Religion – Reliques – Rites de Pâques – Mœurs – Corruption – Désordres des prêtres, – des évêques, – des papes – Borgia – Instruction – Ignorance – Cicéroniens
Cependant la science des écoles était pure, si on la compare à l’état réel de l’Église. La théologie des savants était florissante, si on la compare à la religion, aux mœurs, à l’instruction des prêtres, des moines et du peuple. Si la science avait besoin d’un renouvellement, l’Église avait encore plus besoin d’une réforme.
Le peuple de la chrétienté, et dans ce peuple il faut à peu près tout comprendre, n’attendait plus d’un Dieu vivant et saint le don gratuit de la vie éternelle. Il devait donc, pour l’obtenir, recourir à tous les moyens que pouvait inventer une imagination superstitieuse, craintive et alarmée. Le ciel se remplit de saints et de médiateurs, qui devaient solliciter cette grâce. La terre se remplit d’œuvres pies, de sacrifices, de pratiques et de cérémonies qui devaient la mériter. Voici le tableau que nous fait de la religion à cette époque un homme qui fut longtemps moine, et plus tard compagnon d’œuvre de Luther, Myconius :
« Les souffrances et les mérites de Christ étaient traités comme une vaine histoire ou comme les fables d’Homère. Il n’était pas question de la foi par laquelle on s’assure la justice du Sauveur et l’héritage de la vie éternelle. Christ était un juge sévère prêt à condamner tous ceux qui ne recourraient pas à l’intercession des saints ou aux indulgences des papes. A sa place figuraient comme intercesseurs, d’abord la Vierge Marie, semblable à la Diane du paganisme ; et puis des saints dont les papes augmentaient sans cesse le catalogue. Ces médiateurs n’accordaient leurs prières que si l’on avait bien mérité des ordres fondés par eux. Pour cela il fallait faire, non pas ce que Dieu commande dans sa Parole, mais un grand nombre d’œuvres inventées par les moines et par les prêtres, et qui rapportaient beaucoup d’argent. C’étaient des Avé-Maria, des prières de sainte Ursule, de sainte Brigitte. Il fallait chanter, crier jour et nuit. Il y avait autant de lieux de pèlerinage que de montagnes, de forêts ou de vallées. Mais l’on pouvait avec de l’argent racheter ces peines. On apportait donc aux couvents et aux prêtres de l’argent et tout ce qui pouvait avoir quelque valeur, des poulets, des oies, des canards, des œufs, de la cire, du chaume, du beurre, du fromage. Alors les chants retentissaient, les cloches sonnaient, les parfums remplissaient le sanctuaire, les sacrifices étaient offerts, les cuisines regorgeaient, les verres se heurtaient, et les messes terminaient et recouvraient toutes ces œuvres pies. Les évêques ne prêchaient pas, mais ils consacraient les prêtres, les cloches, les moines, les églises, les chapelles, les images, les livres, les cimetières ; et tout cela fournissait de grands revenus. Des os, des bras, des pieds étaient conservés dans des boîtes d’argent ou d’or : on les donnait à baiser pendant la messe ; et cela aussi rapportait un grand profit.
Tous ces gens maintenaient que le pape, étant à la place de Dieu (2 Thessaloniciens 2.4), ne pouvait se tromper, et ils ne souffraient aucune contradictiond ».
d – Myconius, Hist. de la Réforme ; et Seckendorf, Hist. du luthéranisme.
A l’église de tous les Saints, à Wittemberg, on faisait voir un morceau de l’arche de Noé, un peu de suie provenant de la fournaise des trois jeunes hommes, un morceau de bois de la crèche de Jésus-Christ, des cheveux de la barbe du grand Christophe, et dix-neuf mille autres reliques de plus ou moins grand prix. A Schaffouse, on montrait l’haleine de saint Joseph que Nicodème avait reçue dans son gant. Dans le Wurtemberg on rencontrait un vendeur d’indulgences débitant sa marchandise, la tête ornée d’une grande plume tirée de l’aile de l’archange Michele. Mais il n’était pas nécessaire d’aller chercher au loin ces précieux trésors. Des fermiers de reliques parcouraient le pays. Ils les colportaient dans les campagnes, comme on l’a fait plus tard des saintes Écritures, et les apportaient aux fidèles dans leurs maisons, pour leur épargner les frais et la peine du pèlerinage. On les exposait avec pompe dans les églises. Ces colporteurs errants payaient une certaine somme aux propriétaires des reliques, et leur donnaient tant pour cent de leurs profits… Le royaume des cieux avait disparu, et les hommes avaient élevé à sa place sur la terre un honteux marché.
e – Müller's Reliquien, 3e vol., p. 22.
