L’histoire des dogmes, dans sa forme actuelle, ne date que d’un siècle. Les anciens héréséologues, saint Irénée, les Philosophoumena, le Pseudo-Tertullien, saint Épiphane, Philastrius, Théodoret, etc., et les historiens ecclésiastiques, Eusèbe et ses continuateurs, ont sans doute laissé des matériaux pour l’histoire de la doctrine dans les premiers siècles, mais ils n’ont jamais songé à l’écrire. Au moyen âge, l’idée même d’un développement dans le dogme semble s’être obscurcie. L’ignorance où l’on était des œuvres des plus anciens Pères, le mélange de ces œuvres avec d’autres écrits apocryphes mis au courant des décisions conciliaires postérieures avaient endormi tout soupçon sur ce point. Il fallut la Réforme d’une part, de l’autre l’admirable travail patristique d’édition, de révision et de triage accompli par les grands érudits des xvie, xviie et xviiie siècles pour remettre en lumière le fait signalé par Vincent de Lérins au ve, et ramener sur ce fait l’attention des théologiens. L’argument fondamental du Protestantisme contre le dogme catholique reprochait à ce dogme d’être relativement nouveau, d’avoir été ignoré de l’Écriture et des Pères : Ab initia non fuit sic. Un examen minutieux de la doctrine de l’antiquité devenait nécessaire. Il fut réalisé en France, avec une compétence hors ligne, par le jésuite Petau (De theologicis dogmatibus, 1643-1650), et un peu plus tard par l’oratorien Thomassin (Theologica dogmata, 1680-1689). Petau reste un maître qu’il faudra toujours consulter. En même temps paraissait à Amsterdam l’ouvrage d’un écossais, John Forbes of Corse (Instructiones historico-theologicae, 1645), destiné à montrer l’harmonie de la doctrine réformée avec l’ancienne orthodoxie ; puis celui de Georges Bull (Defensio nicaenae fidei, 1685-1688), où il défendait contre les Sociniens la croyance trinitaire, et attaquait vivement l’exégèse de Petau.
Quelque place que tînt dans ces œuvres l’histoire des doctrines, elles n’étaient pas cependant à proprement parler des histoires du dogme. C’est en Allemagne que parurent les premiers essais portant ce titre, et c’est l’Allemagne protestante surtout qui les a depuis multipliés. On peut grouper autour de six noms l’ensemble des travaux qu’elle a produits sur ce sujet.
Le premier est celui de W. Münscher, de Marburg († 1814). Cet auteur avait été précédé par S. G. Lange dont l’ouvrage était resté inachevé, et son Histoire fut suivie d’une série de manuels sans influence sur les progrès de la science. Münscher lui-même était trop rationaliste pour avoir, malgré sa profonde érudition, l’intelligence vraie du Christianisme et de son développement.
Après Münscher il faut nommer Neander, et les auteurs qui dépendent de Schleiermacher, entre autres Baumgarten-Crusius († 1843) et F. K. Meier († 1841). La tendance est déjà meilleure et plus conservatrice. Le livre de Meier dénote dans son auteur une vue juste de la méthode à suivre : les matériaux y sont bien choisis et disposés avec soin.
Mais Hegel a paru, et, sous l’influence de sa philosophie, une nouvelle conception se produit de l’évolution du dogme. Elle est représentée par F. Christian Baur († 1860) et son école. Outre diverses études consacrées aux dogmes de la Trinité, de l’Incarnation et de la Rédemption, Baur donne un manuel et des lectures d’histoire des dogmes. Il ne voit plus, comme Baumgarten-Crusius et Meier, dans les modifications subies par le dogme, l’effet de causes particulières, locales et temporaires : il y voit l’effet de la loi générale qui entraîne toutes les doctrines à travers les vicissitudes de la thèse, de l’antithèse et de la synthèse. Son système eut, à un moment, un succès énorme : il est aujourd’hui bien abandonné.
Une réaction se produisit qui prit à cœur de justifier, par l’histoire, le Luthéranisme confessionnel et les dogmes fondamentaux du christianisme. L’auteur le plus en vue en fut Thomasius († 1875). Thomasius admet en principe l’autorité de l’Église et celle de l’Écriture, et montre, en conséquence, le bien-fondé des premières définitions conciliaires. Mais il continue, avec assez peu de logique, en prétendant que la hiérarchie avait engagé, au moyen âge, la doctrine dans une fausse voie d’où la Réforme a dû la tirer. A cette même orthodoxie luthérienne appartiennent Kliefoth, Schmid et Kahnis († 1888).
L’influence de Baur fut remplacée par celle de Ritschl († 1889). Ritschl n’a écrit lui-même sur l’histoire des dogmes que des études de méthode et des travaux détachés : mais il a fortement contribué à faire disparaître des manuels la division en histoire générale (méthode synthétique) et histoire particulière (méthode analytique) des dogmes, adoptée presque généralement jusqu’à lui, et a attiré l’attention sur le rôle que la philosophie grecque avait joué dans la constitution du dogme chrétien. C’est à lui que se rattache F. Nitzsch.
