Ce qui donne à la Judée une position plus élevée que celle de la Galilée. — Paysage. — Lieux traversés par les pèlerins. — Shiloh. — Bethel. — Ramah. — Colonne de Rachel. — La shephelah. — Le désert de Judée. — Masada. — Jéricho. — L’Arabah. — Sentiments que les Juifs éprouvaient pour la Judée. — Attente du Messie. — Faux Christ. — Pensées des Rabbins sur ce point. — Sujets qui absorbaient l’attention de la Synagogue. — Privilèges dont jouit l’Israélite en Judée. — Limites de cette province. — Césarée. — Division du pays. — Plaine de Saron. — Antipatris. — Lydda. — Chephar. — Tabi. — Joppa ou Jaffa. — Emmaüs. — Rethléem. — Ce qu’on pensait de la naissance du Messie en ce lieu. — Migdal. — Eder. — Les Bergers publient la naissance du Messie. — Jérusalem. — Estime des Rabbins pour cette ville. — Noms donnés à cette cité. — Les synagogues. — Esprit hospitalier de ses habitants. — Béthanie et Bethphagé. — Caractère des Hierosolymites. — Vénération des Israélites pour cette cité. — Le temple.
La Galilée pouvait se glorifier de la beauté des scènes qu’elle présentait à l’œil du voyageur ou de la fécondité de ses plaines. Elle avait le droit d’affirmer qu’elle était le marché sur lequel se déployait la plus vivante activité des contemporains de Jésus-Christ. N’était-elle pas aussi la médiatrice qui rapprochait Israël du monde ancien, placé hors des limites de la Palestine. La Judée, au contraire, ne convoitait aucun de ces privilèges. Tout autre était le légitime sujet de son orgueil. Si la Galilée formait le parvis extérieur du temple, la Judée était le sanctuaire même d’Israël. Il est vrai, elle n’offrait aux regards que des paysages arides, des collines nues et rocailleuses, des déserts solitaires. Mais les faits de l’histoire sacrée, et les drames religieux de la nation d’Israël s’étaient déroulés à l’ombre de ses montagnes dépouillées. Quand le pèlerin tournait le dos aux plaines riches et luxuriantes de la Galilée, il montait littéralement vers Jérusalem. Les collines éternelles se dressaient devant lui, revêtues d’une majesté toujours plus haute, jusqu’au moment où, sur le sommet qui les dominait, il contemplait le sanctuaire de Dieu, éclipsant par sa magnificence, la beauté des scènes environnantes, et apparaissant à ses yeux ravis dans sa robe éclatante de marbre et d’or. Tandis que le bruit confus de la vie s’éteignait peu à peu à ses oreilles ; à mesure qu’il avançait dans les solitudes silencieuses qui environnent Sion, les sites bien connus qu’il traversait semblaient éveiller devant lui les échos de l’histoire passée de son peuple.
Le voici à Shiloh, le plus ancien sanctuaire d’Israël, où, selon la tradition, l’arche est demeurée pendant 370 ans. Voici Béthel, avec ses souvenirs sacrés du temps des patriarches. Comme le disaient les Rabbins, ici l’ange de la mort avait été dépouillé de son pouvoir. C’était maintenant le plateau de Itamah, avec les hauteurs voisines de Gibeon et de Gibeah, théâtre de si grands événements dans l’histoire du peuple de Dieu. C’est à Rama que mourut Rachel, et qu’elle fut ensevelie. Nous savons que Jacob dressa une colonne sur son tombeau. Or, tel est le respect des Orientaux pour les lieux qui rappellent les personnages célèbres de l’histoire, que nous pouvons supposer que cette colonne était bien celle que, selon la parole d’un témoin oculaire, on y voyait encore au temps du Seigneura. De l’autre côté de la vallée, étaient creusées les tombes de Bildah et de Dina.
a – Book of Jubil. CXXXII. Dans Hausrath Neutest. Zeitgesch. p. 26.
[Le lieu de la sépulture de Rachel me semble du moins résulter avec évidence de 1 Samuel 10.2-3 et Jérémie 31.15. Plusieurs écrivains ont tiré de Genèse 35.16, 19, la conclusion que Rachel fut ensevelie près de Bethléem. Ce passage ne nous impose pas cette solution d’une manière nécessaire. Le commentaire Juif le plus ancien (Sifre éd. Vienne p. 146) soutient le point de vue que nous présentons dans le texte. Quant à M. Neubauer, il suppose que Rachel était morte dans les possessions d’Ephraïm, et qu’elle fut ensevelie à Bethléem. L’hypothèse est ingénieuse mais purement imaginaire.]
Elevée à cinq milles de Jérusalem cette colonne était, sans aucun doute, une pierre milliaire bien connue. Près de ce mémorial des jours tristes et déshonorés de la vie de Jacob, l’on avait réuni les Juifs captifs au moment de les diriger vers Babylone (Jérémie 40.1). Que de douleurs à leur départ ! quelle perspective d’un éternel esclavage ! Que de lamentations, lorsque à la vue de leurs amis, de leurs parents, de leurs citoyens, les hommes âgés ou malades, les faibles, les femmes, les enfants étaient massacrés sans pitié, pour ne pas encombrer le retour des conquérants vers leurs foyers. Deux fois témoin déjà de la douleur et des humiliations d’Israël, ce monument rappelait les lamentations de ce peuple coupable, pleurant sur -les tristesses d’un esclavage plus rude, à la vue d’un massacre plus horrible, lorsque Hérode l’Iduméen fit mettre à mort les enfants innocents, dans l’espoir de détruire avec eux le Roi et le Royaume Israélites. A cette heure la coupe des crimes du passé fut remplie jusqu’au bord. Alors furent accomplies les paroles dont se sert Jérémie pour dépeindre la douleur de Rachel pleurant sur ses enfants (Matthieu 2.17-18).
A l’Occident les montagnes s’abaissent ou descendent d’une manière abrupte vers le Shephelah ou les plaines de la mer. Ici Josué a poursuivi les rois du Sud, et Samson s’est jeté sur les Philistins. Ici, pendant de longues années, la guerre a été soutenue contre les hordes de la Philistie, ennemies implacables d’Israël. En avançant vers le Sud, on trouvait au-delà de la capitale la royale Bethléem, et, plus loin, la cité des prêtres, Hébron, avec ses grottes remplies des dépouilles les plus précieuses d’Israël. Ce plateau de montagnes était le désert de Judée, désigné sous des noms différents, selon les villages que l’on y rencontrait à de longues distances les uns des autresb, lieux désolés, occupés uniquement par le berger solitaire, ou le grand propriétaire comme Nabal, dont les brebis paissaient sur ces hauteurs et dans ces vallées dépouillées. Longtemps ce désert avait été le refuge des hommes mis hors la loi, ou le séjour des solitaires qui, dégoûtés du monde, y vivaient retirés loin de tous. C’est dans ces grottes creusées au flanc des rochers calcaires que s’étaient cachés David et les hommes de sa suite. C’est là que maintes bandes de partisans avaient souvent trouvé asile. Jean-Baptiste s’y était préparé pour son œuvre, et à l’époque dont nous nous occupons, là encore s’étaient réfugiés les Esséniens animés du vain espoir de trouver la pureté en rompant tout commerce avec la société des hommes. Plus loin, dans les profondeurs mystérieuses de l’horizon s’étendaient, comme une plaine immobile, les flots de la Mer Morte, ce mémorial perpétuel des jugements de Dieu. Sur la rive occidentale, on voyait se dresser le château qu’Hérode avait appelé de son nom, et plus au sud la forteresse presque inaccessible de Masada, scène du dernier acte de la grande tragédie, dans l’effroyable guerre de Judée.
b – Tekoah, Engedi, Ziph, Maon, et Beersheba donnaient leurs noms à des districts du désert de Judah.