Aussi un esprit profane avait-il envahi la religion ; et les souvenirs les plus sacrés de l’Église, les temps qui appelaient le plus les fidèles au recueillement et à l’amour, étaient déshonorés par des bouffonneries et des profanations toutes païennes. Les « rires de Pâques » tenaient une grande place dans les actes de l’Église. La fête de la résurrection de Jésus-Christ devant être célébrée avec joie, on recherchait dans les sermons tout ce qui pouvait exciter les rires du peuple. Tel prédicateur chantait comme un coucou ; tel autre sifflait comme une oie. L’un traînait à l’autel un laïque revêtu d’un froc ; un second récitait les histoires les plus indécentes ; un troisième racontait les tours de l’apôtre saint Pierre, entre autres comment au cabaret il avait trompé son hôte en ne payant pas son écotf. Le bas clergé profitait de l’occasion pour tourner en ridicule ses supérieurs. Les temples étaient changés en tréteaux et les prêtres en bateleurs.
f – Œcolamp., De risu paschali.
Si telle était la religion, que devaient être les mœurs ?
Sans doute la corruption n’était pas alors universelle. Il ne faut point l’oublier ; l’équité le demande. On vit jaillir, de la Réformation même, une abondance de piété, de justice et de force. L’action spontanée de la puissance de Dieu en fut la cause. Mais comment nier qu’il avait à l’avance déposé les germes de cette vie nouvelle dans le sein de l’Église ? Si, de nos jours, on rassemblait toutes les immoralités, toutes les turpitudes qui se commettent dans un seul pays, cette masse de corruption nous effrayerait sans doute encore. Néanmoins, le mal eut à cette époque des caractères, une généralité qu’il n’a pas eus depuis lors. Et surtout, l’abomination désolait les lieux saints comme il ne lui a plus été donné de le faire depuis les jours de la Réformation.
La vie avait déchu avec la foi. La nouvelle du don de la vie éternelle est la puissance de Dieu pour régénérer les hommes. Otez le salut que Dieu donne, vous ôtez la sanctification et les œuvres. Ce fut ce qui arriva.
La doctrine et le débit des indulgences provoquaient puissamment au mal un peuple ignorant. Il est vrai que, selon l’Église, les indulgences ne pouvaient être utiles qu’à ceux qui promettaient de se corriger et qui tenaient leur parole. Mais qu’attendre d’une doctrine inventée en vue du profit qu’on espérait en retirer ? Les vendeurs d’indulgences étaient naturellement tentés, afin de mieux débiter leur marchandise, de présenter la chose au peuple de la manière la plus propre à l’attirer et à le séduire. Les savants eux-mêmes ne comprenaient pas trop cette doctrine. Tout ce que la multitude y voyait, c’est que les indulgences permettaient de pécher : et les marchands ne s’empressaient pas de dissiper une erreur, si favorable à la vente.
Que de désordres et de crimes dans ces siècles ténébreux, où l’impunité s’acquérait à prix d’argent ! Que pouvait-on craindre, quand une petite contribution pour bâtir une église délivrait des vengeances du monde à venir ? Quel espoir de renouvellement, quand il n’y avait plus communication entre Dieu et l’homme, et que l’homme, éloigné du Dieu qui est esprit et vie, ne se mouvait plus qu’au milieu de petites cérémonies, de grossières pratiques, dans une atmosphère de mort ?
Les prêtres étaient les premiers soumis à cette influence corruptrice. En voulant s’élever, ils s’étaient abaissés. Ils avaient voulu ravir à Dieu un rayon de sa gloire et le placer dans leur sein ; mais leur tentative avait été vaine, et ils n’y avaient caché qu’un levain de corruption dérobé à la puissance du mal. Les annales du temps fourmillent de scandales. En plusieurs lieux, on aimait à voir un prêtre entretenir une femme, afin que les femmes mariées fussent en sûreté contre leurs séductionsg. Que de scènes humiliantes présentait alors la maison d’un pasteur ! Le malheureux soutenait la mère et les enfants qu’elle lui avait donnés avec la dîme et les aumônesh. Sa conscience était troublée ; il rougissait devant le peuple, devant ses domestiques, devant Dieu. La mère craignant, si le prêtre venait à mourir, de tomber dans le dénuement, se pourvoyait quelquefois à l’avance : elle volait dans sa propre maison. Son honneur était perdu. Ses enfants étaient, pour elle une accusation toujours vivante. Méprisés de tous, ils se jetaient dans les querelles et dans les débauches. Voilà la maison du prêtre… Ces scènes affreuses étaient une instruction dont le peuple savait profiteri.
g – Nicol. De Clemangis, de præsulib. simoniacis.
h – Paroles de Seb. Stor., pasteur de Lichstall en 1524.
i – Füsslin Beytræge, II, 224.
