Le vent souffle où il veut et tu en entends le son, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Il en est de même de tout homme qui est né de l’Esprit.
(Jean 3.8)
Il est deux aspects sous lesquels on peut considérer le Saint-Esprit : sa nature et son œuvre, ce qu’il est en lui-même et ce qu’il produit dans les âmes.
La nature du Saint-Esprit ! Grande et haute question ! Relever toutes les déclarations des Ecritures sur ce point important, soit dans l’Ancien Testament, soit dans le Nouveau, particulièrement dans saint Jean et dans saint Paul, les deux apôtres théologiens ; puis de ces données scripturaires, s’élever par l’effort de la pensée et par l’intuition du cœur à la conception de la personnalité du Saint-Esprit et marquer sa place dans l’essence divine ; saisir dans l’unité suprême de Dieu une pluralité mystérieuse, dans l’égalité parfaite une distinction parfaite ; voir ainsi l’idée du Dieu rationnel, plus ou moins abstraite, immobile et froide, faire place à la notion riche, vivante, animée du Dieu révélé ; — voilà un noble labeur de l’esprit et nous comprenons qu’il ait tenté cet évêque de la cité des Ptolémées qui, dans un magnifique essai de spéculation, a concentré sur ces profondeurs tout l’effort du génie humain.
Mais, mes frères, nos auditoires supporteraient-ils ces fortes méditations que ne redoutaient pas nos pères, et l’esprit positif du siècle ne viendrait-il pas se joindre à je ne sais quelle paresse intellectuelle pour bannir des sujets aussi abrupts de la chaire Chrétienne ? Convenons-en d’ailleurs, traiter de telles matières avec tous les développements qu’elles comportent, ce serait faire de la théologie plutôt que de la religion. Or, dans cette heure rapide, conquise non sans peine sur notre vie agitée, c’est de la religion plutôt que de la théologie que vous attendez de nous.
Occupons-nous donc aujourd’hui de l’œuvre de l’Esprit, des divines opérations de cet Agent mystérieux dont l’Ecriture nous parle en tant de passages et sur lequel la solennité de ce jourh dirige l’attention de l’Église : La parole de notre texte, empruntée à l’entretien de Jésus avec Nicodème, nous décrit cette œuvre du Saint-Esprit dans une comparaison saisissante : « L’Esprit souffle où il veut et tu en entends le son, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va ; il en est de même de tout homme qui est né de l’Esprit. » En hébreu, comme dans le grec du Nouveau Testament, empreint d’hébraïsme, le même mot désigne le vent et l’esprit. De là une analogie instructive, sur ce point comme sur beaucoup d’autres, entre la sphère de la nature et la sphère de la grâce ; analogie qui nous fournira sur l’action du Saint-Esprit de précieuses lumières et nous montrera successivement le mystère de cette action, son absolue nécessité pour toute âme d’homme, et la souveraine liberté de ses modes d’opération dans les cœurs.
h – Ce discours a été prêché un jour de Pentecôte.
J’ai parlé d’abord du mystère de l’action du Saint-Esprit. Ne nous figurons pas avoir échappé au mystère parce qu’au lieu d’envisager la nature du Saint-Esprit, nous envisageons son œuvre. Là aussi, dans les rapports de l’infini avec le fini comme dans la contemplation de l’infini en lui-même nous touchons au merveilleux, à l’incompréhensible. Le mystère est partout, au ciel et sur la terre ; il nous enveloppe, il nous presse de toutes parts et que sommes-nous nous-mêmes si ce n’est « un mystère jeté au sein du mystère universel ? » Il faut le reconnaître et en prendre son parti, ou bien se résoudre à nier, parce qu’on ne les comprend pas, une foule de faits et de phénomènes indéniables. Comment l’Esprit infini peut-il agir sur notre esprit borné ? Comment cette personnalité mystérieuse peut-elle s’unir à la nôtre ? Comment le divin peut-il toucher et pénétrer l’humain ? Comment, au sein de notre liberté, la liberté et la souveraineté divine peuvent-elles se déployer en nous ? Questions insolubles et éternellement insolubles. Et cependant cette action, ces communications merveilleuses, ces triomphes de l’Esprit sur notre nature sont des faits incontestables.