A quelques heures des bords désolés de la Mer Morte, le voyageur rencontrait une sorte de paradis terrestre. Flanquée et défendue par les quatre forts qui l’entouraient, l’importante ville de Jéricho se présentait fièrement à ses regards. Hérode avait bâti ses murailles, ses théâtres, son amphithéâtre ; Archelaüs son nouveau palais entouré de jardins splendides. Le chemin des pèlerins arrivant de la Galilée et suivi par le Seigneur lui-même, passait à travers Jéricho (Luc 19.1). C’était aussi la grande route des caravanes qui unissait l’Arabie à Damas. La fertilité de son territoire et ses fruits des tropiques étaient partout connus. Ses bosquets de palmiers, ses jardins de roses, mais surtout les plantations de baume, dont la plus étendue était située derrière le jardin royal, composaient le pays féerique de l’Ancien-Monde. Hélas ! n’était-ce pas aussi une source de profit pour l’étranger détesté ? Rome avait fait de Jéricho une station centrale pour la collection des impôts et des douanes. Tel était précisément, comme l’Évangile nous le fait connaître, le moyen par lequel le chef des péagers, Zachée y avait acquis ses richesses. Parfum suave, le baume de Jéricho était encore un moyen de guérison particulièrement apprécié dans l’antiquité. Aussi, cette ville, avec le trafic qu’elle en faisait, était-elle l’objet des convoitises de toutes les peuplades environnantes.
Ici, on remarquait la profonde dépression de l’Arabah, dans laquelle s’engageaient les eaux du Jourdain. Tandis que le fleuve précipitait jusque-là, avec impétuosité, la marche de ses flots, lorsqu’il approchait de la Mer Morte, il coulait avec une lenteur qui semblait montrer la répugnance que la rivière sacrée éprouvait à se perdre dans ces flots fangeuxc. Pèlerins, prêtres, commerçants, voleurs, anachorètes, fanatiques s’agitaient sur cette scène étrange, et, en même temps, on croyait entendre dans le lointain les saintes harmonies du culte divin célébré sur la montagne de Sion où s’élevait le temple de Jéhovah.
c – Pline. Hist. nat. VI : 5, 2.
[Selon le Talmud de Jérusalem (Suc. v. 3). six des actes accomplis dans le temple par les ministres du culte pouvaient être entendus à Jéricho, et on pouvait y respirer l’odeur de l’encens brûlé sur l’autel. Il est inutile de faire remarquer que c’est là une grande exagération.]
Les historiens païens déclarent, en parlant de la Judée, que nul n’eût certainement couru le risque d’entreprendre une guerre difficile pour conquérir ce pays. Le Juif en eût fait l’aveu lui-même. Ce n’était pas la richesse matérielle qui pouvait attirer les nations idolâtres, bien que les trésors apportés dans le temple de tous les points du monde, excitassent toujours la convoitise des Gentils. Pour l’Israélite au contraire, c’était ici le foyer même de son âme, le centre de sa vie intérieure, le souhait de son cœur : « Si je t’oublie, Jérusalem, que ma droite s’oublie elle-même ! » Ainsi chantaient les captifs de Jacob assis près des fleuves de Babylone, lorsqu’ils pleuraient au souvenir de Sion. « Que ma langue s’attache à mon palais, si de toi Jérusalem, je perds le souvenir, si je ne mets pas Jérusalem au-dessus de la première de mes joies ! » (Psaumes 137.5-6)
Les cantiques des pèlerins tels que le Psaume 84, ou les psaumes des degrés qui conduisaient à la cité sainte, ne nous montrent-ils pas quels étaient les sentiments d’Israël ! Ils s’élevaient à leur plus grande intensité et débordaient de leur âme, lorsque la cité de leurs aspirations se présentait pour la première fois à leurs regards :
Oui l’Éternel a fait choix de Sion,
Il veut y fixer sa demeure,
C’est ici pour jamais le lieu de mon repos,
Je veux y demeurer, car je l’ai choisie.
Je veux bénir sa nourriture,
Et rassasier de pain ses indigents…
Et je revêtirai ses prêtres de salut,
Et ses saints pousseront des cris de joie.
Là j’élèverai la puissance de David,
Et je tiendrai devant mon oint un flambeau.
Je revêtirai ses ennemis d’opprobre,
Et, sur sa tête, son diadème brillerad.
d – Psaumes 132.13-18. Perret-Gentil.
Paroles absolument vraies dans leur application littérale et spirituelle ; espérances sublimes qui, pendant près de 2000 ans, ont formé et forment toujours une partie de la prière journalière d’Israël : « Oh ! fais bientôt que la branche de David ton serviteur pousse, se développe, et élève sa corne par ton salute. » Hélas ! pourquoi Israël ignore-t-il encore l’accomplissement de ces espérances déjà réalisées, et chantées dans le cantique d’action de grâces du père de Jean-Baptiste : « Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël, de ce qu’il a visité et racheté son peuple et nous a suscité un puissant Sauveur dans la maison de David son serviteur, comme il en avait parlé par la bouche de ses saints prophètes qui ont été depuis l’origine du monde. » (Luc 1.68-70)
e – La 15e des 18 bénédictions des prières de chaque jour.
Ces bénédictions n’étaient pas seulement l’objet d’une vague espérance, mais des réalités certaines pour les savants et les illettrés. Elles les décidaient à courber volontairement la tête sous le joug de ces ordonnances, dont le poids sans cela leur eût semblé intolérable. Elles les poussaient à se soumettre à des réclamations et à des traitements contre lesquels leur nature se serait révoltée, à endurer le mépris et la persécution qui eussent brisé toute autre nationalité et anéanti toute autre religion. Pour les exilés de la dispersion, la Palestine était le seul bercail. A elle seule la promesse d’un berger fidèle, de pâturages verdoyants, et d’eaux paisibles. La Judée était, pour ainsi parler, leur Campo-Santo, avec son temple au centre, comme le symbole et la prophétie de la résurrection d’Israël. Pénétrer, ne fût-ce qu’une fois seulement dans les parvis sacrés, se mêler à ses adorateurs, apporter des offrandes, contempler la foule des prêtres qui exerçaient leur ministère revêtus de leur blanche robe ; entendre le chant des Lévites, voir la fumée des sacrifices s’élever vers le ciel, — c’était pour le fils d’Abraham réaliser le rêve délicieux de sa vie, c’était vraiment le ciel sur la terre, le gage certain de l’accomplissement des promesses les plus admirables des prophètes antiques.
Comment s’étonner que, dans les grandes fêtes, la population de Jérusalem et de ses environs jusqu’à la ligne des saintes limites de la cité, s’élevât au chiffre de plusieurs millions de personnes parmi lesquelles on trouvait « des hommes pieux de toute nation qui est sous le ciel » (Actes 2.5). Comment être surpris que toutes les parties du monde habité apportassent leur trésor dans la ville de Davidf ? Et cette progression allait toujours croissant à mesure que les signes, suivis d’autres signes, semblaient indiquer que la fin approchait. Certainement, le sable qui marquait, par sa chute, la fin du temps des Gentils, devait être presque entièrement écoulé. Le Messie promis pouvait, de moment en moment, apparaître et « restaurer le royaume d’Israël ». Nous voyons, dans les écrits de Josèphe (P. ex. Ant. X : II, 7), qu’on s’attachait surtout aux prophéties de Daniel. Une multitude d’écrits apocalyptiques, des plus intéressants, malgré leur confusion surgissent alors et nous montrent l’interprétation qu’on donnait, dans les rangs du peuple, aux promesses divines non encore accomplies.
f – Nous savons que dans l’année 62, les contributions des 4 communautés extra-palestiniennes, Apamée, Laodicée, Adramylte, et Pergame s’élevèrent à plus de 8 millions d’euros.
