Ni l’un ni l’autre de ces mots ne sont employés plus d’une fois dans le N. T. ; θειότης se trouve seulement dans Romains 1.20 ; θεότης dans Colossiens 2.9. On a traduit les deux termes par Divinité ; il ne faut cependant pas les considérer comme identiques dans leur sens, ni même comme deux formes différentes du même mot, qui, avec le temps, se seraient séparées l’une de l’autre et qui auraient acquis différentes nuances de signification. Au contraire, il existe une distinction réelle entre ces mots ; elle se fonde sur leurs dérivations qui sont différentes ; θεότης venant de Θεός, et θειότης, non de τὸ θεῖον qu’on pourrait dire être la même chose que Θεός, mais de l’adjectif θεῖος.
Comparant les deux passages où se trouvent ces vocables, nous nous apercevrons aussitôt de la convenance de leur position respective. Dans le premier endroit (Romains 1.20), St. Paul montre quelle connaissance on peut avoir de Dieu d’après la révélation qu’il a faite de Lui-même dans la nature, révélation que tout homme trouve dans le monde, s’il en veut suivre les traces. Ces manifestations divines ne nous feront pas pourtant connaître le Dieu personnel : ce Dieu ne peut être connu que par la révélation de Lui-même en son Fils ; la nature ne dévoile que ses divins attributs, sa majesté et sa gloire. Théophylacte le sent bien quand il donne ici μεγαλειότης comme l’équivalent de θειότης, et il n’y a pas de doute que S. Paul n’emploie ce mot plus vague, plus abstrait et moins personnel, précisément parce qu’il veut affirmer que les hommes peuvent connaître la puissance et la majesté de Dieu par ses œuvres ; mais l’apôtre ne veut pas impliquer par là qu’ils peuvent le connaître Lui-même par ces œuvres-là ou par quoi que ce soit au-dessous de la révélation de son éternelle Parolec. Les mêmes motifs l’induisent à se servir de τὸ θεῖον plutôt que de ὁ θεός dans son allocution aux Athéniens du haut de l’Aréopage (Actes 17.29).
c – Cicéron (Tusc. i, 13) : « Multi de Diis prava sentiunt ; omnes tamen esse vim et naturam divinam arbitrantur. »
Dans le second passage (Colossiens 2.9) que nous avons indiqué, Paul déclare que « dans le Fils habite toute la plénitude de la Divinité » : ce n’étaient point de simples rayons qui, pour un temps, éclairaient son front ou sa personne et qui l’illuminaient d’une splendeur qui n’était pas la sienne, mais il était et il est Dieu absolument parfait ; aussi l’apôtre emploie-t-il θεότης pour exprimer cette divinité essentielle et personnelle du Fils. Théodore de Bèze distingue avec raison : « Non dicit : τὴν θειότητα, i. e. divinitatem, sed τὴν θεότητα, i. e. deitatem, ut magis etiam expresse loquatur ;… ἡ θειότης attributa videtur potius quam naturam ipsam declarare. » Et Bengel : « Non modo divinæ virtutes, sed ipsa divina natura. » De Wette a essayé d’exprimer cette distinction, dans sa traduction allemande, en rendant θειότης par « Götllichkeit » et θεότης par « Gottheit ».
Il n’a pas manqué de philologues qui ont nié que toute distinction semblable fût dans la pensée de St. Paul, et qui ont prétendu qu’on ne peut découvrir aucune véritable différence entre les deux mots. Mais, quand on ne pourrait établir cette différence à l’aide des classiques grecs, cela ne déciderait rien dans cette matière : l’Evangile de Christ a pu communiquer de nouvelles forces aux mots, et en tirer également ; il a pu faire jaillir des distinctions latentes dont ceux qui jusque-là avaient employé ces mots ont pu n’avoir pas ressenti le besoin, mais qui leur étaient devenues nécessaires. Comme preuve que cette distinction entre « déité » et « divinité » (si je puis me servir de ces mots pour représenter séparément θεότης et θειότης) en est une dont on devait grandement éprouver le besoin et qui, par conséquent, chercherait à se faire jour dans la théologie chrétienne, nous avons le fait remarquable que les écrivains de l’Église chrétienne ne furent point satisfaits de « divinitas » qu’ils avaient sous la main dans les écrits de Cicéron et dans d’autres, mais qu’ils forgèrent eux-mêmes, « deitas », comme étant le seul équivalent du grec θεότης. A l’appui d’un tel fait, nous en appellerons au témoignage formel d’Augustin (De Civ. Dei, vii, 1) : « Hanc divinitatem, vel ut sic dixerim deitatem ; nain et hoc verbo uti jam nostros non piget ut de græco expressius transferant id quod illi θεότητα appellant, etc. » (Cf. x, 1, 2). Mais, sans insister sur ce point, ni sur les diverses étymologies des deux mots qui accusent pourtant si clairement cette différence dans leurs significations, nous avons des autorités (autant qu’on peut les présenter) qui viennent à l’appui de la distinction. Les deux vocables θεότης et θειότης, comme en général les mots abstraits dans toutes les langues, sont de formation récente, et l’un d’eux, θεότης, est extrêmement rare ; à la vérité, on n’a pu encore en fournir qu’un seul exemple tiré du grec classique (Lucien, Icarom. 9) ; θεότης y exprime cependant, d’accord avec ce qu’on vient d’affirmer, la Divinité dans le sens absolu, ou, en tous cas, dans un sens aussi absolu que les païens pouvaient le concevoir. Θειότης est un mot bien plus commun, et tous les cas où il est employé, et que je connais, justifient la distinction que nous venons d’établir. Θειότης exprime toujours une manifestation du divin, et suppose sans cesse des attributs divins dans l’objet auquel on l’applique, mais jamais l’absolue et essentielle déité. Ainsi Lucien (De Cal. 17) attribue θειότης à Héphestion, qu’à sa mort Alexandre voulait élever au rang d’un dieu ; et Plutarque parle de la θειότης τῆς ψυχῆς (De Plac. Phil. v, 1 ; cf. De Is. et Os. 2 ; Sull. 6, avec plusieurs autres passages au même effet).
Que St. Paul ait eu cette distinction en vue (comme j’en suis pleinement convaincu) ou non, elle poussa de profondes racines dans le langage théologique postérieur, puisque les Pères grecs n’emploient jamais θειότης, mais toujours θεότης, comme étant le seul vocable qui puisse exprimer d’une manière complète la Divinité essentielle de chacune des trois personnes de la sainte Trinité.