Soyons-en assurés, mes amis, le chemin de la vie est semé d’épines. L’Ecriture ne nous le cache pas. Jésus ne dit-il pas à ce volontaire inconsidéré dont parle l’Evangile : Les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel ont des nids ; mais le fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête. Et qu’écrit Saint Paul sur 1’étendard d’Israël ? C’est par beaucoup d’afflictions qu’il nous faut entrer dans le royaume des cieux. Au reste, que cela ne détourne personne de se joindre à nos rangs. Il est magnifique aussi, il est plein de charmes le chemin de Salem. Seulement, comme dit Esaïe, il y aura une couverture sur tout ce qui est précieux et honorable. Eh bien ! soulevons cette couverture et les voies de Dieu envers ses élus nous rempliront d’admiration.
8 Et il arriva un jour qu’Élisée passa par Sunem, où il y avait une femme qui avait de grands biens, et elle le retint avec grandes instances à manger du pain chez elle, et toutes les fois qu’il passait, il s’y retirait pour manger. 9 Et elle dit à son mari : Je connais maintenant que cet homme qui passe souvent chez nous, est un saint homme de Dieu. Faisons-lui, 10 je te prie, une petite chambre haute et mettons-lui là un lit, une table, un siège et un chandelier, afin que quand il viendra chez nous il se retire là. 11 Etant donc un jour venu là, il se retira dans cette chambre haute et y reposa. 12 Puis il dit à son serviteur Guéhazi : Appelle cette Sunamite, et il l’appela et elle se présenta devant lui. 13 Et il dit à Guéhazi : Dis maintenant à cette femme : Voici tu as pris tous ces soins pour nous ; que pourrons-nous faire pour toi ? As-tu à parler au roi ou au chef de l’armée ? Et elle répondit : J’habite au milieu de mon peuple. 14 Et il dit à Guéhazi : Que faudrait-il faire pour elle ? Et Guéhazi répondit : certes elle n’a point de fils et son mari est vieux. 15 Et Élisée dit : Appelle-la ; et il l’appela, et elle se présenta à la porte. 16 Et il lui dit : L’année qui vient, et en cette même saison, tu embrasseras un fils. Et elle répondit : Mon seigneur, homme de Dieu, ne mens point, ne mens point à ta servante ! 17 Cette femme-là donc conçut, et enfanta un fils un an après, en la même saison, comme Élisée lui avait dit. 18 Et l’enfant étant devenu grand, il sortit un jour pour aller trouver son père vers les moissonneurs, 19 et il dit à son père : Ma tête ! ma tête ! Et le père dit au serviteur : Porte-le à sa mère. 20 Il le porta donc et l’amena à sa mère et il demeura sur ses genoux jusqu’à midi, puis il mourut. 21 Et elle monta et le coucha sur le lit de l’homme de Dieu, et ayant fermé la porte sur lui, elle sortit. 22 Puis elle cria à son mari et dit : Je te prie, envoie-moi un des serviteurs et une ânesse et je m’en irai jusqu’à l’homme de Dieu, puis je retournerai. 