La comparaison de notre texte nous rend sensible cette réalité de l’œuvre de l’Esprit dans l’obscurité de son mode d’action. Le vent souffle où il veut et tu en entends le son, mais tu ne sais d’où il vient ni où il va. Nous ne voyons pas le vent, mais nous voyons ses effets. Nous ne connaissons ni son point de départ ni son point d’arrivée, mais nous saisissons les traces certaines de son passage. Qu’il souffle doux ou véhément à travers nos campagnes, et un suave murmure, une plainte mélancolique ou un sourd mugissement parviennent à nos oreilles, tandis qu’un spectacle plein d’animation frappe nos yeux. Le feuillage frissonne doucement, les moissons ondulent avec grâce : ou bien les forêts s’agitent, les branches des arbres se tordent sous l’effort de la tempête, des tourbillons de poussière s’élèvent et de sombres nuages traversent les airs comme des armées qui se poursuivent et parfois se heurtent en faisant jaillir la foudre. Il en est de même de tout homme qui est né de l’Esprit. Cet agent divin demeure invisible, mais ses effets sont visibles. Un souffle d’en haut a passé sur les âmes : nous le reconnaissons à cette agitation féconde, à ces mouvements célestes, à ces glorieux résultats qui s’offrent à nos regards.
Quel exemple nous en est donné dans ce grand jour de Pentecôte dont nous célébrons l’anniversaire ! une multitude de juifs, venus de tous pays, remplit les rues de Jérusalem. Quelques apôtres, faibles et ignorants mais remplis du Saint-Esprit se sont répandus au sein de cette foule et lui ont parlé en toutes sortes de langues des choses magnifiques de Dieu. A leur tête, Pierre, l’humble pêcheur, harangue cette multitude qui raillait d’abord les Galiléens inspirés en disant : ils sont pleins de vin doux. Il explique par la prédiction du prophète Joël ces merveilleux phénomènes, il rend ensuite témoignage de la résurrection de Jésus-Christ et termine par cette vive apostrophe : « Que toute la maison d’Israël sache que Dieu a fait Seigneur et Christ ce Jésus que vous avez crucifié. » A ces mots, un frisson parcourt l’immense auditoire, et tous ces hommes, touchés de componction disent à Pierre et à ses compagnons : « Hommes frères, que ferons-nous ? » Et Pierre leur dit : « Convertissez-vous et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ pour obtenir la rémission des péchés et vous recevrez le don du Saint-Esprit. » Et trois mille Israélites sont ajoutés à l’Église de Jésus-Christ. Merveilleux effet de la parole de l’apôtre ! — C’est l’éloquence, dites-vous, et son étonnant prestige. Non : saint Pierre n’était pas un orateur : pas plus que saint Paul il n’annonçait l’Evangile avec les discours pathétiques qu’enseigne la sagesse humaine. D’ailleurs l’éloquence humaine ne produit que des effets humains ; elle peut exciter l’admiration, l’enthousiasme, exalter les courages, soulever dans un sens ou dans un autre les passions populaires ; mais pour produire ces effets spirituels, pour renverser les préjugés et l’orgueil judaïques, pour déterminer la repentance, pour amener les pensées « captives à l’obéissance de la croix » il a fallu autre chose que l’éloquence humaine, il a fallu l’action du Saint-Esprit. — C’est, dites-vous encore, la puissance de la vérité, la proclamation de la résurrection de Jésus-Christ… Sans doute ; mais que de fois la vérité n’a-t-elle pas été présentée avec la même clarté et la même force, sans produire des effets semblables ? Reconnaissez ici le travail du Saint-Esprit accompagnant la prédication de la vérité. Le souffle d’en haut a passé sur ces âmes et les a remuées jusqu’au fond. Comment ? c’est le secret de Dieu. Mais le ciel s’est abaissé sur la terre, et une création divine s’est opérée dans les cœurs. « Le vent souffle où il veut et tu en entends le son, mais tu ne sais ni d’où il vient, ni où il va. Il en est de même de tout homme qui est né de l’Esprit. »
Oui, il en est de même, à travers les siècles, non seulement dans ces réveils généraux, dans ces Pentecôtes renouvelées que Dieu envoie de temps à autre à son Église, mais dans les conversions individuelles qui s’opèrent encore sous vos yeux. Vous avez vu des âmes transformées, des pécheurs ramenés de leurs égarements, des vies arrachées au monde et rendues à Jésus-Christ. Fruits célestes, que la terre est incapable de produire ! Effets divins que la nature n’explique pas, que les vicissitudes de la vie n’expliquent pas, que les influences humaines n’expliquent pas, et qui dénotent une cause divine : Le vent céleste a soufflé. Comment ? c’est le secret de Dieu. Mais nous en entendons le son, nous en constatons le glorieux passage. Mystère, mais réalité !
