Priorité à la liberté

6
La contrainte du travail

Le travail, source de joie ?

Allons donc !

Interrogez les travailleurs : ils sont unanimes – ou presque – à estimer que le travail est synonyme de contrainte, voire d’esclavage. Et ils regarderont comme une espèce rare les gens de la trempe d’Edison l’inventeur du phonographe qui osait déclarer : « Je n’ai jamais travaillé de ma vie. C’était tellement gai ! » ou comme un cas unique tel journaliste qui, déambulant dans les rues d’une grande cité en quête de nouvelles à sensation, avouait sans rire : C’est tout de même curieux qu’on me paie pour ce travail-là ! ».

La catégorie des « besogneux » enthousiastes et passionnés, satisfaits de leur sort, ne court pas les rues. Ces heureux de la vie ont eu simplement la « chance » de pouvoir choisir un « job » conforme à leurs aspirations. Hélas ! La plupart des salariés n’en sont pas là et c’est dommage. Innombrables sont ceux qui ont été contraints, surtout en période de chômage, d’accepter le premier emploi venu. D’autres, sous la pression de parents autoritaires, se sont engagés dans une voie qu’ils n’auraient jamais empruntée d’eux-mêmes. La présence d’une certaine industrie dans une région donnée a fait naître des vocations en série. On s’est fait mineur au pays du charbon et horloger au pays des montres. Freinés par l’insuffisance des ressources matérielles, stoppés par un échec à l’examen ou arrêtés par quelque handicap physique, des milliers de jeunes ont dû renoncer à une situation qu’ils appelaient de tous leurs vœux. Des hommes et des femmes, mal informés, ont entrepris de bonne foi une tâche qu’ils ne choisiraient plus maintenant mais qu’ils se garderont d’abandonner parce qu’il est trop tard ou trop hasardeux pour songer à se « reconvertir ». Alors le travail est devenu pesant, et d’autant plus pesant qu’il est très loin de répondre au goût ou aux qualifications du travailleur. D’où ce mécontentement latent, inconsciemment entretenu, qui explosera à la première occasion, pour le moindre motif. L’homme au cœur chargé d’amertume est perméable à l’endoctrinement et mûr pour la révolte et la violence.

Il faut ajouter que la plupart des travailleurs éprouvent un sentiment d’oppression dès qu’ils franchissent le seuil de l’usine. Des horaires imposés, la nécessité de fournir un certain volume de travail et l’obligation de répéter inlassablement un geste facile mais fastidieux dans un cadre souvent rébarbatif, bruyant et malodorant, font de l’ouvrier une sorte d’esclave comparable – selon Karl Marx – « à une bête de somme physiquement brisé et spirituellement abêti ». L’homme n’est plus qu’une « machine à gagner de l’argent », un robot parmi tant d’autres manipulé et exploité par un patronat sans âme… car l’ouvrier s’estime volé : On ne lui restitue qu’une faible partie du produit de son travail. Cette injustice, trop souvent constatée, le rend amer. Envahi par le ressentiment qu’il ne parvient pas à chasser, il devient un être maussade. Ses conversations gravitent autour des mêmes problèmes, des mêmes préoccupations : gagner plus, réclamer des avantages mérités, supprimer la classe privilégiée. Le chef d’entreprise devient l’ennemi numéro un…

Et le salarié plutôt que d’aller respirer un air frais auprès des siens, apporte jusque dans son foyer sa haine et sa rancœur, empoisonnant l’atmosphère de la maison par le rappel de revendications qui perturbent la famille. L’homme n’est plus libre d’être heureux ni de faire des heureux.

Sans doute le tableau dépeint ici n’est-il pas aussi sombre que d’aucuns le prétendent. S’il y a des gens qui « font des heures » à contre-cœur, il en est beaucoup – Dieu merci ! – qui accomplissent leur tâche avec joie. Sont-ils libres pour autant ? Grisés par la réussite, mus par l’appât du gain, talonnés par le client, ces travailleurs multiplient les heures supplémentaires et sacrifient du même coup leur foyer… et leur âme pour accorder la priorité à une activité au demeurant passionnante. Ils sont, eux aussi mais par un autre bout, les victimes d’un travail qui les possède et les assujettit.