[Rien ne serait plus intéressant, plus important, mais aussi plus difficile, que l’étude de ces écrits, comme écrits Pseudoépigraphiqnes. Ces recherches doivent être réservées pour une discussion plus complète, dans un autre ouvrage.]
On sent le même esprit dans la paraphrase la plus ancienne des Écritures, ou les Targumin. Les grands historiens païens, eux-mêmes, signalent cette attente générale d’un empire Juif qui s’étendra sur le monde, et ils voient dans cette pensée et dans cette fiévreuse attente, la cause des rébellions d’Israël contre Rome (Suet. Vesp. 4 — Tac. Hist. V : 13). Quelque portés qu’ils fussent à allégoriser le sens de la Bible, les prophètes Juifs d’Alexandrie subissent l’influence de cette espérance universelle. Hors de la Palestine tous les regards se dirigeaient vers la Judée, et chaque caravane de pèlerins, à son retour au pays, apportait les nouvelles des événements alarmants, indices précurseurs des glorieuses catastrophes qui devaient signaler la venue du Fils de l’homme. Dans la Terre Sainte, l’anxiété de ceux qui observaient les signes des temps s’élevait souvent jusqu’au délire et à la frénésie. Cela seul peut nous expliquer l’apparition de tant de faux Messies, et la confiance avec laquelle les foules, en dépit des désappointements multipliés, étaient prêtes à accueillir les espérances les plus invraisemblables. Ainsi Theudas pouvait persuader une grande multitude de le suivre jusque sur les rives du Jourdain dans l’espoir de voir, à son ordre, les eaux du fleuve miraculeusement divisées, comme devant Moïse, celles de la mer Rouge.
[Joseph. Ant. XX ; S, 1. Naturellement ce ne peut être le Theudas de Actes 5.36-37, mais le nom et les mouvements de révolte n’étaient point chose rare en ce moment dans le sein d’Israël.]
A son tour, un imposteur Egyptien entraînait les foules Juives jusque sur le mont des Oliviers, en les berçant dans l’espérance de voir les murailles de Jérusalem tomber à son commandement ( Joseph. Ant. X : 8, 6). Bien plus, tel était l’engouement de ces fanatiques, que tandis que les soldats Romains se préparaient à mettre le feu au temple de Jérusalem, un faux prophète pouvait réunir 6000 personnes, hommes, femmes et enfants, dans les cours ou sous les portiques sacrés, pour attendre, en ce moment même, la délivrance miraculeuse qui devait descendre du ciel. (Joseph. Bel. Jud. VI : 5, 2). La chute de la ville sainte ne put étouffer ces espoirs si souvent déçus, jusqu’à ce qu’un massacre plus terrible, à certains égards, que celui qui signala la destruction de Jérusalem, noyât dans le sang la dernière révolte publique des adhérents des faux Messies, conduits par Bar-Cochab.
La direction que prenaient ces espérances était sans doute fausse — en ce qui touche surtout la personne de Christ et la nature de son royaume. Elle était fondée quant au fait, au temps de sa venue. De tels espoirs, cependant, ne pouvaient être arrachés et anéantis autrement qu’avec l’histoire et la religion d’Israël. C’est à cette glorieuse attente que le Nouveau-Testament fait appel aussi bien que l’Ancien. Chrétiens et Juifs la chérissaient également. Dans le langage de St Paul, c’était là l’espérance en la promesse que Dieu a faite à nos pères, promesse dont nos douze tribus espèrent voir l’accomplissement en servant Dieu sans relâche, jour et nuit (Actes 26.6-7). Ces espoirs si souvent trompés et toujours vivants faisaient pénétrer la fièvre de l’attente dans les veines de la nation. Ils emportaient vers le Jourdain des foules immenses, à la suite d’un anachorète obscur, qui ne prétendait pas garantir sa mission divine par le moindre miracle, et prêchait la repentance parce que la venue du Royaume de Dieu était prochaine. Ils attiraient tous les regards vers Jésus de Nazareth, quelque humbles et quelque modestes que fussent son origine, les circonstances de sa vie, et l’obscurité de ses disciples ; ils détournaient ainsi l’attention générale du Temple, même de Jérusalem, pour la reporter sur les rives du lac lointain de la Galilée méprisée. Cette espérance ouvrait chaque demeure aux messagers que Christ envoyait dans le monde, deux à deux, pour y annoncer le règne de Dieu, et, même après la crucifixion, chaque synagogue aux apôtres et aux prédicateurs venus de la Judée.
Le titre de Fils de l’homme était familier à ceux qui avaient reçu leur conception du Messie des pages bien connues de Daniel. La littérature apocalyptique de cette époque, particulièrement le livre appelé d’Enoch, non seulement conservait ce nom dans la mémoire du peuple, mais décrivait, avec de nombreux détails, le jugement redoutable qui allait bientôt frapper les rois et les nations de la gentilité. « Sera-ce en ce temps que tu rétabliras le royaume d’Israël ? » Telle était la question qui s’échappait naturellement du cœur de tout véritable Israélite. Jean-Baptiste lui-même, dans les ténèbres de sa prison solitaire, ne se scandalise pas de la personne même du Messie, mais de la manière dont il semble vouloir établir son royaume. Il avait espéré entendre les coups formidables de cette hache qu’il avait montrée suspendue sur l’arbre desséché. Il devait apprendre que ce royaume ne pouvait être établi au milieu des éclats de la colère du ciel ou des tempêtes des jugements divins passant sur le monde, mais qu’il devait surgir sous le souffle doux et subtil de la compassion du Très-Haut. Enfin que le mystère que le prince de cet empire devait révéler au monde était celui-ci : compréhension et non exclusion, guérison et non ruine.
[Il nous suffira, en ce moment, de citer comme exemple les passages suivants de ce livre : « Et ce fils de l’homme que tu as vu, secouera les rois de leurs couches et les puissants de leurs trônes, il brisera les freins des forts, et mettra en pièces les dents des pécheurs. Il fera tomber les rois de leurs trônes, les dépouillera de leur empire s’ils ne l’exaltent, s’ils ne le célèbrent et ne reconnaissent point avec actions de grâce quel est Celui qui leur a confié le royaume. Il abaissera le visage des forts et la honte les conduira ; les ténèbres seront leur demeure, et ils auront les vers pour leur couche, ils ne posséderont aucun espoir de se relever de leur sommeil parce qu’ils n’exaltent point le nom du Seigneur des esprits. Et ils seront chassés de leurs assemblées et de celles des fidèles. (Livre d’Enoch, 48 : 4, 5, 6, 8.) Nous devons réserver une discussion complète de ce sujet important, et de plusieurs autres points qui s’y rattachent, pour une œuvre consacrée à la vie et à l’époque du Seigneur.
Le passage sur Jean-Baptiste auquel nous faisons allusion a une très grande importance au point de vue apologétique. Une histoire véridique, seule, pouvait rappeler les doutes de Jean-Baptiste surtout lorsqu’ils mettaient en relief les difficultés réelles que la mission de Christ soulevait dans l’esprit du peuple. Ce qui était le moins à attendre (dans le cas contraire) c’est que la constatation des difficultés provoquées par les démarches de Jésus fût suivie d’un éloge semblable à celui que le Sauveur faisait de St Jean.]