Au reste, quand nous pourrions moins encore la comprendre, l’œuvre du Saint-Esprit n’en serait pas moins absolument nécessaire pour convertir les cœurs. Rien ne peut la remplacer, ni la suppléer. La comparaison de notre texte vient encore nous l’apprendre.
Que le vent se taise, tout est immobile et silencieux dans la nature. Aucun souffle humain ne peut au loin balancer les rameaux des arbres, incliner les moissons, ou enfler la voile du navire. Que le vent se lève — et les couches d’air se déplacent, les feuilles s’agitent, l’air frémit, et l’aile du vaisseau l’emporte à travers les ondes. Il en est de même de tout homme qui est né de l’Esprit. Sans l’action du Saint-Esprit les âmes demeurent dans l’immobilité et dans la mort. Ce qui est né de la chair est chair et ce qui est né de l’esprit est esprit. Le péché s’est étendu sur l’âme, humaine et ne lui a plus laissé qu’une vie charnelle qui est une véritable mort. Oubli de Dieu, oubli du ciel, oubli de la loi de Dieu, obscurcissement de la conscience, domination de la chair sur l’esprit, voilà l’état naturel de l’homme depuis que « le péché est entré dans le monde et par le péché la mort. » C’est cet état que Dieu vient faire cesser par la proclamation de l’Évangile, par le don de son Fils. Mais nous ne pouvons recevoir l’Évangile, nous ne pouvons recevoir Jésus-Christ que par le Saint-Esprit. Le Saint-Esprit peut seul mettre notre âme en rapport vivant avec l’Évangile, en rapport vivant avec Jésus-Christ. Sans l’action du Saint-Esprit, l’Évangile, Jésus-Christ, restent hors de nous, ils sont pour nous comme s’ils n’étaient pas.
Recueillez à cet égard le témoignage de tous les Chrétiens, ils vous diront : Nous lisions la parole de Dieu dans nos demeures, et nous l’entendions dans nos temples, mais cette parole de Dieu ne pénétrait pas au-dedans de nous. Nous l’entendions de nos oreilles, nous l’admettions par l’intelligence, mais elle ne faisait pas tressaillir nos âmes. Plus d’une fois ses grandes doctrines nous froissaient, ses saints mystères nous repoussaient, cette révélation de Dieu était enveloppée pour nous d’obscurité et de contradictions : car « l’homme animal ne comprend pas les choses qui sont de l’Esprit de Dieu, elles lui paraissent une folie parce que c’est spirituellement qu’on en juge. » Mais un jour nous avons dit à Dieu avec David : Dessille mes yeux afin que je regarde aux merveilles de la loi, et ces merveilles nous sont apparues, ces ténèbres nous sont devenues lumière, ces contradictions harmonie, cette folie sagesse, la vérité chrétienne a répondu aux plus profonds besoins de notre cœur. C’est l’esprit de Dieu qui a illuminé les yeux de notre entendement, qui nous a fait connaître les choses qui nous ont été données de Dieu et qui a rendu sa parole vivante et efficace dans nos âmes.