Quoi qu’il en soit ce n’est pas le régime – capitaliste ou collectiviste – qui aujourd’hui et dans notre monde occidental changera profondément les choses. S’il était accordé à un ouvrier de la firme Skoda de converser librement avec un salarié des usines Renault de Billancourt, sans doute finiraient-ils par admettre que les conditions de travail de part et d’autre du rideau de fer sont, en gros, identiques : même présence à la chaîne, même rythme de production imposé… Il y aura toujours, quelle que soit la couleur du gouvernement en place, des tâches plus ou moins pénibles, des horaires plus ou moins contraignants, une quantité minimum de travail à fournir. Et quoi qu’on en dise ou qu’on fasse, le travail restera synonyme de contrainte. Faut-il s’en étonner ? Non puisqu’il est devenu un châtiment que l’homme, par sa révolte, s’est attiré sur lui-même et sa postérité.

Pour les associer à son œuvre créatrice, Dieu avait confié à nos premiers parents le jardin d’Eden pour le cultiver et le garder. (1) C’était chose bonne pour eux. A la fois source de joie et occasions exaltantes d’aller à la découverte des merveilles du Créateur. Hélas ! L’ordre voulu par Dieu fut renversé à cause de leur désobéissance et ce qui devait être une grâce devint une peine et une souffrance : « Le sol sera maudit à cause de toi. C’est à force de peine que tu en tireras ta nourriture tous les jours de ta vie ; il te produira des épines et des ronces, et tu mangeras de l’herbe des champs. C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras ton pain… ». (2)

(1) Genèse 2.15.

(2) Genèse 3.17-19.

Depuis la chute (3), le travail est devenu un but en soi, une idolâtrie, un moyen d’exploitation et d’oppression du prochain. (4) Sans cesse accaparé par les efforts à fournir pour assurer le pain du foyer, il finit par donner la priorité à la lutte pour la vie, si bien que l’homme se met au service de lui-même et de sa survie au détriment du service de Dieu. Qu’on ne s’étonne plus alors si les humains, dans leur folle poursuite des richesses, deviennent injustes à l’égard de leurs employés ou méprisants à l’endroit de leurs employeurs.

(3) Genèse 3.

(4) Exode 1.11-14 ; 2.23 et Jacques 5.4.

Le sujet est inépuisable et il n’est pas dans notre intention de le traiter ici. Reconnaissons néanmoins que les conditions de travail ont été sérieusement améliorées depuis la fin du siècle dernier et cela grâce à des actions de masse durement menées. Il est dommage que les patrons de jadis aient attendu grèves et manifestations pour consentir enfin à accorder quelques améliorations tendant à rendre le travail plus humain et mieux rétribué. Les directeurs d’entreprises paient maintenant – dans une certaine mesure – les erreurs du passé car il est notoire que le peuple a été longtemps malmené et exploité. Pour s’en convaincre il n’y a qu’à tendre l’oreille à des récits de vieux mineurs embauchés dès l’âge de dix ou onze ans, et contraints d’assurer jusqu’à douze heures d’affilée une tâche pénible et mal payée.

Il importe donc que le travailleur chrétien fasse toute sa part et joue pleinement son rôle afin que soient améliorées les conditions de travail dans l’entreprise qui l’emploie en usant, répétons-le, de moyens que Dieu approuve. (*)

(*) On cite le cas de salariés d’autrefois, tenus de travailler le dimanche. Des chrétiens intervinrent auprès de la direction pour réclamer que soit chômé ce jour-là. Ils n’essuyèrent que refus. sans ménagement. Alors ils décidèrent de se soumettre – ils n’avaient pas d’autres moyens de subsistance – mais en renonçant à la paie du dimanche qu’ils restitueraient intégralement au patron. La direction fut mise dans un tel embarras qu’elle fut amenée à considérer la question et à accorder enfin le repos hebdomadaire à tous les employés.

Mais puisque le travail exerce une contrainte sur l’homme, lui est-il possible d’y échapper vraiment ? De rester libre dans son activité ? Certainement et le frère Laurent est là pour le prouver.

