Le vrai Dieu est à la fois le Dieu des savants et le Dieu des simples. C’est pourquoi les grandes vérités de la foi ont toutes deux abords, l’un théologique, l’autre populaire : le premier, qui invite l’esprit éclairé et réfléchi, par des preuves convaincantes et irréfutables ; le second, qui fait appel au bon sens, j’allais dire aux yeux, par des faits patents et irrésistibles. Heureux qui saura venir au Seigneur, soit par l’un, soit par l’autre de ces deux chemins ! Plus heureux qui pourra venir indistinctement par l’un et par l’autre !
Jésus de Nazareth se lève au sein de sa génération, et dit à l’Israël croyant qui attendait son Messie : « C’est moi (Jean 8.24). » Pour s’assurer s’il dit vrai, deux voies sont ouvertes. On peut peser les témoignages de la prophétie réalisée par son histoire (Jean 1.45 ; Luc 24.27) ; mais on peut aussi prendre un moyen plus simple et plus court : « Croyez-moi à cause de ces œuvres que je fais (Jean 14.11). » Il ne faut qu’approcher de sa personne, voir ses miracles, contempler sa sainteté, entendre ses discours, pour reconnaître qu’il y a en lui plus qu’un homme. Le premier argument persuade le lecteur assidu de l’Ancien Testament (Actes 17.11) ; le second saute aux yeux des messagers même du Sanhédrin : « Jamais homme n’a parlé comme cet homme. (Jean 7.46) »
Il en va de même pour l’inspiration des Écritures, tant débattue aujourd’hui — hélas ! et qu’y a-t-il de si ferme qui ne soit remis en question dans ces jours d’ébranlement universel ? Il y a deux manières d’établir cette inspiration, et au besoin de la défendre. On peut démontrer, en principe, que la révélation manquerait, sans l’inspiration, d’une garantie nécessaire ; en fait, que cette garantie lui est assurée par les promesses de Jésus-Christ, en même temps que par les affirmations des auteurs sacrés. Mais on peut aussi aller droit au livre, l’ouvrir, l’examiner en lui-même, le comparer aux écrits des hommes, en un mot le voir et l’entendre, et reconnaître à l’aspect qu’il offre et à l’impression qu’il produit, que jamais livre n’a parlé comme ce livre.
C’est par ce côté d’instinct et d’expérience que saint Paul fait apprécier l’inspiration à Timothée, lorsqu’il lui écrit : « Toute l’Écriture (ou bien, ce qui ne change rien au fond de la pensée, toute Écriture, c’est-à-dire toute déclaration des Écritures) est divinement inspirée, et utile pour enseigner, pour convaincre, pour corriger et pour instruire selon la justice ; afin que l’homme de Dieu soit accompli, et parfaitement instruit pour toute bonne œuvre. » Il commence par affirmer que « l’Écriture est divinement inspirée ; » ce qui suppose que les auteurs de ce qu’il appelle « les saintes lettres » ont joui d’un secours spécial et surnaturel, dont l’influence s’est étendue de leurs personnes à leurs écrits, de telle sorte que nous devons recevoir ces écrits comme venant de Dieu, tout composés qu’ils sont par des hommes. L’assertion de l’Apôtre ne saurait signifier moins que cela, et cette assertion devrait nous suffire. Toutefois, je ne m’arrête point là-dessus, comme il ne s’y arrête point lui-même ; et je passe avec lui à la suite de mon texte, qui nous fait clairement connaître où il en veut venir : « Et utile pour enseigner, pour convaincre, pour corriger et pour instruire selon la justice ; afin que l’homme de Dieu soit accompli, et parfaitement instruit pour toute bonne œuvre. » Inspirée et utile, voilà le rapport que saint Paul recommande à l’attention de Timothée, et à la nôtre. L’Écriture est inspirée pour qu’elle soit utile ; elle est utile parce qu’elle est inspirée ; inspiration et utilité, utilité pratique, utilité de salut et de sanctification, ce sont deux choses inséparables. Cette utilité, fruit de cette inspiration, peut au besoin lui servir de gage, si elle atteint à une mesure où nul autre livre ne saurait prétendre : et telle est bien la pensée de l’Apôtre ; suivons-la. Voyons l’Écriture faisant au monde un bien immense dont aucun livre humain ne peut se vanter ; et quand nous l’aurons trouvée aussi nécessaire à la vie de notre âme que le pain l’est à celle de notre corps, nous ne nous tourmenterons pas des débats de la science, parce qu’ils se livrent dans une région supérieure selon l’homme, inférieure selon Dieu, étrangère, dans tous les cas, à celle où notre foi est assise.
Mon texte ne s’applique directement qu’aux Écritures de l’Ancien Testament, les seules vraisemblablement qui fussent recueillies quand notre Épître a été écrite, les seules tout au moins où Timothée enfant avait pu puiser. Je devrais donc me restreindre à l’Ancien Testament, si je voulais presser théologiquement les expressions de l’Apôtre. Mais, d’une part, le point capital est de prouver l’existence d’une inspiration divine, et qui l’aura admise pour l’Ancien Testament sera facilement amené à l’admettre également pour le Nouveau, sauf à l’y trouver modifiée selon le besoin des temps, et revêtant, sous l’économie de l’esprit, un caractère plus spirituel. D’autre part, et surtout, le genre de preuve que je vais développer s’applique aussi bien pour le moins au Nouveau Testament qu’à l’Ancien. Si l’Apôtre n’a pas dit que le Nouveau Testament est divinement inspiré, je le dis, et vous l’allez voir tout à l’heure. Passez-moi la hardiesse de ce langage : c’est qu’au point de vue pratique où il se place, et où je me place avec lui, la question est si simple qu’un enfant chrétien la peut résoudre comme un apôtre, et tout ensemble si étendue, qu’elle embrasse le champ tout entier des Écritures tout entières.
Ne craignez pas que je vous engage dans les recherches abstruses de critique sacrée qu’on a coutume de rattacher à la question de l’inspiration des Écritures : l’interprétation des originaux, l’intégrité des textes, l’authenticité des livres. Rien de tout cela ne saurait être négligé, quand on se livre à l’étude théologique du dogme de l’inspiration ; mais n’en considérant aujourd’hui que le côté pratique, je puis, grâces à Dieu, me tenir en dehors de ces discussions scientifiques, qui ne sauraient convenir à la chaire chrétienne. Il me suffit de prendre l’Écriture sur le fait, telle qu’elle est, prise dans son ensemble et dans son esprit. L’interprétation des originaux ? Il n’y a pas d’original au monde qui ait été interprété avec autant de soin que l’a été celui des Écritures : toutefois, les traducteurs sont des hommes ; c’est assez pour que leurs versions soient faillibles, et en quelques points divergentes. Mais je n’ai besoin que de ce fond commun sur lequel elles s’accordent toutes : prenez celle que vous voudrez, Martin, Ostervald, Genève, Sacy, peu importe à l’objet que je me propose. L’intégrité des textes ? Il n’y a pas de texte au monde dont l’intégrité ait été aussi protégée que l’a été celle des Écritures : toutefois, les copistes sont des hommes ; c’est assez pour que de légères erreurs aient pu se glisser dans leurs copies en dépit de toutes les précautions. Mais je n’ai besoin que de ce texte principal et immuable, dont personne ne doute : prenez Mill, Griesbach, Scholz, Lachmann, peu importe à l’objet que je me propose. L’authenticité même des livres ? Il n’y a pas de livres au monde dont l’authenticité soit mieux établie que l’est celle des livres formant la charpente des Écritures, notamment du Nouveau Testament : toutefois, les historiens sont des hommes ; c’en est assez pour qu’il soit permis de balancer entre les témoignages qui diffèrent sur l’auteur de tel ou tel livre ; de l’Épître aux Hébreux, par exemple, que ceux-ci attribuent à saint Paul, ceux-là à un disciple dont saint Paul a dirigé le travail. Mais je n’ai besoin que du livre même, sans me préoccuper du nom de son auteur : qu’il soit signé Paul, Apollos, Barnabas, peu importe encore à l’objet que je me propose, pourvu qu’il soit signé du Saint-Esprit à chaque page par le fruit divin qu’en recueille le lecteur. En deux mots, c’est le privilège de l’examen auquel je vous invite, qu’il fait appel, non aux débats interminables des savants, mais à l’instinct des simples, et à des signes populaires qui frappent tous les regards.
Quand Jean-Baptiste, un moment troublé par l’épreuve, envoie deux de ses disciples adresser à Jésus cette question : « Es-tu celui qui devait venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » que fait Jésus ? « En cette heure-là, il guérit plusieurs personnes de maladies et de fléaux, et des malins esprits ; et il donna la vue à plusieurs aveugles. Ensuite Jésus leur répondit et leur dit : Allez, et rapportez à Jean ce que vous avez vu et ouï, que les aveugles recouvrent la vue, que les boiteux marchent, que les lépreux sont nettoyés, que les sourds entendent, que les morts ressuscitent et que l’Évangile est prêché aux pauvres. Mais bienheureux est quiconque n’aura point été scandalisé à cause de moi. (Luc 7.21-23) » Si quelqu’un de mes auditeurs me demandait à son tour : L’Écriture est-elle le livre de Dieu, ou devons-nous en chercher un autre ? je ne lui ferais pas d’autre réponse que les prodiges de miséricorde et de puissance qu’elle accomplit tous les jours sous les yeux de tous.
Je ne m’arrête pas sur le bien général que l’Écriture a fait à l’humanité ; et pourtant il est immense. Je pourrais vous entretenir durant une vie entière de tous les services que la Bible a rendus au monde, pour la religion, pour les mœurs, pour les institutions sociales, pour la liberté civile et religieuse, pour l’affranchissement des esclaves, pour l’émancipation de la femme et la vie domestique, pour la bienfaisance publique et particulière, pour le progrès des lettres et des sciences, etc. Savez-vous où j’ai pris les traits de cette longue énumération ? Je les emprunte aux têtes de chapitres d’un bel ouvrage de l’Américain Spring, ainsi intitulé : La Dette du monde envers la BibleqnnObligations of the world to the Bible, a series of lectures to young men, by Gardiner Spring. New-Yorkµ). Mais, ne voulant pas entrer dans des considérations trop étendues, ni dans des recherches étrangères à beaucoup de mes auditeurs, j’en veux appeler à un ordre d’idées plus intime et plus personnel : je ne parle que du bien que la Bible vous a fait à vous-même. Je suppose que vous la lisez : si vous ne la lisiez pas, vous auriez à vérifier mes observations sur d’autres qui la lisent à côté de vous. L’argument en serait affaibli, sans être effacé. Rendons-nous compte d’abord du caractère moral des Écritures, de leur esprit. Car il en est des livres comme des hommes : l’influence qu’ils exercent dépend moins des facultés qu’ils déploient, ou de la méthode qu’ils suivent, que de l’esprit qui les anime, cet esprit opérant tout autour d’eux par je ne sais quelle action sympathique dont aucune autre n’égale la puissance. L’esprit propre et distinctif des Écritures, c’est un esprit de sainteté, j’allais dire de sainteté personnelle ; aussi bien, en prêtant à l’Écriture un sentiment religieux, je n’userais pas d’un langage plus étrange que fait saint Paul en lui prêtant la prévision de l’avenir (Galates 3.8). Recueillez ce que j’appellerai vos impressions bibliques : quel est le livre, entre tous, qui vous présente toujours Dieu sur le premier plan, Dieu en toutes choses, Dieu seule fin de l’homme et son souverain bien ? C’est l’Écriture, soit qu’elle le nomme à chaque page, comme elle a coutume de faire, soit que, comme dans le livre d’Esther, elle le montre partout sans avoir besoin de prononcer son nom. Seule entre tous les livres, l’Écriture est toujours également jalouse pour Dieu, et ne l’est jamais que pour lui : elle ne cherche, elle ne veut, elle ne respire autre chose que l’amour de Dieu, l’honneur de Dieu, les intérêts de Dieu. Rien d’humain n’embarrasse jamais la liberté de ses allures à cet endroit : ni gloire humaine, ni sagesse humaine, ni délicatesse humaine, ni même sensibilité humaine ; dernier trait d’autant plus significatif, que ceux qui tiennent la plume sont parmi les plus charitables des hommes, quelques-uns parmi les plus doux et les plus tendres (Nombres 12.3). Soigneux de n’intercepter jamais la vue de Dieu, l’homme, dans l’Écriture, prend autant de peine pour s’effacer qu’il en prend ailleurs pour paraître. Ce mot naïf et profond où se révèle toute l’âme de Jean-Baptiste : « Il faut qu’il croisse, et que je diminue (Jean 3.30), » pourrait servir également de devise pour les écrivains nombreux qui ont concouru à la composition des Écritures, sans exception d’un seul. L’auteur sacré, quel qu’il soit, tout absorbé en celui au nom duquel il parle, ne s’occupe pas plus de lui-même que s’il s’agissait d’un autre : il écrit, comme Jésus-Christ a vécu, tout en Dieu. Suivez cette remarque : vous la trouverez partout applicable, pour la sainteté des pensées, pour la simplicité du langage, pour la majesté des sentiments ; et c’est elle qui vous donnera la clef de certaines choses qui vous ont paru jusqu’ici impossibles à pénétrer.