Tout autre était la position des docteurs Juifs, directeurs de l’opinion publique, vis-à-vis de ce royaume glorieux. Sans doute, c’était un grand Rabbin Akiba qui apparaissait comme le porte-étendard de la religion Juive dans le soulèvement de Bar-Cochab. On ne peut cependant le considérer que comme une exception. Son caractère était celui d’un enthousiaste, son histoire un véritable roman. Mais, en général, les Rabbins ne participaient pas à ces attentes populaires du Messie. L’histoire des Évangiles et leurs propres écrits montrent que non seulement ils faisaient à l’église chrétienne une opposition inspirée par leur manque de spiritualisme, ce qui ne surprenait personne ; mais que de plus, ils demeuraient froids au contact des prophètes populaires. Ils se séparaient même de ceux qui prenaient part à ces mouvements séditieux inspirés par l’attente du Messie. Le rigorisme légal et un bigotisme impitoyable sont bien distincts du fanatisme. Dans celui-ci, on retrouve surtout l’élan d’un esprit emporté dans une fausse direction. Le mépris même avec lequel les docteurs se détournaient de la « populace qui ne comprenait point la loi » et qu’ils déclaraient « exécrable » nous prouve qu’ils étaient incapables d’un semblable fanatisme. Un exalté reconnaît un frère dans chacun de ceux qui brûlent de la même ardeur, quelque différentes que soient, au reste, sa condition et la sienne. Le grand manuel du rabbinisme, la Mishnah, est presque entièrement non-Messianique, on pourrait même dire anti-dogmatique. La méthode des maîtres d’Israël était purement logique. Si elle ne contenait une relation de faits ou de traditions, la Mishnah ne serait qu’un manuel de déterminations légales, suivies jusqu’à leurs dernières conséquences, et vivifiées uniquement par des discussions subtiles ou par le récit des exemples qui se rapportent au sujet débattu. La tendance du système est anti-Messianique. Ceci ne veut point dire que la flamme de l’enthousiasme ne pût jaillir dans des âmes si dévotes, dans des natures si ardentes, mais toutes leurs études, toutes leurs recherches les poussaient dans une direction contraire. Ils n’ignoraient pas, en outre, combien était petite la portion d’autorité qui leur était laissée, et ils craignaient de perdre même cette ombre de pouvoir. La frayeur de Rome hantait leur imagination. A l’époque même de la destruction de Jérusalem, les Rabbins, qui étaient les maîtres de l’opinion, ne visèrent qu’à une seule chose, assurer leur sécurité personnelle. L’histoire ultérieure nous montre, en de nombreuses circonstances, des exemples curieux de l’intimité des chefs de la synagogue. avec les Romains, leurs oppresseurs. Le Sanhédrin exprimait leurs appréhensions les plus intimes, lorsque, dans une assemblée secrète, il se détermina à mettre à mort Jésus. Au reste, il ne craignait pas de l’avouer. Le motif du jugement était la crainte que, si on permettait au Galiléen de continuer son œuvre, et que tous les hommes crussent en lui, les Romains vinssent et anéantissent leur ville et leur nation (Jean 11.48). Cependant aucun esprit sincère parmi eux n’examina avec candeur la réalité de ses miracles. Aucune voix généreuse ne s’éleva pour affirmer le principe des droits et de la royauté de l’Oint de l’Éternel, en rejetant les prétentions de Jésus de Nazareth ! Ils pouvaient bien agiter, dans le cours de leurs débats, la question du Messie comme un point de spéculation. Elle n’avait pas pour eux un intérêt personnel, pratique et vivant. Peut-être l’affirmation suivante ne présente-t-elle qu’un seul aspect du sujet et le point de vue extrême ; comme telle, elle est caractéristique. Mais un Rabbin ne craignait pas de déclarer « qu’entre le présent et les jours du Messie, il n’y avait qu’une seule différence, c’était la servitude du peuple élu. »
Des questions tout autres absorbaient l’attention des sages Juifs. L’état présent et le passé d’Israël les occupaient, mais non l’avenir de ce peuple. Le présent, parce qu’il s’agissait de fixer les obligations que la loi imposait à chacun des membres de la nation ; le passé, en tant qu’il donnait à leur enseignement la sanction de son autorité. Dans la Judée proprement dite ils voyaient la seule place où la Schechinah avait résidé, le pays où Jéhovah avait fait élever son temple, le siège du Sanhédrin, le lieu unique dans lequel on cultivât l’enseignement et la piété véritables. La Judée était « le grain, la Galilée la paille, et les pays au-delà du Jourdain la balle du froment. » Tirer de la Judée son origine, donnait le droit de se dire « Hébreu parmi les Hébreux ».
Nous avons déjà mentionné les reproches que la Synagogue adressait à la Galilée. Elle lui reprochait son langage, ses mœurs, et sa négligence des études régulières. Sur quelques points, on constatait une diversité entre les observances légales et certains usages de la vie sociale en Judée et en Galilée. Ce n’était qu’en Judée que les Rabbins pouvaient être consacrés par l’imposition des mains. Ici le Sanhédrin, dans une solennelle séance, proclamait le commencement de chaque mois, dont dépendait l’ordre des fêtes du calendrier. Même lorsque les rigoureuses nécessités de la politique eurent contraint les docteurs à se réfugier en Galilée, ils revenaient à Lydda pour cet objet, et il ne fallait rien moins que les luttes les plus ardentes pour qu’ils se décidassent à transférer à une autre contrée ce privilège si grand à leurs yeux. Cette révolution ne s’accomplit que dans le troisième siècle de notre ère (Jer. Sanh. 1 :1, 18).
Le vin employé dans le temple était encore exclusivement recueilli en Judée, non seulement parce qu’il était d’une qualité supérieure, mais parce que le transport à travers la Samarie l’aurait souillé profondément. La Mishna mentionne même les noms des cinq villes qui jouissaient du privilège de le fournirg. L’huile employée dans la maison de l’Éternel était aussi tirée de la Judée ou de la Pérée. On portait seulement les olives à Jérusalem, pour les transformer en huile sainte.
g – Voyez la discussion dans Neubauer Geogr. du Talm. p. 84 etc… et les passages talmudiques qui y sont cités.
