La consternation est générale aux Oumbras. Les parents de Jean-Paul ont attendu toute la journée le retour de leur fils. Maintenant, ils sont atterrés car les heures passent. Jamais le petit n’avait manqué si longtemps !
— Il s’est oublié, a dit tout d’abord Francine, avec indulgence. Comme il n’a pas de montre, il ne se rend pas compte qu’il nous fait attendre.
On s’est donc mis à table sans lui; son assiette est restée vide.
Après le repas, grand-père a expliqué :
— Certainement Jean-Paul s’est trop éloigné. Il a dû se tromper de chemin au retour et c’est ce qui le met en retard. Quand il se verra perdu, il demandera sa route au premier voisin venu. Du reste, les Oumbras se voient de partout.
A l’heure du goûter, toujours pas de Jean-Paul ! On n’ose imaginer le pire. Quel mal pourrait-il lui arriver dans un coin si tranquille ? On cherche à se rassurer mutuellement. Cependant l’inquiétude qu’on voudrait bannir par de sages raisonnements croît et fait son chemin.
18 heures. Jean-Paul n’est pas de retour. Décidément, il n’est pas raisonnable !
— Depuis ce matin sept heures et demie nous ne l’avons pas revu. C’est décidé, Jean-Paul ne partira plus tout seul, annonce maman contrariée. Ce n’est pas sérieux, un tel retard. Ah ! ces enfants ! Il faut toujours qu’ils vous donnent du souci !
Impatient, papa est allé au bout de l’allée, jusqu’au rocher qui domine la vallée. Là, il hurle à tous vents, les mains en entonnoir devant la bouche: Ohé ! Ohé ! Popo… ôl ! Seul l’écho répond à ses longs appels. Inconscients du drame, les oiseaux continuent leur douce mélodie et bavardent d’un arbre à l’autre. La brise qui se lève fait chanter en sourdine le feuillage épais des grands tilleuls. A l’étable, la vache meugle longuement. La nature ne connaît pas l’inquiétude. Papa n’entend rien de cette immense symphonie qu’on écouterait des heures durant si l’on avait l’âme tranquille. Ce soir, c’est la voix de Popol qu’on attend, et pas autre chose.
Dix-neuf heures ! La table est mise en silence par Francine préoccupée. Ni maman, ni papa, ni grand-père ne s’y installent. Is n’ont pas faim, le retard de l’enfant les accable.
Tout à coup, des pas dans le sentier ! Serait-ce enfin Popol ? On se précipite à la porte.
— Eh ! les amis, lance une voix rude, mon Etienne est-il par ici ? Je ne l’ai pas revu depuis ce matin, ce qui m’inquiète beaucoup. C’est le fermier des Olivettes qui, lui aussi, est à la recherche de son garçon.
— Non ! nous ne l’avons pas vu.
— Est-ce vous qui avez crié tout à l’heure ?
— Hélas ! oui. Notre Jean-Paul est, comme le vôtre, absent depuis ce matin et nous sommes très en souci à son sujet. Peut-être est-il avec Etienne ?
— Sans nul doute ! Depuis deux heures je fouille les alentours, mais je ne vois toujours rien. Mon chien manque aussi ; il doit être en leur compagnie. Ah, ces gamins ! Il aura de mes nouvelles en rentrant. En attendant on se fait une tonne de mauvais sang.
Tout le monde se remet en campagne pour découvrir les deux disparus. On inspecte les bois voisins. Grand-père va rôder sur la crête. De temps à autre, on entend : « Ohé ! Popol ! Ohé ! Etienne ! ». Toujours pas de réponse.
Vingt heures. On est de retour aux Oumbras, accablé. Pas de Jean-Paul, pas d’Etienne ! Maman pleure, le mouchoir dans les mains. Papa reste silencieux, le front plissé. « Que sont-ils devenus ? Mais que sont-ils devenus ? ». Les habitants des vallées voisines ont été interrogés les uns après les autres : personne ne les a aperçus. La nuit qui grandit fait croître aussi l’angoisse de chacun.
— Prenez quelque chose, dit Francine en montrant la table dressée. Cela vous donnera du courage. Elle n’essuie que des refus car il n’est pas question de manger maintenant.
— C’est inexplicable, déclare le père d’Etienne. Je ne vois pas ce qu’ils ont pu devenir ? D’ordinaire mon garçon ne s’éloigne pas longtemps de la ferme. Il n’a pu se perdre car il connaît la montagne mieux que moi. D’ailleurs avec le chien… Tiens, justement voilà Fallot ! Quand on parle du loup…
Cette apparition détend tout le monde, et quelques visages s’éclairent un peu. Le chien saute au cou de son maître et lui fait mille fêtes.
— Où est Etienne ?
La brave bête regarde le fermier des Olivettes. Comme elle voudrait parler ! Tout expliquer ! On sent qu’elle comprend ce qui se passe.
— Les gosses vont arriver, dit grand-père. Fallot les a précédés ; il court plus vite.
Le papa d’Etienne passe la main sur l’échine du chien qui lui a posé les deux pattes sur les épaules, sans doute une chose qu’il a l’habitude de faire. Il veut saluer son maître et recueillir quelques caresses. Soudain, le paysan heurte quelque chose de dur :
— Qu’est-ce que ça ? s’exclame-t-il. Une lampe électrique ! Les petits avaient donc prévu de rentrer tard, les vauriens !
Et chacun, réconforté par cette visite, fixe les yeux vers le chemin d’où l’on s’attend à voir surgir les deux disparus. La nuit, sans bruit, avance à grands pas.