Vous vous étonnez, vous vous scandalisez peut-être, en lisant des expressions de vengeance et de malédiction dans les Psaumes, ou dans les Prophètes ; et vous vous en prenez à l’Esprit de l’Ancien Testament encore enveloppé dans les sévérités de la loi, ou dans les aveuglements même de la chair, oubliant que de telles expressions se rencontrent également sous la plume des apôtres (Apocalypse ch. 18) et jusque dans la bouche de Jésus-Christ parlant par l’Esprit de prophétie (Psaumes 109, etc). C’est que vous n’avez pas fait attention à cette règle d’interprétation donnée par un apôtre : « Sachant premièrement ceci, que nulle prophétie n’est d’une interprétation particulière ; car la prophétie n’a point été apportée autrefois par la volonté humaine, mais les saints hommes de Dieu, étant poussés par le Saint-Esprit, ont parlé (2 Pierre 1.20-21). » Ce n’est donc pas la colère personnelle et passionnée d’un David ou d’un Jérémie qui se fait jour dans ces pages mystérieuses : c’est la colère plus juste, plus calme, et tout ensemble plus redoutable, d’un Dieu saint, dont l’écrivain sacré n’épouse les jugements qu’à force de confondre sa propre cause avec la cause de ce Dieu vengeur, à moins que vous ne préfériez dire que ce Dieu vengeur, pour une raison semblable, épouse les inimitiés de son fidèle serviteur. Vous admirez les descriptions sublimes de Moïse, de Job, d’Ésaïe, et leurs grandes images pour lesquelles l’univers semble trop étroit, et vous avez raison, car aucun orateur, aucun poète, dans aucune langue, n’a rien de comparable. Mais vous n’avez peut-être pas observé que la sublimité de ces descriptions et la grandeur de ces images est égalée par leur naturel, et que le plus hardi de tous les livres est en même temps le plus simple. Prenez dans Moïse, dans Job, dans Ésaïe, les traits les plus vifs, les plus saisissants, je dirais, si je parlais de tout autre livre, les plus originaux ; étudiez-les, analysez-les : vous n’y découvrirez jamais la moindre trace de cette recherche, la moindre teinte de cette affectation, qui dépare toujours par quelque endroit les écrits et les discours de l’homme, et dont l’esprit le plus humble, ni le goût le plus sûr, ne suffit jamais à le préserver complètement. Pourquoi cette différence ? C’est que l’Écriture seule, toute seule au monde, est exempte de cet inévitable moi, qui s’attache impitoyablement à l’orateur et à l’écrivain, et ne l’abandonne pas plus que son ombre : cette ombre, l’Écriture ne la connaît pas, sans doute parce qu’elle se meut dans la pleine et pure lumière du soleil. En vous parlant de la sorte, je m’anime, je m’échauffe, je vous parais ardent, exalté peut-être ; puis, tout à l’heure, si je m’applique à contenir mes esprits émus, je risquerai de vous paraître froid ou languissant. Que dis-je, paraître ? Je serai en effet tour à tour ardent et froid, exalté et languissant, selon les fluctuations de mon esprit mobile, ou de mon cœur plus mobile encore : telle est l’infirmité humaine. Eh bien ! ce va-et-vient de sentiment, ces alternatives capricieuses de haut et de bas, l’Écriture ne les éprouve point. Toujours maîtresse de soi, toujours semblable à elle-même, également exempte de ces extrémités contraires, et, si elle semble parfois passer de l’une à l’autre, réglant jusqu’à ces transitions par son même esprit de sainteté (2 Corinthiens 5.13), elle répand sur tout ce qu’elle touche je ne sais quelle ferveur tranquille, où l’on sent battre, en pulsations majestueusement uniformes, un cœur vivant, mais qui vit au sein de la sérénité céleste : qui ne reconnaît à ces caractères le cœur du « Dieu de paix ? » Non : il n’y a ni génie, ni travail, ni piété même, qui puisse rendre raison de tels phénomènes : il n’appartient qu’à Dieu de se placer si complètement, si constamment, au point de vue de Dieu ; et vous n’avez jamais lu les Écritures dans un esprit de candeur et d’attention, ou plus d’une fois en les lisant, frappé de cet accent inimitable qui n’a pu être emprunté à la terre, vous vous êtes dit à vous-même : « Certainement l’Éternel est ici, et je n’en savais rien (Genèse 28.16) ! » Un pas de plus dans cet ordre de réflexions, et vous direz avec saint Paul, sans études ni recherches profondes, sans autre lumière que celle de l’expérience et de l’instinct personnel : certainement « toute l’Écriture est divinement inspirée. »
C’est pour cela qu’elle « est utile. » Le premier secret de la vertu singulière que lui attribue l’Apôtre, est dans cette sainteté exceptionnelle que nous venons de lui reconnaître nous-mêmes. L’Écriture, ayant le cachet de Dieu empreint sur toutes ses pages, et transportant son lecteur en présence et dans la communion de Dieu, met à la disposition de l’enfant de Dieu toutes les ressources de Dieu pour l’œuvre de Dieu. Par où pourrait-elle mieux mériter le nom d’utile dont l’Apôtre la nomme, et qui en dit plus, dans sa tranquille simplicité, que toutes les épithètes plus vives que nous lui aurions données à sa place ? Pesez bien chacun des termes dont il se sert pour expliquer sa pensée : « Tu connais, depuis ta tendre enfance, les saintes lettres, qui te peuvent rendre sage à salut, par la foi qui est en Jésus-Christ. » Il commence par énoncer en deux mots l’utilité des Écritures, et le principe d’où elle dépend : elles peuvent rendre sage à salut, voilà leur utilité ; et en voici le principe : c’est qu’elles sont les saintes lettres ; il y a d’autres livres saints dans le monde, mais celui-ci est le livre saint entre les saints, par où il devait mériter d’être appelé plus tard la Bible, c’est-à-dire le livre, comme Jésus-Christ a été appelé l’homme (Jean 19.25).
Cela dit, l’Apôtre reprend chacune de ces deux pensées pour la développer et la justifier. Si les Écritures sont les saintes lettres, c’est que « toute écriture est divinement inspirée ; » c’est ici un livre à part, donné de Dieu aux hommes pour leur enseigner la voie du salut au nom et avec l’autorité de Dieu, et dont la rédaction a été tellement dirigée et garantie par l’Esprit de Dieu, que nous en pouvons recevoir les déclarations comme de la bouche de Dieu lui-même. Si ces mêmes Écritures peuvent rendre sage à salut, c’est que « toute écriture est utile pour enseigner, pour convaincre, pour corriger et pour instruire selon la justice ; afin que l’homme de Dieu soit accompli, et parfaitement instruit pour toute bonne œuvre. » S’agit-il de poser le fondement de la vérité divine, sur lequel tout l’édifice de la foi doit s’élever ? L’Écriture est utile pour enseigner : l’étude et la méditation de ses pages est le meilleur cours, soit de religion, soit de théologie. S’agit-il de fermer la bouche à ceux qui contredisent à cette vérité salutaire ? L’Écriture est utile pour convaincre : un seul « il est écrit » a plus de poids que tous les arguments de la philosophie et que tous les mouvements de l’éloquence. S’agit-il de ramener à la voie de l’obéissance l’enfant de Dieu qui s’est détourné ? L’Écriture est utile pour corriger : il y a dans ses exhortations, dans ses avertissements, dans ses reproches, une sainteté divine et tout ensemble une onction paternelle, à laquelle rien ne peut résister. S’agit-il enfin de toute cette éducation d’en haut, qui fait parvenir par degrés l’enfant de Dieu « à la mesure de la parfaite stature de Christ ? » L’Écriture est utile pour instruire (littéralement, pour élever) dans la justice : le croyant trouve en elle toutes les ressources et tous les secours nécessaires pour le former à toute bonne œuvre, quelle qu’elle puisse être, et pour faire de lui un homme parfait, « accompli, auquel rien ne manque (Jacques 1.4). » L’Écriture est tout cela pour Timothée, soit que, comme chrétien, il se l’applique à lui-même, soit que, comme évangéliste (2 Timothée 4.5), il l’applique aux autres ; et peut-être est-ce plus spécialement dans ce dernier sens qu’il faut entendre les paroles de mon texte. Elle est tout cela pour Timothée ; et elle l’est également pour tous les ministres de l’Évangile, pour tous les disciples de Jésus-Christ. Chose admirable ! ils ont beau être divers de tempérament, de position, de temps, de lieu, de tout : ils n’en refont pas moins l’expérience de Paul et de Timothée ; ils n’en trouvent pas moins dans cette même Écriture, trésor commun de toute la famille, une vertu salutaire qu’aucun autre livre ne leur offrit jamais. Un des traits les plus visibles de la supériorité des œuvres de Dieu sur celles de l’homme, dans la nature comme dans la grâce, c’est la variété des usages auxquels un même objet répond : où ce cachet de divinité est-il plus profondément empreint que sur l’Écriture ? J’en appelle à l’expérience personnelle de tous ceux qui m’écoutent ; j’y en appellerais avec la même assurance en quelque contrée et en quelque siècle que je parlasse : quel besoin spirituel pourriez-vous nommer auquel l’Écriture ne pourvoie pas ?
Vous avez « faim et soif de la justice. » Saintement jaloux de répondre à l’amour de Dieu par votre reconnaissance, et au sacrifice de son Fils par votre dévouement, vous souhaitez de discerner la volonté de votre Père céleste, de connaître les œuvres, les sentiments qu’il approuve, de pénétrer jusqu’à l’esprit et à la moelle de l’obéissance qui est selon Jésus-Christ » Eh bien ! après toutes les choses admirables qui ont été dites sur la vocation de l’enfant de Dieu, où trouverez-vous, pour vous diriger dans cette étude de vie chrétienne, extérieure et intérieure, et pour vous prémunir à la fois contre le péril des méprises, contre l’entraînement des exemples, contre la fausse vertu du monde, contre les séductions du cœur naturel, des pages, je ne dis pas égales, mais seulement comparables, aux derniers chapitres des Épîtres de saint Paul aux Romains, ou aux Éphésiens, ou bien au sermon de la montagne, qu’en dites-vous, au sermon de la montagne : ce nom seul ne rappelle-t-il pas tout ce qui se peut concevoir d’obéissance dans l’action et de pureté dans les motifs, de fidélité dans la vie et de piété dans le cœur, de saint dans ce qui est saint ? — Vous avez eu le malheur d’offenser Dieu. Repris par sa Parole, troublé par votre conscience, poursuivi par la vue de votre péché, vous soulevez à grand’peine le fardeau qui vous accable, tâchant à ressaisir la paix de Dieu, la faveur de son regard et le pardon de son cœur paternel. Eh bien ! vers quelle source de grâce se tournent instinctivement vos pensées, vos souvenirs, vos yeux, vos mains ? Où trouveriez-vous jamais des sentiments plus sympathiques que ceux du Psaumes 130.1-2 : « O Éternel, je t’invoque des lieux profonds. Seigneur, écoute ma voix ! que tes oreilles soient attentives à la voix de mes supplications ? » où, des avertissements plus encourageants que ceux du Psaumes 32 : « Dès que j’ai dit : Je ferai confession de mes transgressions à l’Éternel, tu as ôté la peine de mon péché ? » où, des promesses plus rassurantes que celles d’Ésaïe 1.18 : « Quand vos péchés seraient comme le cramoisi, ils seront blanchis comme la neige ; et quand « ils seraient rouges comme le vermillon, ils seront blanchis comme la laine ? » où, des exemples plus consolants que ceux de David et de sa pénitence, de Pierre et de son relèvement ? — Vous souffrez. C’est l’heure du désert, ou de Gethsémané, ou de Golgotha. Prêt à plier sous le poids, ce cri revient incessamment sur vos lèvres : « Que cette coupe passe loin de moi ! » vous souhaitez d’y pouvoir ajouter cette prière : « Toutefois, non pas comme je veux, mais comme tu veux ! » Eh bien ! pour vous faire accepter cette coupe amère avec soumission, avec amour, avec adoration, avec actions de grâces, connaissez-vous mieux, j’allais dire connaissez-vous autre chose, que cette doctrine de la croix et de la discipline paternelle dont l’Écriture est toute remplie ? Ou, pour faire un choix comme au hasard dans ce musée des consolations divines, connaissez-vous mieux, connaissez-vous autre chose que ce commencement du douzième chapitre aux Hébreux, qui nous ferait presque regretter l’épreuve si elle venait à nous manquer : « Le Seigneur châtie celui qu’il aime, et il fouette tout enfant qu’il avoue. Si vous endurez le châtiment, Dieu se présente à vous comme à ses enfants ; car, qui est l’enfant que le père ne châtie point. Mais, si vous êtes sans discipline, de laquelle tous participent, vous êtes donc des enfants supposés, et non pas légitimes… Dieu nous châtie pour notre profit, afin que nous soyons participants de sa sainteté ? » Et que dire de ce correctif si naïf, si délicat, si tendre, que le cœur humain de l’Apôtre le presse d’ajouter : « Il est vrai que tout châtiment semble d’abord un sujet de tristesse et non pas de joie ; mais il produit ensuite un fruit paisible de justice à ceux qui sont exercés par ce moyen (Hébreux 12.6-11) ? »
Vous priez. Vous souhaitez de mettre dans votre prière cette sincérité, cette humilité, cette ferveur, cette persévérance, cette foi, pour tout résumer en un mot, cette foi, à laquelle Dieu a fait tant de promesses. Eh bien ! pour apprendre à prier dans cet esprit, ou, comme le dit saint Jacques, « à prier en priant (Jacques 5.17, version littérale), » au lieu de prier sans prier, comme nous le faisons la plupart du temps, où irez-vous chercher vos modèles ? Vous en trouvez d’éminents dans saint Augustin, dans A. Kempis, dans Théodore de Bèze, dans Drelincourt, dans Pascal, dans François Gonthier : vous lisez les prières de ces chrétiens d’élite, avec sympathie, avec émotion, avec fruit ; vous les relisez peut-être, une fois, deux fois, plus encore, et puis vous passez à d’autres. Mais ces prières auxquelles on revient sans fin, puisant toujours sans épuiser jamais, et trouvant plus à gagner dans une centième lecture, je devrais dire dans une centième méditation, que dans la première, vous ne les trouvez que dans l’Écriture, vous n’avez pas l’idée de les chercher ailleurs. Vous faut-il un modèle court, précis, substantiel, où vous puissiez étudier l’esprit de la prière ? Voici l’oraison dominicale, cette prière en huit lignes, que Jésus a donnée aux siens tout exprès pour « leur enseigner à prier (Luc 11.1) » et qui le leur enseigne jusque dans son ordre et ses proportions mêmes, où se mesure comme à l’œil la place à donner et la part à faire à Dieu et à sa gloire, au prochain et à nous-mêmes, à nos besoins matériels et à nos besoins spirituels, à l’adoration, à la requête, et à la confession. Vous faut-il des exemples nombreux, variés, où vous puissiez suivre la prière dans toutes ses applications diverses ? Voici les Psaumes — mais que dirai-je des Psaumes, qui ne soit bien au-dessous de ce que toutes les générations successives de l’Église ont reconnu de foi, de ferveur, d’humilité, de repentance, d’onction, de puissance, de profondeur, et tout ensemble de concision, dans les prières surannées d’un Israélite datant de onze cents ans avant l’ère chrétienne, qui donne essor aux sentiments les plus intimes de son cœur, sans se douter qu’il devient, en pleurant, en chantant ou en touchant de sa harpe, le spectacle spirituel, l’admiration et l’exemple de tous les siècles à venir.