Quelles étaient les cités réellement juives ? C’était là une question d’une importance considérable, à cause du rituel. Aussi absorbait-elle l’attention la plus intense des maîtres d’Israël. Il n’est pas aisé de fixer les bornes exactes de la Judée proprement dite, du côté du Nord-Ouest. Enfermer la côte-de la mer dans les limites de la province de Samarie, est une erreur que l’on commet communément. On ne la considéra jamais certainement comme telle. Selon Josèphe, la Judée proprement dite s’étendait le long du rivage de la grande mer, du côté du nord jusqu’à Ptolémaïs en Acco. Le Talmud semble, du moins, en exclure les villes du Nord. D’après le Nouveau-Testament, une distinction existait entre Césarée et la province de Judée (Actes 12.19 ; 21.10). Détail caractéristique, qui nous fournit une démonstration indirecte de la connaissance exacte que possédait l’écrivain des opinions strictement rabbiniques, et une preuve de la date précoce de la composition du livre des Actes. Dans une époque plus récente, on décida, en effet, que Césarée appartenait à la Judée, bien que son port fût exclu des privilèges accordés à cette province, et que toute la contrée de l’Est et de l’Occident fût considérée comme souillée. Peut-être cette prérogative lui fut-elle accordée uniquement parce que de nombreux et célèbres Rabbins y ont plus tard résidé. L’importance de Césarée, dont le nom est intimement uni à la prédication de l’Évangile, et à l’histoire de St Paul, aussi bien qu’à l’existence des églises florissantes, qui, de bonne heure, y furent attachées, donne un intérêt tout nouveau aux détails que nous possédons sur cette localité. Nous n’avons à nous occuper ici que de ceux qui nous sont communiqués par des documents d’origine juive. Il serait tout à fait hors de propos de décrire l’importance politique de la cité comme siège du pouvoir romain, son port magnifique, ses édifices splendides, ses richesses, et son influence. Dans les écrits Juifs, elle porte le même nom, bien que quelquefois elle soit désignée par ses fortifications. (Migdal-Shur, M. Zor, M. Nassi) ou par son port (Migdal-Shina). Une fois aussi on retrouve son nom antique, la forteresse de Straton. La population de la ville était formée d’un mélange de Juifs, de Grecs, de Syriens, de Samaritains, et les discussions qui s’élevèrent entre les membres de ces diverses nationalités furent le premier signal de la grande guerre Juive. Le Talmud l’appelle « la capitale des rois ». Siège de la puissance romaine, elle était tout spécialement odieuse aux Juifs pour ce motif. Aussi est-elle désignée comme « la fille d’Edom, la cité des abominations et des blasphèmes » bien que le district dans lequel elle se trouvait comprise fût, à cause de ses richesses, appelé « le pays de vie ». Comme on pouvait s’y attendre, de constantes difficultés surgissaient entre les autorités Juives et Romaines, à Césarée. Les plaintes contre l’injustice des juges païens étaient pleines d’une amertume sans égale. Nous pouvons facilement comprendre que, pour un Juif, cette cité était le symbole de Rome, Rome d’Edom, et Edom devait être anéantie ! Aussi bien, Jérusalem et Césarée pouvaient-elles coexister ? C’est dans ce sens que nous devons entendre le passage suivant : « Si on vous dit que Jérusalem et Césarée subsistent l’une et l’autre, ou sont toutes les deux détruites, ne le croyez pas ; mais si l’on vous dit que l’une est anéantie et que l’autre subsiste, croyez-le. » (Gitt. 16. a ; Meg. 6. a.)
Il n’est pas sans intérêt de savoir que par égard pour les Juifs étrangers qui y résidaient, les Rabbins permettaient que les principales prières fussent dites dans la langue grecque, idiome du pays. Dès le temps même de l’Evangéliste Philippe, une œuvre utile de prosélytisme chrétien y fut poursuivie parmi les Juifs. Les écrits d’Israël contiennent des détails particuliers sur les controverses qui y furent agitées entre les descendants d’Abraham et les chrétiens.
Quelques détails sommaires donnés par des documents hébreux sur d’autres villes mentionnées dans le Nouveau-Testament peuvent jeter quelques nouveaux rayons de lumière sur nos écrits sacrés. D’une manière générale la Mishnah divisait la Judée en trois parties — la montagne — la shephelah — et la vallée (Shev. IX : 2). Ajoutons-y la cité de Jérusalem. Elle constituait un district particulier. Ici encore, reconnaissez une preuve frappante de l’authenticité du Nouveau-Testament, et spécialement des écrits de St Luc. Une personne seule parfaitement au courant de l’état des choses en ce temps-là aurait, avec les Rabbins, désigné Jérusalem comme une province séparée de tout le reste de la Judée ainsi que le fait l’Evangéliste Luc d’une manière manifeste, en maintes occasions (Luc 5.17 ; Actes 1.8 ; 10.39).
[Ces indications aussi bien que celles du Nouveau-Testament sur Césarée ont été notées par M. Neubauer dans sa Géogr. du Talm. Il est à désirer que les négligences occasionnelles ou plutôt, selon nous, les fautes d’impression dans les passages du Talmud soient corrigées par le savant auteur.]
Au sud de Césarée, s’étend la plaine de Sharon, dont la beauté et la richesse sont célébrées si souvent dans l’Écriture (Cantique des cantiques 2.3 ; Ésaïe 35.2). Elle se prolonge jusqu’à Lydda, où elle se confond avec celle de Darom, qui s’étend du côté du sud. Ainsi que le constate l’Écriture (Ésaïe 45.10), la plaine de Saron fut toujours renommée pour ses pâturages. C’est à cette province que, selon le Talmud, on empruntait la plupart des veaux destinés aux sacrifices. Le vin en était aussi célèbre et, pour l’usage, il était supposé qu’on le mêlait avec un tiers d’eau. La plaine était bien connue également pour ses fabriques de poteries. Celles-ci doivent avoir été toutefois d’une qualité inférieure. L’argile même avec laquelle on y élevait des maisons de briques y était si mauvaise, que ces demeures avaient besoin d’être reconstruites tous les sept ans. De là la prière faite, chaque année, par le grand-prêtre, dans le jour des expiations. Il demandait alors à Jéhovah que les maisons des habitants de Saron ne devinssent pas leur tombeau.
Antipatris, le lieu où les soldats avaient laissé Saint Paul sous la protection des cavaliers (Actes 23.31), avait été la scène d’un solennel événement. Selon la tradition (Yoma 69 a), le collège des prêtres Juifs, sous Simon le Juste, y était venu à la rencontre d’Alexandre le Grand en procession solennelle et avait assuré, par là, le salut du temple. Dans les pages du Talmud, il porte le même nom qui lui fut donné par Hérode, en mémoire de son père Antipater (Ant. XVI 5, 2). On trouve aussi le nom de Chephar-Zaba. C’est peut-être celui d’une localité voisine. Dans Sanh. 94, 6 nous lisons qu’Ezechias avait suspendu un écriteau à l’entrée du Beth-Midrash (ou collège), pour donner avis à tous les passants que celui qui n’étudiait pas la loi devait être mis à mort. On fit donc la recherche exacte de tous les illettrés de Dan à Beershebah, et on n’en trouva pas un seul, pas même de Gebath à Antipatris. Garçon, fille, homme ou femme, tous étaient versés dans la connaissance de toutes les ordonnances légales qui se rapportaient aux choses pures et impures.
La ville de Lydda, Lod ou Lud, dans le Talmud, nous fournit une illustration remarquable d’un récit du Nouveau-Testament. Le livre des Actes (Actes 9.35) nous apprend qu’à la suite de l’œuvre d’évangélisation entreprise par saint Pierre, et à l’ouïe du miracle accompli sur Enée « tous ceux qui demeuraient à Lydda et Saron se convertirent au Seigneur ». Lydda avait son assemblée de « saints » presque dès les premiers jours, en effet selon Maas. Sh. V : 2, ce lieu était situé à la distance d’une journée de voyage à l’occident de Jérusalem.
Lydda et la ville sainte, étaient fort peu éloignées l’une de l’autre et des relations fréquentes unissaient ces deux localitésh. Les femmes de Lydda, nous dit-on, mettaient leur pâte, montaient à Jérusalem, faisaient leurs prières dans le temple, et retournaient chez elles avant que la pâte n’eût fermenté. Nous pouvons conclure aussi d’autres documents, conservés dans le Talmud, que Lydda a été la résidence de plusieurs docteurs de la loi avant la ruine de Jérusalem. Après les jours de cette immense catastrophe, elle devint le siège d’une école très célèbre, dont les présidents furent quelques-uns des maîtres de la pensée Juive. Cette école ne craignait pas d’affirmer que pour éviter la mort, on pouvait violer une ordonnance quelconque de la loi, excepté celles qui se rapportaient à l’idolâtrie, à l’inceste et au meurtre. A Lydda, deux frères s’offrirent spontanément en sacrifice pour sauver de la mort leurs coreligionnaires menacés du dernier supplice parce qu’on y avait découvert le cadavre d’une personne dont la mort était imputée aux Juifs. Triste écho des insultes adressées au Sauveur par les princes des prêtres, les scribes et les anciens, tandis qu’il était suspendu au bois infâme (Matthieu 27.41-43). En cette occasion, les Romains criaient aussi aux martyrs : « Si vous êtes membres du peuple d’Ananias, de Mishaël et d’Azarias, que votre Dieu vienne et vous délivre de ma main. » (Taan 18 : 6)
h – Le savant Lightfoot (Cent. Chorogr. Matt. præmissa CXVI) pense que les Rabbins avaient pour but de montrer qu’aucun dommage ne pouvait décourager la piété des femmes de Lydda.