Les campagnes étaient le théâtre de nombreux excès. Les lieux où résidaient les ecclésiastiques étaient souvent des repaires de dissolution. Corneille Adrien à Brugesj, l’abbé Trinkler à Cappelk, imitaient les mœurs de l’Orient : ils avaient aussi leurs harems. Des prêtres, s’associant à de méchantes gens, fréquentaient les cabarets, jouaient aux dés, et couronnaient leurs orgies par les querelles et le blasphèmel.
j – Metern. Nederl. Hist. VIII.
k – Hottinger, Hist. Eccl. IX, 305.
l – Mand. du 3 mars 1517, de Hugo, évêque de Constance.
Le conseil de Schaffhouse leur défendit la danse publique, excepté en cas de noces, et le port de deux espèces d’armes ; il ordonna aussi qu’on dépouillât de leurs habits ceux que l’on trouverait dans une maison de mauvaises mœursm. Dans l’archevêché de Mayence, ils sautaient durant la nuit pardessus les murailles, ils faisaient du bruit et toutes sortes de désordres dans les auberges et dans les cabarets, et ils brisaient les portes et les serruresn. En plusieurs lieux, le prêtre payait à l’évêque une certaine taxe pour la femme avec laquelle il vivait, et par chaque enfant qu’il avait d’elle. Un évêque allemand, se trouvant un jour à un grand festin, dit publiquement que dans une année onze mille prêtres s’étaient présentés chez lui à cet effet. Érasme le rapporteo.
m – Müller's Reliq., III, 251.
n – Steubing, Gesch. der Nass. Oran. Lande.
o – « Uno anno ad se delata undecim millia sacerdotum palam concubinariorum. » (Erasmi Opp., tom. IX, p. 401.)
Si l’on montait dans l’ordre hiérarchique, la corruption n’était pas moins grande. Les dignitaires de l’Église préféraient le tumulte des camps aux chants des autels. Savoir, la lance à la main, contraindre ceux qui les entouraient à l’obéissance, était l’une des premières qualités des évêques. Baudouin, archevêque de Trêves, sans cesse en guerre avec ses voisins et ses vassaux, rasait leurs châteaux, bâtissait des forts, et ne pensait qu’à agrandir son territoire. Certain évêque d’Eichstadt, lorsqu’il rendait la justice, portait sous son habit une cotte de mailles, et tenait en main une grande épée. Il avait coutume de dire qu’il défiait cinq Bavarois, pourvu qu’ils l’attaquassent sans fraudep. Partout les évêques étaient en guerre continuelle avec leurs villes. Les bourgeois demandaient la liberté, les évêques voulaient une obéissance absolue. Si ceux-ci remportaient la victoire, ils punissaient la révolte en immolant à leur vengeance de nombreuses victimes ; mais la flamme de l’insurrection brillait au moment même où l’on pensait l’avoir étouffée.
p – Schmidt, Gesch. dor Deutschen, tom. IV.
Et quel spectacle offrait le trône pontifical aux temps qui précédèrent immédiatement la Réformation ! Rome, il faut le dire, ne vit pas souvent tant de honte.
Rodrigue Borgia, après avoir vécu avec une dame romaine, avait continué le même commerce illégitime avec une fille de cette dame, Roza Vanozza, et en avait eu cinq enfants. Il était à Rome cardinal, archevêque, vivant avec Vanozza, avec d’autres encore, fréquentant les églises et les hôpitaux, quand la mort d’Innocent VIII rendit vacant le siège pontifical. Il sut l’obtenir en achetant chaque cardinal à un certain prix. Quatre mulets chargés d’argent entrèrent publiquement dans le palais du plus influent de tous, du cardinal Sforza. Borgia fut fait pape sous le nom d’Alexandre VI, et se réjouit d’être ainsi parvenu au faîte des plaisirs.