Pour mieux sentir la vérité de ces réflexions, restreignons-en le champ. Fixez votre attention sur un seul des endroits de l’Écriture que je viens de nommer ou de rappeler : ce sera, si vous voulez, ce Psaumes 51, où David fait pénitence après son double crime. Tâchez de vous remettre en mémoire toutes les occasions diverses dans lesquelles cette page des Écritures vous a soutenu, relevé, rétabli en grâce et en paix, après quelque chute et sous la visitation paternelle. Tâchez ensuite de vous représenter tous les disciples au « cœur froissé et brisé » qui puisent à côté de vous, qui ont puisé avant vous, qui puiseront après vous, dans cette même page des Écritures, les mêmes encouragements et les mêmes secours. Tâchez enfin de calculer, d’imaginer tout le bien que cette page des Écritures a fait au monde à elle toute seule… Voyez-vous se grouper autour d’elle la famille entière des enfants de Dieu répandue sur tous les siècles et sous tous les climats, rendant témoignage tout d’une voix du fruit commun que tous ont recueilli de la confession de David, tout en y désignant peut-être chacun quelque trait favori qui lui a été en bénédiction singulière, l’un : « Purifie-moi avec l’hysope et je serai net ; » un second : « O Dieu ! crée-moi un cœur net, et renouvelle au dedans de moi un esprit bien remis ; » un troisième : « Les sacrifices de Dieu sont l’esprit froissé ; ô Dieu, tu ne méprises point le cœur froissé et brisé ; » un autre, autre chose ? Quelle page de l’Imitation, ou des Pensées d’Adam, peut se vanter de telles choses ? Mais cette page de l’Écriture n’est pas plus que ne sont les autres : mesurez donc, si vous le pouvez, mesurez cette utilité des Écritures entières qui dépasse toute mesure ; — puis, allez, si vous l’osez, allez discuter froidement si un livre aussi exceptionnel, aussi unique dans son action, n’a rien d’exceptionnel, rien d’unique aussi dans son origine : je n’ai pas besoin, quant à moi, de tant de mystère pour reconnaître, avec l’Apôtre, que « toute l’Écriture n’est si utile, » que parce qu’elle « est divinement inspirée. »
Cette utilité de l’Écriture vous deviendra plus sensible encore, en l’envisageant sous un autre aspect. On n’apprécie un bien tout ce qu’il vaut, que lorsqu’on vient à en être privé. Supposez-vous privés de l’Écriture ; et, après avoir vu tout ce que vous lui devez, essayez de vous rendre compte de ce que vous perdriez en la perdant. L’Écriture vous étant ôtée, mais tout le reste vous demeurant, où en seriez-vous ?
Je dis, tout le reste vous demeurant ; car, à la rigueur et en principe, bien des grâces pourraient vous demeurer dans cette hypothèse, et même les plus essentielles. N’outrons rien, et fuyons jusqu’à l’apparence d’une adoration idolâtre pour un livre. Je n’ai garde d’attribuer à l’Écriture ce que l’Écriture elle-même n’attribue qu’à Dieu : l’Écriture n’est pas l’objet de la foi, elle n’est que le chemin de la vérité ; elle n’est pas la lumière, elle n’en est que le témoin ; elle n’est pas l’agent de la conversion, elle n’en est que l’instrument. Ainsi, pour être sans l’Écriture, nous ne serions pas sans Jésus-Christ, ni sans Saint-Esprit, ni sans Parole de Dieu. Jésus-Christ a pu venir, le Saint-Esprit a pu être répandu, les apôtres, envoyés de Jésus-Christ et remplis du Saint-Esprit, ont pu annoncer l’Évangile au monde, sans mettre leur témoignage par écrit. Cela a pu se faire, et cela s’est fait. Durant le temps qui s’est écoulé entre l’ascension du Seigneur et la composition des premiers livres du Nouveau Testament, les apôtres ont rendu leur témoignage en parlant, non en écrivant : peu importe, pourvu que leur parole ait été gardée contre le danger d’altération, comme elle l’était suffisamment alors par leur présence vivante et leur contrôle personnel. Eh bien ! avec Jésus-Christ, avec le Saint-Esprit, avec la Parole de Dieu dans le monde, mais sans l’Écriture, où en serions-nous ?
Sans l’Écriture, la Parole de Dieu ne serait pas parvenue jusqu’à nous, et dès lors elle n’existerait pas quant à nous : avec Jésus-Christ, nous serions sans Jésus-Christ, et avec le Saint-Esprit, sans le Saint-Esprit. Il serait encore vrai, dans cette hypothèse que nous essayons de suivre, que l’Évangile, l’Évangile tout entier et tout pur, a été transmis par la parole vivante des apôtres ; mais, les apôtres étant morts avec leur génération, nous n’aurions aucun moyen de retrouver cette parole vivante, à travers dix-huit siècles d’histoire, si elle n’a pas été fixée sur les pages d’un livre, à moins que vous ne la sauviez par je ne sais quelle doctrine de tradition, plus incroyable que l’inspiration elle-même, puisqu’elle ne ferait que substituer l’inspiration d’un grand nombre à celle de quelques-uns. Il serait encore vrai que Jésus-Christ est venu, qu’il a parlé, qu’il a vécu, qu’il est mort et ressuscité, qu’il a accompli tout l’ouvrage de notre rédemption ; mais tout cela serait, quant à nous, comme s’il n’était pas, n’ayant aucun moyen de connaître ni ce que Jésus-Christ a dit, ni ce qu’il a fait, ni ce qu’il a été, puisqu’on nous aurait coupé le seul pont de communication entre lui et nous, la Parole de Dieu déposée dans l’Écriture. Il serait encore vrai que « le Saint-Esprit a été donné, » et qu’il peut convaincre « touchant le péché, touchant la justice et touchant le jugement ; » car qui oserait nier qu’il ne puisse faire tout cela sans Écriture, sans Parole de Dieu sensible d’aucune sorte ? D’accord : mais aussi, qui oserait affirmer qu’il le fasse ? Le Saint-Esprit glorifie la Parole de Dieu en agissant par elle ; et nous n’avons aucune preuve qu’il ait agi une seule fois sans elle, ni aucun lieu de croire qu’il le veuille faire jamais. Ward, ce pieux missionnaire dans les Indes, a déclaré, à la fin de sa longue carrière, n’avoir pas rencontré un seul païen qui, avant d’être mis en rapport avec la Parole de Dieu, eût eu des notions spirituelles de la vérité : cette expérience, n’en doutez pas, a été celle de tous les missionnaires, sans exception. En deux mots donc, être sans l’Écriture, ce serait être, je ne dis pas, absolument et en principe, mais en fait et quant à nous, sans Parole de Dieu, sans Jésus-Christ, sans le Saint-Esprit même, l’Écriture étant, quant à nous, le seul canal par lequel la Parole de Dieu nous arrive, la seule voix par laquelle Jésus-Christ nous soit annoncé, et le seul instrument même dont le Saint-Esprit fasse usage.
Cette réflexion devrait suffire : mais peut-être ne vous suffit-elle pas, faute de saisir du premier coup tout ce qui suivrait la suppression de l’Écriture. Elle n’est pas, après tout, pensez-vous, le seul moyen de grâce : l’Écriture ôtée, la prière, les bons livres, les saints exemples nous restent, pour nous conduire à Jésus-Christ et nous maintenir dans le chemin de la vie éternelle. Fort bien : mais en parlant de la sorte vous ne considérez pas que, sans l’Écriture, vous n’auriez aucune de ces ressources par lesquelles vous vous flattez de suppléer tant bien que mal son absence, parce qu’il n’y a ni prière, ni bon livre, ni saint exemple, ni rien enfin de bon et de vrai, qui ne vous vienne, directement ou indirectement, peu importe, de cette même Écriture. Il vous semble peut-être que j’exagère ; mais regardez-y de plus près.
Sans l’Écriture, où serait la foi de vos prières, où seraient toutes les pensées de vérité ou de piété qui montent aujourd’hui dans votre cœur ? Sondez-vous, et recueillez vos souvenirs. Si vous découvrez dans votre âme, au travers de tout le mal que vous y déplorez, quelques dispositions selon Dieu, quelque ferveur de piété, quelques sacrifices de charité, quelque amour pour vos ennemis, quelque renoncement à vous-même, quelque patience dans l’affliction, quelque force contre la tentation, cherchez bien la cause de ces sentiments chrétiens en remontant jusqu’à leur origine, et vous trouverez invariablement que l’Écriture y est pour sa large part, soit que vous les ayez appris d’elle-même, soit que vous les ayez reçus par des canaux intermédiaires, qui les avaient reçus d’elle. Effacez ces intermédiaires comme on enlève des couches superposées, et vous arriverez à un nom, ineffaçable, gravé sur le sentiment vivant du cœur aussi profondément que celui de Jésus-Christ même, dont il ne saurait être séparé : ce nom, c’est celui de l’Écriture. Aussi bien, ce terrain primitif et sacré, qui seul a pu donner naissance à vos dispositions spirituelles, est aussi le seul qui les puisse nourrir. Eh ! le secours que vous empruntiez tantôt de l’Écriture, pour l’obéissance, pour le pardon, pour l’épreuve, pour la prière, à qui le demanderiez-vous si elle n’existait pas ? Sans elle, vous en seriez réduit à vos lumières personnelles, naturelles ; triste ressource, que vous l’appeliez raison, sentiment, conscience, fût-ce même conscience religieuse : l’homme naturel n’en est pas moins l’homme naturel, « pauvre, aveugle, misérable et nu (Apocalypse 3.17). »
Sans l’Écriture, où seraient ces livres « pleins de foi et du Saint-Esprit, » dont la lecture nourrit aujourd’hui votre foi et développe votre vie spirituelle ? Cette littérature chrétienne, précieux trésor de l’Église, que chaque âge vient accroître de son pieux tribut, faites-en l’histoire, et remontez jusqu’à son origine. Informez-vous du céleste atelier où furent forgées, fourbies, trempées, « toutes ces armes de Dieu » qui répondent à tous les besoins de la sainte guerre, et dont un bon livre est le riche arsenal : vous arriverez invariablement à l’Écriture. L’Écriture, voilà l’école modèle, oserai-je dire l’école normale, où se sont formés les pieux instituteurs et docteurs de toutes les générations successives ; l’Écriture, voilà le maître commun auprès duquel ont cherché leurs inspirations les Jérôme, les Chrysostome, les Bernard, les Jean Huss, les Arndt, les Pascal, les Adam, les Jean Newton, les Vinet, les Rochat, les Chalmers ; un maître dont l’influence salutaire sur l’élève est la mesure exacte de l’influence salutaire de l’élève sur ceux qu’il instruit à son tour. Sans l’Écriture, nous en serions réduits à la littérature du siècle pour nous affranchir des tentations et des erreurs du siècle !
Sans l’Écriture, où seraient les exemples saints qui tout ensemble enflamment votre zèle et frayent votre chemin devant vous ? Étudiez la vie de ces serviteurs de Jésus-Christ, fidèles entre les fidèles, qui ont régénéré leur siècle, renouvelé le monde ou réveillé l’Église : les Augustin, les Luther, les Whitfield, les Félix Neff, les Elizabeth Fry. Demandez-leur comment ils ont atteint à cette simplicité de foi, à cette énergie de dévouement, à cette faim et soif de la justice, à cette grâce de renoncement, à cette communion avec les réalités invisibles, qui les ont rendus capables de faire de si grandes choses ; au fond de leur réponse à tous, vous trouverez encore l’Écriture : sans elle, rien de ce qu’ils ont fait n’eût été fait ; sans elle, nul d’entre eux ne fût devenu ce qu’il a été.
Rendez grâces pour les milliers qu’Augustin a gagnés par son exemple ou touchés par sa parole, et pour les dix milliers qu’il a sauvés, et qu’il sauve encore, de siècle en siècle, par la lumière de ses écrits et par la foi qu’ils respirent. Mais faites honneur, après Dieu, d’Augustin devenu Augustin, à l’Écriture qui, recommandée à sa conscience dans le jardin par cette, voix mystérieuse tolle et lege, le rappelle de son long égarement, change son cœur, sanctifie sa vie, nourrit son travail, inspire ses discours, et d’un libertin fait un apôtre. Rendez grâces pour la réforme salutaire autant qu’étendue que Luther a opérée au sein de l’Église chrétienne, et dont recueillent encore aujourd’hui les fruits, après trois siècles écoulés, tant de disciples fidèles, tant de familles pieuses, que dis-je ? des peuples entiers que l’Évangile a élevés au premier rang entre les nations. Mais faites honneur, après Dieu, de Luther devenu Luther, à l’Écriture, à ce mot d’Habacuc commenté par saint Paul : « Le juste vivra par la foi, » qui, jeté comme au hasard sur le chemin du jeune novice, dans la bibliothèque poudreuse de son couvent, l’arrête sur la pente de la justice propre, lui explique la justice de Dieu, le retire de son désespoir, l’introduit dans un monde nouveau, commence par son cœur ce que Dieu voulait accomplir par lui dans le monde, et d’un moine aveugle fait une lumière pour la chrétienté déchue. Rendez grâces pour le bel ordre qu’Elizabeth Fry établit dans la prison de Newgate, pour cette multitude de pécheresses endurcies qu’elle instruit à mourir dans la paix ou à vivre dans la grâce, pour tant de femmes de bien à qui elle révèle leur mission, et pour cette vaste réforme qui se propage de proche en proche, au bruit de ses pieux succès, dans les prisons d’Angleterre, et jusque dans celles des pays les plus lointains. Mais faites honneur, après Dieu, d’Elisabeth Fry devenue Elisabeth Fry à l’Écriture, seule défense qu’elle porte devant elle dans cet antre impur de Newgate, où d’intrépides geôliers n’osent s’aventurer sans des précautions infinies ; à l’Écriture, qui l’a affranchie elle-même de liens plus subtils, qui lui a découvert la vanité du siècle et de ses honneurs, et qui, d’une jeune et brillante héritière, a fait une humble et infatigable Dorcas. Otez l’Écriture, soit ; mais prenez garde que vous ôtez avec elle ces grandes vies qui, selon une belle expression de Vinet, « sont aussi des paroles de Dieu. » Que dirai-je encore ? Nommez-moi, si vous en savez un, nommez-moi un sentiment chrétien, nommez-moi une lecture chrétienne, nommez-moi une entreprise chrétienne, à laquelle l’Écriture n’ait été ce qu’est au fleuve qui arrose nos cités et fertilise nos champs, la source cachée sous les ombrages de la montagne, qui, de jour en jour nourrie par les pluies du ciel et par les eaux de la terre, l’entretient jour et nuit, le renouvelle d’âge en âge depuis que le monde est monde, sans lui permettre jamais ni de tarir, ni de s’arrêter, ni de ralentir seulement son cours. Source commune et féconde de tout le bien qui console encore notre pauvre terre, eh ! qui oserait douter que tu sortes du ciel ?