Une preuve plus intéressante encore nous démontre le lien intime qui unit l’histoire de Lydda à celle de la fondation de l’Église. C’est à l’occasion de cette ville et de son tribunal, qui, dit-on, avait le droit de prononcer des sentences de mort, que le Talmud introduit les noms de notre divin Sauveur, et de la Vierge, sa mère, en les altérant à dessein d’une manière blasphématoirei. Dans la forme où nous les trouvons aujourd’hui, ces déclarations sont confuses soit par ignorance, soit intentionnellement peut-être par suite d’altérations successives. Elles mêlent différents événements et diverses personnes de l’histoire évangélique. Entre autres choses, elles représentent le Seigneur comme condamné à Lydda. Mais il ne serait pas raisonnable de mettre en doute qu’elles se rapportent à notre divin Sauveur et à sa condamnation pour de prétendus blasphèmes et comme séducteur du peuple. Au moins indiquent-elles une relation intime entre Lydda et la fondation du christianisme. Curieuse confirmation de l’histoire évangélique. La mort de Christ est ici décrite comme ayant eu lieu « la veille de Pâques ». Ces mots affirment d’abord la date de cet événement, telle qu’on peut la recueillir dans les évangiles synoptiques. Ils montrent que les Rabbins, du moins, ne connaissaient aucun de ces scrupules, aucune de ces difficultés, toutes Judaïques, au moyen desquelles des écrivains modernes, nés parmi les Gentils, ont essayé de prouver qu’il était impossible que Christ eût été condamné dans la nuit de Pâques.
i – Une tentative très ingénieuse, pour expliquer ces désignations, a été faite par le professeur Cassel, dans sa brochure récente : Caricaturnamen Christi.
[Il pourrait bien y avoir quelque fait historique à la base de cette affirmation. L’assemblée secrète des « chefs des Prêtres et des Pharisiens » mentionnée Jean 11.47 ne pourrait-elle avoir eu lieu à Lydda ? (cp. v. 54, 55). Est-ce ici que Judas « communique avec les principaux prêtres et les capitaines pour savoir d’eux comment il pourrait leur livrer Jésus » ? Il y avait, on tout cas, des raisons qui devaient faire éviter Jérusalem dans toutes les mesures à prendre contre le Sauveur. Et nous savons que, pendant que le temple était encore debout, Lydda était la seule place hors de la capitale de la Judée qui pût être appelée un des lieux où siégeait le parti rabbinique. Tous les passages, sur ce sujet, sont cités et déduits de la manière la plus compétente dans Buxtorf. Lex. Talm. Voyez la discussion sur la date de la crucifixion du Seigneur dans l’appendice du volume : The temple par le Dr Edersheim.]
Nous avons déjà constaté qu’après la destruction de Jérusalem, plusieurs des Rabbins les plus célèbres choisirent Lydda pour leur résidence. Cependant, au second siècle, un grand changement se fit dans les idées de ces derniers. Les habitants de Lydda sont alors accusés d’orgueil, d’ignorance, de négligence des devoirs de la religion. La Midrash (Esther 1.3) dit qu’il y a « dix mesures de malice dans le monde. Neuf appartiennent à la ville de Lod, et la dixième à tout le reste de l’univers ». Cette ville fut la dernière place de la Judée dans laquelle, après avoir émigré en Galilée, les docteurs de la synagogue se réunissaient pour fixer le commencement de chaque mois. La légende Juive nous rapporte qu’ils y trouvaient « le mauvais œil » qui causait leur mort. Ceci est peut-être une allusion allégorique. Il est certain qu’en ce temps Lydda était le siège d’une église chrétienne très florissante, et avait ses évêques. Un savant écrivain Juif a montré que le changement des sentiments des Juifs à son égard était dans une relation étroite avec la diffusion du christianisme. Ce devait être une ville très belle et très commerçante. Le Talmud parle, avec une manifeste exagération, du miel de ses dattes, et la Misnah rappelle que ses marchands formaient une classe nombreuse, bien qu’elle soit loin d’exalter leur honnêteté.
[La Mishnah discute la question de savoir quel profit il est permis a un négociant de prendre sur un article ; et pendant quelle période un acheteur trompé par un commerçant peut lui rapporter son achat. Les marchands de Lydda ne sont pas présentés dans cette discussion sous un jour très favorable.]
Près de Lydda, du côté de l’Est, s’élevait le village de Chephar Tabi. Nous pourrions être tentés de faire dériver ce nom de Tabitha (Actes 9.36) si les noms de Tabi et de Tabitha n’eussent été très communs en ce temps-là, en Palestine. Il n’y a aucun doute sur la situation de Joppa, la Jaffa moderne, où Pierre fut honoré de la vision qui ouvrit aux Gentils la porte de l’Église. On cite le nom de plusieurs Rabbins qui ont illustré la ville de Joppé. Cette cité fut détruite par Vespasien. Relevons, dans la Misdrash, une légende curieuse. Joppé, nous dit-elle, n’avait pas été couverte par les eaux du déluge. N’y a-t-il pas là une tentative faite pour expliquer comment certains hommes furent préservés de la mort, et pour rendre compte des migrations des peuples dans toutes les parties du monde ?
Quelle était la position exacte d’Emmaüs, localité sacrée pour les chrétiens, à cause de l’apparition du Seigneur aux deux disciples de ce bourg, après sa résurrection ? (Luc 21.13) C’est là une question fort discutée. On peut dire qu’en général les preuves semblent faire incliner l’opinion des savants en faveur de la position fixée par la tradition.
[Les écrivains modernes pour la plupart l’identifient avec la présente cité de Kulomeh Colonia, et font dériver ce nom de la circonstance que des soldats romains y furent établis comme colons. Le lieut. Couder pense que la moderne Khamasa, à 8 milles environ de Jérusalem, est le site d’Emmaüs.].
S’il en est ainsi, elle comptait un grand nombre d’habitants d’origine Juive, bien qu’elle fût aussi occupée par une garnison Romaine. Il n’est pas sans intérêt de savoir que deux, des familles patriciennes et laïques qui faisaient partie du groupe des musiciens du Temple — celles de Pégarim et de Zippariah — étaient d’Emmaüs, et que les prêtres avaient coutume de s’unir, par des alliances, avec les Hébreux riches de cette localité (Er. II : 44). La route déserte où Philippe prêcha l’Évangile et baptisa l’eunuque Ethiopien, conduisait à Gaza, qui ne comptait pas moins de huit temples païens, outre un reliquaire d’idole aux portes de la cité. Il était permis aux Juifs d’y résider à cause des marchés importants qui y étaient tenus.
