Jeunesse de Charles Wesley. — Il refuse de devenir riche et gentilhomme. — Son entrée à l’Université. — Première association de jeunes gens sérieux. — Le nom de méthodiste. — Influence de John Wesley. — Sa charité. — Son économie du temps. — Tendances ascétiques et ritualistes chez les méthodistes d’Oxford. — Une lettre d’Elisa Wesley (note). — Relations de Wesley avec William Law. — Il incline vers le mysticisme. — Il réagit contre cette tendance par son activité pratique. — Les encouragements de son père. — Opposition des autorités universitaires. — Attaques par la presse. — Premières publications de Wesley. — Déclin de la Société méthodiste d’Oxford. — George Whitefield. — John se croit appelé à demeurer à Oxford. — Mort de Samuel Wesley. — Maladie de John. — Caractère du méthodisme d’Oxford.
John Wesley avait un frère cadet, du nom de Charles, dont la vie, à partir du moment où nous sommes arrivés, allait être étroitement associée à la sienne. Charles Wesley, né le 18 décembre 1708, était de cinq ans plus jeune que son frère. Il entra, en 1716, à l’école de Westminster, où son frère aîné, Samuel, enseignait. Pendant qu’il y était, un incident survint qui faillit changer sa carrière. Un gentilhomme irlandais Garrett Wesley (ou Wellesley), qui était sans héritiers, fit offrir au recteur d’Epworth d’adopter son fils Charles, si celui-ci consentait à le suivre en Irlande. Le jeune garçon refusa, et son père ne voulut pas le contraindre à accepter une offre qui l’eût fait entrer dans une famille seigneuriale. Peu de temps après le gentilhomme irlandais adopta l’un de ses parents Richard Colley, qui hérita de son nom et de sa fortune. Celui-ci, devenu, en 1747, baron de Mornington fut le grand-père du marquis de Wellesley et du duc de Wellington. La haute position de ce dernier et le rôle qu’il a joué dans les destinées de l’Europe se rattachent donc par un lien direct à la décision par laquelle Charles Wesley, encore enfant, refusa la fortune qui s offrait à lui.
Ce fut en 1726, pendant que John faisait ses premières armes comme pasteur dans la paroisse de son Père, que Charles entra à son tour à l’université d’Oxford comme fellow du collège de Christ Church. Il n’était alors ni très studieux ni très sérieux. A son frère qui le réprimandait sur sa légèreté, il répondait : « Eh quoi ! voudriez-vous que je fusse déjà un saint ? » Ses dispositions changèrent bientôt cependant ; il prit lui aussi des habitudes de piété, se mit à communier toutes les semaines, et rompit avec ses anciens camarades pour se lier intimement avec quelques jeunes gens sérieux.
Dès son retour à Oxford, John Wesley s’unit à son frère et à ses amis et, plus âgé et plus expérimenté qu’eux, devint le chef de leur petite association. Elle ne compta d’abord, outre les deux frères, que deux autres jeunes gens, Robert Kirkham et William Morgan. A ce noyau primitif vinrent peu à peu s’ajouter de nouveaux membres, les uns professeurs, les autres simples étudiants. Quelques-uns portaient des noms qui ont brillé d’un certain éclat, tels que James Hervey, le doux et distingué écrivain religieux ; Benjamin Ingham, l’évangéliste du Yorkshire ; John Gambold, l’évêque morave, et, au-dessus d’eux tous, George Whitefield, le plus puissant prédicateur du siècle, qui, entré à l’université comme étudiant pauvre, fut le dernier venu dans la petite association. D’autres moururent jeunes, comme Morgan, qui unissait à l’austérité d’un ascète le zèle ardent d’un apôtre, et Charles Kinchin, nature aimable et douce. D’autres encore ne répondirent pas aux espérances qu’avaient fait naître leurs commencements.