Né vers 1608, ce moine était simple cuisinier dans l’ordre des Carmélites. Tâche ingrate qu’il abhorrait par dessus tout et qu’il dut cependant assurer durant quelque vingt ans. C’était, à le Lire, « sa plus grande aversion naturelle ». Or ce chrétien d’élite avait appris à faire toute chose « pour l’amour de Dieu », réclamant en toute occasion, la grâce d’accomplir son ouvrage avec joie. Il écrit : « Je possède Dieu aussi tranquillement dans le tracas de ma cuisine – où parfois plusieurs personnes me demandent en même temps des choses différentes – que si j’étais à genoux devant l’autel. Il n’est pas nécessaire d’avoir de grandes choses à faire. Je retourne ma petite omelette dans la poêle pour l’amour de Dieu. Quand elle est achevée et n’ai plus rien à faire, je me prosterne par terre et adore mon Seigneur de qui m’est venu la grâce de la faire, après quoi je me relève plus content qu’un roi… ».

Beaucoup plus tard, David Livingstone, le missionnaire-explorateur qui connut tant de privations et de souffrances dans ses pérégrinations en pleine Afrique, avouait avec reconnaissance « qu’il n’avait jamais fait de sacrifice de sa vie ».

Mais soyons réalistes. L’ouvrier peut-il chanter lorsqu’il peine devant sa machine, peut-il idéaliser son travail et le « voir en rose » quand il occupe un emploi dangereux qui use ses nerfs et l’oblige à œuvrer dans la poussière et le bruit, sous la pluie, à la rage du soleil ou dans le vent glacé ?… Et puis, les tâches les plus alléchantes n’ont-elles pas leurs revers, leur côté monotone et pénible qui constitue une part essentielle de la discipline de la vie ? Alors que faire pour être authentiquement libre dans une activité accomplie jusqu’ici à contre-cœur ?

1° En premier lieu, je REFUSE de ruminer ma peine, de cultiver la haine, le ressentiment, l’insatisfaction qui, en fait, ne me font que du mal sans changer quoi que ce soit à ma situation. C’est Satan qui inspire ces choses. Un grand nettoyage doit s’opérer dans mon cœur et dans mes pensées. Je suis décidé à changer de langage et de mentalité ; je veux appeler « péché » la rancœur qui m’habite et les murmures qui empoisonnent ma vie. J’accepte de les confesser maintenant à Celui qui les a expiés sur la Croix.

Est-ce là votre langage.

2° Ensuite, à l’instar du frère Laurent ou de Livingstone, je veux désormais accomplir ma tâche de « bon cœur » et AVEC JOIE, puisque telle est la volonté de Dieu. Sans le secours divin, ce serait impossible, mais tout change lorsqu’on agit « comme servant le Seigneur ». Tout est là. Cette expression tirée de la Bible (5) vaut la peine d’être méditée sérieusement. Y avez-vous réfléchi ? Serviteur de Dieu vingt quatre heures sur vingt quatre. Serviteur de Dieu à l’usine, sur le chantier, derrière l’établi, au bureau ou dans le sous-sol d’un grand magasin. Tout est différent lorsqu’on se sait au service d’un Maître généreux qui, au grand jour des rétributions, versera un glorieux salaire à ses bons ouvriers : « agissez de bon cœur comme pour le Seigneur et non pour des hommes, sachant que vous recevrez du Seigneur l’héritage pour récompense. Servez Christ le Seigneur ». (6)

(5) Colossiens 3.23-24.

(6) Colossiens 3.24.

Soulignons que Dieu a le pouvoir d’illuminer les aspérités de notre service. Evangéliste itinérant, j’ai été amené à voyager souvent la nuit (presque un mois sur douze durant l’année), parfois dans des conditions pénibles (longues stations debout dans les couloirs ou les soufflets de wagons) et pourtant, je ne pense pas avoir été affligé pour cela. Dois-je pour autant me croire un héros ? Oh non ! J’étais tellement heureux de revoir les miens que je ne songeais pas à ma « petite » épreuve. Simplement, Dieu me gardait dans sa paix.

Jésus, l’humble charpentier de Nazareth, a-t-il gémi sur son échelle ? Paul, le faiseur de tente, n’était-il pas « content » de l’état dans lequel il se trouvait ? Se plaignait-il au fond de sa cellule à Philippes ? Criait-il à l’injustice ? Sûrement pas puisqu’il chantait avec Silas les louanges du Seigneur.