23 Et il dit : Pourquoi vas-tu vers lui aujourd’hui, ce n’est point la nouvelle lune ni le sabbat, et elle répondit : Tout va bien. 24 Elle fit donc seller l’ânesse et dit à son serviteur : Mène-moi et marche, et ne me retarde pas d’avancer chemin sur l’ânesse, si je ne te le dis. 25 Ainsi elle s’en alla et vint vers l’homme de Dieu en la montagne de Carmel, et sitôt que l’homme de Dieu l’eût vue venant vers lui, il dit à Guéhazi, son serviteur : Voilà la Sunamite, 26 va, cours au devant d’elle et lui dis : Te portes-tu bien ? Ton mari se porte-t-il bien ? L’enfant se porte-t-il bien ? 27 Et elle répondit : Nous nous portons bien. Puis elle vint vers l’homme de Dieu en la montagne, et embrassa ses pieds. Et Guéhazi s’approcha pour la repousser, mais l’homme de Dieu lui dit : Laisse-la car elle a son cœur angoissé et l’Eternel me l’a caché et ne me l’a point déclaré. 28 Alors elle dit : Avais-je demandé un fils à mon Seigneur ? et ne te dis-je pas : ne fais point que je sois trompée ? 29 Et il dit à Guéhazi : Trousse tes reins, prends mon bâton en ta main et t’en vas ; si tu trouves quelqu’un ne le salue point et si quelqu’un te salue ne lui réponds point, puis tu mettras mon bâton sur le visage de l’enfant. 30 Mais la mère de l’enfant dit : L’Eternel est vivant et ton âme est vivante que je ne te laisserai point. Il se leva donc et s’en alla après elle. 31 Or, Guéhazi était passé devant eux et avait mis le bâton sur le visage de l’enfant, mais il n’y eut ni voix ni apparence de sentiment. Ainsi Guéhazi s’en retourna au devant d’Élisée et lui en fit le rapport en disant : L’enfant ne s’est point réveillé. 32 Élisée entra donc dans la maison et voilà l’enfant mort était couché sur son lit, 33 et étant entré, il ferma la porte sur eux deux et fit sa prière à l’Eternel. 34 Puis il monta et se coucha sur l’enfant et mit sa bouche sur la bouche de l’enfant et ses yeux sur ses yeux, et ses paumes sur ses paumes et se pencha sur lui, et la chair de l’enfant fut échauffée. 35 Puis il se retirait et allait par la maison, tantôt dans un lieu tantôt dans un autre, et il remontait et se penchait encore sur lui. L’enfant éternua par sept fois et ouvrit les yeux ; 36 alors Élisée appela Guéhazi et lui dit : Appelle cette Sunamite, et il l’appela et elle vint à lui. Et il lui dit : Prends ton fils. 37 Elle s’en vint donc, se jeta à ses pieds, et se prosterna en terre. Puis elle prit son fils et sortit.
Ce récit, malgré sa longueur, forme un tout si bien lié et d’ailleurs si simple et si intelligible qu’il serait difficile et superflu de le partager en plusieurs sujets de méditations. Il suffira que je vous en présente encore une fois les différents traits pour que l’enseignement divin qu’il renferme vous devienne clair dans son ensemble. Mais je veux de plus m’arrêter avec vous sur l’application de chaque partie de cette histoire, qui, comme une grappe délicieuse, nous invite à exprimer dans notre coupe ses sucs rafraîchissants. La retraite de Sunem ; — l’hôte reconnaissant ; — la mort du fils unique ; — Guéhazi et le bâton d’Élisée ; — la résurrection ; telles sont les scènes distinctes sur lesquelles j’appellerai votre attention. Puissent-elles servir à fortifier plusieurs d’entre vous dans les défaillances de la foi !