Cette parole rendue vivante, les grandes vérités qu’elle enseigne sont devenues vivantes pour nous. Elle nous parlait à chaque page de notre péché. Nous y entendions les accents poignants d’un David, l’humble prière du péager, les douloureuses expériences d’un saint Paul : « Quand je veux faire le bien, le mal est attaché à moi » et la déclaration solennelle d’un saint Jean : « le monde est plongé dans le mal. » Et nous avions une conscience confuse de ce mal, nous nous reconnaissions pécheurs avec l’humanité tout entière, mais sans douleur, sans trouble, sans larmes, sans un besoin personnel et irrésistible de sortir de notre corruption, lorsqu’un jour l’Esprit est venu nous convaincre de péché ; il nous a dit au fond même de notre conscience : tu es cet homme-là ; tu es ce pauvre pécheur, souillé, condamné, perdu… Oh ! alors, quel trouble ! quelle inquiétude ! quelle repentance ! Et la prière du péager s’est pour la première fois échappée de notre âme : « O Dieu ! sois apaisé envers moi qui suis pécheur. » O Dieu, pardonne-moi, sauve-moi au nom de Jésus-Christ.
Jésus-Christ ! Nous avions entendu depuis notre enfance son nom sacré, nous avions lu dans sa Parole l’histoire de sa vie, de ses souffrances, de sa mort, de sa résurrection : et il était resté pour nous un être absent, éloigné, homme du passé, sans rapport direct avec notre âme qui l’appelait vaguement le Sauveur de l’humanité. Mais, convaincus de péché par le Saint-Esprit, comme il nous est devenu nécessaire, comme nous avons soupiré après sa délivrance ! Ainsi que la statue dont les voiles tombent, il nous est tout à coup apparu dans son ineffable réalité, dans son infinie douceur… Mais il n’est pas resté immobile, il s’est avancé vers nous, et il nous a dit à nous-mêmes : « Ne crains point, crois seulement. Va en paix, tes péchés te sont pardonnés. » Alors nous avons compris cette parole : nul ne peut dire que Jésus-Christ est le Seigneur, si ce n’est par le Saint-Esprit. Le dire des lèvres, c’est facile ! Le dire de l’intelligence, c’est facile ! mais le dire du cœur et de l’âme, nul ne le peut si ce n’est par le Saint-Esprit, qui seul persuade, qui seul ouvre le cœur, qui seul lui donne Jésus-Christ, et le donne à Jésus-Christ !
Et quand nous avons connu, quand nous avons possédé Jésus-Christ, nous avons senti qu’une vie nouvelle était éclose dans notre âme. Jusques-là nous étions préoccupés sans doute de devoir et de moralité, mais nous ne vivions pas de la vie de Dieu. Convaincus de péché, ayant obtenu grâce, c’est ce Dieu Sauveur qui est devenu l’objet suprême de notre vie. L’aimer, le servir, lui immoler nos convoitises, lui consacrer tout notre être, voilà pour nous ce que c’est que vivre. Et si nous étions plus fidèles, si nous laissions l’Esprit poursuivre, consommer en nous son œuvre glorieuse, quelle horreur du mal ! quel accomplissement du bien ! Quels triomphes sur la chair et le sang ! Quelle humilité ! quelle charité ! quelle sainteté ! Alors nous pourrions dire avec saint Paul : « La loi de l’Esprit de vie qui est en Jésus-Christ m’a affranchi de la loi du péché et de la mort… Si quelqu’un est en Christ il est une nouvelle créature. Les choses vieilles sont passées, toutes choses sont devenues nouvelles. »
