Vénérés pères et bien aimés frères en Jésus-Christ,
mLa tâche que j’ai à remplir en comprend trois, toutes trois également douces, mais dont l’une est moins aisée que les deux autres.
m – Sermon prononcé à Neuchâtel le 16 août 1864, à l’ouverture de la réunion annuelle de la Société pastorale suisse.
J’ai d’abord à remercier Dieu, au nom de l’église de ce canton, de ce qu’encore une fois elle a le privilège de recevoir dans son sein cette Société vénérée. Il est vrai que c’est vous qui apportez avec vous la majeure et la meilleure partie des mets dont se composera le banquet spirituel qu’elle aura à vous offrir ; mais elle se réjouit, néanmoins, d’être appelée à dresser le couvert ; et j’en bénis Dieu de sa part.
Je viens ensuite vous souhaiter, au nom du Chef de l’Eglise, dont le service vous rassemble en ce lieu de toutes les contrées de notre bien-aimée patrie, la bienvenue, et vous dire, avec son apôtre : « Que la grâce et la paix soient sur vous de la part de Dieu et du Seigneur Jésus-Christ ! » Lorsque, il y a quatorze ans la Société pastorale suisse franchit, pour la première fois, la limite qui sépare la Suisse allemande de la Suisse française et vint dresser sa tente sur le sol neuchâtelois, cette réunion ne fut pas sans laisser dans son histoire quelques traces bénies. La barrière élevée par la différence de langue entre les deux fractions de l’église réformée de la Suisse, entre les créations de Zwingle, Œcolampade, Haller, et celles de Calvin, Viret, Farel, fut renversée ; ainsi commença un échange de dons profitable à tous. Alors aussi fut jeté sur le ravin creusé entre les deux fractions d’une église voisine un pont qui, tout léger qu’il est, a soutenu l’épreuve du temps et servi, chaque année, à de douces et fraternelles communications. Puisse-t-il résulter aussi de la réunion actuelle quelque bien durable ! Ce ne sont pas des ravins, ce sont des abîmes qui menacent aujourd’hui de nous séparer les uns des autres. Le vœu que je forme, au commencement de cette réunion, est celui-ci : c’est que, quelles que soient les divergences qui puissent se manifester entre nous comme théologiens, l’homme en nous, non celui qui pense, mais celui qui est, celui qui veut, le pauvre pécheur en chacun de nous, sente se resserrer le lien qui l’unit à Jésus-Christ, qu’en chacun de nous se forme plus intimement ce cri : « Jésus, Seigneur ! » qui, après avoir été notre force dans la vie, deviendra notre vie dans la mort ! A cette condition-là, je ne crains rien ; si ce lien se resserre, celui qui nous unit les uns aux autres ne se relâchera pas.
Mais je n’ai pas seulement à vous souhaiter la bénédiction d’En-Haut ; il me reste un devoir plus difficile à remplir : c’est de la préparer. Je sais, et je puis dire qu’en un sens, c’est ce qui me rassure, que je parle à des collègues, que je prêche à des prédicateurs de la Parole. Je ne suis donc point appelé à enseigner aujourd’hui à mes auditeurs la mélodie qu’ils doivent chanter ; mon rôle se borne à donner le ton. Et, pour cela, je ne suis point réduit à moi-même ; j’ai, derrière moi, un soutien : l’orgue magnifique de la Parole de Dieu, des saints accords duquel, je n’ai qu’à tirer la note à entonner. Mes frères, plus j’ai prêté l’oreille avec recueillement, plus, du milieu de la riche harmonie des révélations divines, s’est détachée distinctement pour moi cette parole que, comme une mélodie grave, et solennelle, s’entre-renvoient, sans oser lever les yeux sur Celui qui en est l’objet, sans même se regarder l’un l’autre en la prononçant, les plus purs des messagers célestes, disant ; « Saint, saint, saint est l’Eternel des armées ! » Et j’ai cru comprendre que ma tâche était, en ce moment, de vous parler de la sainteté de l’Eternel et de vous rappeler le devoir que vous impose très particulièrement le moment actuel, d’être, de devenir ce que vous êtes de droit, les représentants de la sainteté de Dieu sur la terre.