Après le témoignage que je viens de rendre à l’Écriture, disons mieux, au Dieu qui l’a inspirée, il semble que je ne puisse aller plus loin : et pourtant, je m’enhardirai jusqu’à l’élever plus haut encore. Sans l’Écriture, nous l’avons vu, on ne saurait expliquer ni un Augustin, ni un Luther, ni une Elizabeth Fry ; mais que serait-ce si l’on ne pouvait, sans l’Écriture, Expliquer Jésus lui-même ? Ne me répondez pas que c’est l’Esprit de Jésus qui nous a donné l’Écriture, en suscitant et en animant les apôtres et les prophètes. Je le sais bien, mais il n’en est que plus merveilleux de voir l’Écriture nous donnant Jésus à son tour, l’Écriture présidant à son éducation, l’Écriture le nourrissant dans la vie divine, l’Écriture le formant à son ministère, l’Écriture « l’instruisant en toute justice, » et « le préparant pour toute bonne œuvre, » que dis-je ? l’Écriture le fortifiant au désert contre la tentation et lui prêtant des armes pour triompher de Satan. L’Écriture citée tout simplement, sans développement ni commentaire, voilà tout ce que Jésus oppose au grand adversaire, dans cette journée mystérieuse et terrible, à l’issue de laquelle l’œuvre entière de notre rédemption était suspendue. Il est écrit, et le tentateur s’arrête ; il est écrit, et il recule ; il est écrit, et le voici qui a tourné le dos. Il est écrit, et par qui ? Par Moïse, le témoin, le messager, le serviteur, la créature de celui auquel sa parole vient en secours dans l’heure du combat et de la détresse ! Eh ! comment cela, je le demande, je le demande au ciel, je le demande à la terre, je le demande-même à l’enfer, qui sait à quoi s’en tenir là-dessus, — comment cela, si la parole de Moïse, qui est « utile » au Fils de Dieu lui-même, qui, par un côté, le domine et lui commande, est moins que ce que l’Apôtre l’appelle dans mon texte, une parole « divinement inspirée ? » Réponde autrement à cette question qui jugera le pouvoir : pour moi, l’évidence pratique, celle à laquelle je m’attache dans ce discours, cette évidence est telle en cet endroit que je ne saurais pas même la développer ni la prouver. Le soleil luisant ne se démontre pas ; il se montre. Aux yeux de mon Sauveur tenté, l’Écriture, toute écriture, a été « divinement inspirée, » et c’est par là qu’elle lui a été « utile. » Ce qu’elle a été pour lui, il faut bien qu’elle le soit pour moi, ou mon Sauveur ne serait pas mon Sauveur. Le soleil luit, Jésus est le Fils de Dieu, et « toute l’Écriture est divinement inspirée. »
Y a-t-il ici quelqu’un qui demande encore si l’Écriture est la vraie Parole de Dieu, ou « si nous devons en attendre une autre ? » Voici comment l’Écriture lui répond. Elle rassemble autour d’elle tous les malades qu’elle a guéris, les aveugles auxquels elle a ouvert les yeux, les sourds dont elle a débouché les oreilles, les possédés qu’elle a délivrés de leurs démons, les affligés dont elle a séché les pleurs, les pécheurs qu’elle a sauvés, les mauvais qu’elle a faits bons ; à cet innombrable cortège elle joint le Fils de Dieu qu’elle a rendu vainqueur au désert… Puis elle vous dit à son tour : « Allez et annoncez ce que vous avez vu et entendu : les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont nettoyés, les sourds entendent, les morts sont ressuscités, et l’Évangile est annoncé aux pauvres » — le Fils de Dieu est fortifié contre la tentation — n’a-t-elle pas le droit d’ajouter encore : « Et bienheureux est celui qui ne se scandalise point en moi ! »
Si le spectacle que Jésus avait mis sous les yeux des deux envoyés de Jean-Baptiste avait pu laisser dans leur esprit quelque doute sur ce qu’il était, un moyen leur restait pour achever de s’en éclaircir : c’était de le comparer avec le reste des hommes. En voyant de combien il s’élevait, non seulement au-dessus des plus sages d’entre les païens, mais au-dessus de ses concitoyens en possession des mêmes lumières et des mêmes ressources spirituelles que lui ; au-dessus même de ses disciples élus qui avaient vécu dès longtemps dans la communion intime de sa parole et de sa vie, comment refuser de reconnaître le Fils de Dieu à cette supériorité manifeste sur tous les enfants des hommes, sans exception des meilleurs (Jean 3.1) ? Un rapprochement analogue achèvera de nous révéler l’origine divine de l’Écriture. Il ne faut que la comparer avec les autres livres sortis de la main des hommes, et mesurer son utilité avec celle des plus utiles d’entre eux, pour reconnaître en elle, avec l’Apôtre, un livre qui n’a pu venir que de Dieu. Prenons la portion de l’Écriture que l’Apôtre a devant l’esprit en écrivant ces paroles : « Toute l’Écriture est divinement inspirée. » Comparons-la avec la littérature religieuse ou philosophique des nations païennes les plus éclairées et les mieux connues ; et pour que cette comparaison soit plus équitable et plus décisive, mettons en regard, d’un côté, et, pour ainsi dire, dans une colonne, les livres sacrés rangés dans l’ordre des temps, et dans une colonne correspondante, les livres des païens contemporains — quand il y en a. Pendant que Moïse, David, Ésaïe, Daniel, Malachie, écrivaient les pages que j’ai sous les yeux, et dont le peuple juif me transmet d’âge en âge le dépôt vénéré, les poètes et les philosophes de la Grèce, que je nomme seule pour la grande avance qu’elle a sur Rome, que faisaient-ils, et qu’écrivaient-ils ? La réponse ne demande pas de grandes études : tout élève studieux d’une bonne école primaire la ferait pour moi. Moïse, ou la Loi, date de 1,500 ans avant Jésus-Christ. La création du monde actuel et la formation du genre humain, par un Dieu personnel, vivant, voulant, pensant, parlant, et dont l’ouvrage n’a point d’égal, si ce n’est peut-être le langage dans lequel il est décrit ; la chute de notre race, et la compassion de Dieu lui préparant un Sauveur à venir, mais dont le salut est déjà présent ; les origines de l’histoire, de la famille, de la société, des gouvernements, du culte, des arts et de l’industrie ; Abraham croyant à la promesse de Dieu, sa foi lui tenant lieu de justice personnelle, et le rendant capable du plus grand de tous les sacrifices ; Dieu se révélant à Moïse, et par Moïse, à Israël, sous son nom de Jéhovah, ou « Je suis celui qui suis, » au sein du monde plongé dans l’idolâtrie ; le Décalogue, ce sommaire en dix articles de toute la morale, religieuse, sociale et individuelle, développé dans un code où la sagesse des nations les plus policées trouve encore aujourd’hui à puiser ; et tout cela couronné par un discours d’adieu qui respire une sainteté, une dévotion, une tendresse qui semble anticiper sur l’Évangile : voilà pour la colonne de l’Écriture. Mettez en regard dans l’autre colonne — mais non, n’y mettez rien, car il n’y a rien ; à moins que vous ne teniez pour quelque chose ce vide historique presque absolu, comblé tant bien que mal avec les exploits chevaleresques et les honteuses amours de ces dieux devenus des hommes, ou de ces hommes devenus des dieux ; cet immense naufrage de toute certitude et de toute vérité, auquel échappent tout au plus, flottant sur l’abîme, quelques rares débris, où vous avez peine à déchiffrer, à l’obscure clarté de la nuit, les noms à demi disparus d’Inachus, de Godrus, de Gadmus, mêlés à ceux d’Apollon, de Minerve, de Jupiter ; ou, si vous réclamez quelque souvenir plus précis, les Bacchantes du mont Rhodope mettant Orphée en pièces, et les Hellènes s’attendrissant sur les aventures d’Eurydice, au temps qu’Israël écoutait avec terreur la loi proclamée en Sinaï, par la voix du Dieu vivant et vrai !
David, avec Salomon son fils, ou la royauté prophétique, date de 1000 à 1100 ans avant Jésus-Christ. La création et la providence célébrées, la rédemption annoncée, le Rédempteur prédit et dépeint ; le péché reconnu, apprécié, confessé, à la lumière de la sainteté divine : « J’ai péché contre toi, contre toi proprement ; » la grâce acceptée, sentie, savourée, d’un esprit qui devance le jour de l’Évangile : « Bienheureux l’homme dont la transgression est pardonnée, et dont le péché « est couvert ; » la consolation paternelle, la direction paternelle, l’éducation paternelle, la faveur paternelle, invoquée, obtenue, glorifiée, et la terre entière invitée à partager ce festin spirituel de foi, de pardon, d’obéissance, de félicité — dans ces Psaumes inimités, inimitables, dont la beauté surhumaine échappe au lecteur, effacée qu’elle est par leur piété divine ; — ces besoins profonds de l’intelligence, de la conscience, du cœur, que la terre et la vie ne flattent un moment d’une réponse que pour ajouter l’amertume de la déception à celle du désespoir, et qui ne trouvent enfin à se satisfaire et à se reposer qu’en Dieu, sa parole, son amour — dans ce petit traité de quelques pages, l’Ecclésiaste, mystérieux monologue, où toutes les aspirations, les tentations, les obscurités, les contradictions de l’âme humaine, se meuvent dans un cercle infranchissable compris entre ces deux termes : « Vanité des vanités, tout est vanité, » et : « Crains Dieu et garde ses commandements, car c’est là tout l’homme ; » — cette observation si fine à la fois et si élevée des conditions de la vie sociale, et des secrets de la vie domestique ; cette appréciation si exacte, et tout ensemble si spirituelle, des diversités de position, de sexe, de fortune, de caractère, de génie ; tout cela ramené partout à la piété, où tous les chemins vont aboutir, et dont le nom alterne avec celui de la sagesse, comme le nom de la folie avec celui de l’impiété ; ce riche trésor de prudence pratique où le bon père de famille trouve à puiser sans fin, et qui cache dans son sein un trésor plus riche encore de lumière intérieure non moins inépuisable pour l’âme chrétienne — dans ce recueil de sentences détachées, où se réalise pleinement la pensée populaire, mais profonde, qui voit dans les Proverbes « la sagesse des nations : » voilà pour la colonne des Écritures. Mettez en regard, dans l’autre, les trois siècles qui se sont écoulés entre la guerre de Troie et les poètes qui l’ont chantée, les fondateurs des monarchies succédant aux demi-dieux, la vérité se dégageant lentement d’avec la fable, la poésie protégeant la naissance de l’histoire, et toute la science des peuples se concentrant dans les conceptions des Homère et des Hésiode, si belles, je le veux, mais si vaines, et qui n’ont pas seulement de place pour une philosophie, pour une morale, pour une économie domestique, pour une administration sociale, pour une foi et une piété, dignes de leur nom !