Œuvre magnifique, mais œuvre surhumaine ! œuvre « non de l’homme ni de la volonté de l’homme, » mais de l’Esprit de Dieu. Sans le Saint-Esprit, nous pouvons avoir l’apparence, la copie extérieure du christianisme : nous n’en avons pas la réalité. Sans le Saint-Esprit, la repentance n’est qu’un regret stérile, la foi n’est qu’une adhésion intellectuelle, la charité n’est que de la philanthropie, la prière elle-même n’est qu’un mouvement des lèvres ou une vague et stérile élévation de l’âme. Par le Saint-Esprit le repentir est une sainte douleur, la foi est une conviction qui saisit tout notre être, la charité une double flamme qui nous porte vers Dieu et vers nos frères, la prière un soupir de l’Esprit qui descend du ciel et qui y remonte en nous emportant avec lui. O vous qui soupirez après la vie de Dieu, n’avez-vous pas douloureusement senti combien l’Esprit vous est nécessaire pour soulever votre âme attachée à la poudre ! Représentez-vous vivement, d’une part l’état naturel de l’homme, l’éloignement de Dieu, l’égoïsme, les inclinations mondaines, le poids honteux de la chair ; d’autre part l’état glorieux du chrétien, la communion avec Dieu, l’amour, la sainteté, — et pour passer de l’un de ces états à l’autre, votre inertie, vos vaines résolutions, votre inconstance, votre impuissance… Ah ! ne vous écrierez-vous pas avec le prophète en présence de ce désert moral où règnent l’immobilité et la mort : « Esprit, souffle des quatre vents, souffle sur ces morts, afin qu’ils revivent ! »
L’œuvre de l’Esprit est nécessaire. L’Esprit est le saint agitateur de l’âme humaine, le Créateur unique de la vie d’en haut. Mais il agit avec une souveraine liberté : je veux dire que riche en conseil et abondant en moyens, il travaille dans les âmes avec une suprême indépendance, et que ce n’est point à nous à régler sa marche, à déterminer ses modes d’action.
Dans le domaine de la nature, le vent souffle où il veut et comme il veut : aujourd’hui sur les hautes cimes, demain plus près de terre à travers les vallées profondes ; aujourd’hui, porté, sur les ailes de l’aurore, demain sur les ailes de la nuit. Il souffle « de l’Orient ou de l’Occident, du septentrion ou du midi. » Ici c’est un vent de tempête qui déracine les arbres et ébranle les rochers ; là c’est un vent doux et subtil comme celui qu’entendit le prophète sur les hauteurs du Carmel : agent à la fois un et divers de mouvement et de vie, souffle de Dieu se promenant librement dans le vaste domaine de la création.
Il en est de même de tout homme qui est né de l’Esprit. Qui pourra dire l’infinie variété des opérations de Dieu dans les âmes ! L’Écriture nous offre d’innombrables exemples des moules divers dans lesquels Dieu jette les éléments glorieux de la nouvelle création. Autre est la conversion des trois mille, qui, au jour de la Pentecôte, se précipitent comme un torrent dans l’Église de Jésus-Christ ; autre celle des apôtres lentement initiés du Judaïsme à la religion de Jésus. Autre est la conversion de Saul de Tarse, violente et fortement accentuée ; autre celle de l’officier Ethiopien et du centenier Corneille, âmes exemptes de préjugés, marchant de vérité en vérité, de lumière en lumière. Autre encore celle du geôlier de Philippe, au sein d’une nuit agitée ; autre celle de Lydie paisiblement assise sur le bord du fleuve, et sentant son cœur s’ouvrir pendant que Paul parlait. De tout temps les diversités de nature, d’éducation, d’antécédents, de tempérament même, varient à l’infini l’œuvre essentiellement une de la régénération des pécheurs.
L’Esprit souffle à travers la diversité des caractères. Les natures ardentes ou paisibles, expansives ou concentrées, les Marthe et les Marie, les saint Jean et les saint Pierre, les Luther et les Calvin, sont diversement transformés par l’action de l’Évangile.