Ces jeunes gens, qui ne furent jamais plus d’une quinzaine, formèrent entre eux une association pieuse et studieuse. Ils se réunissaient tous les soirs et s’entretenaient de leurs occupations et de leurs études, commençant la soirée par la prière et la terminant par une frugale collation. Ces conciliabules de jeunes hommes sérieux étaient une nouveauté à Oxford, où, à cette époque, la piété n’était pas en honneur et où régnaient la dissipation et l’incrédulité. On les appela par dérision le « club des Saints » (the Holy Club), et leurs membres reçurent le sobriquet de Méthodistes, à cause de la régularité et de l’esprit de méthode qu’ils apportaient dans leurs pratiques religieuses. Ce nom, qui n’était pas absolument nouveau dans la langue religieuse, fit fortune ; d’abord subi, puis accepté par ceux auxquels on le jeta comme une insulte, il a eu le sort de ces noms roturiers qui conquièrent leur anoblissement sur les champs de bataille.
John Wesley fut l’âme de cette association fraternelle et mérita le titre de « curateur du club des Saints », que lui donna malicieusement la jeunesse universitaire. Sa supériorité intellectuelle, la maturité précoce de son esprit, et le don de direction qu’il possédait déjà à un degré éminent, lui valurent un rôle prépondérant au milieu de ses amis. Il n’abusait pas de cette autorité toute morale, et, si son avis prévalait d’ordinaire, ce n’était qu’après avoir été mûrement examiné. Ce fut sous son influence que les jeunes méthodistes d’Oxford, bien que leur piété fût encore peu éclairée, firent dans leur vie une large place à la pratique des bonnes œuvres, visitant les familles pauvres, organisant des cultes dans les prisons, patronnant des écoles populaires, et dépensant en aumônes tout ce qu’ils pouvaient économiser sur leurs modestes revenus.
Wesley leur était à cet égard en exemple. Sa charité n’avait d’autres limites que ses ressources, et il s’interdisait tout luxe comme un larcin fait aux pauvres. Ses dépenses, limitées au strict nécessaire, ne dépassèrent jamais 700 francs. Son revenu s’étant élevé successivement de 750 fr. à 1 500 fr., puis à 2 250 fr., puis enfin à 3 000 fr., il s’imposa pour règle de ne rien changer à la simplicité de ses habitudes, et il consacra aux pauvres tout ce qui lui restait en sus des 700 francs nécessaires à son entretien.
Il n’était pas moins consciencieux dans l’emploi de son temps que dans celui de son argent. S’étant aperçu qu’il se réveillait régulièrement au milieu de la nuit, il en conclut qu’il restait plus de temps au lit que la nature ne l’exigeait, et, à la suite d’une série d’expériences sur lui-même, il en arriva à découvrir que le moyen de dormir d’un seul somme était de se lever à quatre heures du matin. Soixante ans après avoir adopté cette règle, il écrivait dans son journal : « Par la grâce de Dieu, je me suis toujours depuis lors levé à quatre heures, et je puis ajouter que, tout compté, je n’ai pas eu un quart d’heure d’insomnie par moisa. » La première heure du jour était dès lors consacrée par lui à la prière et à la lecture de la Bible, qui était ses yeux le Livre par excellence. Le travail de chaque journée était arrangé avec méthode, et il notait dans son journal particulier l’emploi de chaque heure.
a – Œuvres, t. VII, p. 69.
A l’un de ses élèves, il écrivait en août 1731 : « Vous n’êtes pas assuré d’un jour de vie ; vous ne seriez donc pas sage si vous perdiez un moment. Le plus court chemin pour arriver au savoir me paraît être celui-ci : 1° déterminer le but que vous désirez atteindre ; 2° ne lire aucun livre qui ne tende d’une façon ou d’une autre à ce but ; 3° parmi les livres, faire choix des meilleurs ; 4° n’entreprendre l’étude d’un ouvrage qu’après avoir fini le précédent ; 5° les lire dans un tel ordre que la lecture d’aujourd’hui serve à éclairer et à confirmer celle de la veilleb. »
b – Methodist Magazine, 1850, p. 1064.
Ce scrupuleux emploi du temps était l’un des traits essentiels de cette discipline de la vie, à laquelle s’assujettissaient ces jeunes hommes. Ils n’étaient pas moins exacts dans l’accomplissement des pratiques religieuses en usage dans l’Église anglicane, et ils faisaient même revivre celles qui étaient tombées en désuétude. Non contents de communier chaque semaine, ils observaient strictement les jeûnes canoniques et s’abstenaient de toute nourriture le mercredi et le vendredi jusqu’à trois heures de l’après-midi.