Mon Dieu, accorde-moi de ne pas m’acquitter trop indignement de cette tâche ! Donne-moi de parler saintement de ta sainteté ! Que ton séraphin purifie mon cœur et mes lèvres, et qu’il ouvre les oreilles de tous mes frères ! Amen.
La sainteté de Dieu, voilà la pensée dominante de la religion dont nous sommes les ministres. C’est le trait distinctif de l’Evangile, son titre de gloire, d’avoir placé cette notion au faîte de tout le système des vérités religieuses ; c’est là ce qui en fait la religion parfaite et impérissable. Et il n’y a pas de différence, sur ce point, entre l’Ancien et le Nouveau Testament. Celui-ci fait ressortir plus nettement peut-être que le premier l’attribut de l’amour en Dieu ; la sainteté n’en occupe pas moins, dans l’un comme dans l’autre, la première place. Vous venez d’entendre la parole par laquelle les êtres les plus rapprochés de l’Eternel expriment leur adoration. Ils ne disent pas. « Bon, bon, bon ! » mais : « Saint, saint, saint est l’Eternel des armées ! » Nous n’entendons pas non plus Jésus, dans les évangiles, appeler, Dieu : « Bon, tendre Père. » Mais nous l’entendons dire, dans le moment le plus solennel, avec un tremblement filial : « Père saint. »n Jean écrit sans doute, dans sa première épître : « Dieu est amour. »o Mais il ne le fait qu’après avoir posé, dans les premiers mots de la même épître, cette base : « Dieu est lumière, »p sainteté, vérité.
n – Jean 17.11.
o – 1 Jean 4.8.
p – 1 Jean 1.5.
L’amour de Dieu consiste dans la communication de son essence ; sa sainteté est son essence elle-même.
Qu’est-ce en effet que la sainteté ? D’un côté, il n’y a pas de notion plus élevée et plus insondable que celle-là ; quiconque a médité sur ce sujet l’a compris. De l’autre, il n’en est pas de plus rapprochée des profondeurs intimes de notre conscience et de notre être, tellement que, pendant que notre intelligence est en travail et cherche encore à découvrir une formule, nous nous entendons déjà tous, un enfant même nous comprend, à mesure que nous prononçons ce mot sublime : sainteté.
Chez l’homme, la sainteté est relative ; c’est un rapport de l’homme à Dieu ; c’est la subordination de l’instinct naturel, du penchant irréfléchi, fût-il même légitime et pur, à la volonté de Dieu ; et je n’entends pas seulement par là la loi de Dieu en général ; je veux parler de la tâche qui nous est individuellement assignée, de notre mission personnelle. L’homme saint est celui qui consacre à sa mission tout ce qui, dans sa nature physique, intellectuelle et morale, peut y être rapporté, et qui sacrifie à cette même mission tout ce qui, dans sa nature, n’est pas propre à y concourir. La sainteté, chez l’homme, c’est le sceau de l’obéissance apposé à tout l’être humain ; c’est notre nature entière librement consacrée ou immolée à Dieu.
La sainteté en Dieu est absolue ; si elle renferme une relation, ce ne peut être, et ici précisément est le mystère, que la relation de Dieu avec Dieu lui-même. En Dieu, pas de nature imposée, pas de penchant antérieur à la volonté réfléchie, pas d’instinct aveugle à subordonner ou à immoler ; au-dessus de Dieu, pas de volonté meilleure à laquelle il doive rapporter la sienne. La sainteté en Dieu, c’est la volonté calme, réfléchie, parfaitement transparente pour elle-même, libre et immuable tout ensemble, du bien qui est Dieu et de Dieu qui est le bien, C’est ce que veut exprimer saint Jean quand il dit : « Dieu est lumière. » C’est ce mode d’être, à la fois évident à notre conscience et impénétrable à notre pensée, que saint Paul appelle « la lumière, inaccessible dans laquelle Dieu habite. »q Cette volonté du bien qui est son essence, et cette essence qui est toute volonté : voilà la sainteté de Dieu ; voilà dans cette vie qui se possède parfaitement elle-même le centre d’où tout émane et où tout revient ; c’est là le foyer de tous les attributs de Dieu, la clef de tous ses décrets, la source de toutes ses grâces et la norme de tous ses jugements.
q – 1 Timothée 6.16.
