvrage au mois de mars 1536. Il s’ensuit que le dixième des calendes de septembre, indiqué comme date de la dédicace, est le 23 août 1535 et que l’on a employé tout l’hiver à imprimer le livre que l’auteur avait terminé avant l’automne. Par conséquent, si les éditions latines postérieures mettent le millésime 1536 à la suite de la dédicace, cela s’expliquera tout simplement par la circonstance que Calvin n’avait pas indiqué l’année, au moment où il terminait sa préface qu’il croyait voir publiée sans plus de délai, et que les éditeurs postérieurs, pour remplir cette lacune, ont tout bonnement pris le chiffre de la fin du volume qui marquait l’époque de la publication réelle. Les premières éditions françaises, en ajoutant l’année 1535, ont parfaitement bien interprété la souscription incomplète de la première édition latine. Or ce dernier fait est d’autant plus significatif que l’édition française de 1541, la plus ancienne que nous connaissions, et qui traduit fidèlement l’original latin, contient le texte de l’Institution de 1539, c’est à dire d’une édition latine plus récente, dans laquelle la Lettre au roi se trouve déjà avec la signature apocryphe du 1er août 1536.