Ces tendances ascétiques, et ritualistes ne pouvaient que s’accentuer chez ces jeunes gens, auxquels faisaient également défaut une connaissance approfondie de la doctrine évangélique et une direction judicieuse. Les lettres de Wesley à sa mère nous le montrent à cette époque entraîné sur cette pente. Tantôt il discute avec elle la question épineuse de la présence du Christ dans l’eucharistie, qu’il appelle « le sacrifice chrétien » ; tantôt il lui demande s’il ne devrait pas rompre avec toute étude qui ne tendrait pas directement au but qu’il poursuit, comme l’étude des langues et celle de la philosophie, par exemple. D’autres questions encore s’agitaient dans ce petit monde de jeunes hommes que dévorait la soif de la perfection, mais qui la poursuivaient dans des voies dangereuses. La confession, la pratique de mélanger d’eau le vin de l’eucharistie, et d’autres questions de même ordre, paraissent les avoir préoccupés.
La sœur aînée de Wesley, Elisa, n’approuvait pas les tendances ritualistes de ses frères. « Quant à vous ouvrir mon âme, écrivait-elle à John, pour vous découvrir mon état, c’est ce que je ne suis pas disposée à faire, ni pour vous ni pour aucun membre du clergé, et je crois que je ne le ferai jamais. Je ne mettrai pas ma conscience sous la direction d’un homme mortel aussi fragile que moi. C’est devant mon Maître que je me tiens debout ou que je tombe. Je n’hésite pas à dire que tout cela me semble chez vous et chez les autres de la tyrannie ecclésiastique, et que vous assumez sur vos semblables une domination que Dieu ne vous a pas donnée… J’ajoute que je ne crois pas que la fréquente communion soit nécessaire au salut, ni qu’elle soit un moyen de perfection chrétienne. Ne vous méprenez pas sur ma pensée ; je veux simplement dire que communier tous les dimanches ou très fréquemment affaiblit notre vénération pour cet acte sacré et diminue le bien que nous en retirons. » Ne reconnaît-on pas, dans ce ferme bon sens opposé aux subtilités du formalisme religieux, une digne descendante de ces nobles puritains qui s’appelèrent Barthélemy Wesley et Samuel Annesley ?
Dans cette voie d’observances et de pratiques ecclésiastiques, où ils marchaient en tâtonnant, il était difficile de s’arrêter, et le réveil d’Oxford était en danger d’aboutir à un simple mouvement ritualiste, analogue à celui qui s’est produit de nos jours dans cette même université.
Le ritualisme n’était pas le seul péril qui menaçât le méthodisme naissant ; il était aussi en danger de faire naufrage sur l’écueil du mysticisme. Wesley, nous l’avons vu, avait lu, non sans profit, quelques ouvrages de William Law. En juillet 1732, se trouvant à Londres, il alla visiter le théologien dont les écrits lui avaient fait du bien. Il en résulta une amitié qui dura plusieurs années. Law étudiait alors les auteurs mystiques, et conseilla à son visiteur de lire la Theologia germanica et les œuvres de Tauler. Ils eurent plusieurs entretiens, dans lesquels Law lui recommanda « la prière mentale et autres exercices pieux, comme les moyens les plus sûrs de purifier l’âme et de l’unir à Dieu ». Wesley se mit en effet à lire les mystiques allemands, et il y ajouta bientôt les mystiques français, tels que Mme Guyon et Mme Bourignon. S’il ne suivit pas jusqu’au bout son guide, qui dérivait de plus en plus vers les brouillards du théosophe Bœhme, c’est qu’il possédait un grand fond de sens pratique qui le retint sur la pente. « Les écrivains mystiques, écrivait-il plus tard à son frère Samuel, ont été l’écueil sur lequel j’ai été le plus près de faire naufrage quant à la foi. » Il leur reprochait de « lui avoir fait trouver tout le reste, y compris les bonnes œuvres, misérable, plat et insipide, avec leurs nobles descriptions de l’union avec Dieu et de la religion intérieurec. »
c – Rigg, Living Wesley, p. 85, 112.
Le semi-mysticisme de Wesley eut au moins pour effet de neutraliser pendant quelque temps son traditionalisme excessif, qui l’avait amené à mettre la tradition à côté de l’Écriture et à attacher une importance exagérée aux rites et aux formes.