Ésaïe, Daniel, Malachie, la prophétie avant, pendant et après la captivité, datent de 700 à 400 ans avant Jésus-Christ. Ésaïe, tout rempli de l’Esprit de Dieu pour décrire, dans son Évangile, anticipé, ce Messie si incompréhensiblement mêlé de gloire et d’humiliation ; et pour annoncer tour à tour la sainteté de ce Dieu saint : « Saint, saint, saint est l’Éternel des armées ; » sa miséricorde toute gratuite : « C’est moi, c’est moi-même qui efface vos iniquités pour l’amour de moi, et « je ne me souviendrai plus de vos péchés ; » l’obéissance spirituelle qu’il exige : « Qu’ai-je à faire de la multitude de vos sacrifices ?… Qui a requis cela de vos mains, que vous fouliez mes parvis ?… Cessez de faire le mal, apprenez à faire le bien, faites justice à l’orphelin, défendez la cause de la veuve ; » son unité vivante et sa gloire jalouse. : « Il n’y a point eu de Dieu formé avant moi, et il n’y en aura point après moi… « C’est moi, c’est moi qui suis le Seigneur, et hors moi, il n’y a point de Sauveur ; je ne donnerai pas ma gloire c à un autre ; » — Daniel ; si fidèle à son Dieu, si soumis à sa loi, si touché des maux de son peuple, si sévère pour lui-même, si vigilant à prier, si ferme contre la persécution, » en même temps que si sage pour conseiller les rois et sauver les royaumes ; et Malachie, si pénétré de l’honneur dû à Dieu : « Le fils honore le père, et le serviteur son seigneur : si donc je suis Père, où est l’honneur qui m’appartient (Malachie 1.6) ? » des devoirs de la sacrificature : « Les lèvres du sacrificateur gardaient la science, et on recherchait la loi de sa bouche, parce qu’il était le messager de l’Éternel des armées. Mais vous vous êtes retirés de ce chemin-là, vous en avez fait broncher plusieurs dans la loi, et vous avez corrompu l’alliance de Lévi, a dit l’Éternel des armées (Malachie 2.7-8) ; » des tendres obligations de l’union conjugale : « L’Éternel est intervenu comme témoin entre toi et la femme de ta jeunesse, contre laquelle tu as agi perfidement ; et toutefois elle est ta compagne et la femme qui t’a été accordée (Malachie 2.14) ; » de la riche bénédiction promise à la fidélité : « Apportez toutes les dîmes aux lieux ordonnés pour les garder, et qu’il y ait provision dans ma maison ; et dès maintenant éprouvez-moi en ceci, a dit l’Éternel des armées, si je ne vous ouvre les canaux des cieux, et si je ne répands en votre faveur la bénédiction, de sorte que vous n’y pourrez point suffire (Malachie 3.10) ; » de la grâce réservée à ceux qui se retirent vers Dieu : « Alors ceux qui craignent l’Éternel ont parlé l’un à l’autre, et l’Éternel y a été attentif et l’a ouï ; et on a écrit un livre de mémoires devant lui, pour ceux qui craignent l’Éternel et qui pensent à son nom (Malachie 3.16) : » voilà pour la colonne de l’Écriture. Mettez en regard, dans l’autre, Pythagore avec sa métempsycose, Démocrite avec ses atomes, les sept sages, Thalès tirant le monde de l’eau, à laquelle le dispute le feu d’Anaximandre et l’éther d’Anaximène, le crépuscule de la philosophie sérieuse, Anaxagore s’élevant à une intelligence première et frayant la route à Socrate, qui doit la frayer à Platon et à Aristote…
Voici enfin la science grecque, la philosophie grecque, l’histoire grecque qui commence, en attendant qu’elle aille réveiller Rome, qui dort encore, ou qui ne veille que pour les combats — oui, mais voici la prophétie de l’Écriture qui a fini tant elle a de siècles d’avance sur tout ce qu’il y a de lumière dans le reste de la terre. On dirait que ne souffrant pas de rivalité, il a fallu qu’elle se renfermât dans ce silence de quatre siècles, pour qu’il fût permis à la sagesse humaine de penser et de parler. O Écriture de l’Ancien Testament, voix d’un petit peuple sans lettres et sans nom, dominant les plus grandes voix de la terre, quand tu ne parles pas toute seule dans le vide et dans le désert ; mère et nourrice, sans le savoir, de l’histoire, de la théologie, de la morale, de la jurisprudence, de la philosophie et de la poésie ; source féconde des choses humaines, témoin unique des choses divines, attache vivante de la créature avec le Créateur, de la terre avec le ciel, et du temps avec l’éternité ; parole toujours égale à toi-même, depuis le commencement, et depuis le commencement du commencement — eh ! quel autre a donc pu t’inspirer que le Dieu éternel, quand il était seul avec toi et que tu étais seule avec lui, toi n’ayant pas d’autre maître que lui, et lui n’ayant pas d’autre organe que toi ? Ce n’est pas l’Apôtre seulement, c’est la vérité prise sur le fait, c’est l’histoire universelle qui dit : « Toute l’Écriture est divinement inspirée ! »
J’ai comparé jusqu’ici l’Écriture avec les enseignements d’hommes à qui la lumière de la révélation n’était point parvenue ; et, bien que je n’aie fait ce rapprochement que pour l’Ancien Testament, chacun sent qu’on pourrait, avec autant d’avantage pour le moins, rapprocher, le Nouveau Testament des compositions profanes contemporaines. Mais si je m’arrêtais ici, on dirait peut-être que la supériorité manifeste de l’Écriture sur les païens prouve la révélation de la doctrine plutôt que l’inspiration du livre. L’Apôtre ne fait point cette, distinction de révélation et d’inspiration, dont il n’a pas besoin pour apprécier l’utilité de l’Écriture ; mais une certaine théologie contemporaine la fait, et en a grand besoin pour nier l’inspiration sans nier l’Évangile. Tenons compte de cette apparence même ; et pour que la supériorité de l’Écriture ne puisse être expliquée par la seule vérité de sa doctrine, comparons-la maintenant avec des livres écrits par des hommes en possession de cette doctrine, qu’ils avaient apprise de cette Écriture même. C’est ici que le rapprochement deviendra décisif en faveur de l’inspiration ; il le deviendra même toujours plus à mesure que nous le ferons porter sur des temps et des écrivains qui nous sont mieux connus.
A côté des Écritures canoniques de l’Ancien Testament, qui nous ont été transmises par les Hébreux, vous savez qu’il existe certains livres que l’Église de Rome y a ajoutés, bien qu’ils soient rejetés par les Hébreux et qu’ils n’existent pas même dans leur langue ; tels que Tobie, la Sapience, l’Ecclésiastique, etc. Ces livres ont été composés, entre Malachie et Jésus-Christ, par des Juifs versés dans la lecture de l’Ancien Testament et soumis à sa doctrine : ils offrent donc les conditions que nous cherchons, pour être rapprochés des Écritures, et leur infériorité morale une fois constatée ne saurait s’expliquer, comme celle des auteurs païens, par l’ignorance des révélations divines. Je dis leur infériorité morale ; car je veux m’en tenir à l’ordre d’idées indiqué par mon texte, et n’ai pas l’intention de relever les erreurs historiques, dogmatiques ou autres, dont plusieurs livres apocryphes abondent.
Vous trouverez dans les Apocryphes de bonnes leçons, de pieux conseils, qui leur ont fait trouver une place, quoique une place de second ordre, autrefois dans le culte public, et plus tard dans la Bible protestante elle-même. Mais vous y remarquerez en même temps une infériorité manifeste, constante, profonde, à l’égard de l’Ancien Testament, en ce qui concerne ces impressions spirituelles et salutaires que l’Apôtre attribue à sa lecture, et que j’ai développées dans une autre partie de ce discours. Pour rendre cette observation bien sensible, il faudrait suivre, page après page, la lecture des Apocryphes. Ici, il faut me borner à deux ou trois réflexions générales, faciles à vérifier par une lecture personnelle des Apocryphes ; allons droit aux meilleurs : la Sapience et l’Ecclésiastique ; plus ils sont respectables, plus l’argument est fort.
Voici le point capital, d’où dépend tout le reste. Vous chercheriez en vain dans les Apocryphes ce que j’appelais tantôt dans les Ecritures Dieu sur le premier plan. Ici, cette place première est occupée par l’homme : on y sent la manière de l’homme, le travail de l’homme, les mobiles de l’homme, et jusqu’à la convoitise de l’homme. La manière de l’homme : à ces sentences courtes, nerveuses, solennelles de l’Écriture, a succédé l’amplification, telle qu’on la trouve partout sous la plume de l’homme, une amplification oratoire, souvent verbeuse et traînante (Siracide 17.1-13). Le travail de l’homme : au lieu de cette originalité simple qui distingue les Écritures, les Apocryphes trahissent partout un effort d’imitation ; des sentiments de l’Écriture développés, paraphrasés, sans pensée ni lumière nouvelle, voilà ce qu’on y rencontre à chaque pas (Siracide 30.1-13, avec Proverbes 13.24). Les mobiles de l’homme : tandis que la gloire et la volonté divine est seule cherchée dans l’Écriture, les Apocryphes se montrent préoccupés aussi, quand ce n’est pas préoccupés surtout, de la gloire et de la volonté humaine, poursuivie par une prudence charnelle (Siracide 30.17 ; 33.20 ; 38.12, etc), jusqu’à compromettre parfois la charité ou l’affection naturelle (Siracide 38.16-24). Je dis plus encore : la convoitise de l’homme. L’Écriture est toujours sainte et pure, alors même qu’elle manie les sujets qui le sont le moins : elle parle des péchés de la terre, comme on en parle dans le ciel, naturellement, avec horreur, sans mélange d’aucun attrait. Il n’en est pas de même des Apocryphes. Ils s’arrêtent plus d’une fois, avec une complaisance secrète, sur ce qui remue les sens et la chair ; plus d’un trait dans leurs pages blesse la délicatesse, la pudeur ; on comprend que je répugne à citer ici des exemples. Non, non, nul lecteur attentif des Apocryphes ne pourra dire ce que Pierre a dit des prophètes, que « leur parole n’a point été apportée par la volonté humaine ; » la part de la volonté humaine y est grande, et celle de la sainteté divine y perd en proportion ! Lisez-les une fois ou deux, vous en aurez assez : leur utilité n’est ni si profonde, ni si inépuisable, que vous éprouviez le besoin d’y revenir toujours.
Des remarques analogues peuvent être faites sur les Pères de l’Église, comparés avec les écrits du Nouveau Testament. Mais ici, ces remarques, j’ai plus de raison encore pour ne pas les étendre, la grande majorité de mes auditeurs n’ayant pas le moyen de les vérifier par eux-mêmes ; quelques indications me suffiront. Au reste, pour en borner le champ, en même temps que pour rendre le rapprochement plus sensible, restreignons-nous à ceux des Pères qui ont connu personnellement quelqu’un des apôtres, et qu’on a honorés pour ce motif du nom de Pères apostoliques. Des écrits composés par ces Pères pendant que les apôtres composaient les leurs, il n’en est point parvenu jusqu’à nous : cela même marque la différence que l’Église primitive a faite entre les uns et les autres ; mais il nous reste quelques lettres, malheureusement rares, courtes, mutilées, écrites après la mort des apôtres, par Clément de Rome, compagnon de saint Paul, et par Ignace et Polycarpe, disciples de saint Jean. Voici donc des hommes croyants, d’une piété exemplaire, fidèles jusqu’au martyre, plus apostoliques, encore d’esprit que de position, et qui, placés auprès de la source pure de l’Évangile, les premiers après les disciples immédiats de Jésus-Christ, réunissent toutes les conditions intérieures et extérieures pour parler aussi utilement que les apôtres, si l’on peut y atteindre par la foi, la piété, les lumières chrétiennes, sans le secours spécial que mon texte désigne sous le nom d’inspiration. L’ont-ils fait ? Non, ils ne l’ont pas fait ; aucun d’eux ne l’a fait ; non plus qu’aucun des Pères et des écrivains qui les ont suivis ne l’a fait. Des Pères apostoliques aux apôtres, la distance est moindre que de l’Ecclésiastique ou de la Sapience aux Proverbes ou aux prophètes ; mais elle est grande encore : je ne crains pas d’être démenti sur ce point par quiconque aura fait sans parti pris le rapprochement que je propose. On respire, sans contredit, dans ces pages de la primitive antiquité, un parfum délicieux de foi simple, naïve, dévouée, dont la torture et le martyre ont assez éprouvé la force et la sincérité. Mais ne leur demandez ni cette fermeté de la conception, ni cette largeur des principes, ni cette richesse des pensées, ni cette, plénitude concise du langage, ni cette précision du dogme, ni cette étendue des vues, ni cette solidité des raisons, ni cet équilibre de la doctrine, ni cette sûreté de la morale, ni cette sobriété des sentiments, qui caractérisent les écrits des apôtres, et qui égalent, par exemple, la première moitié de l’épître aux Éphésiens aux derniers discours de Jésus-Christ dans saint Jean, et la seconde au sermon de la montagne dans saint Matthieu. La lettre de Clément aux chrétiens de Corinthe, et celle de Polycarpe à ceux de Philippes, la première écrite pour rappeler les Corinthiens à l’harmonie fraternelle, la seconde pour presser les obligations de la sainteté chrétienne sans application spéciale, sont animées l’une et l’autre de l’esprit de saint Paul, leur modèle avoué ; mais ni l’une ni l’autre n’ont rien de sa manière. Au lieu d’en appeler à saint Paul, comme saint Paul en appelle à Moïse ou à David, pour pénétrer dans leur parole plus avant qu’ils n’ont fait eux-mêmes, et la présenter sous des aspects tout nouveaux, Clément et Polycarpe en appellent à l’Apôtre, comme nous le faisons tous les jours, tantôt pour reproduire textuellement ce qu’il a écrit, tantôt pour le développer et l’adapter aux circonstances, mais sans y rien ajouter de leur propre fonds. Des citations bien appropriées, des amplifications édifiantes, des applications instructives, voilà ce que nous offrent ces monuments de la foi primitive : mais des révélations, des lumières nouvelles, je dirai presque des pensées propres et personnelles, nous n’y en découvrons point. Aussi l’un et l’autre de ces deux Pères s’appuient sur saint Paul, comme saint Paul ne s’est jamais appuyé sur aucun homme ; témoin ces modestes paroles de Polycarpe : « Je vous rappelle nos obligations saintes, non dans la vue de m’arroger quelque autorité sur vous, mais parce que vous m’y avez invité les premiers. Car ni moi, ni aucun homme, nous ne pouvons atteindre à la sagesse du bienheureux Paul, ce glorieux apôtre qui, pendant qu’il était dans notre ville et au milieu de ceux qui vivaient alors, y a prêché avec un zèle infatigable la Parole de vérité ; et qui depuis, éloigné de vous, vous a écrit une lettre où vous pouvez puiser encore tout ce qui vous est nécessaire pour avancer dans la foi que vous avez reçue. »
Ignace s’aventure un peu plus que les deux autres, mais à quel prix ! Aux citations et aux amplifications qu’il fait de l’Écriture, il ajoute parfois des sentiments et des pensées qui lui appartiennent en propre ; mais il ne s’écarte de son modèle que pour s’égarer. Sa piété, toute sincère et toute vive qu’elle est, manque de cette mesure, de cette sobriété, qui distingue celle des apôtres. Chez lui se découvrent déjà, cachées encore dans leur germe, plusieurs des erreurs qui devaient se faire jour plus tard, au grand préjudice de l’Église. La plus belle de ses épîtres est sans contredit celle qu’il adressa aux Romains, pour les détourner du dessein qu’ils avaient formé de le soustraire, s’ils le pouvaient, au martyre ; elle est brûlante de foi, de charité, de piété, de vraie éloquence : « Je crains que vous n’ayez pour moi une compassion trop tendre. Si vous m’aimez d’une affection véritable, vous me laisserez allez jouir de mon Dieu. Je n’aurai jamais une occasion aussi favorable que celle qui se présente de me réunir à lui… Vous ne portâtes jamais envie à personne ; ne m’enviez pas ma félicité ! Ne vous occupez que du soin de m’obtenir, par vos prières, le courage dont j’ai besoin pour résister aux attaques du dedans et repousser celles du dehors ; afin que l’on ne me nomme pas seulement chrétien, mais que je sois trouvé tel… C’est aujourd’hui que je commence à être disciple du Seigneur. Tout ce qu’il y a de créé dans le monde visible m’est indifférent ; mon unique désir est de posséder mon Sauveur. Que je sois consumé par le feu, que je meure de la mort lente et cruelle de la croix ; que je sois mis en pièces par les tigres et les lions affamés ; que mes os soient dispersés, mes membres meurtris, mon corps broyé ; que les démons épuisent sur moi leur rage, je souffrirai tout avec joie, pourvu que je jouisse de Jésus-Christ. Eh ! que me servirait-il de posséder toutes les grandeurs et tous les biens de la terre ? Il m’est plus glorieux de mourir pour mon Dieu que de régner sur tout le monde. C’est celui qui est mort pour moi que je cherche ; c’est celui qui est ressuscité pour moi que je veux. » Mais pourquoi rechercher les tortures et le martyre ? pourquoi refuser d’y être soustrait, s’il le pouvait sans infidélité ? La simplicité chrétienne, l’intérêt même de l’Église conseillaient une autre voie : celle que Jésus-Christ avait ouverte par ses leçons et par ses exemples, et dans laquelle saint Paul le suivait en écrivant ces belles paroles : « Mon désir tend à déloger et à être avec Christ, ce qui m’est beaucoup meilleur ; mais il est plus nécessaire pour vous que je demeure en la chair. Et je sais cela comme tout assuré que je demeurerai, et que je continuerai d’être avec vous tous pour votre avancement et pour la joie de votre foi ; afin que vous ayez en « moi un sujet de vous glorifier de plus en plus en Jésus-Christ par mon retour au milieu de vous (Philippiens 1.23-26). » A cette simplicité divine d’obéissance se substitue déjà chez Ignace cet enthousiasme humain, qui appelle le martyre, et qui a été préjudiciable à l’Église, soit en la privant avant le temps de beaucoup de ses plus fermes appuis, soit aussi en faussant les notions de la sainteté chrétienne. Je ne m’arrête pas sur l’écrit qui porte le nom d’Hermas, parce que l’origine en est trop peu certaine. Autrement, à le croire du compagnon de saint Paul (Romains 16.14, j’aurais à y relever une déviation bien plus marquée de la manière, apostolique, dans un abus perpétuel de l’allégorie, aussi contraire à la clarté qu’au bon goût, et dont les apôtres se montrent exempts, jusque dans leurs interprétations les plus spirituelles. En deux mots, les auteurs les plus rapprochés du Nouveau Testament sont ceux au-dessus desquels il s’élève le plus haut ; et l’on ne saurait passer des apôtres aux Pères sans se sentir tombé du domaine de la sainteté et de la vérité divines, dans celui de la faillibilité et de l’infirmité humaines, rendues plus sensibles ici par la foi et la piété à laquelle elles sont unies.