Le jour de son couronnement, il fit son fils César, jeune homme de mœurs féroces et dissolues, archevêque de Valence et évêque de Pampelune. Puis il célébra dans le Vatican les noces de sa fille Lucrèce par des fêtes auxquelles assista sa maîtresse Julia Bella, et qu’égayèrent des comédies et des chansons déshonnêtes. « Tous les ecclésiastiques, dit un historienq, avaient des maîtresses, et tous les couvents de la capitale étaient des maisons de mauvaise vie. » César Borgia épousa le parti des Guelfes ; et quand, avec leur aide, il eut anéanti les Gibelins, il se tourna contre les Guelfes eux-mêmes et les engloutit à leur tour. Mais il voulait être seul à partager toutes ces dépouilles. L’an 1497, Alexandre donna à son fils aîné le duché de Bénévent. Le duc disparut. Un marchand de bois des bords du Tibre, George Schiavoni, avait vu, pendant la nuit, jeter un cadavre dans le fleuve ; mais il n’avait rien dit : c’était chose ordinaire. On retrouva le cadavre du duc. Son frère César avait été l’auteur de sa mortr. Ce n’était pas assez : un beau-frère l’offusquait encore ; un jour, César le fit frapper sur l’escalier même du palais pontifical. On le transporta ensanglanté dans ses appartements. Sa femme et sa sœur ne le quittaient pas, et, craignant le poison de César, elles lui préparaient de leurs propres mains ses aliments. Alexandre plaça des gardes à sa porte ; mais César se moquait de ces précautions, et comme le pape allait voir son gendre : « Ce qui ne se fait pas à dîner, se fera à souper, » lui dit César. Un jour, en effet, il pénétra dans la chambre du convalescent, en chassa sa femme et sa sœur, appela son bourreau Michilotto, le seul homme auquel il témoignât quelque confiance, et fit étrangler son beau-frère sous ses yeuxs. Alexandre avait un favori, Peroto, dont la faveur importunait aussi le jeune duc. Il le poursuivit ; Peroto se réfugia sous le manteau pontifical, et enlaça le pape de ses bras. César le frappa, et le sang de la victime rejaillit sur le visage du pontifet. « Le pape, ajoute le témoin contemporain de ces scènes, aime son fils le duc et en a grande peur. » César fut l’homme le plus beau et le plus fort de son siècle. Six taureaux sauvages tombaient facilement sous ses coups dans un combat. Chaque matin on trouvait dans Rome des gens assassinés pendant la nuit. Le poison consumait ceux que le glaive ne pouvait atteindre. Nul n’osait se mouvoir ni respirer dans Rome, tremblant que son tour ne vînt. César Borgia a été le héros du crime. Le lieu sur la terre où l’iniquité a atteint de telles hauteurs, c’est le trône des pontifes. Quand l’homme s’est livré aux puissances du mal, plus il prétend être élevé devant Dieu, plus il s’enfonce dans les abîmes de l’enfer. Les fêtes dissolues que le pape, son fils César et sa fille Lucrèce se donnaient dans le palais pontifical, ne peuvent se décrire, et l’on ne peut y penser sans horreur. Les bocages impurs de l’antiquité n’en virent peut-être pas de semblables. Des historiens ont accusé Alexandre et Lucrèce d’inceste ; mais ce fait ne paraît pas suffisamment prouvé. Le pape ayant préparé des poisons à un riche cardinal dans une petite boîte de confitures qui devait être servie après un somptueux repas, le cardinal averti gagna le maître d’hôtel, et la boîte empoisonnée ayant été placée devant Alexandre, il en mangea et mourutu. La ville entière accourut, et ne put se rassasier de contempler cette vipère mortev. »
q – Infessura.
r – Amazzo il fratello ducha di Gandia e lo fa butar nel Tevere. (Manuscrit de Capello, amhassadeur à Rome en 1500, extrait par Ranke.
s – Intro in camera… fe ussir la moglie e sorella… estrangolo dito zovene. (Manuscrit de Capello, ambassadeur à Rome en 1500, extrait par Ranke.)
t – Adeo il sangue li salto in la faza del papa. (Ibidem.)
u – « E messe la scutola venenata avante il papa. (Sanato.)
v – Gordon, Tomasi, Infessura, Guicciardini, etc.
Tel était l’homme qui occupait le siège pontifical au commencement du siècle dans lequel la Réformation éclata.
Ainsi le clergé avait déconsidéré et la religion et lui-même. Aussi une voix puissante pouvait-elle s’écrier : « L’état ecclésiastique est opposé à Dieu et à sa gloire. Le peuple le sait bien, et c’est ce que ne montrent que trop tant de chansons, de proverbes et de moqueries contre les prêtres, qui ont cours parmi les gens du commun, et toutes ces peintures de moines et de prêtres que l’on voit sur toutes les murailles et jusque sur les cartes à jeu : chacun éprouve du dégoût lorsqu’il aperçoit ou qu’il entend de loin un ecclésiastique. » C’est Luther qui parle, ainsiw.
w – Da man alle Wände, auf allerley Zeddel, zuletzt auch auf den Kartenspielen, Pfaffen und Münche malete. (L. Epp. II, 674.)