Environ au centre de la Terre Sainte, à quelques journées au nord de Jérusalem, s’étend depuis les rivages de la mer jusqu’aux bords du Jourdain, une vaste plaine entrecoupée de collines et traversée en partie par la petite rivière de Kison. C’est à peine si, pour la fertilité du sol, la magnificence de la végétation et la douceur du climat, cette contrée trouve son égale sur toute la terre. C’est là qu’entouré d’oliviers toujours verts et d’onduleuses moissons, se trouvait autrefois le bourg riant de Sunem. Nous nous y transportons en esprit, et nous nous plaisons à considérer ces maisons si propres quoique simples et rustiques, marque certaine d’activité, de probité et de bien-être. Tout à coup nous voyons s’avancer un homme dont l’extérieur étrange attire toute notre attention : un adolescent l’accompagne ; la poussière qui le couvre indique un étranger, un voyageur. Un manteau grossier l’enveloppe, une ceinture de cuir est autour de ses reins ; mais son visage contraste avec ses sombres vêtements ; car un rayon de bonté l’illumine et ses traits n’expriment que paix et charité. Tous ceux qui le rencontrent s’arrêtent et le saluent avec un touchant respect. Les petits enfants mêmes quittent leurs jeux dès qu’ils l’aperçoivent et le regardent passer ou vont lui présenter leurs petites mains. Il répond aux saints avec une bonté paternelle et se dirige vers une maison d’un extérieur respectable et attrayant. La maîtresse du lieu est déjà sur le seuil. Elle le presse d’entrer et le vénérable pèlerin obéit à son invitation cordiale. Vous avez reconnu Élisée accompagné de Guéhazi son serviteur et son élève. Ne vous étonnez point de ce que le prophète est si bien connu à Sunem ; souvent, déjà, il l’a traversé dans ses voyages, soit pour se rendre aux écoles de prophètes, soit pour se retirer des bruits du monde sur les hauteurs de Carmel. Mais qui est la femme qui s’est empressée de le recevoir dans cette agréable demeure ? Il faut que je vous la fasse connaître. Vous avez remarqué qu’elle appartient à la classe élevée. Le texte nous dit qu’elle avait de grands biens. Cependant c’est le moindre de ses avantages. Elle connaît et possède d’autres richesses que celles que rongent les vers et la rouille, car elle est de ce résidu d’Israël qui n’a point fléchi le genou devant Baal. Elle est fille d’Abraham selon l’esprit, c’est une bien-aimée de Jéhovah, et à voir le respect et l’amour qu’elle témoigne au prophète, on pourrait croire qu’il a été l’instrument de sa conversion. Nous ignorons dans quelle circonstance elle a fait la connaissance d’Élisée. Mais elle le connaît depuis longtemps. Souvent il a mangé du pain sous son toit et depuis un certain jour surtout, il ne passe plus à Sunem, sans s’y retirer pour manger. Ce jour-là, la Sunamite avait dit à son mari : « Je connais maintenant que cet homme qui passe souvent chez nous est un saint homme de Dieu. Faisons-lui, je te prie, une petite chambre haute, afin que quand il y viendra il s’y retire et qu’il soit plus longtemps avec nous. » Son mari consentit avec plaisir à cette demande, et en peu de jours la chambre fut prête. On y mît un lit, une table, un siège et un chandelier et dès qu’Élisée revint à Sunem, les époux l’y conduisirent, en disant : « Nous t’avons préparé cette petite chambre pour que tu y demeures quand tu viendras vers nous. » Élisée ne refusa point cette offre, car il savait que chez ses hôtes le cœur était d’accord avec les paroles. Dès ce moment, la maison fut pour eux comme un sanctuaire. Ils savaient que le prophète était avec Jéhovah dans des relations plus intimes qu’aucun d’entre eux et, lorsqu’il arrivait, il leur semblait presque recevoir Jéhovah lui-même. L’exemple de la Sunamite nous explique bien ces paroles de notre Seigneur (Matthieu 10.41-42) : Celui qui reçoit un prophète en qualité de prophète recevra la récompense d’un prophète, et celui qui recevra un juste, en qualité de juste recevra la récompense d’un juste. Et quiconque aura donné à boire seulement un verre d’eau froide à l’un de ces petits en qualité de disciple, je vous dis en vérité qu’il ne perdra point sa récompense. Que veut-il dire, en effet, par ces paroles ? Que celui qui, malgré leur chétive apparence, sait voir, chez les enfants de Dieu, la splendeur intérieure de la grâce et qui témoigne, d’une manière quelconque, qu’il aime les saints parce qu’ils sont saints, recevra certainement sa part des célestes bénédictions qui affluent sur le juste. Que dites-vous de cette assurance ? N’est-ce pas bien honorer ses enfants que de récompenser le bien qu’on leur fait comme s’il Lui était fait à Lui-même ? N’est-ce pas avoir pour les siens un cœur bien paternel, que de proclamer, d’une manière aussi solennelle, quelle sera la récompense de quiconque leur aura témoigné un peu d’amour ? Retenez donc ces paroles ; car c’est l’Eternel qui les a prononcées. Que celui qui les mettra en pratique soit assuré que la bénédiction descendra sur lui et sur sa maison. Peut-être cette bénédiction consistera-t-elle dans le don le plus précieux, dans la nouvelle naissance, dont cette étincelle d’amour est le germe ; ou s’il est déjà né de nouveau, peut-être recevra-t-il ce qu’il y a de plus excellent après la nouvelle naissance, le don d’une paix incessante dans le sang de Christ, le don d’une conscience entièrement purifiée des œuvres mortes. Mais que celui qui hait les saints en qualité de saints et de justes, considère ce qu’il doit attendre d’un Seigneur qui prend tellement à cœur ce qui les concerne, et que l’amour de Jésus pour son peuple le fasse, s’il est possible, salutairement trembler !