Voilà pour la supériorité morale de l’Écriture, soit de l’Ancien, soit du Nouveau Testament, sur les auteurs contemporains qui ont connu la révélation divine ; elle est décisive, incontestable ; et ne pouvant s’expliquer par la différence des lumières, elle ne peut s’expliquer que par celle que l’Apôtre indique dans mon texte : un secours spécial, surnaturel, qu’il appelle une « inspiration divine. » Mais que sera-ce, et comment pourra-t-on douter de ce secours spécial et surnaturel, si je puis ajouter que rien d’égal, rien de comparable aux Écritures, pour l’utilité, n’a été écrit durant les dix-huit siècles qui se sont écoulés depuis la mort du dernier de leurs auteurs ? On pourrait supposer que chez les écrivains apocryphes de l’Ancien Testament, que même chez les Pères apostoliques, l’avantage d’être si rapproché des sources, encore toutes pures, de la vérité révélée, aura été plus que balancé par certains désavantages tenant à l’époque, aux circonstances, à l’éducation, au milieu, que sais-je ? et que ce qu’ils n’ont pas su faire, d’autres mieux placés l’auront pu. Eh bien ! voici le monde chrétien tout entier ouvert pour vous ; le voici, comblé de tous les dons de l’esprit et du cœur, réunissant toutes les ressources de la science à toutes celles de la piété, ayant eu dix-huit cents années pour méditer, pour prier, et pour interroger les Écritures elles-mêmes : cherchez-y un auteur, un seul, qui ait égalé les Écritures, ou qui en ait seulement approché.
Le trouverez-vous, cet auteur, parmi les Apocryphes du Nouveau Testament ? Ces Évangiles apocryphes, dont la philosophie incrédule, du siècle dernier a fait un usage ou si ignorant, ou si perfide, si ce n’est l’un et l’autre à la fois, savez-vous ce que c’est ? Ne comptez pas sur moi pour vous l’apprendre ici. Malgré l’intention chrétienne de ces romans étranges dont les plus anciens remontent au deuxième siècle, malgré quelques pages édifiantes et quelques belles imaginations, je ne pourrais vous les faire connaître en détail sans provoquer tantôt votre pitié par leur mauvais goût, tantôt votre hilarité par leur bizarrerie, tantôt même votre indignation ou votre dégoût par leur immoralité. Si, en passant des apôtres aux Pères apostoliques on se sent tombé de la vérité et de la sainteté divines, disais-je, dans la faillibilité et l’infirmité humaines, il faut avouer qu’en passant des Évangiles canoniques aux Évangiles apocryphes, on se sent tombé du terrain de l’histoire la plus sainte qui fut jamais, sur celui de je ne sais quelle mythologie chrétienne, vaporeuse, ridicule, parfois impie ; et en voyant ce que les romanciers de Jésus-Christ ont fait de sa personne, tout en pensant la relever, vous apprécierez ce qu’il a fallu de grâce à ses historiens, pour reproduire, sans l’embellir ni le gâter, ce qu’ils avaient « vu, entendu, touché, de la Parole de vie. »
Vous ne le trouverez pas non plus, cet auteur, parmi les Pères de l’Église, qui, du second siècle au quatrième, ont jeté un si bienfaisant éclat sur leur génération par leurs travaux apostoliques, et sur les générations subséquentes par leurs pieux écrits. Les Irénée, les Justin, les Origène, les Tertullien, les Jérôme, les Chrysostôme, ont été sans contredit autant de lumières que l’Esprit de Dieu a suscitées pour éclairer la terre et pour conduire des milliers d’âmes à Jésus-Christ. Mais leur génie, leur piété même, n’a pu ni les préserver d’erreur, tantôt de doctrine, tantôt de morale ; ni apprendre aux meilleurs cette mesure et cet équilibre que les auteurs du Nouveau Testament ont si constamment gardés ; ni faire autre chose de leurs livres que des témoignages savants, éloquents, fidèles, qui nous instruisent et nous édifient, mais à la condition, plus nécessaire ici qu’ailleurs, de les contrôler toujours par les Écritures divines, seule école sûre, et toujours égale à elle-même, de la vérité divine.
Vous le trouverez moins encore chez les Pères du moyen âge, qui ont brillé, au sein des ténèbres séculaires de leur époque, comme des astres servant de lumière dans la nuit. Les Hilaire de Poitiers, les Bernard de Clairvaux, les Anselme de Cantorbéry, les Thomas A Kempis, ont rendu à l’humanité et à l’Église des services immenses, inappréciables. Mais ils ont subi leur siècle, tandis que les apôtres dominaient le leur ; et ils n’ont pas su se séparer tellement des erreurs et des superstitions au milieu desquelles ils vivaient qu’elles n’aient, en quelque mesure, parfois même en grande mesure, entraîné leur doctrine, et aussi faussé leur obéissance ; témoin saint Bernard, dans ses rapports avec la persécution des prétendus hérétiques, et avec les commencements des croisades. Il n’y a pas jusqu’à ce beau livre de l’Imitation de Jésus-Christ, pur et saint héritage d’un temps si obscur et si mélangé, qui ne présente dans cette intelligence profonde et spirituelle de la vie chrétienne dont il est pénétré, de graves lacunes, pour dire le moins, et les marques sensibles d’une dogmatique au moins effacée, dont l’Écriture seule sait se tenir toujours exempte.
Vous ne le trouverez pas même parmi les Réformateurs. Rien, jusqu’à Luther, Mélanchthon, Calvin, Cranmer, non, rien n’avait approché d’aussi près des auteurs sacrés pour la netteté des doctrines, pour la spiritualité des préceptes, pour la sûreté des interprétations, pour l’équilibre des vérités, pour la pureté de la foi. Et pourtant, qui pourrait méconnaître qu’ils ne sont aux apôtres que ce que sont des disciples intelligents et fidèles à des maîtres qu’ils n’égalent jamais, et dont nul ne sent mieux qu’eux-mêmes l’immense supériorité ? Le génie populaire de Luther a ses écarts, la théologie ferme et réglée de Calvin a son esprit de système, la sagesse pratique de Cranmer a ses concessions excessives (dont l’Église d’Angleterre porte aujourd’hui la peine), la modération même d’un Mélanchthon ne suffit pas pour maintenir les proportions des principes, et leur valeur relative, si méconnue dans les disputes des réformateurs, — l’infirmité humaine perce de toutes parts, comme pour faire d’autant plus admirer le seul livre qu’elle ne dépare jamais.
Parlerai-je d’un temps qui vous est mieux connu, et où les choses que j’ai à dire vous deviendront d’autant plus sensibles que vous avez, vécu au milieu d’elles ? Eh bien ! je vous le demande, cet auteur que vous avez cherché en vain dans les dix-huit premiers siècles de l’Église, le trouverez-vous dans le dix-neuvième ? Nommez vos écrivains contemporains favoris : les Vinet, les Rochat, les Neff, les Gonthier, les Krummacher, les Neander, les Olshausen, les Chalmers, les Scott, les Newton, et que dirai-je encore ? En est-il un seul qui vous offre les caractères que nous avons relevés dans les Écritures ? un seul que vous puissiez répandre dans le monde avec une confiance comparable à celle avec laquelle vous y répandez les Écritures ? et, comme vous formez des sociétés bibliques, formeriez-vous, en faveur de votre auteur favori, une société newtonienne, vinétienne, ou néandrienne ? Et pourquoi pas, si ce n’est parce que vous sentez bien, sans réflexion et de prime abord, que nul ne réunit, comme les prophètes ou les apôtres, toutes les qualités qu’il faudrait réunir pour devenir l’instituteur du genre humain ? que celui-ci manque de popularité, celui-là de profondeur, un troisième d’étendue ? que l’un est individuel jusqu’à l’excentricité, l’autre général jusqu’à l’effacement ? qu’un premier a traité trop peu de matières, qu’un second a trop développé celles qu’il a touchées ? et que l’on ne trouverait, ni à choisir entre eux, ni à les grouper ensemble, ce tout à la fois un et varié, général et individuel, populaire et profond, que nous appelons les Écritures ? « Si j’étais emprisonné, me disait un jour le bienheureux Gonthier, et réduit à deux livres à mon choix, Jean Newton serait l’un ; je n’ai pas besoin de vous dire quel serait l’autre. » Eh bien ! cet autre, qui n’a pas besoin d’être nommé, cet autre, qui est le même pour tous, c’est celui qui est inimitable et inimité. L’un a son Newton, l’autre son Vinet, un troisième son Chalmers ; mais chacun a sa Bible, qu’il ne voudrait échanger contre aucun autre, et c’est au degré de ressemblance avec cette Bible, trésor commun de tous, qu’il mesure le degré de sympathie qu’il doit à tout le reste. Mais qu’y a-t-il donc dans le langage des Écritures qui l’élève au-dessus du langage des auteurs humains de tous les temps, au-dessus de leur imitation même ? Serrons de plus près cette question, et rapprochons-la de nous-mêmes. Vous croyez en Jésus-Christ, et une piété sincère vous anime. Ni les dons naturels, ni l’étude ou l’exercice, ne vous ont manqué pour apprendre à écrire avec clarté, avec expression, avec grâce. Eh bien ! prenez ce que vous avez écrit, ou ce que vous savez écrire, de plus senti, de plus touchant, de plus vrai, de plus saint, et comparez-le avec les Écritures… Vous n’avez jamais songé à ce rapprochement ; la seule pensée vous en étonne, que sais-je ? vous scandalise peut-être ; vous ne vous croyez pas plus permis de vous mesurer aux Écritures pour le langage, qu’il ne le serait de vous mesurer à Jésus-Christ pour la vie, — mais pourquoi ? Cet hommage instinctif rendu à la supériorité inaccessible des Écritures, est un argument que je pourrais presser dans l’intérêt de ma cause, et qui n’en est que plus fort pour être instinctif ; mais je n’insiste pas là-dessus. Je demande seulement quel est le caractère de cette supériorité des Écritures où vous ne pouvez atteindre. Est-ce le génie, ou les lumières ? Alors, je l’avoue, votre impuissance à les égaler n’aurait rien de plus inexplicable que votre impuissance à égaler un Racine ou un Leibnitz. Mais vous savez bien que la supériorité des Écritures ne réside pas dans le génie ou dans les lumières, qui ne sont ni le partage commun de tous leurs auteurs, ni même, chez ceux qui les possèdent, le mérite distinctif de leur écrits : elle réside dans leur esprit. La supériorité des Écritures est une supériorité spirituelle ; le génie créateur de ces pages, c’est le génie du Saint-Esprit ; les lumières qui brillent dans ce firmament, ce sont les lumières du Saint-Esprit. Mais, comme le Saint-Esprit est promis à tous, comme la supériorité spirituelle est, entre toutes, la plus accessible à tous, comment se fait-il que vous n’y puissiez prétendre, que vous n’osiez pas même tenter d’y atteindre ? Tentez-le toutefois, pour mieux reconnaître encore cette supériorité, et pour avoir de quoi répondre à ceux qui croient l’expliquer en disant qu’elle n’est que spirituelle ; aveugles, qui ne voient pas que ce qui la rend le plus ordinaire est précisément, passez-moi le paradoxe, ce qui la rend le plus extraordinaire.