S’il crée, c’est parce qu’il veut une reproduction, en une multitude de vivants exemplaires, de ce bien qui est lui-même ; s’il crée l’être libre, c’est que la liberté est la condition du bien et parce qu’il veut que la créature veuille le bien avec lui et le fasse comme lui ; si, à côté de cette liberté dont il doue sa créature, il lui impose une nature qu’elle ne s’est point donnée et qui pèse sur sa volonté sans la contraindre, c’est pour qu’elle ait quelque chose à offrir à la volonté supérieure par qui elle subsiste : la volonté libre de la créature, c’est le sacrificateur ; la nature, le penchant, le goût, c’est la victime. Et c’est en offrant ce sacrifice divinement préparé que l’homme, relativement libre au point de départ, peut devenir, au terme de son développement, absolument libre ; sa volonté, entièrement dégagée de la nature et du penchant aveugle, parfaitement consciente et maîtresse d’elle-même, veut le bien comme Dieu le veut et participe à son essence. Et, une fois parvenue à la sainteté de l’état divin, elle en partage aussi l’éclat : la gloire. La gloire, c’est l’affirmation divine de la sainteté ; c’est l’hommage rendu par Dieu même au bien réalisé.
S’il en est ainsi, comment tout, en Dieu, même l’amour, ne serait-il pas subordonné à la sainteté ?
Chaque enfant sait que son père l’aime, sans doute, Mais qu’il aime encore mieux le bien ; que si, par conséquent, il le met dans la position de choisir entre lui et le bien, le père restera invariablement fidèle au bien et sacrifiera l’amour pour son enfant à cet intérêt suprême. Et que serait la bonté divine, mes frères, si elle existait à une autre condition, si son exercice n’était pas constamment dominé, contrôlé, guidé, par l’amour du bien, du bien en soi, par la sainteté ? L’amour affranchi de la sainteté ne serait plus une volonté, mais un penchant, plus une force, mais une faiblesse, plus une perfection, mais un défaut.
Et quelle valeur aurait pour nous un tel amour ? L’amour divin est, à son plus haut degré, la communication de l’essence divine ; et quel prix réel aurait encore pour nous cette communication, si l’essence divine n’avait pas une valeur intrinsèque, n’était pas sainte? Le prix de l’amour divin, on le voit, repose entièrement sur la sainteté de l’être divin.
Essayez de poser la thèse contraire et de subordonner en Dieu la sainteté à l’amour, et il vous devient impossible d’expliquer les manifestations de la justice divine qui, dans le gouvernement du monde, prennent évidemment place à côté de celles de l’amour. Certes, je ne m’étonne point du scandale que font éprouver à ceux qui placent l’amour au faîte de leur système religieux, toute une série de faits bibliques et tout un ordre de vérités scripturaires. Si la sainteté n’est en Dieu que le corollaire de l’amour, comment y aurait-il encore place, dans le gouvernement divin, pour des faits tels que l’extermination des Cananéens et l’endurcissement de Pharaon ? Comment admettre que des doctrines telles que celles de l’expiation par le sang de Christ, du jugement final et des peines éternelles puissent faire partie de la révélation divine ? Tout le côté de la justice doit être rayé de l’Evangile, du moment où l’on fait de la sainteté, en Dieu, la fille de l’amour. Mais placez-vous au point de vue de l’Ecriture ; rendez à la sainteté la place suprême ; tout devient clair ; vous avez retrouvé la source commune et de l’amour et de la justice, d’un amour vrai et d’une justice sérieuse. La sainteté décrète le bien et crée des êtres qui doivent le réaliser avec elle ; puis, par la main de l’amour, elle couronne de grâce la créature qui répond à ses vues et qui fait le bien ; en même temps, par la main de la justice, elle trouble la créature qui s’éloigne du bien, et si, par ses châtiments préalables, elle ne parvient pas à l’amener à la repentance, elle la frappe du châtiment suprême.
