Dans un de ses romans *, — par ailleurs assez sombre — H. Hatzfeld a consacré à la Sainte-Cène une page pleine de lumière :
* « La Flamme et le Vent », Ed. du seuil.
« Mes biens-aimés ! Quand vous êtes rassemblés autour de la Table sainte, il ne reste plus aucun doute dans mon cœur. Ce ne sont pas vos visages que je vois, vos visages cérémonieux — ce sont vos mains qui s’ouvrent pour recevoir le pain et prendre la coupe. Vos mains avec leurs rides, leurs Crevasses, la trace de l’âge et celle des travaux. Vous êtes là, debout, formant autour du Seigneur invisible un demi-cercle dans le temple.
» Je regarde vos mains, ces mains qui ne sauraient mentir, ces mains qui disent votre vie mieux que vos lèvres n’en parleront jamais, Elles s’avancent, comme celle des mendiants pour recevoir les espèces que de mes mains indignes je vous donne de la part de notre Sauveur et notre Dieu.
» Mes biens-aimés ! Comprendrons-nous jamais la paix de cet instant ? « Ceci est mon corps qui est rompu pour vous ». Pour nos péchés. Péchés manifestes, qu’on est bien obligé de reconnaître, la rage au cœur. Péchés pour lesquels interminablement, nous plaidons non coupables, comme des avocats marrons. Péchés de mes ennemis que je ne puis pardonner. Péchés des monstres humains devant lesquels le cœur défaille. Pour ces fautes et ces crimes, je vous remets au nom de Dieu, le pain blanc du pardon, le vin plus salutaire qu’aucune liqueur enivrante.
» Mes biens-aimés, voyez-le : le sacrifice pèse plus lourd que tous les forfaits accomplis depuis l’aube du monde. Rien ne pourra jamais redresser le fléau de la balance. Nous n’y sommes pour rien, vous et moi. Mais comme des captifs qui voient la porte de leur prison s’ouvrir lentement sur le libre paysage, nous pouvons, la main dans la main, en silence, regarder le miracle qui s’opère. Une goutte de sang plus lourde que le monde. »
1. La participation à la Sainte-Cène n’est pas à bien plaire. Elle est un ordre du Christ à ses disciples : Prenez, mangez, buvez.
2. Il s’agit donc et effectivement de participer à un repas. On y vient pour manger et boire, et non d’abord pour y recevoir un verset ! Cette participation à la Cène n’a rien d’un repas funèbre. C’est une eucharistie (du grec « actions de grâce »), un repas de fête, de louanges ; on y vient dans la gratitude, dépouillé d’orgueil, et dans la joie. Cela s’exprime par l’humble main tendue et ouverte de celui qui vient recevoir, et le visage heureux de celui qui se sait aimé et accueilli par le Seigneur et par les autres.
3. Qui dit « repas », dit aussi repas préparé ! Dans le recueillement, en vue du culte et de la Cène, procéder à un examen de conscience approfondi ; en noter les résultats et, d’une fois à l’autre, mesurer les changements, les progrès, les points de résistance opiniâtre. C’est l’occasion des démarches de paix avec ceux dont nous nous savons séparés, des réparations comme aussi des pardons accordés à ceux auxquels le Seigneur nous demande de pardonner ; c’est lui qui fait les invitations et met la table… Nous n’avons pas à retirer des couverts sous prétexte que tel de ses invités nous déplaît !
4. Il y a différentes manières de prendre la Cène. Chacune d’elles est significative. Le défilé un à un rappelle le peuple en marche vers le royaume. La participation par tablée rappelle et annonce l’invitation au festin et le banquet des noces. Le pain et le vin circulant dans les rangs rappellent que Christ vient à nous, est au milieu de nous, vient bientôt. La Cène à genoux, sur une des marches du chœur de l’église, rappelle l’enfant prodigue venant se présenter en mercenaire, et accueilli royalement comme un fils, etc.
5. Quand nous étions à l’école, on a essayé de nous apprendre la miraculeuse découverte du « dénominateur commun » qui permet d’additionner ou de soustraire des fractions différentes. En considérant les extraordinaires différences qui séparent les uns des autres les membres d’une même communauté, on est placé devant ce même miracle du dénominateur commun que constituent ce morceau de pain et cette gorgée de vin, signes du même corps et du même sang offerts pour le pardon des uns comme des autres. Notre nature nous pousse à dire parfois : « Je n’ai rien de commun avec tel ou tel ». « Pardon ! nous affirme l’Evangile de la Sainte-Cène, vous avez en commun ces réalités offertes et reçues du pain et du vin. Le sachant, vous avez, désormais, à en vivre ! » Ou alors nous serions comme ces musulmans qui ôtent leurs chaussures pour entrer à la Mosquée… et qui les reprennent pour rentrer chez eux !
6. Mais la Sainte-Cène est plus qu’un repas. Dans l’attente du retour du Seigneur, elle nous rappelle la mort du Christ et le discernement nécessaire de son corps. Pratiquement, elle est cette grâce qui oblige :
a) A manger et à boire avec égards pour les autres. C’est la mort de notre égoïsme, et la résurrection dans une vie généreuse.
b) A manger et à boire avec amour pour les autres. C’est la mort de notre individualisme, et la résurrection dans une existence faisant place au prochain.
c) A manger et à boire dans le souvenir que les autres ont faim et soif. C’est la mort de notre idéalisme et la résurrection à une vie qui, des mots, passe aux actes.
La Sainte-Cène est le lieu où nous sommes appelés et rappelés à la foi et à l’amour incarnés dans les œuvres.
7. La Sainte-Cène est le lieu où nous nous retrouvons au bénéfice de la même grâce, de la même vocation, du même service. On ne saurait y venir et en repartir riche, alors que les autres auraient faim. C’est pourquoi suite à la Sainte-Cène, il y a la prière d’intercession, puis l’offrande, signe renouvelé de la consécration de nos biens matériels. Nous ne sommes pas contraints par la « loi de la dîme », mais joyeux d’avoir à participer à la « grâce de la dîme », prolongement de celle de la Cène.
Textes bibliques
1 Corinthiens 11.18-34 ; Luc 10.25-37 ; Matthieu 25.31-46 ; Colossiens 3.1-17.