Voici donc notre Élisée de retour à Sunem. Près de ses hôtes aimables, dans d’intimes et sérieux entretiens, les heures passent avec la rapidité de la flèche, et la lassitude du vénérable pèlerin est bientôt dissipée. Qu’il est doux, après avoir erré comme en exil à travers ce monde, de jouir, ne fût-ce qu’un moment, de la société des enfants de Dieu et d’entendre sortir de cœurs pénétrés le nom si peu répété de Jésus ! N’est-ce pas comme si l’on abordait, après une navigation périlleuse, aux côtes riantes et sûres de quelque île isolée ? N’est-ce pas comme un avant-goût de l’ineffable joie qu’on ressentira en se retrouvant dans les tabernacles célestes ! — Oh ! comme alors on voit distinctement l’abîme insondable qui sépare du peuple de Dieu, même le monde le plus raffiné ! On a quitté l’atmosphère de l’égoïsme pour celle de l’amour, l’élément du mensonge et de l’apparence, pour celui de la vérité. L’air qu’on respire est plus pur. Le cœur se dilate. Oui, se dit-on avec une foi renouvelée, j’appartiens à ce peuple et non point au monde. C’est ici mon élément ; c’est ici ma patrie ! — Il fut un temps heureux, au moyen-âge, pour notre contrée et pour les bords du Rhin. De Cologne à Mayence et jusqu’en dessus de Strasbourg, on rencontrait un grand nombre de fidèles, tisserands pour la plupart, qui vivaient dans l’ombre pour échapper aux fureurs de l’Eglise romaine. Ces bonnes gens étaient liés entr’eux de la manière la plus intime et même sans s’être vus, ils connaissaient le nom, la position et la demeure les uns des autres. Lorsqu’ils voyageaient ils n’avaient que faire d’auberges, mais ils logeaient chez leurs frères, et demeuraient ainsi dans leur élément, loin du souffle pestilentiel du monde. Ah ! pourquoi ne vivons-nous plus dans cet esprit apostolique ? — Élisée aimait donc bien Sunem, dans la plaine de Jisréel, et à Sunem la maison hospitalière. Il n’aurait pas échangé sa petite chambre contre une demeure royale. Cette fois surtout, profondément touché des témoignages de respect et d’amour qu’il reçoit de ses hôtes, il se retire dans son paisible asile, les recommande à Dieu dans sa prière, puis se livre à un doux sommeil ; vers le matin il appelle son serviteur Guéhazi. « Ecoute, » dit-il, « nous devons témoigner notre gratitude à la Sunamite ; appelle-la et dis-lui : Voici, tu as pris pour nous toutes ces peines, que pourrait-on faire pour toi ? as-tu à parler au roi ou au chef de l’armée ? » Depuis la défaite miraculeuse des Moabites, le prophète était rentré en crédit à la cour. On se regardait comme obligé envers lui et sa requête auprès de Joram ou de ses ministres n’eût point été sans résultat. Après avoir porté son message à la Sunamite, Guéhazi revient. Eh bien, dit Élisée, que demande-t-elle ? Rien, répond Guéhazi, elle dit que c’est à elle à avoir de la reconnaissance, qu’elle est trop honorée que tu aies bien voulu t’asseoir sous son toit et que c’est une belle récompense pour le peu de peine qu’elle s’est donnée ; que du reste, elle n’a rien à demander au roi ni à la cour, car elle vit en paix au milieu de son peuple. Élisée dit à son serviteur que faut-il donc lui faire ? et Guéhazi répond : Certes elle n’a point de fils et son mari est vieux. C’est bien dit, pense le prophète, et aussitôt il expose la choses l’Eternel. — Appelle la Sunamite ; dit-il ensuite à Guéhazi. La Sunamite s’approche, et Élisée, déjà prêt à partir, lui dit avec le sérieux et l’assurance d’un messager de Dieu : L’année qui vient et en cette même saison, tu embrasseras un fils. « Qu’entends-je, s’écrie la femme émue ; comment cela arriverait-il ? Mon seigneur, homme de Dieu, ne mens point à ta servante ! » Mais le prophète tend une main amie aux deux époux, les remercie, appelle sur eux la paix et le bonheur, et les quitte accompagné de Guéhazi.