Tel est le Dieu de la Bible, celui dont nous sommes les ministres : saint, saint, saint. Saint, dans cette volonté immuable par laquelle il affirme le bien ; saint, dans le tendre amour par lequel il glorifie toute créature qui affirme le bien avec lui ; saint, dans l’inflexible justice par laquelle il nie toute créature qui ose nier le bien affirmé par lui. Oui ! élevez, vos voix, messagers célestes ! Répétez sans vous lasser : Saint, saint, saint est l’Eternel ! Que les poteaux du temple, que les fondements de l’univers tremblent à cette parole ! Et que la gloire de ta sainteté, ô Dieu, remplisse l’univers, soit qu’elle rayonne dans les merveilles de ta grâce, soit qu’elle éclate dans les foudres de ta justice !
Or, mes frères, cette notion de la sainteté, qui est l’idée capitale de l’Evangile, est précisément celle qui aujourd’hui est en péril et contre laquelle se soulève avec le plus de violence l’esprit du siècle. Et voilà ce qui fait le caractère profondément tragique de l’époque actuelle.
Ou bien l’on nie positivement la sainteté divine, en refusant à Dieu cette volonté libre, absolument indépendante et maîtresse d’elle-même, qui est la condition de sa sainteté. Et, par là, on nie, du même coup, la sainteté chez l’homme. Car, s’il n’y a en Dieu, pour toute volonté, que le laisser-aller à l’impulsion aveugle de sa nature, en vertu de quel principe nous, hommes, aurions-nous l’obligation de combattre et de dompter la nature au dedans de nous ; si Dieu ne se possède pas, comment et pourquoi nous conquérir nous-mêmes ? Une tâche supérieure à celle de la satisfaction de nos instincts ne pourrait nous être imposée que par une volonté qui d’essence serait supérieure à la nature ; or cette volonté n’existe pas. Et voilà la sainteté niée à la fois en Dieu et chez l’homme, au ciel et sur la terre !
On bien, sans nier expressément la sainteté, on la rabaisse en lui refusant la première place et en la donnant à l’amour ; et par là on altère en même temps la notion de l’amour lui-même. Si l’amour pour les individus n’est pas dominé, en Dieu, par celui du bien, Dieu doit vouloir, coûte que coûte, le bonheur de ses créatures et le plus haut degré de jouissance pour chacune d’elles. Et, pour atteindre ce but, il faut que, si la créature s’obstine dans le mal, Dieu se résigne à pactiser avec le péché et à ouvrir son ciel aux pécheurs. Voilà la pointe des commandements divins émoussée, la mort privée de son aiguillon, et le jugement désarmé de ses terreurs ! Voilà la grâce transformée de remède en poison et devenant pour les âmes le plus dangereux narcotique ! A quoi bon en effet s’imposer encore le dur travail du renoncement à soi-même ou de la mortification volontaire ? A quoi bon donner, selon le précepte de Jésus, sa vie pour la retrouver, si l’on est sûr en tout état de cause, de l’obtenir un jour des mains de la bonté divine ?
Cette manière de voir si répandue qui fait de la sainteté une dépendance, un accessoire de l’amour, est un moyen terme qui ne peut satisfaire à la longue ni l’Evangile ni l’esprit du siècle. Il y a là trop de sainteté encore pour le second ; il n’y en a pas assez pour le premier.
Mes frères, comme prédicateurs de l’Evangile et comme chrétiens, vous vous préoccupez, sans doute, de ce divorce manifeste et toujours croissant, dont nous sommes témoins, entre la chrétienté et le christianisme, entre l’Evangile et les aspirations du siècle. Les représentants de l’esprit du jour accusent en général le christianisme biblique d’étroitesse, de dureté, d’inhumanité. Ce reproche peut avoir été provoqué parfois par la manière dont beaucoup de chrétiens comprennent et pratiquent l’Evangile. Mais, au fond, sa vraie cause n’est autre que l’opposition entre cette sainteté, qui fait l’essence de l’Evangile et qui procède de Dieu, et l’esprit du siècle, qui ne voit rien au-dessus du libre déploiement des germes de sagesse, de force et de bonheur déposés dans le sein de l’homme naturel. Ce contraste est insoluble ; et voilà l’explication toute simple de la rupture entre les nations chrétiennes et le christianisme.