L’Esprit souffle à travers la diversité des âges. J’ai vu l’enfant arriver dans une même période à la raison et à la foi, le jeune homme consacrer à Dieu le printemps de sa vie, et le vieillard « appelé à la onzième heure, » n’ouvrir les yeux à la lumière d’en haut que lorsqu’ils allaient se fermer à la lumière d’ici-bas.
L’Esprit souffle à travers la diversité des époques. Autre est le Christianisme, si ardent et si pur de l’Église primitive ; autre celui qui brille çà et là dans la nuit du moyen-âge, autre le Christianisme réfléchi des temps modernes.
L’Esprit souffle à travers la diversité des nationalités. Le génie anglais grave, exact et pratique, le génie germanique plus vague et plus profond, le génie français plus lumineux, plus vif, plus résolu, marquent chacun la piété de leur empreinte.
L’Esprit souffle enfin à travers la diversité des Églises. Il nous plairait peut-être de l’enfermer dans la nôtre, mais il plane, dans sa liberté souveraine, au-dessus de tous les compartiments de la vaste « maison de Dieu. » Ne le sentez-vous pas dans les pages de « l’Imitation, » mystiques épanchements d’une piété qui fuit le monde ; et dans les écrits de nos Réformateurs, pleins d’une piété mâle, vigoureuse, qui ne fuit pas le monde, mais qui y demeure tout armée pour le combattre et pour le vaincre ? Ne le sentez-vous pas dans un Oberlin comme dans un Vincent de Paul, dans un Coligny ou un Duplessis-Mornay comme dans un Fénelon, un Saint-Cyran ou un Pascal ? — Arrêtons-nous un instant devant cette grande figure contemporaine, qui disparaissait naguère à l’horizon du Nouveau-Monde, glorieuse et ensanglantée. C’était un chrétien animé de l’Esprit, qu’Abraham Lincoln. Après la mort prématurée d’un fils, cette rude et forte nature, brisée de repentance, se donna sans réserve au Dieu de Jésus-Christ, et vous auriez pu le voir, à la Maison-Blanche, devançant l’aube du jour comme David, pour lire et méditer la Parole éternelle. Ah ! n’était-ce pas dans cette solitude, toute pleine de la présence de Dieu, qu’il avait senti peser de plus en plus sur sa conscience l’iniquité de son peuple, et descendre dans son âme cette énergie surhumaine, cette indomptable persévérance qui lui ont permis d’effacer enfin, à travers les plus formidables obstacles, la souillure de sa noble patrie, et de contempler, de son œil mourant, l’affranchissement de quatre millions de noirs ! — Transportez-vous maintenant dans un pli des montagnes du Tarn, et, à travers les pages d’un journal intime, pénétrez dans l’âme de cette jeune fillei de noble naissance, si profondément pieuse au milieu des erreurs et des puérilités même de sa foi particulière, âme poétique émue par tous les spectacles de la nature, mais plus encore par les merveilles de la grâce ; ouverte aux joies légitimes de la vie, mais éprise de l’infini ; aimant d’une sainte passion le pauvre, l’orphelin, le malade ; aimant surtout ce frère, sa première affection après Dieu, aimant son âme d’une charité toute maternelle et presque divine ; désolée quand il s’éloigne de son Dieu, réjouie comme les anges du ciel lorsqu’il vient à la repentance, et quand une mort précoce le lui ravit, ne vivant plus que dans le ciel où elle retrouvera cette âme qu’il lui a été donné d’enfanter à la vie ! — O voies merveilleuses de la sagesse de Dieu, « infiniment diverses » selon la parole de l’Apôtre ! O ressources sans nombre de la grâce de Jésus-Christ ! O puissance de l’Esprit qui déborde toutes nos conceptions !
i – Eugénie de Guérin.
Mais, à travers ces différences multipliées éclate une unité profonde. Il y a diversité d’opérations, mais il n’y a qu’un seul Esprit. Toutes ces âmes, à quelque Église, à quelque siècle, à quelque nation qu’elles appartiennent, nous offrent le même prodige spirituel : elles sont nées de l’Esprit. Toutes pourraient chanter, sur des modes divers, cette belle strophe d’un poète chrétien :
Dans l’abîme de misères,
Où j’expirais loin de toi,
Ta bonté, Dieu de mes pères,
Descendit jusqu’à moi !