Qu’est-ce qu’un psaume ? ce nom réveille peut-être chez vous le souvenir d’un de ces psaumes favoris, que chacun sait par cœur, où la beauté poétique du langage le dispute à la profondeur des pensées et à l’élévation des sentiments, soit qu’ils peignent les merveilles de la création, comme le 104, ou qu’ils exposent les prodiges de la grâce, comme le 103, ou qu’ils rassemblent les unes et les autres dans une seule vue, ne cherchant dans le monde visible qu’une magnifique image de l’invisible, comme le 19 ? Mais non ; laissons là ces chefs-d’œuvre de poésie, où les Racine, les Corneille, les Milton, les Dante, les Klopstock, viennent l’un après l’autre tremper modestement leurs pinceaux, et tenons-nous-en à des psaumes tout unis dont le prix n’est que dans les sentiments exprimés : le 51, confessant les péchés ; le 32, célébrant le bonheur du pécheur reçu en grâce ; le 42, soupirant après la présence du Seigneur ; le 130, le cherchant jusqu’à ce qu’il le trouve : qu’est-ce qu’un de ces psaumes ? C’est le langage tout naturel d’un cœur pénétré de la grâce du Saint-Esprit, et qui répand devant Dieu, quand ce n’est pas dans le sein de Dieu même, la repentance, la foi, l’adoration, la joie, la vie, la sainte ferveur dont il déborde. Il semble que rien ne soit plus simple, et qu’il ne faille, pour en faire autant, que se trouver, avec un cœur sincèrement religieux, dans un de ces moments qui provoquent l’effusion du sentiment qui le remplit. Eh bien ! vous qui savez écrire, je devrais dire, vous qui savez prier, essayez, dans une de ces heures de grâce où vous goûtez la présence de Dieu et savourez sa communion, essayez de faire un psaume, un seul psaume, un petit psaume, un psaume 130, par exemple. Atteignez, si vous le pouvez, à force de recueillement, à cette ferveur ; à force de méditation, à cette profondeur ; à force de concentration, à cette plénitude ; à force d’humilité, à cette repentance ; à force de foi, à cet abandon ; ajouterai-je, à force d’étude, à cette simplicité ? Essayez, vous dis-je ; ou, si vous vous défiez trop de vous, tâchez de trouver du moins un psaume, un seul psaume, un petit psaume, un psaume 130, parmi ces milliers de prières qui se publient aujourd’hui dans toutes les langues, pour le culte privé, domestique ou public !
Mais un psaume vous paraît quelque chose de si éloigné de vous, même pour la forme, de si antique, de si oriental, que cet essai vous paraît impraticable. Venons à quelque chose de moins antique, de moins oriental, de moins à part. Qu’est-ce qu’une épître apostolique ? Une épître, c’est une lettre, et une épître apostolique, c’est une lettre écrite par un apôtre. Cette lettre peut être adressée à une Église, elle peut l’être aussi à un pasteur, à un simple frère, quel qu’il soit ; elle peut traiter du fond de la foi ou de la vie chrétienne, elle peut se rapporter aussi à un détail de doctrine, de discipline ecclésiastique, de bienfaisance particulière ; ce peut être une épître aux Romains, ce peut être aussi une épître à Timothée, ou bien une épître à Philémon. Une lettre chrétienne, quoi de plus simple ? et, pour en faire autant, que faut-il autre chose que prendre la plume, écrire à des frères engagés dans l’œuvre du Seigneur, à un ami affligé ou tenté, et répandre sur le papier tout ce qu’une âme en prière peut recevoir, et donner, de lumière, de sainteté, de piété, d’amour ? Eh bien ! à défaut d’un psaume, essayez de faire une lettre apostolique ; je ne dis pas une épître aux Romains, mais une épître à Timothée, moins encore, une épître à Philémon. Cherchez, demandez, pensez, travaillez, corrigez (corriger pour être apostolique !), redoublez vos efforts et vos prières, pour communiquer à ce qui sort de votre plume cette lumière vive et sereine, cette plénitude de vérité, cette universalité, d’application, cette richesse d’aspects, cette éternité de jeunesse, cette ferveur de sentiment, cette étendue de conception, cet oubli constant du moi, ce pur zèle pour Dieu, cette hauteur de vues, cette profondeur de pensée, tant de chaleur sans exaltation, tant de tranquillité sans froideur, tant de sainteté sans austérité, tant de largeur sans faiblesse, tant d’exactitude sans affectation. Essayez, vous dis-je, — ou si vous désespérez trop de vous, tâchez de trouver du moins une pauvre petite épître apostolique parmi les centaines de lettres chrétiennes, excellentes, exemplaires, dont votre bibliothèque abonde, et s’accroît chaque année, Newton, Neff, Gonthier, et tant d’autres !
Voulez-vous que nous prenions un exemple plus simple encore ? Qu’est-ce qu’un mot biblique, tel que ceux-ci, pris comme au hasard : « Quand je suis faible, alors je suis fort » ; — « regardant, non aux choses visibles, mais aux invisibles » ; — « toutes choses sont à vous, vous à Christ, et Christ à Dieu » ; — « un jour est comme mille ans, et mille ans comme un jour » ; — « le juste vivra par la foi » ; — « Dieu est amour » ; — « nous l’aimons, parce qu’il « nous a aimés le premier » ; — « celui qui hait son frère est un meurtrier » ; — « soyez les imitateurs de Dieu, comme ses chers enfants » ; — « toutes choses te servent » ; — « toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu ; » — « celui qui a péché sur un seul point est coupable contre tous » ; etc. (je ne cite, vous le voyez, que des mots des apôtres ou des prophètes, laissant à l’écart ceux de Jésus-Christ, en qui l’Esprit habite sans mesure) ? Un de ces mots bibliques, qu’est-ce autre chose que l’expression juste, compréhensive et concise d’un sentiment vrai, saint, profond ? et pourquoi de tels mots ne viendraient-ils pas sous la plume de quiconque est capable de tels sentiments ? Eh bien ! trouvez-en de pareils en écrivant (je ne dis pas cherchez-en, car il est trop visible qu’un tel langage se trouve sans avoir été cherché), trouvez-en de pareils, et mettez de la sorte tout l’océan dans une goutte d’eau, tout l’Évangile dans une sentence… Ou, si vous vous défiez trop de vous, cherchez si vous en trouverez de comparables chez les penseurs chrétiens les plus pieux et les plus estimés : un Augustin, un Pascal, un Adam. Par cette comparaison, vous reconnaîtrez aux mots de l’Évangile non seulement la supériorité d’une vérité plus pleine, mais encore celle d’un langage plus simple. Ailleurs, on sent l’effort, l’esprit, la difficulté vaincue, et c’est ce qui charme le plus ; dans l’Écriture, rien que le vrai tout pur, le saint tout pur, le céleste tout pur, qui coule de source, trop occupé de sauver les hommes pour s’amuser à les charmer. Quand Augustin a dit : « Dieu est patient, parce qu’il est éternel » ; Pascal : « S’il s’abaisse, je l’élève, s’il s’élève, je l’abaisse, et je le contredis toujours, jusqu’à ce qu’il comprenne qu’il est un monstre incompréhensible » ; Adam : « L’enfer est la vérité vue trop tard », ils ont exprimé de grandes pensées avec autant de concision que de vivacité. Mais ils ont cherché le bien-dire ; et, tout en le cherchant, ils l’ont moins bien trouvé que saint Paul ou saint Jean, qui ne le cherchaient pas : « Toutes choses sont à vous », ou « Dieu est amour. »
Non, vous dis-je, le langage de l’Écriture n’a pas son égal sur la terre, ni chez les païens, ni chez les chrétiens ; ni chez les contemporains, ni chez la postérité ; ni chez vous, ni chez d’autres, quels que soient leurs lumières, leur génie, leur piété même. C’est un parler à part, qu’on peut appeler le parler du ciel, dont le moule semble perdu pour la terre. Les Écritures sont un type unique, sur lequel les paroles humaines ne peuvent prétendre qu’à se régler de leur mieux. Comparaison faite, preuves en main, l’humanité entendue, « toute l’Écriture est divinement inspirée, et utile pour enseigner, pour convaincre, pour corriger, et pour instruire selon la justice ; afin que l’homme de Dieu soit accompli, et parfaitement instruit pour toute bonne œuvre. »
Je crois avoir suffisamment établi, et mis au dessus de toute contestation, ce fait moral affirmé dans mon texte, que l’Écriture sainte possède une utilité pratique, suffisante pour tous les besoins de l’homme intérieur, et à laquelle ne peut prétendre aucun autre livre au monde. Ce fait reconnu, reste à savoir comment l’expliquer.
L’Apôtre l’explique par l’inspiration. Ce mot même est de lui : « Toute l’Écriture est divinement inspirée », littéralement soufflée de Dieu. Quelle que soit la signification exacte de ce mot, difficile à définir, nous pouvons affirmer qu’il signifie tout au moins que les auteurs de l’Écriture ont été placés sous une influence spéciale de l’Esprit de Dieu, à laquelle leurs écrits ont participé. Si l’Apôtre constate cette influence spéciale du Saint-Esprit, sous le nom d’inspiration, et si je la constate à mon tour aujourd’hui ; si nous ne nous bornons pas à dire que toute l’Écriture est utile, et si nous tenons à ajouter qu’elle est inspirée, ce n’est pas seulement pour l’intérêt qu’il peut y avoir à rendre compte de l’utilité que nous avons reconnue à l’Écriture ; c’est encore, et surtout, pour placer cette utilité sous la garantie de cette inspiration même. Lorsque, après avoir senti l’utilité des Écritures, j’aurai appris à en chercher la cause dans une inspiration divine, je reviendrai à ces Écritures avec une confiance accrue, qui accroîtra à son tour leur utilité avec leur influence. L’explication que donne saint Paul de l’utilité des Écritures ne lui est pas particulière. Elle est partagée par les prophètes, qui se donnent partout pour les envoyés de Dieu, et pour ses organes. Elle est partagée par les apôtres, qui parlent comme ayant reçu une mission spéciale de Jésus-Christ, qui doit faire recevoir leur parole comme la sienne (1 Thessaloniciens 2.13, etc). Elle est partagée par Jésus-Christ, qui, de principe comme de fait, reconnaît l’inspiration des prophètes (Matthieu 22.23-46, etc), et garantit celle des apôtres (Matthieu 10.19-20). Elle est partagée par les Pères, par les réformateurs, par la tradition de l’Église universelle, et par celle des Églises protestantes en particulier, qui toutes traitent l’Écriture comme un livre à part, qu’une influence spéciale de l’Esprit-Saint a revêtu d’une vertu et d’une autorité divines. L’instinct des peuples sur ce point se révèle jusque dans les noms qu’ils ont donnés à l’Écriture : la Bible (c’est-à-dire le livre), les livres saints, les auteurs sacrés, etc.
Il était réservé à une époque qui remet tout en question, et pour qui toute idée reçue est une idée suspecte, de s’élever contre cette tradition antique, sortie de l’Écriture elle-même. L’inspiration divine des Écritures est niée et combattue, sous le nom même que saint Paul lui a donné dans mon texte, la théopneustie, je ne dis pas par des adversaires de la foi chrétienne, qu’y aurait-t-il là de nouveau ? mais par des hommes croyants, pieux, aimant Jésus-Christ comme leur Sauveur et l’adorant comme « Dieu manifesté en chair. » Pour ces hommes, pour ces frères, les apôtres (je ne sais si je dois dire aussi les prophètes, on ne s’en est pas, que je sache, clairement expliqué), ont été des organes choisis de Dieu pour transmettre au monde les révélations de Jésus-Christ, mais livrés pour les lui transmettre aux lumières communes du Saint-Esprit, sans autre avantage sur le premier disciple venu de Jésus-Christ que ceux d’une position historique plus favorable, placés qu’ils ont été à la source vivante des révélations, et d’une piété personnelle plus grande, remplis qu’ils ont été de foi et du Saint-Esprit. Théorie imprudente, qui conduit en se jouant la foi jusqu’aux confins de l’incrédulité, en attendant que la faible barrière qui l’en sépare encore soit franchie par la génération qui nous suit !
Ce n’est pas que tout soit à reprendre dans la théorie nouvelle, ni surtout dans les sentiments qui lui ont donné naissance. Il y avait quelque chose à modifier dans la doctrine du réveil sur l’inspiration, pour la rendre plus conforme à celle des réformateurs, et des apôtres eux-mêmes. On aurait pu réclamer, avec mesure, contre une certaine manière de présenter l’inspiration, qui, en forçant l’élément divin au préjudice de l’élément humain, offre le double inconvénient de désintéresser l’apôtre dans ce qu’il écrit, et de détourner au profit d’un livre des sentiments qui ne sont dus qu’à Dieu. On aurait pu faire remarquer que l’inspiration, consistant moins dans la possession d’un esprit à part que dans une mesure plus abondante de l’esprit commun, a quelque chose de plus humain, de plus personnel, de plus spirituel, en un mot, qu’on n’a coutume de le penser. On aurait pu faire cela, et l’auditeur attentif aura bien reconnu, dans le discours qu’il vient d’entendre, le besoin de faire appel largement à l’action du Saint-Esprit dans la personne de l’auteur inspiré. Tout cela n’a trait qu’à la conception de l’inspiration, et ne porte aucune atteinte à l’inspiration définie ainsi que je la définissais tantôt : une influence spéciale de l’Esprit de Dieu sur les apôtres, à laquelle leurs écrits ont participé. Mais rejeter l’inspiration en soi, c’est se mettre dans l’impossibilité d’expliquer le fait moral rappelé par l’Apôtre, et démontré par ce discours ; car, comment l’expliquer, sans l’inspiration ?