On représente parfois la crise religieuse que nous traversons comme la continuation de celle du seizième siècle, et on lui fait l’insigne honneur de prétendre qu’elle est destinée, à achever ce que la Réformation a commencé. Assurément si la révolution actuelle provenait, comme celle dont le monde fut témoin il y a trois siècles, d’une réaction de l’esprit de sainteté contre un souffle profane, charnel, qui aurait envahi le sanctuaire, on pourrait accepter ce pronostic et saluer avec espoir les négations même les plus hardies de la pensée contemporaine. Mais est-ce bien le cas ? Le mouvement de nos jours ne va-t-il pas dans un sens directement opposé à la marche de celui auquel on l’assimile ? A mesure qu’on l’étudie plus attentivement, n’y reconnaît-on pas une réaction des penchants terrestres et des instincts profanes de l’homme naturel contre l’esprit d’austère obéissance et de saint sacrifice qui est l’âme de l’Evangile? Quelle inquiétude sérieuse pourrait causer la négation du miracle, si, derrière ce fait intellectuel, on ne découvrait la négation de tout principe surnaturel dans la vie morale de l’homme, la tendance à émanciper sa nature charnelle du joug de la sainte volonté divine ? Pourquoi tant redouter la lutte contre l’inspiration des Ecritures, si le principe de toute cette polémique n’était le dessein arrêté d’affranchir l’homme de l’influence de tout esprit supérieur à celui de sa vertu propre ? La Réformation était une aspiration puissante à l’idéal de sainteté réalisé en Jésus-Christ et dans la première communauté chrétienne, un progrès marqué vers la réalisation de ce type sublime ; la crise de nos jours fait bien plutôt l’effet d’une désertion de cet idéal, d’un abandon des cimes lumineuses auxquelles l’Evangile avait jusqu’ici travaillé à élever les hommes, d’une réaction de la volonté propre de l’homme contre la notion de la sainteté implantée ici-bas par la grande œuvre de révélation et de rédemption dont la Bible est le document.
Aussi voyez, mes frères, comment, à tous égards et sur tous les points, l’esprit du jour tend à effacer la ligne de démarcation si profondément tracée par l’Ecriture sainte entre le saint et le profane, entre Dieu et la nature. D’abord, la sainteté chrétienne est rabaissée au niveau de la simple moralité ; bientôt celle-ci est réduite à la modeste mesure de loyauté et de bienfaisance qu’impose la conscience naturelle et qui est en rapport avec la faiblesse humaine. Le Christ en nous, c’est notre belle âme ; l’Eglise n’est plus que le sol destiné à porter les institutions philanthropiques : la prédication, qu’un moyen d’instruction et de culture ; le dimanche, qu’un jour de récréation populaire, et le pasteur, que l’auxiliaire et le complément de l’instituteur primaire.
Tel est le point auquel est, de nos jours, arrivée l’histoire. Cet état de la chrétienté ressemble étrangement à celui du peuple de Dieu il y a dix-huit siècles. Israël, en rejetant Jésus, s’insurgea contre le principe même qui était l’âme de son histoire ; la chrétienté, en repoussant aujourd’hui la sainteté évangélique, renie le principe qui l’a fait naître et, comme Israël, prononce sa sentence.
Serviteurs de Dieu quelle sera donc votre tâche, dans cette situation critique? Celle que Dieu donne à Esaïe, dans la vision d’où est tiré notre texte, celle que Jésus a historiquement réalisée : plus que jamais, vous avez aujourd’hui la mission d’être les représentants de la sainteté de Dieu sur la terre.
Soyez-le dans votre enseignement ; soyez-le dans votre vie.
