Il est bon de porter le joug dès sa jeunesse.
Je suppose qu’il vous est arrivé de passer la soirée dans une famille où l’enfant est roi. Il est très tard et le petit dernier piaille sans arrêt, rendant impossible toute conversation suivie. Timidement et sans en avoir l’air car les parents sont susceptibles, vous avez demandé :
— Ne croyez-vous pas qu’il serait infiniment mieux au lit, votre gamin ?
La réponse vous a laissé un brin ahuri :
— Ah ! Mais c’est qu’IL NE VEUT PAS.
Pour de tels parents, il va de soi que si bébé refuse d’aller se coucher, chacun patientera des heures durant en baillant d’ennui, les paupières alourdies de sommeil, sans se plaindre car les parents, eux, se doivent de donner l’exemple. Donc, on s’enfoncera dans la nuit, stoïques et silencieux, jusqu’à ce que le « petit chou » épuisé – et combien épuisant – s’affale brusquement sur son jouet préféré ou tombe comme une masse au pied de la table, soudainement endormi. Alors, dans un énorme soupir, toute la famille ira en cortège, avec mille précautions et sans faire craquer le plancher, déposer le petit ange dans son lit blanc, heureuse d’avoir pu épargner à bébé la désagréable épreuve du coucher. Après tout, peu importe si les aînés ont vécu une soirée exécrable pourvu que ce « bijou » n’ait pas été heurté de front. Vous rendez-vous compte ?
Et pourtant, une mini-fessée pouvait mettre d’accord tout le monde, pour le plus grand bien de tous et pour longtemps : le mioche se serait reposé deux heures de plus et le foyer aurait joui d’une soirée paisible. Mais qui a le cœur et le courage d’administrer une fessée ? Décidément, les adeptes de l’éducation nouvelle se compliquent rudement la vie !
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Benoit, installé sur un siège trop élevé pour lui, grogne et gesticule tandis qu’une jeune vendeuse s’évertue à lui enfiler chaussure après chaussure. Les boîtes s’amoncellent devant « Monsieur » qui rugit à chaque essai :
— Non, pas celle-là !
Pour apaiser le rejeton, maman se fait conciliante :
— Allons chéri ! Montre-nous la paire qui te ferait plaisir.
Naturellement, peu importe le prix, la qualité ou la forme … pourvu que le « petit » soit satisfait. Dame ! A cinq ans on est bien capable de discerner entre la vachette et le plastique, donc de fixer lucidement son choix.
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Maintenant, c’est Zabeth – huit ans à peine – qu’on interroge :
— Aimerais-tu aller en colonie de vacances l’été prochain ? Cela te ferait le plus grand bien. Tu jouerais au grand air avec de gentilles camarades …
Qu’on me comprenne bien. Il est nécessaire d’expliquer à l’enfant ce qu’est une colonie de vacances et dans la mesure du possible avoir son assentiment pour l’envoyer. Mais trop souvent, devant la fille qui n’a aucune idée de ce que pourrait être un centre de vacances, les parents, suspendus à ses lèvres, attendent cependant le « oui » de sa bouche, feu-vert pour remplir et envoyer le bulletin d’inscription. Et si, la veille de partir, la petite déjà inscrite change d’avis, on enverra un télégramme pour avertir le directeur que Zabeth, souffrante, n’est pas en mesure de se déplacer.
Ils sont nombreux les parents estimant nécessaire et pédagogique de réclamer à tout instant et pour tout l’opinion de l’enfant. Ne doit-il pas s’affirmer ? Manifester sa personnalité dès le berceau ? En l’occurrence, décider lui-même s’il veut aller au culte ou non ? Et s’il se rebiffe ou maugrée – en général, il donne son avis avec humeur – les parents tomberont d’accord pour que l’un d’eux reste à la maison. Décemment, on ne peut envoyer à l’école du dimanche un enfant contre son gré ! D’ailleurs, les moniteurs qui ne savent pas s’y prendre « s’acharnent » sur le petit sans l’intéresser vraiment. Décidément, les enfants « rois » sont d’éternels persécutés.
N’est-ce pas sotte erreur de prétendre que l’enfant – surtout le petit enfant – est capable de décider et de bien choisir ? C’est lui prêter plus de jugement qu’il n’en possède et lui laisser croire qu’il dépasse en sagesse papa et maman. C’est l’installer dans une mentalité d’indépendance qui le pousse constamment à vouloir échapper au contrôle des siens. Certes, il ne s’agit nullement d’étouffer chez lui tout esprit d’initiative ni jamais lui fournir l’occasion de donner son avis, mais chaque chose en son temps.