J’habite au milieu de mon peuple, avait répondu la Sunamite avec l’accent d’une intime satisfaction. Dieu soit loué ! mes frères, nous pouvons tenir le même langage. Que les uns se glorifient de fréquenter les grands de ce monde, les autres d’être admis parmi les savants et les artistes les plus distingués, nous ne leur portons point envie ; mais nous pourrions être jaloux du chrétien qui jouirait de la communion de ses frères, si nous-mêmes nous né possédions ce bonheur. Mais nous en jouissons plus que personne. Non seulement nous demeurons au milieu de notre peuple, mais encore nous avons le choix de nos relations. Chacun de nous trouve aisément son petit groupe, avec qui il peut s’accorder non seulement sur l’ensemble, mais sur les détails de la foi ; chacun trouve aisément deux ou trois âmes qui le comprennent à demi-mot, avec lesquelles il peut s’entretenir, même sans le secours de la parole. J’habite au milieu de mon peuple ! doux privilège qu’aucun bien de ce monde ne saurait balancer. Car ce n’est qu’en Sion que l’amour habite et que l’on trouve une vraie communion d’âmes qu’aucune crainte de séparation ne peut troubler. Réjouissons-nous de notre partage, et resserrons en Christ nos liens fraternels ! Puis, s’il nous reste encore de lourds fardeaux, cette pensée : j’habite au milieu de mon peuple, nous aidera puissamment à les supporter.
Mais revenons à la Sunamite. — Ainsi que l’avait dit le prophète, à peine un an s’était écoulé qu’elle pressait sur son cœur un fils chéri. Elle venait de faire la joyeuse expérience que le Dieu de Sara et d’Anne était encore vivant ; ce dont elle avait un peu douté lorsqu’elle s’écriait : « Mon seigneur, ne mens point à ta servante ! » Et le Dieu qui conduisit Israël à travers la mer est-il moins vivant ? et le Dieu de Daniel et des trois jeunes hommes ? Il vit ! Il est le même hier, aujourd’hui et éternellement ? Si seulement vous croyiez vous terriez sa gloire, vous contempleriez le roi dans sa beauté !