Mais, ce qui est surtout digne de remarque, c’est que ses tendances mystiques et ritualistes ne réussirent pas à le détourner de l’activité pratique vers laquelle il était entraîné par un besoin de sa nature morale. Par ce côté-là, le méthodisme d’Oxford faisait pressentir celui auquel il allait donner naissance. L’activité religieuse de Wesley et de ses amis montrait chez eux le noble souci du salut des âmes. Si leur piété était un peu monacale, leur zèle était foncièrement évangélique. Le vieux recteur d’Epworth, consulté par son fils sur la convenance des travaux d’évangélisation qu’il avait entrepris au milieu des pauvres et des petits, lui accorda son entière approbation. « Quant à vos desseins et à vos occupations, lui écrivait-il, je n’ai qu’un mot à vous en dire : Valde probo (j’approuve pleinement) ; et j’ai les meilleures raisons de bénir Dieu de ce qu’il m’a donné deux fils à Oxford, auxquels il a accordé grâce et courage pour faire la guerre au monde et au diable. »
C’était bien la guerre en effet qui attendait ces jeunes chrétiens, coupables de vouloir remettre en honneur la doctrine et la discipline de l’Église d’Angleterre, dans cette ville universitaire qui eût dû un être la place forte et où au contraire elles étaient tombées en discrédit. Le mouvement se heurta d’abord à la froideur des uns. et aux railleries des autres. Mais, en 1731, les senior graduates tinrent un meeting dans le but avoué d’arrêter les progrès du réveil méthodiste. La presse, qui était déjà alors une puissance en Angleterre, intervint l’année suivante. Un journal, le Fogg’s Weekly Journal, attaqua Wesley et ses amis avec violence, les comparant aux Esséniens de Judée et aux piétistes suisses et les accusant de vouloir faire de l’université un monastère. Ces attaques provoquèrent une réponse fort bien faite, sous forme de lettre adressée par un gentleman des environs d’Oxford à l’un de ses amis de Londres. Ce furent là les prémices des longues polémiques que le méthodisme allait susciter dans la presse.
Wesley ne prit pas part lui-même à cette polémique. Il usait cependant déjà de la presse, qui allait devenir l’un de ses grands moyens d’action. En 1733, il publia, à l’usage de ses élèves, un Recueil de formes de prières pour chaque jour de la semaine, où respire une piété simple et pratique. Deux ans plus tard, il fit imprimer un sermon et deux éditions de l’Imitation de Jésus-Christ.
Deux sermons, qu’il ne publia que plus tard, mais qui furent prêchés à Oxford en 1733, exposent, en termes déjà fort clairs, la doctrine de la perfection chrétienne et celle de l’action du Saint-Esprit sur l’âme humaine. Toutefois, ce n’étaient encore que des lueurs intermittentes dans l’esprit de Wesley, et la pleine lumière ne devait prendre possession de son intelligence qu’après avoir vivifié son cœur. Il s’étudiait à être humble, saint, dévoué, et il n’y réussissait pas, parce qu’il n’avait sur l’œuvre de régénération accomplie par le Saint-Esprit que des notions confuses et contradictoires, et surtout parce qu’il n’en avait pas encore fait l’expérience en lui-même.
La personnalité de Wesley était le lien vivant de la petite société religieuse d’Oxford, et son zèle réchauffait celui de ses amis et multipliait leur nombre. Mais il suffisait qu’il s’éloignât quelques mois pour qu’ils se dispersassent. Pendant l’une de ses absences à Epworth, le nombre des jeunes gens qui communiaient ensemble toutes les semaines dans l’église de Sainte-Marie tomba de vingt-sept à cinq.