Comme le Dieu qui vous envoie a pour attribut suprême la sainteté, la parole qu’il vous confie est, avant et après tout, un message de sainteté. Célébrez, sans doute, les miséricordes de l’Eternel, et entonnez, dans la grande assemblée, le chant de délivrance ; mais n’oubliez pas que, si l’auguste majesté de la sainteté ne rayonne pas au front du Dieu que vous prêchez, il tombera bientôt, pour la conscience humaine, au niveau, de ce Dieu que l’antiquité adorait comme le très-bon et très-puissant maître de l’Olympe ; et vous savez dans quel abîme il entraînait l’humanité, au moment où l’Evangile vint la préserver de la catastrophe ! Sympathisez de tout votre cœur aux progrès de la génération actuelle ; mais travaillez incessamment à la réveiller de l’ivresse où ils menacent de la plonger, en faisant apparaître à ses yeux l’image du Maître auquel elle doit rendre compte de l’usage de ses magnifiques facultés. Et, au milieu des arts nouveaux qu’elle découvre, faites que cette humanité de poudre et de cendre n’en oublie pas un, qui lui est plus nécessaire que tous les autres, celui de trembler à la pensée du Dieu saint devant lequel les créatures les plus pures se couvrent la face. Annoncez que notre Dieu veut que tous soient sauvés et viennent à la connaissance de la vérité ; dites que ses compassions sont infinies ; mais attestez aussi et sans cesse que le salut, la santé de l’âme, c’est la sainteté, et que « sans la sanctification nul ne verra le Seigneur.r »
r – Hébreux 12.14.
En parlant ainsi à la génération présente, vous heurterez de front ses instincts ; vous l’irriterez ; vous l’éloignerez de vous et, ce qui vous sera plus douloureux encore, de l’Evangile. Mais que cette crainte ne vous entraîne pas à de lâches concessions. Vous n’êtes pas appelés à gagner des hommes à l’Evangile en sacrifiant l’Evangile ; en ôtant de la Parole de Dieu ce qui en fait le nerf vous perdriez ceux que son austérité et ses terreurs auraient peut-être réveillés ; et ceux que vous gagneriez par un tel artifice, ne seraient pas réellement sauvés : vous ne leur auriez donné qu’un sel sans saveur.
En confiant à Esaïe le message de sa sainteté, Dieu lui disait : « Engraisse le cœur de ce peuple ; rends ses oreilles pesantes, et bouche ses yeux. »s Tel est bien souvent l’unique effet sur la masse du peuple de la Parole divine fidèlement prêchée. Esaïe, Jésus lui-même, durent exercer leur ministère dans ces conditions. Le Fils de Dieu fut réduit à se consoler en disant : « Tout ce que le Père me donne, viendra à moi… Je suis venu pour faire, non ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé. »t Nous ne sommes les maîtres ni du message, ni de ses effets. Et, comme l’homme ne change pas de nature nous devons nous attendre à ce que la prédication de la sainteté produise en tout temps, sur l’humanité en général, les mêmes effets que jadis au temps du prophète, au temps du Sauveur. Mais, du moins, nous aurons toujours, comme l’un et comme l’autre, pour dédommagement ce saint rejeton, cette semence sainteu, d’où doit sortir un jour l’Israël selon l’esprit.
s – Ésaïe 6.10.
t – Jean 6.37-38.
u – Ésaïe 6.13.
Seulement, ne nous imaginons pas que, pour obtenir même ce modeste résultat, il suffise au prédicateur de connaître la sainteté de Dieu de nom et par ouï-dire. Nous sommes ici dans le domaine où la connaissance nominale, intellectuelle, n’est qu’ignorance. Avant d’envoyer Esaie au peuple comme le prédicateur de sa sainteté, Dieu l’en rend témoin, autant que les yeux d’un mortel peuvent la contempler. A cette vue, il est saisi ; il tremble ; il se sent condamné et, comme mortellement frappé ; il s’écrie : « Malheur à moi ! C’en est fait de moi ! » Il confesse, en son nom et en celui du peuple, qu’il est indigne d’être le messager d’un tel Dieu et que le peuple est indigne d’être l’objet d’un message de sa part. « Je suis un homme souillé de lèvres, et j’habite au milieu d’un peuple souillé de lèvres ; et mes yeux ont vu le Roi, l’Eternel des armées. »v
v – Ésaïe 6.5.