3° En troisième lieu, je veux LOUER SANS CESSE celui qui a le pouvoir de changer mes tristesse en joie, de jeter sa lumière jusque dans les coins les plus sombres de mon existence et qui peut éclairer d’un jour nouveau une activité qui me désespère. Dieu sera présent à l’usine comme à l’église, c’est pourquoi je refuse la grisaille « du boulot » et j’accepte d’être au milieu de mes collègues, un homme heureux qui encourage et répand l’espoir, bref qui montre Jésus-Christ le Libérateur. C’est de lui dont les hommes ont besoin.

On me demandera, après ce qui précède : « Croyez-vous qu’un chrétien puisse adhérer à un syndicat ou militer dans un parti qui prône la lutte des classes ? » — Il le peut puisqu’il est un homme libre. Ou plutôt, s’il est en mesure de rester un homme libre au sein du mouvement, c’est-à-dire, toujours capable de s’opposer à des directives que désapprouverait sa conscience. C’est pourquoi, chacun doit s’examiner et prendre une décision en toute conviction. Nous ne sommes pas tous appelés à suivre la même route.

Il va de soi que rien n’empêche tel travailleur insatisfait de chercher une meilleure place, de désirer améliorer son sort en s’inscrivant à des cours du soir en vue d’accéder à un emploi mieux approprié et – pourquoi pas – mieux rétribué. Si tel est votre cas, faites de votre décision un sujet de prière. Ne craignez pas d’en faire part à vos frères en la foi : leurs conseils pourront vous aider ou vous garder de tous faux pas.

Pour terminer ce chapitre, ouvrons la Bible et prenons comme paroles de Dieu ce qu’elle recommande aux travailleurs :

Que disent les Ecritures aux salariés de tous les temps ?

a) « Travaillez comme servant le Seigneur et non pour des hommes, sachant que vous recevrez du Seigneur l’héritage pour récompense. Servez Christ le Seigneur. (7)

(7) Colossiens 3.23-24.

Cette parole de Saint Paul nous assure qu’il y a « un salaire à venir ».

b) Accomplissez de bon cœur la tâche qui vous est imposée : « Tout ce que vous faites, faites-le de bon cœur ». (8)

(8) Colossiens 3.23.

c) Soyez soumis à vos employeurs et non contre-disants : « Serviteurs, soyez soumis en toute crainte à vos maîtres, non seulement à ceux qui sont bons et doux mais aussi à ceux qui sont d’un caractère difficile. Car c’est une grâce que de supporter des afflictions par motif de conscience envers Dieu quand on souffre injustement ». (9)

(9) 1 Pierre 2.18-19 ; Tite 2.9.

d) Soyez honnêtes :

« Exhorte les serviteurs à ne rien dérober à leur maitre ». (10)

(10) Tite 2.9.

e) Soyez actifs, même lorsque le patron est absent : « Obéissez en toutes choses à vos maîtres, non pas seulement sous leurs yeux. dans la crainte du Seigneur ». (11)

(11) Colossiens 3.2 ; Ephésiens 6.6.

f) Soyez fidèles à ceux qui vous emploient : « Montrez toujours à l’égard du maître une parfaite fidélité afin de faire honorer en tout la doctrine de Dieu ». (12)

(12) Tite 2.10.

g) « Servez vos maîtres avec empressement, comme des serviteurs de Christ qui font de bon cœur la volonté de Dieu ». (13)

(13) Ephésiens 6.6.

Que disent les Ecritures aux maîtres et aux patrons ?

Elles insistent sur deux points importants :

a) L’employeur doit respecter ses serviteurs :

« Vous maîtres, abstenez-vous de menaces sachant que leur Maître et le vôtre est dans les cieux et que devant lui, il n’y a point d’acception de personnes ». (14)

(14) Ephésiens 6.9.

b) Le patron doit accorder à son personnel un salaire raisonnable et des conditions de travail acceptables.

« Maîtres, accordez à vos serviteurs ce qui est juste et équitable (sans doute un salaire qui tient compte du coût de la vie et des bénéfices réalisés dans l’entreprise !) sachant que vous avez aussi un Maître dans les cieux ». (15)

(15) Colossiens 4.1.

Ces paroles de l’Ecriture devraient être méditées, lues et relues avec sérieux sans y ajouter le « oui mais » de celui qui ne tient pas à obéir.

Jésus-Christ est-il véritablement votre Maître ?

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