Ce ne fut qu’en 1735, six ans après sa fondation, que l’association s’adjoignit George Whitefield, qui devait occuper l’un des premiers rangs dans le réveil du xviiie siècle. Il était né le 16 décembre 1714, à Gloucester, dans la condition la plus humble. Son père, qui tenait une auberge, mourut lorsqu’il était en bas âge. Ses goûts studieux décidèrent sa mère à s’imposer de grands sacrifices pour lui, et elle réussit à le faire entrer au collège de Pembroke à Oxford, en qualité d’étudiant pauvre, ce qui l’obligeait pour subvenir à ses dépenses de servir ses condisciples plus fortunés. La lecture de l’Imitation et de quelques autres ouvrages mystiques joua un grand rôle dans son développement religieux et le prépara à sympathiser avec les méthodistes. Son cœur volait, pour ainsi dire, vers eux, quand il les voyait se rendre, à travers une foule de moqueurs, à Sainte-Marie pour y communier. Mais la timidité le retint longtemps, et ce ne fut que trois ans après son arrivée à Oxford qu’il s’unit à eux. Il se mit à leur pas et adopta leurs règles, en les exagérant parfois. Il s’imposa les jeûnes les plus prolongés et les pénitences les plus sévères, jusqu’à compromettre gravement sa santé. Ce fut lui toutefois qui arriva le premier à l’émancipation spirituelle, que les deux frères Wesley n’atteignirent que trois ans plus tard.
Une accession comme celle-là consolait Wesley des mépris que lui prodiguaient les professeurs ses collègues, qui, pour la plupart, voyaient en lui un fanatique et un illuminé. Avec son frère Charles, cœur loyal et brave, et avec ses quelques amis demeurés fidèles, il était résolu à tenir ferme. Il affrontait le ridicule avec une parfaite tranquillité d’âme, et il ignorait ce que c’est que la crainte de l’homme. Il se demandait si sa vocation spéciale n’était pas de demeurer à Oxford pour continuer à y travailler au réveil de la piété parmi les futurs ministres de l’Église. Cette impression, toujours plus vive en lui, l’amena à refuser de devenir le successeur de son père, affaibli par l’âge et les infirmités. Lorsque enfin, vaincu par les vives instances de sa famille, il consentit à poser sa candidature, il se trouva que Robert Walpole, le premier ministre, de qui dépendait la nomination, prévenu contre Wesley, choisit un autre candidatd. Le recteur d’Epworth mourut pendant que se poursuivaient ces négociations, dont l’échec fut sans doute voulu par la Providence, qui avait d’autres desseins sur Wesley.
d – Ce fait, ignoré des premiers biographes de Wesley, a été pleinement mis en évidence par M. Tyerman, Life and Times of John Wesley, t. I, p. 102.
Son séjour à Oxford ne l’empêchait pas de faire de fréquents voyages, tantôt à pied tantôt à cheval, en diverses parties de l’Angleterre. Pendant l’année 1734, il fit ainsi plus de trois cents lieues, prêchant constamment le dimanche, et préludant à la vie missionnaire qu’il devait mener plus tard. Cette activité de corps et d’esprit, venant s’ajouter aux jeûnes et aux privations qu’il continuait à s’imposer, ébranlèrent gravement sa santé. Bien qu’il fût naturellement robuste, il tomba dans une faiblesse physique extrême et fut pris de crachements de sang. Une nuit même, un vaisseau se brisa dans sa poitrine, et il crut que sa dernière heure était venue. « Seigneur, s’écria- t-il, prépare-moi pour ta venue, et puis viens quand tu le voudras ! » La vigueur de son tempérament, aidée des soins d’un habile médecin, reprit le dessus, et il se remit à l’œuvre avec une impression plus vive que jamais de la brièveté de la vie.
Nous venons de voir le méthodisme au berceau. Son enfance fut austère et difficile. L’université d’Oxford, au lieu d’être pour lui une mère pleine de prévenances, fut une nourrice sans amour, dont les rudesses faillirent lui être fatales. Le méthodisme d’Oxford diffère profondément de ce qu’il sera par la suite ; il est mystique, ritualiste, tourné vers la vie contemplative, et semble plutôt en voie de produire une confrérie d’ascètes qu’une puissante association missionnaire. Il y a toutefois un trait commun entre les deux phases du mouvement : c’est la même sève morale que l’on trouve chez ces jeunes gens qu’un vif sentiment du péché pousse aux macérations, et chez ces ardents évangélistes qui sauront parler aux consciences avec tant de puissance. Mais, pour que ce besoin de sainteté aboutit à quelque chose de mieux qu’un stérile néo-catholicisme, il fallait que les méthodistes d’Oxford retrouvassent le principe vital de la Réformation, la justification par la foi, que l’anglicanisme avait à peu près abandonné.