On essaye de l’expliquer par la position historique des apôtres, et par leur piété personnelle. Mais ni l’une ni l’autre de ces raisons ne saurait jamais rendre compte du fait en question, je veux dire de l’utilité spéciale, unique, surhumaine, que nous avons reconnue à l’Ecriture.
La position historique ? C’est un avantage, à quelques égards, je l’avoue, d’avoir été contemporain du christianisme naissant, du Christ lui-même, pour puiser l’Évangile dans sa source pure, avant qu’elle eût été altérée par les imaginations sans nombre que le monde y a mêlées. Mais cet avantage ne saurait jamais expliquer la supériorité incontestable de l’Écriture sur tous les autres livres, même chrétiens. Quand l’expérience ne le prouverait pas, dans le peu qui nous reste des Pères apostoliques, qui ont presque touché aux temps de Jésus-Christ, le bon sens tout seul suffirait à nous en convaincre. Car enfin, qui pourrait imaginer que quiconque a contemplé la naissance du christianisme serait capable de l’exposer comme ont fait les apôtres ? Et pour m’en tenir à ce qui tient de plus près à la position historique, qui pourrait imaginer que pour reproduire seulement l’image de Jésus-Christ avec la fidèle simplicité d’un saint Luc ou d’un saint Matthieu, ce serait assez de l’avoir vu et entendu ? Autant dire, et plutôt dire, que pour pouvoir écrire les Commentaires de César, il suffirait d’avoir servi dans son armée ! La piété personnelle ? La piété personnelle, la communion avec Dieu, la ferveur de la prière, « peut beaucoup, » je le dis avec saint Jacques ; elle peut beaucoup plus que, dans notre faible foi et notre fidélité imparfaite, nous ne saurions nous le figurer. Mais prétendre expliquer par cette piété seule le phénomène moral qui fixe en ce moment notre attention, c’est une étrange préoccupation, pour me servir d’une expression radoucie. Car d’abord, rien ne prouve que les apôtres l’aient emporté en piété personnelle sur tout le reste de la chrétienté. N’est-ce pas pour prévenir chez eux une pensée si dangereuse pour leur piété même, puisqu’elle le serait pour leur humilité, que Jésus, répondant à cette question de Simon-Pierre : « Pour nous, nous avons tout quitté, et nous t’avons suivi, que nous arrivera-t-il ? » — s’empresse de joindre à la promesse des douze trônes réservés aux douze apôtres, cet avertissement salutaire : « Mais des premiers seront des derniers, et des derniers des premiers (Matthieu 19.30) ? » Et puis, la piété personnelle, j’en appelle à une expérience de tous les jours, la piété personnelle est-elle donc une mesure exacte, soit de la lumière que le chrétien possède, soit surtout de son aptitude pour la communiquer aux autres ? Depuis quand la piété personnelle garantit-elle la clarté des enseignements, leur profondeur, leur étendue, leur variété, leur équilibre, leur concision, leur plénitude, leur constance, leur maturité, et tout ce qui caractérise le langage des Écritures ? Une seule remarque suffirait pour faire justice d’une pareille explication. Nous avons vu tantôt Jésus fortifié contre la tentation par la parole de Moïse : ce serait donc, dans l’hypothèse que je combats, la piété personnelle de Moïse qui serait venue en aide à la sainteté du Saint des saints ?
Au surplus, la piété personnelle des apôtres, pour grande qu’elle soit, n’a pas atteint à la perfection : comment donc aurait-elle suffi pour leur suggérer des leçons parfaites ? Pour prononcer le discours de la montagne, Jésus n’avait, je le veux, qu’à puiser dans son homme intérieur, saint comme Dieu même : mais saint Paul, encore sujet à l’infirmité humaine, où aurait-il trouvé dans son homme intérieur les trois derniers, chapitres de son Épître aux Éphésiens, non moins saints que les discours de son Maître ? Mais je m’amuse à prouver l’évidence : la piété personnelle des apôtres n’explique pas plus l’utilité surhumaine de leurs écrits, que la sainteté personnelle de Jésus n’explique ses miracles, ou son incarnation !
Ce terrain n’est pas tenable pour les dénégateurs de l’inspiration des Écritures. Aussi finissent-ils par se rabattre sur les révélations spéciales dont les auteurs sacrés ont joui ; ils en ont joui, comme apôtres, non comme auteurs, mais elles n’ont pu ne pas se faire sentir dans ce qu’ils disaient et dans ce qu’ils écrivaient. Nos frères ne nient pas la révélation, ni que les apôtres en fussent les organes ; et comme tels, ils ont eu part à des secours et à des lumières qui expliquent leur supériorité.
Sur ce point, il importe de bien s’entendre. Ces secours, ces lumières, ces révélations particulières du Saint-Esprit dont les apôtres ont joui, et dont ils ont été les organes, quel genre d’influence ont-ils exercé sur ce qu’ils écrivaient ? Était-ce une influence naturelle de connaissance seulement ? ou bien, était-ce une influence surnaturelle, quoique indirecte, de ce même Esprit divin qui se révélait à eux ? Si c’était, seulement une influence de connaissance, rien n’est expliqué ; car cette connaissance, devenant, après que les apôtres avaient parlé, le partage de quiconque les avait entendus, devait rendre le premier venu d’entre eux capable de parler et d’écrire comme les apôtres ; ce qui est, nous l’avons vu, en opposition manifeste avec les faits. Que s’il s’agit d’une influence surnaturelle du même Esprit qui se révélait à eux, la supériorité de leurs écrits est expliquée, je le reconnais ; mais cette influence spéciale que les révélations surnaturelles reçues par les apôtres exercent sur leurs écrits, qu’est-ce autre chose que ce que nous appelons, avec saint Paul, l’inspiration ? De telle sorte que de deux choses l’une : ou l’on n’explique pas, ou l’on explique comme nous, au nom près, que l’on fera aussi bien d’accepter comme nous des mains de l’Apôtre, d’autant qu’il exprime fort bien l’une des conséquences, ou, si vous l’aimez mieux, l’une des espèces de la révélation du Saint-Esprit aux apôtres, ses organes. Quoi qu’il en soit, les apôtres, mis à part par le Saint-Esprit, ont agi comme des hommes à part, parlé comme des hommes à part, écrit comme des hommes à part. La révélation surnaturelle qui était en eux a exercé sur leurs écrits, comme sur tout le reste, une influence spéciale qui a traduit, en écrivant, leur révélation en inspiration. Les auteurs sacrés n’ont pas joui seulement d’une plus grande mesure du secours que nous partageons tous avec eux ; ils ont joui d’un genre de secours auquel nous ne participons pas tous, et dont ne nous mettraient en possession ni la position historique la plus favorable, ni la piété personnelle la plus haute, ni les lumières les plus abondantes de la vérité révélée. Mais, au fond, pourquoi s’est-on jeté dans la théorie qui nie l’inspiration ? C’est, je n’hésite pas à l’affirmer, pour échapper à certaines difficultés rationnelles dont on trouvait la doctrine de l’inspiration embarrassée.
Par difficultés rationnelles, je n’entends pas ces difficultés critiques, que j’ai écartées dès le début de ce discours. La difficulté critique, celle qui s’attache à la question de savoir ce qui est Écriture, outre qu’elle convient médiocrement à la chaire chrétienne, ne touche pas d’ailleurs au fond de l’inspiration. Si je suis en doute sur l’interprétation d’un texte, sur l’authenticité d’un livre, sur l’intégrité d’un passage, j’en serai quitte pour suspendre mon jugement sur ce point, en attendant que mon incertitude se dissipe, si elle doit se dissiper. La vraie difficulté est la difficulté dogmatique, qui porte sur la question de savoir ce qu’est l’Écriture. La difficulté critique n’existant pas, un endroit étant donné dont ni l’interprétation, ni l’authenticité, ni l’intégrité ne soit douteuse, qu’est-ce qui caractérise une telle Écriture, et qui la distingue d’avec un endroit d’un autre livre ? Eh bien ! même réduite à cette expression dogmatique et essentielle, l’inspiration offre de grandes difficultés, peut-être des difficultés insolubles, dans notre condition actuelle. Je le reconnais sans détours ; et je suis prêt à en dire autant de la doctrine de l’incarnation. C’est avec intention, et en suivant un exemple qui m’est donné par l’Écriture, que j’établis ce rapprochement entre l’inspiration et l’incarnation : un rapport profond les rattache l’une à l’autre. Car l’inspiration, où nous trouvons la parole de Dieu dans la parole de l’homme, est une sorte d’incarnation du langage, comme Jésus-Christ, en qui nous trouvons Dieu dans l’homme, est l’incarnation de la vie. Dès lors, que l’on ne puisse concevoir comment, dans l’inspiration, la parole de Dieu reste toute divine et la parole de l’homme toute humaine ; comment c’est aussi certainement Dieu qui parle dans un Moïse ou dans un saint Paul que si sa voix sortait du ciel sans intermédiaire humain, et comment tout ensemble c’est aussi véritablement et aussi naturellement Moïse et Ésaïe que c’est moi qui vous parle dans ce moment, Moïse et Ésaïe avec leur tempérament individuel de corps, d’esprit et d’âme, dirai-je avec leurs infirmités personnelles ? — j’admets la difficulté tout entière, et ne me flatte pas de la résoudre, même pour moi-même, — à peu près comme je me reconnais incapable d’expliquer comment, en Jésus-Christ, Fils de Dieu, c’est-à-dire Dieu, Fils de l’homme, c’est-à-dire homme, le Christ, vrai Dieu, qui a créé le monde, qui est élevé au-dessus des cieux, qui commande à la nature entière, est uni à Jésus, vrai homme, aussi réellement et aussi sincèrement homme que je le suis moi qui vous parle en ce moment.
Je ne me dissimule donc pas les difficultés, disons mieux, car il n’y en a qu’une, la difficulté de l’inspiration. Mais voici ce que je dis, ce que j’ai le droit de dire, en terminant un discours où j’ai montré, par des faits, l’utilité des Écritures, leur utilité spéciale, leur utilité unique, leur utilité divine : difficulté n’est pas doute. Cette difficulté, fût-elle plus grande qu’elle n’est, ne saurait ébranler un fait établi et démontré. J’existe, composé d’un corps et d’un esprit ; vous avez beau ne pouvoir expliquer de quelle façon mon corps s’unit à mon esprit, je n’en suis pas moins là, corps et esprit ; vous voyez mon corps, et vous entendez mon esprit, dont l’un ne pourrait ici vous parler sans l’autre ; si vous ne pouvez rendre compte de moi, votre impossibilité est votre infirmité, elle ne supprime pas mon être, ni ne compromet mon existence. Jésus-Christ est là aussi, dans le tableau que les Évangiles, nous ont peint de sa vie ; il est là « saint, innocent, séparé des pécheurs, élevé au-dessus des cieux ; » il est là Fils de l’homme, et pourtant Fils de Dieu, Fils de Dieu, et pourtant Fils de l’homme, se révélant et se justifiant par lui-même ; et toutes les difficultés, toutes les impossibilités, physiques ou morales, de l’incarnation, viennent se heurter et se briser contre le fait évangélique, historique, palpable à la fois pour l’homme extérieur et pour l’homme intérieur. Eh bien ! il en est de même pour l’Écriture. Elle est là aussi, toute inexplicable que vous la jugez, elle est là, écrite par quelques hommes, lue par tous, et démontrant sa divine inspiration comme à l’œil par le bien qu’elle fait au monde, et dans le cours de l’histoire, et sous nos yeux, et dans nos cœurs ; utile entre les livres utiles, sainte entre les saints, au reste, se vantant d’une origine divine, et ne vous laissant de choix qu’entre cette origine, et une imposture, trop impossible à concilier avec tant de sainteté ; livre à part, et qui fait sentir combien il est à part en effet, non seulement dans les hommages qui lui sont rendus par ceux qui se rangent à la vérité de mon texte, mais encore par les efforts inouïs auxquels sont réduits ceux qui s’en éloignent, forcés qu’ils sont d’avouer qu’ils ne doivent pourtant qu’à lui la connaissance de Jésus-Christ qu’ils confessent avec nous, et rassemblant autour de ce petit livre, comme en un siège contre une ville imprenable, tout ce que l’univers peut fournir d’intelligence, de lumière, de piété, pour constater que ce n’est pas un livre à part… Eh bien ! cette utilité des Écritures, cette utilité surhumaine, entendez-vous, surhumaine, qui est là, comme un fait avéré et toujours présent, qu’aucune difficulté ne saurait diminuer, saint Paul l’explique par une inspiration divine ; ou plutôt, car c’est à peine là une explication, il y reconnaît, il y confesse une inspiration divine ; confession à laquelle il faut vous joindre, sous peine de vous jeter dans une difficulté plus grande que celle à laquelle vous tâchez de vous soustraire.
Et pourquoi t’y soustraire, disciple fidèle ? Est-il donc incroyable qu’il y ait du mystère dans les communications du Dieu saint et infaillible avec l’homme faillible et pécheur ? Est-il donc si étrange que nous ayons à marcher par la foi, et non par la vue ? Prends-y garde ! on parle beaucoup de piété personnelle, en s’élevant contre l’inspiration des Écritures ; et il est permis de demander si la piété personnelle est gardée dans des attaques où l’Écriture est traitée souvent avec peu de respect, que dis-je ? où la personne même de Jésus-Christ n’est pas toujours à l’abri, sinon de doutes pernicieux, du moins d’imprudents amoindrissements… Disciple fidèle, reçois instruction. Sache dire : Je ne sais pas, là où tu ne sais pas ; fais à la critique la part de réserve qui lui est due ; mais quant au fond — l’inspiration divine des Écritures — ne te laisse point troubler par « une science faussement ainsi nommée ! » Que cette inspiration soit mise hors de cause, comme un fait patent et incontestable, et que le peuple de Dieu puisse retourner en paix à ce pain céleste et à cette eau pure, pour apaiser et sa faim et sa soif !