Et nous, mes frères, comment notre prédication acquerra-t-elle la force et l’efficacité qui si souvent lui font défaut ? Il faut qu’elle prenne le caractère d’un témoignage. Il ne suffit point d’avoir entendu parler de la sainteté divine, ou même d’avoir beaucoup médité sur ce sujet : il faut avoir été soi-même en contact avec elle. Recueillez-vous chaque jour sous le regard de Dieu. Anticipez souvent son jugement, qui mettra au jour les choses ignorées de tous, les fraudes secrètes du cœur, les négligences volontaires, les infidélités cachées même sous les apparences du ministère le plus fidèle. Laissez le rayon de la sainteté divine vous transpercer ! Poussez ce cri d’angoisse : « Malheur à moi ! C’en est fait de moi ! Je suis un homme souillé de lèvres ! » Humiliez-vous pour vous-mêmes et pour 1e peuple entier… Tant que votre prédication de la sainteté de Dieu ne sera pas puisée dans cette vive expérience, elle ne sera point un témoignage ; elle ne saurait émouvoir ; elle ressemble à un glaive émoussé, qui glisse, effleure, mais ne transperce pas. Vous ne ferez pas trembler, parce que vous n’aurez pas tremblé vous-mêmes. N’est-ce pas là l’explication de l’inefficacité de tant de paroles évangéliques, de tant de prédications vraiment bibliques? C’est avec des lèvres encore toutes tremblantes de l’émotion que nous avons éprouvée dans cette rencontre intime avec la majesté du Très-Haut et en nous trouvant aux prises avec sa sainteté, qu’il faut parler à nos frères sur un tel sujet.
Bien plus, pour être les représentants bénis de la sainteté de Dieu ici-bas, il ne suffit pas que, nous en ayons été personnellement les témoins ; il faut que nous en soyons, personnellement les porteurs. Jésus ne se bornait pas à appeler Dieu devant ses apôtres, « Père saint. » Il disait : « Je me sanctifie moi-même pour eux, afin qu’eux aussi soient sanctifiés en vérité. »w C’est-à-dire qu’il se consacrait entièrement à sa tâche, qu’il immolait à sa mission ses instincts les plus naturels, ses goûts les plus innocents, et que, comme il s’imposait, pour son œuvre, le renoncement aux jouissances les plus légitimes, il acceptait aussi, pour elle, les douleurs les moins méritées. C’est ainsi qu’il imprimait à tout son être le sceau de l’obéissance, et qu’il ne laissait pas dans sa nature un seul jet qu’il ne soumît résolument, à la taille douloureuse de la volonté divine. Par cette consécration volontaire, intime, toujours croissante, il ratifiait et réalisait la consécration extérieure qu’il avait reçue par 1e ministère du Précurseur.
w – Jean 17.19.
Et, en consacrant ainsi tout son être, que voulait-il ? Nous dispenser de consacrer le nôtre? « Afin qu’eux aussi, dit-il, soient sanctifiés en vérité. » Il venait enfanter sur la terre une race nouvelle de sacrificateurs, dans laquelle les apôtres devaient occuper le premier rang, mais à laquelle devait être incorporé tout ministre de sa Parole. Cette consécration parfaite de la vie humaine qu’il a consommée en sa personne, travaillez à la réaliser dans la vôtre ; laissez-vous envelopper dans ce sacrifice complet de lui-même qu’il a offert pour lui et pour vous ; renoncez à chaque goût, à chaque penchant, à chaque habitude, qui ne saurait être mis en rapport avec la mission qu’il vous a confiée ; imprimez à votre travail et à vos récréations, à vos études de cabinet et à vos fonctions extérieures, aux actes de votre vie domestique et à ceux de votre ministère public, à vos succès et à vos revers, le sceau de la consécration entière à l’œuvre à laquelle vous vous êtes voués, de la vie et de la mort à la tâche et pour la tâche ; n’ayez pas deux vies, l’une à vous, l’autre au Seigneur ; ne séparez pas même, dans votre travail spirituel, l’œuvre de votre ministère de celle de votre sanctification personnelle : confondez ces deux travaux en un seul ; soyez constamment pour Jésus, par l’accord le plus intime de votre volonté avec la sienne, ce qu’il a constamment été lui-même pour Dieu, un serviteur fidèle, un ami dévoué, accomplissant toujours ce qui lui est agréable !x Voilà le sacerdoce de la nouvelle alliance, celui que Jésus a fondé, par sa vie et par sa mort, à la gloire du Père ! Voilà la consécration qui donnera réalité à celle que vous avez reçue par l’imposition des mains ! Par elle vous deviendrez la famille du nouvel Aaron, et vous porterez gravée non sur votre front, mais dans votre cœur, la devise réalisée par lui : « Sainteté à l’Eternel ! »
x – 1 Jean 8.29.