Tu parlas, mes yeux s’ouvrirent !
A mes regards éperdus
Tes secrets se découvrirent !
J’étais mort et je vécus.
« J’étais mort et je vécus ! » Tout est là, mes frères. Voilà l’expérience décisive, voilà l’unité des chrétiens ! Voilà le « témoignage du Saint-Esprit. ».
Aussi, en terminant ce discours, nous ne vous demanderons pas par quelles voies, sous quelles influences, dans quelle Église, au sein de quelles formes religieuses, avec quelles tendances particulières s’est développée votre piété. Nous n’avons pas le droit de compliquer la question : nous vous disons donc simplement, mais sérieusement, avec notre texte : êtes-vous nés de l’Esprit ?… Oui, êtes-vous nés de l’Esprit ? Avez-vous senti le souffle céleste passer sur votre âme et renouveler votre vie ? Est-ce qu’un principe divin a pénétré en vous pour vous unir à Dieu et vous séparer du monde ? Est-ce que Dieu, Christ, le pardon, le salut, le ciel, le service du divin Maître, sont pour vous des réalités ? Est-ce vers ces réalités que se portent de plus en plus vos pensées, vos affections, vos efforts, ou tout au moins vos soupirs ? Est-ce que vous vous sentez, en quelque degré, en communion avec ces chrétiens vivants que nous avons aujourd’hui fait passer devant vous ? En un mot, êtes-vous nés de l’Esprit !
Que si vous nous disiez peut-être, en vous autorisant des propres paroles de Jésus-Christ pour vous soustraire à son appel : Si l’Esprit peut seul nous faire naître et si l’Esprit souffle où il veut, qu’avons-nous à faire que d’attendre le jour où il plaira à Dieu de nous l’envoyer ? Ah ! nous vous répondrions avec fermeté : oui, attendez ce jour, mais attendez-le avec une sainte impatience : attendez-le en priant, en désirant avec sincérité, en recherchant avec énergie le don céleste. Si nous avons relevé, dans ce discours, la liberté et la souveraineté de Dieu, nous n’avons pas un instant oublié la liberté et la responsabilité humaines. Dieu est l’Ouvrier suprême, mais vous êtes « ouvriers avec Lui ! » Je vous donnerai un cœur nouveau et un esprit nouveau, nous dit l’Éternel par la voix du prophète. Mais il nous dit aussi, par la voix du même prophète : Faites-vous un cœur nouveau et un esprit nouveauj. Ces déclarations, en apparence opposées, se concilient dans l’expérience de toute âme sincère.
D’ailleurs, ne vous représentez pas le don du Saint-Esprit sous la forme d’une vision, d’une extase, ou de quelque phénomène extraordinaire. L’Esprit s’approche de nos cœurs par les voies les plus simples et les plus habituelles. Il est dans cette page de la Bible qui nous émeut, dans cette prédication chrétienne qui nous édifie, dans cette vérité qui nous saisit avec force, dans cette impulsion généreuse que reçoit un jour notre volonté ; il est dans ce trouble de notre conscience, dans ce vide qu’éprouve notre cœur, dans cette larme qui s’échappe involontairement de nos yeux…. Vous disiez : je l’attends. Et il était près de vous, cet Esprit de grâce, entourant et pressant votre âme de ses divines influences ! Que de fois il vous a déjà parlé, que de fois il a excité de saints désirs dans votre cœur ! mais vous l’avez repoussé peut-être…. Il vous parle encore à cette heure même, dans le silence de ce temple, dans les émotions de cette fête chrétienne… Ah ! Ne l’éteignez pas ! ne le contristez pas ! et que, comme aux jours de la création première, un monde nouveau puisse éclore au-dedans de vous, sous le souffle de Dieu !