Mentionnons encore le nom de deux villes qui offrent au chrétien le plus profond et le plus solennel intérêt : Bethléem, le lieu de naissance du Seigneur, et Jérusalem où il fut crucifié. La réponse que les anciens membres du Sanhédrin donnèrent à Hérode, lorsqu’il leur demandait où devait naître le Messie (Matthieu 2.5), se retrouve dans plusieurs autres passages du Talmud (Jer. Ber. II : 3). Elle se rapporte aussi à Michée 5.2. Il est permis de regarder, comme un point établi, que selon les pères Juifs, le Messie, le fils de David, devait naître à Bethléem, de Judah. On rencontre même dans la Mishnah un passage qui jette une lumière toute particulière sur le récit des Évangiles, et qu’il vaut mieux donner en entier. Nous savons que pendant la nuit où naquit le Sauveur, les anges apportèrent un message à des hommes qui, seuls, entre tous les habitants de Bethléem ou des environs, passaient la nuit en plein air pour garder leurs troupeaux. Près de Bethléem, sur la route qui conduit à Jérusalem, s’élevait une tour désignée sous le nom de Migdal-Eder ou « la tour des gardiens de troupeaux « . C’était la station où les bergers avaient l’habitude de garder les animaux destinés aux sacrifices du temple. La chose était tellement connue que, si on rencontrait des animaux à la distance où Migdal-Eder se trouvait placée par rapport à Jérusalem, ou dans cette zone, de tous les côtés, les animaux mâles étaient offerts en sacrifice d’holocauste, les femelles en sacrifice de paix. Le Rabbin Jehudah ajoute : « Ces victimes étaient-elles convenables pour les sacrifices pascals ? on les considérait comme telles, pourvu que ce ne fût pas plus de trente jours avant la fête » (Shekal VII : 4 : cp. Jer. Kid. 11 :9). N’est-ce pas là un détail significatif et ne peut-on pas voir une sorte d’accomplissement de l’un des types de l’Ancien-Testament dans le fait que les bergers qui entendirent les premiers la nouvelle de la naissance du Sauveur, et les premiers prêtèrent l’oreille aux louanges des Messagers célestes, gardaient des troupeaux destinés aux sacrifices sacrés ? Ici, c’était le type ; là, la réalité.
[A l’origine, ceux qui trouvaient ces animaux devaient, de leurs propres deniers, fournir les libations exigées par la loi. Mais cette ordonnance poussait un grand nombre d’Israélites à les garder. On décida plus tard de fournir les frais des libations, en les prenant sur le trésor du temple.]
De tout temps, Bethléem avait été considérée comme ; l’une des villes les plus petites de Judah ; si petite, en effet, que les Rabbins ne nous donnent guère sur elle de détails précis. La modeste hôtellerie du village était plus que remplie, et les voyageurs de Nazareth, Joseph et Marie, ne trouvèrent un abri que dans l’étable, dont la mangeoire devint ainsi le berceau du roi d’Israël.
[On trouve dans Echa R. 72 a, une tradition qui nous apprend que le Messie devait naître « dans le château d’Arba de Bethléem de Juda. » Caspari (Chron. geogr. ant. liber das Leben Jesu p. 54) la cite pour prouver que le présent monastère, en forme de château, dans les caveaux duquel la tradition prétend que le Seigneur est né nous indique le lieu véritable du miracle. En Orient, de semblables caveaux sont souvent employés comme étables.]
C’est ici que les humbles Israélites, conduits par le ciel, trouvèrent le divin enfant, les premiers le contemplèrent avec admiration, crurent en lui, et l’adorèrent. Ils firent plus encore. Rappelons-nous que ces bergers devaient précisément se rendre dans le temple, y rencontrer ceux qui viendraient pour adorer et offrir des sacrifices, et nous comprendrons aussitôt toute l’importance d’un détail qui, autrement, nous eût semblé à peine digne d’une mention spéciale (Luc 2.17-18). « Et l’ayant vu, est-il écrit, ils publièrent ce qui leur avait été dit touchant ce petit enfant. Et tous ceux qui les entendirent étaient dans l’admiration de ce que les bergers leur disaient. » Comment serions-nous surpris nous-mêmes de l’étonnement provoqué par la parole des pasteurs chez les fidèles arrivés dans la cour du temple pour choisir les animaux destinés à leurs sacrifices ? Qui aurait pu se scandaliser à la vue de leur joyeux enthousiasme, quand ils redisaient aux hommes pieux l’accomplissement prochain de tous les types du culte, en leur rappelant ce qu’ils avaient eux-mêmes vu et entendu dans cette merveilleuse nuit ? Avec quelle anxiété, avec quelle curiosité sainte, les foules ne devaient-elles pas se rassembler autour d’eux ? Ceux-ci pour discuter, ceux-là pour admirer, ou pour se moquer peut-être. De quelle joie devait tressaillir le cœur du juste et pieux vieillard Siméon, à la pensée de la prochaine réalisation des espérances et de l’exaucement des prières de toute sa vie ? On comprend bien qu’Anne la prophétesse, avancée en âge, et tous ceux qui, avec elle, attendaient la Rédemption d’Israël, devaient élever la tête, parce que le jour allait dissiper la nuit des longues attentes. Ainsi, les bergers devaient être les hérauts les plus puissants du Messie dans le temple, aussi bien que Siméon et Anne, préparés à accueillir le Sauveur enfant lorsqu’il serait présenté dans le sanctuaire de Jéhovah.
Il nous semble qu’un autre passage trouverait une explication plus complète que celles qu’on lui a jusqu’ici données, si l’on admettait que ces hommes humbles gardaient les troupeaux du temple. Nous lisons dans Luc 2.20, que « les bergers s’en retournèrent glorifiant et louant Dieu ». Le sens de ces paroles, dans le contexte, nous semble difficile à saisir jusqu’à ce que nous nous représentions les choses de la manière suivante. Après avoir conduit les animaux confiés à leurs soins dans la cour du temple de Jérusalem, ils retournèrent dans leur demeure, et portèrent, avec eux, les nouvelles du grand salut accordé au monde. Comment les auraient-ils renfermées dans leur sein ? Elles débordaient de leur âme joyeuse et reconnaissante.
[Comparez ici les versets 17 et 18 qui, au point de vue du temps, précèdent le verset 20 : « Après l’avoir vu, ils divulguèrent ce qui leur avait été dit touchant ce petit enfant, et tous ceux qui les entendirent furent étonnés de ce que les bergers disaient. » Il nous paraît qu’on ne rend pas complètement le sens du terme διαγνωρίζω traduit dans la version anglaise par ces mots : « ils firent connaître au loin » et par Wahl « ultro-citro-que narro », en n’y voyant que l’idée d’une conversation avec les Israélites qui étaient dans l’étable, ou avec ceux qu’ils pouvaient rencontrer dans les champs.]
Nous ne voulons pas ici entamer une discussion inutile. Mais ne peut-on pas affirmer que le passage de la Mishnah, dont nous avons cité la plus grande partie, détruit l’objection qui a été souvent faite contre la date traditionnelle de la naissance du Seigneur ? Cette objection reposait sur le fait supposé que les pluies de décembre, en Palestine, devaient empêcher que l’on ne gardât les troupeaux toute la nuit dans les champs. Or, il importe de ne pas perdre de vue que ces troupeaux se dirigeaient vers Jérusalem, et ne paissaient pas d’une manière régulière à la belle étoile, pendant cette saison rigoureuse. En outre, le passage de la Mishnah se rapporte à des troupeaux qui séjournent ainsi en plein air trente jours avant la Pâques, c’est-à-dire dans le mois de février. Chose significative, cette époque est celle où la moyenne de la pluie est plus forte que dans toutes les autres parties de l’annéej.
j – La moyenne de la pluie à Jérusalem pendant 8 ans s’est élevée à 14 pouces en décembre, 13 en janvier, et 16 en février. (Barclay. City of the great King p. 428.) Cp. Hamburger, u. s. passim.