Les parents, soucieux de bien éduquer, risquent de commettre deux erreurs difficiles à rattraper :
La première est de laisser faire l’enfant en bas-âge, de céder à tous ses caprices, d’applaudir à ses moindres sottises. « Il est si mignon, trop petit pour comprendre et il a surtout une personnalité qu’il faut respecter ». C’est ignorer que les premières années de la vie comptent double ou triple en matière d’éducation. Elles sont le tremplin de l’adulte et déterminent l’avenir de l’enfant., En tous cas, ce n’est pas à neuf ou dix ans, lorsque les parents auront cédé sur tous les fronts, qu’il faudra s’aviser de serrer la vis sous prétexte que le petit file du mauvais coton, menace de tourner mal et se révèle insupportable. Il est déjà trop tard pour corriger les habitudes prises. Ce supplément de discipline ne le fera pas plier, au contraire. Il réagira par des propos grossiers, des scènes violentes et, qui sait, des fugues aux conséquences imprévisibles. Ce type de parents qui passent du laisser-faire à l’autoritarisme quand les choses se gâtent, se fatiguent très vite de l’autorité et l’abandonnent rapidement pour … revenir au laisser-faire ! Ils imposent à l’enfant, qui ne comprend rien à ces changements d’humeur, une éducation en montagnes russes des plus dangereuses pour son équilibre. Soulignons-le, l’adolescent se façonne dans la tendre enfance, durant les deux ou trois premières années de son existence. C’est pourquoi, il n’y a pas de « chou-chou » qui tienne : bébé doit être dirigé avec fermeté. Les parents doivent s’imposer à lui dès le berceau et lui, déjà se soumettre à leurs. horaires, à leurs choix et à leurs décisions. Si le petit refuse de se coucher, de venir à table pour le repas, de prêter ses jouets ou de saluer une visite, tenez bon. Vous devez avoir le dernier mot et l’enfant doit y mettre du sien. Certes, vos exigences déclencheront des cris, de la mauvaise humeur, un semblant de révolte. Restez calmes mais fermes, sans céder aux émotions. Le petit n’en sera pas traumatisé pour autant. Et vous retrouverez plus tard, à l’âge des tempêtes – l’adolescence – le fruit de cette éducation.
Certes, un jour ou l’autre, votre entourage vous reprochera de ne pas respecter la personnalité de votre petit :
— Tu ne vois pas que tu l’agresses sans arrêt et l’empêches de s’épanouir librement, d’être véritablement lui-même. Je t’assure, tu as tort de le dominer ainsi …
Alors répondez simplement :
— Les mauvais garçons aussi ont une personnalité et je ne tiens pas à ce que mon fils en ait une semblable.
Après tout, l’enfant n’est heureux qu’en obéissant et il n’est en sécurité qu’auprès de parents responsables. Leur ferme attitude l’éclaire et l’amène tôt ou tard à découvrir des limites à ne pas dépasser. Et lorsqu’il les reconnaît et les adopte, alors il commence réellement à se former car c’est à l’intérieur de telles frontières que doit s’affirmer et s’épanouir sa personnalité.
La deuxième erreur n’est pas moins grave que la première, qui consiste à continuer de traiter un jeune de dix à dix-sept ans tel un gosse sommé d’obéir sans explication aucune. Ce serait ignorer le changement qui s’est opéré en lui. On ne mène pas une fille de quinze ans comme un enfant au berceau. La rupture avec les parents s’ensuivrait, brutale et sans retour … et la jeune fille devenue adulte garderait avec amertume le souvenir d’un père impitoyable et borné. A mesure que passent les années, vous devez tenir compte de plus en plus de la personnalité de votre enfant. Aussi pour la respecter, deviendrez-vous plus sensible à ses désirs et à ses réactions, prenant au sérieux ses reproches. Peut-être serez-vous conduit à tolérer ce que vous n’avez jamais permis jusque-là ? Que l’occasion lui soit donnée de faire ses expériences car le temps approche où cet adolescent devenu adulte prétendra à sa pleine liberté. Progressivement et avant qu’il ne réclame son émancipation, vous lâcherez les guides pour en arriver à lui laisser la bride sur le cou. Ce passage toujours difficile sera d’autant plus aisé à franchir que cet adulte en herbe aura appris à se soumettre dès sa tendre enfance.
Quoi qu’il en soit, celui qui aura « porté le joug dès sa jeunesse » sera, le moment venu, plus apte à obéir au Seigneur et à accepter un joug qu’il découvrira avec le temps, « doux et léger ».
L’adolescence se prépare au berceau.
LES PARENTS S’INTERROGENT