Le moyen de parvenir à cette consécration entière, à cette sainteté que réalise sous la forme la plus sublime le ministère chrétien, quel est-il ? Après qu’Esaïe a contemplé la sainteté divine, qu’il en a tremblé, le séraphin prend sur l’autel céleste un charbon ardent, le fait passer sur ses lèvres, et Dieu lui dit : « Ton péché est ôté, et propitiation est faite pour ton iniquité. »y Et quand il est ainsi réconcilié avec la sainteté, qu’il l’a lui-même reçue au dedans de lui, alors il peut en devenir le représentant vivant et comme le porteur au milieu d’Israël, non seulement par sa parole, mais par sa vie.
y – Ésaïe 6.6-7.
Serviteurs de l’Eternel, connaissez-vous l’autel d’où jaillissent aujourd’hui les charbons de feu ? C’est la croix où Christ s’est consumé lui-même, faisant propitiation pour notre péché et, pour celui de tout le peuple. Approchez-vous de ce foyer brûlant ; laissez tomber dans votre cœur la céleste étincelle ; qu’elle consume la tache profonde qu’a faite dans votre conscience le péché ; que, changée par le souffle du Saint-Esprit en une vive flamme, elle dévore en vous toute volonté propre et naturelle. Alors, réconciliés avec la sainteté divine, devenus vous-mêmes ses dépositaires, vous l’aimerez, et vous pourrez non seulement la faire redouter des hommes, mais la leur faire aimer. En chaire, et dans toute votre vie, vous pourrez, comme David, psalmodier au Saint d’Israël. Ce spectacle d’un serviteur de Christ saintement joyeux fera plus d’effet sur votre troupeau que les plus heureux tours d’éloquence et les plus belles formes oratoires. Quel beau jour, mes bien-aimés frères, que celui où, dans toute notre Suisse, chaque paroissien, en contemplant son pasteur, pourra se dire : « Voilà un homme qui m’est complètement consacré, qui m’appartient tout entier ! Il est à moi, parce qu’il est à Christ, et que Christ est à Dieu, et que Dieu est à moi ! » Que ces deux jours que nous allons passer ensemble contribuent à avancer ce jour-là ! Que toutes les paroles que nous nous adresserons mutuellement, dans les discussions qui vont suivre, aient le caractère de cet entretien solennel qu’ont ensemble les séraphins, lorsqu’en présence de Dieu ils se crient l’un à l’autre avec un joyeux frémissement : « Saint, saint, saint est l’Eternel des armées ! »
Seigneur, qui es haut et élevé, qui habites dans l’éternité et dont le nom est saint, tu as dit : « J’habiterai dans le lieu haut et saint, et j’habiterai avec celui qui a le cœur brisé et qui est humble d’esprit, afin de vivifier l’esprit des humbles et de vivifier ceux qui ont le cœur brisé ; »z nous voici devant toi, nous, tes serviteurs souillés de lèvres, mais désireux de te servir avec des lèvres pures. O Dieu saint, brise au milieu de nous ce qui résiste ; vivifie ce qui déjà est brisé ! Rends-nous saints comme tu es saint ! Amen.
z – Ésaïe 57.15.