Le mal s’était répandu dans tous les rangs : une efficace d’erreur avait été envoyée aux hommes ; la corruption des mœurs répondait à la corruption de la foi ; un mystère d’iniquité pesait sur l’Église asservie de Jésus-Christ.
Une autre conséquence découlait nécessairement de l’oubli dans lequel était tombée la doctrine fondamentale de l’Évangile. L’ignorance de l’esprit était la compagne de la corruption du cœur. Les prêtres ayant pris en leurs mains la distribution d’un salut qui n’appartient qu’à Dieu, avaient un titre suffisant au respect des peuples. Qu’avaient-ils besoin d’étudier les saintes lettres ? Il ne s’agissait plus d’expliquer les Écritures, mais de donner des diplômes d’indulgence ; et il n’était pas besoin pour ce ministère d’avoir acquis avec peine beaucoup de savoir.
On choisissait pour prédicateurs dans les campagnes, dit Wimpheling, des misérables que l’on avait auparavant enlevés à la mendicité, et qui avaient été cuisiniers, musiciens, chasseurs, garçons d’écurie, et pis encorex.
x – Apologia pro Rep. Christ.
Le haut clergé lui-même était souvent plongé dans une grande ignorance. Un évêque de Dunfeld s’estimait heureux de n’avoir jamais appris ni le grec ni l’hébreu. Les moines prétendaient que toutes les hérésies provenaient de ces langues, et surtout du grec. « Le Nouveau Testament, disait l’un d’eux, est un livre rempli de serpents et d’épines. Le grec, continuait-il, est une nouvelle langue récemment inventée, et dont il faut bien se garder. Quant à l’hébreu, mes chers frères, il est certain que tous ceux qui l’apprennent deviennent juifs à l’instant même. » Heresbach, ami d’Érasme, écrivain respectable, rapporte ces paroles. Thomas Linacer, savant et célèbre ecclésiastique, n’avait jamais lu le Nouveau Testament. Dans ses derniers jours (en 1524), il s’en fit apporter un exemplaire ; mais aussitôt il le jeta loin de lui avec un jurement, parce qu’en l’ouvrant il était tombé sur ces paroles : Mais moi je vous dis, ne jurez en aucune manière. Or, il était, grand jureur. « Ou bien ceci n’est pas l’Évangile, dit-il, ou bien nous ne sommes pas chrétiensy ! » La faculté de théologie de Paris elle-même ne craignait pas de dire alors devant le parlement : « C’en est fait de la religion, si l’on permet l’étude du grec et de l’hébreu. »
y – Müller's Reliq. tome III, p. 253.
S’il y avait çà et là, parmi les ecclésiastiques, quelques connaissances, ce n’était pas dans les saintes lettres. Les Cicéroniens d’Italie affectaient un grand mépris pour la Bible à cause de son style ; de prétendus prêtres de l’Église de Jésus-Christ traduisaient les écrits des saints hommes inspirés par l’Esprit de Dieu en style de Virgile et d’Horace, afin de rendre leurs paroles agréables aux oreilles de la bonne société. Le cardinal Bembus, au lieu du Saint-Esprit, écrivait le souffle du Zéphyr céleste ; au lieu de remettre les péchés, fléchir les mânes et les dieux souverains, et au lieu de Christ, fils de Dieu, Minerve sortie du front de Jupiter. Ayant trouvé un jour le respectable Sadolet occupé d’une traduction de l’Epître aux Romains : « Laisse là ces enfantillages, lui dit-il ; de telles inepties ne conviennent pas à un homme gravez ».
z – Felleri, Mon. ined., p. 400.
Voilà quelques-unes des conséquences du système qui pesait alors sur la chrétienté. Ce tableau rend évidentes, sans doute, et la corruption de l’Église et la nécessité d’une Réformation. C’est ce que nous nous sommes proposé en l’esquissant. Les doctrines vitales du christianisme avaient presque entièrement disparu, et, avec elles, la vie et la lumière qui constituent l’essence de la religion de Dieu. Les forces du corps de l’Église s’étaient dissipées. Le corps était affaibli, épuisé, et se trouvait étendu, presque sans vie, sur cette partie du monde que l’Empire romain avait occupée.
Qui lui rendra la vie ? D’où le remède à tant de maux viendra-t-il ?