« Dieu a accordé au monde », disent les Rabbins, « dix mesures de beauté et neuf d’entre elles ont été attribuées à Jérusalem. » — « C’est la ville, ajoutent-ils, dont la renommée se répand d’un bout du monde à l’autre bout. » « A Toi, Seigneur, est la grandeur, le pouvoir, la gloire et l’éternité. » Ceci, dit le Talmud, dans ses explications, se rapporte à Jérusalem. Par opposition à Alexandrie, qui s’appelait la petite, la ville de David était désignée comme la grande. Le nom de cité éternelle, qui fut donné à Rome, ne s’offre-t-il pas à notre souvenir lorsque nous entendons les Rabbins nous parler de Jérusalem comme de la maison éternelle. Si un proverbe disait que « tous les chemins conduisent à Rome », un dicton Juif enseignait aussi que « toutes les monnaies venaient de Jérusalem ». Ce n’est pas ici le lieu de décrire l’aspect et la beauté de cette ville. On sent d’entrée qu’un thème semblable doit se prêter à des exagérations manifestes de la part des Rabbins. Nous serions portés à croire, d’après certains indices, qu’ils n’attendaient pas que leurs déclarations fussent prises au pied de la lettre. Ainsi, quand ils nous apprennent que le nombre des synagogues s’élevait à 460 ou 480, on nous explique que ce dernier nombre est l’équivalent numérique du mot « plein » (« La cité fidèle était remplie d’équité ») dans Ésaïe 1.21.
Ce qui est plus important c’est de savoir que le Talmud fait une mention expresse de « la synagogue des Alexandrins » dont nous parlent les Actes (Actes 6.9). Nouvelle confirmation importante de l’exactitude du récit de saint Luc. Les détails qu’on nous donne sur l’hospitalité des habitants de la ville de David ne doivent pas être fort exagérés, car elle était considérée comme n’appartenant à aucune tribu en particulier. On la regardait comme le commun foyer de tous les enfants d’Abraham. Ses maisons ne pouvaient être louées, elles s’ouvraient librement à tous les frères. Aucun des voyageurs qui, par milliers, remplissaient la cité à l’époque des fêtes ne devait manquer d’un logement. On suspendait devant les habitations un rideau pour faire entendre qu’il y avait encore de la place pour un hôte. Une table placée devant la façade montrait qu’on le recevrait à la table de la famille. S’il était impossible, dans l’enceinte des murailles mêmes de Jérusalem, de recevoir la multitude immense des pèlerins qui y affluaient alors, il n’y a nul doute que pour ces soins sacrés, Béthanie et Bethphagé ne fussent considérées comme situées dans l’enceinte de la cité de Dieu.
La mention de Béthanie et de Bethphagé, dans ces documents Juifs, éveille en nous un sentiment tout particulier. Elles étaient spécialement renommées pour leur hospitalité à l’égard des pèlerins israélites. Qui n’évoque aussitôt le souvenir sacré du séjour de Jésus-Christ dans la famille de Béthanie ? Qui ne se rappelle sa dernière station dans la demeure hospitalière de Lazare, et sa royale entrée à Jérusalem ?
En réalité, on prenait tous les moyens pour faire de celle-ci une ville de délices. Sa police, ses règlements de salubrité étaient plus parfaits que dans aucune de nos modernes cités. Les règles observées étaient telles, que les pèlerins pouvaient librement appliquer leur cœur et leur esprit aux méditations augustes qui les appelaient dans ce lieu. Si « les habitants de la ville », comme on les désignait, avaient la réputation d’être quelque peu orgueilleux et hautains, on doit avouer qu’ils en avaient bien quelque motif. Etait-il possible de regarder comme chose d’importance secondaire d’être citoyen de Jérushalaimah, ainsi que les Jérusalémites aimaient à écrire le nom de la grande cité. Par les relations permanentes avec des étrangers, ils acquéraient une connaissance assez étendue des hommes et du monde. La vivacité, la gentillesse de tous les jeunes gens formaient un sujet incessant d’admiration pour leurs parents de la campagne, plus timides ou plus arriérés. Il y avait aussi dans leur maintien nous ne savons quelle dignité, un certain luxe dans leurs vêtements, dans leurs manières une délicatesse, un tact et une bienveillance, qui se trahissaient dans toutes leurs actions. Au milieu d’un peuple dont l’esprit et l’habileté étaient chose proverbiale, ce n’était pas un petit éloge que d’être renommé pour ces qualités mêmes. Jérusalem était, en un mot, la ville idéale pour le Juif, quel que fût le pays où l’exil l’eût jeté. Les personnes opulentes prodiguaient leur argent pour entretenir les Académies Juives, contribuer à l’avancement de la piété ou soutenir la cause nationale. Ainsi l’un d’entre eux, observant que le prix des sacrifices y était extrêmement élevé se sentait-il poussé à faire conduire dans les cours du temple, à ses propres frais, tous les animaux nécessaires pour les holocaustes, afin que les pauvres pussent présenter à Jéhovah les offrandes requises. Dans une autre circonstance, pendant le temps de la lutte avec Rome, il faisait la proposition de fournir à la ville les provisions indispensables pendant vingt et un mois. Les rues de Jérusalem étaient remplies d’hommes venus des pays les plus éloignés, et parlant toutes les variétés de langues et de dialectes que l’on pouvait concevoir. Juifs et Grecs, soldats romains et paysans Galiléens, Pharisiens, Sadducéens, Esséniens revêtus de leur blanche robe, marchands affairés, élèves absorbés dans les études de la théologie la plus abstruse, composaient une foule étrange, mêlée dans les rues étroites de la ville des palais. Mais au-dessus de tous les édifices, le temple dominant la cité, semblait étendre sur elle son ombre sacrée, et la gloire qui s’attachait à ce, lieu vénéré. Chaque matin les trois appels de la trompette des prêtres éveillaient les habitants et les invitaient à la prière ; chaque soir, le même appel des instruments sacrés terminait le jour. C’était comme une voix du ciel qui invitait au repos la foule fatiguée. De quelque côté que se portât le regard, on avait devant les yeux les saints édifices tantôt couverts de la fumée des sacrifices, planant au-dessus des parvis, tantôt enveloppés du silence solennel qui semblait être descendu du ciel sur les portiques de la maison de Jéhovah. Le sanctuaire auguste imprimait à Jérusalem un caractère tout particulier, et décidait de la destinée de la ville. On trouve même dans le Talmud un passage remarquable, si l’on se souvient que le temps auquel il se rapporte était probablement l’année même dans laquelle le Seigneur mourut sur la croix. Il semble confirmer involontairement les récits des Évangiles. « Quarante ans avant la destruction du temple, ses portes s’ouvrirent d’elles-mêmes. Iochanank le fils de Saccaï les repoussa en disant : O temple, pourquoi t’ouvres-tu de ton propre mouvement ? Ah ! je vois que la fin est proche ; car il est écrit (Zacharie 11.1) : « Liban ouvre tes portes, et que le feu dévore tes cèdres ! (Yoma 39. b) » « Et voici, le voile du temple se déchira en deux, depuis le haut jusqu’en bas. » Que le nom du Seigneur soit béni, non seulement pour avoir annoncé le jugement prochain qui allait frapper la cité infidèle, mais pour avoir désormais ouvert à tous les croyants de la nouvelle économie le chemin qui les conduit dans l’intérieur du Saint des Saints !
k – Caspari suppose que c’était le même que le grand-prêtre Anne, le mot ayant seulement comme préfixe la syllabe qui indique le nom de Jéhovah.
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