C’est à lui encore que l’on peut rattacher, dans une certaine mesure du moins, les ouvrages de M. Ad. Harnack. L’idée qui les domine est que « le dogme, dans sa conception et son développement, est l’œuvre de l’esprit grec sur le terrain de l’Évangile », autrement dit, qu’il est le produit de la philosophie grecque travaillant sur les données évangéliques. L’auteur a porté au service de cette thèse sa rare connaissance de l’ancienne littérature chrétienne, mais aussi une disposition trop peu contenue au paradoxe : il s’en faut bien que tout soit acceptable dans ses conclusions. Depuis, plusieurs traités ont paru qui méritent une mention : je citerai ceux de F. Loofs, d’une érudition très sûre, de R. Seeberg, écrit dans un esprit conservateur, et le manuel plus court de N. Bonwetsch.
L’Allemagne catholique a été moins féconde en histoires générales du dogme, et s’est plutôt occupée d études détachées. Il faut cependant signaler le manuel de Klee, et celui, moins connu, de Zobl (1865). L’ouvrage le plus complet est celui de J. Schwane ; mais on trouve, dans les vues historiques dont Kuhn a semé sa Dogmatique, des observations peut-être plus pénétrantes encore. Bach a donné, en 1873, une bonne histoire des dogmes au moyen âge, et K. Werner des travaux étendus sur saint Thomas d’Aquin et la Scolastique.
La France n’a produit jusqu’ici aucune histoire complète des dogmesa. Bossuet, qui a eu l’occasion, dans ses controverses avec Jurieu et Richard Simonb, d’examiner les difficultés que présente la doctrine de certains Pères, l’a fait dans un esprit qui semble écarter l’idée même d’un progrès dogmatique. On trouve quelques bonnes indications dans l’Histoire des Sacrements de Dom Chardon (1745) ; mais il faut venir jusqu’à Mgr Ginoulhiac pour rencontrer une œuvre qui aborde franchement le sujet qui nous occupe. Son Histoire du dogme catholique pendant les trois premiers siècles de l’Église est restée inachevée, puisqu’elle ne traite que de Dieu et de la Trinité ; l’analyse y est poussée à l’excès, et l’exégèse s’en montre parfois timide ; mais l’érudition de l’auteur s’y manifeste profonde et consciencieuse, l’exposé en est clair et judicieux, le ton excellent. On lit encore avec intérêt et profit les Etudes sur les Pères des trois premiers siècles, de Mgr Freppel, bien que l’exposé en soit lâche et la critique arriérée. Le P. de Régnon a publié, sur la sainte Trinité, des Etudes de théologie positive (1892-1896) restées inachevées, mais qui sont un des bons ouvrages de théologie historique de ces derniers temps. On ajoutera à cette liste plusieurs des écrits de Mgr Batiffol, de MM. Pourrat, Rivière, d’Alès, Lebreton et autres, ainsi que nombre d’articles du Dictionnaire de Théologie catholique d’abord entrepris par l’abbé Vacant.
a – Je parle des catholiques ; car les protestants en ont donné quelques-unes. La plus connue est celle de Fr. Bonifas, Histoire des dogmes de l’Église chrétienne, Paris, 1889.
b – Avertissements aux protestants ; Défense de la Tradition.
En Italie il faut mentionner les leçons du P. Semeria, barnabite, sur les origines chrétiennesc.
c – Notamment Dogma, gerarchia e culto nella chiesa primitiva, Roma, 1902 ; traduit en français par F. Richermoz, Dogme, hiérarchie et culte dans l’Église primitive, Paris, 1906.
L’Angleterre a tardé plus que l’Allemagne à s’occuper de l’histoire des dogmes. Mais, en 1845, parut un livre destiné à faire époque, c’est L’Essai sur le développement de la doctrine chrétienne, de J. H. Newman. Ce n’est pas une histoire des dogmes, c’en est l’introduction ou la préface, pleine de vues profondes et d’aperçus originaux. L’auteur se convertit au catholicisme en l’écrivant. Depuis, les protestants de langue anglaise ont surtout traduit les histoires du dogme allemandes, mais ils en ont relativement peu produit eux-mêmes. Signalons cependant celle de l’américain Sheddd, écrite au point de vue calviniste, la synthèse modérée et bien informée de G. P. Fischere, et plus récemment la judicieuse Introduction de M. Bethune-Bakerf.
d – History of Christian doctrine, 3e édit., 1883.
e – History of Christian doctrine, Edinburgh, 1896.
f – An introduction to the early history of Christian doctrine to the time of the council of Chalcedon, London, 1903.