Notre histoire offre ici une lacune de quelques années. Le petit enfant a grandi sous les yeux de sa mère. Il est la joie de ses parents et la riante étoile de leur ciel sans nuages. Car la vie s’écoulait dans cette maison, comme une onde limpide entre des rives fleuries, et il semblait que les chagrins rencontrassent autour de cet asile une barrière infranchissable. Au sein de ce bonheur sans mélange, ils avaient pu oublier ce que c’est que de craindre. Mais voici que le Dieu d’amour prépare un crêpe funèbre qu’il va faire descendre sur la demeure fortunée de Sunem ! Ecoutons le récit de notre texte. Un jour d’été, le père était aux champs avec les moissonneurs, la mère travaillait à la maison. « Mère, dit l’enfant, permets-moi d’aller rejoindre mon père : je désirerais voir moissonner et lier les gerbes. » La mère y consent, car il est sage et capable de se conduire. Mais, en route, il est saisi d’une violente douleur de tête, et de minute en minute le mal augmente. Il court à son père en s’écriant : O ma tête ! ma tête ! Le père, sans trop d’inquiétude, se contente de le renvoyer à sa mère. Mais quel est l’effroi de la pauvre Sunamite en voyant revenir son enfant le visage pâle et plus près de la mort que de la vie ? Toute éplorée, elle cherche à le réchauffer contre son sein. Tout est mis en œuvre pour le soulager j mais tout est inutile. Pauvre mère ! l’édifice de ton bonheur terrestre chancelle. L’enfant perd connaissance, les ombres de la mort s’étendent sur ses traits. A midi, il rend le dernier soupir. Il n’est plus ! — Sa mère ne peut le croire. Elle l’appelle par son nom ; mais c’est en vain. La brillante étoile a disparu, l’aimable fleur s’est flétrie en un moment, et c’en est fait avec elle du doux printemps de Sunem. Mais quelle pouvait être l’intention du Seigneur ? Je ne sais. Ses bien-aimés avaient-ils besoin de mieux comprendre que le ciel ne se trouve point sur la terre ? Ou bien voulait-il reprendre un peu de la place que le fils chéri lui avait ôté dans leur cœur ? Je ne sais ; je ne puis vous répondre d’une manière précise. Mais je sais une chose, c’est que l’issue devait être glorieuse ; c’est que les affligés devaient cueillir les plus doux fruits sur les épines même de leur affliction ; c’est qu’ils devaient un jour baiser la main qui les avait frappés, en s’écriant : Que Dieu soit béni de ce qu’il nous a conduit selon sa volonté et non selon la nôtre ! Il faut que toutes choses concourent ensemble au bien de ceux qui aiment Dieu. » Il le faut, l’ordonnateur divin l’a ainsi commandé.
Mais que fait en ce moment la pauvre mère ? Nous la voyons monter l’escalier avec peine, portant dans ses bras le corps de son enfant. Elle le dépose sur la couche du prophète. Puis, se faisant violence, elle s’arrache de ces lieux, ferme la porte et court vers le serviteur qui a ramené l’enfant. Elle le supplie de ne rien dire à son mari, qui durant la moisson a l’habitude de rester jusqu’au soir avec les ouvriers, mais seulement de lui demander pour elle une ânesse parce qu’elle désire aller au Carmel vers l’homme de Dieu. Son désir est bientôt satisfait, quoique son mari éprouve quelque surprise de cette résolution subite. Il lui fait dire : Pourquoi vas-tu aujourd’hui vers le prophète, puisque ce n’est ni le jour du sabbat, ni la nouvelle lune ? Sans doute qu’Élisée convoquait ces jours-là le peuple et que le digne couple avait coutume d’aller écouter ses paroles. La Sunamite répond d’une manière évasive, et après avoir bâté l’ânesse, elle dit au serviteur : « marche et ne me retarde point d’avancer mon chemin à moins que je ne te le dise. » Elle arrive au Carmel ; le prophète l’aperçoit, et envoie, non sans inquiétude, son serviteur Guéhazi au devant d’elle en disant : « Vas, cours, et lui dis : Te portes-tu bien ? Ton mari et ton fils se portent-ils bien ? » Tout va bien, répond-elle vaguement à Guéhazi ; mais s’approchant de l’homme de Dieu, elle se jette à ses pieds et les presse de ses tremblantes mains. Guéhazi, pensant que cette familiarité importune son maître, cherche à la repousser, comme les disciples de Jésus repoussèrent celles qui voulaient lui présenter leurs petits enfants. Mais Élisée, le cœur rempli de compassion, dit à son serviteur : laisse-la, car elle a le cœur outré et l’Eternel me l’a caché et ne me l’a point déclaré. Alors d’une voix émue, elle répand devant lui toute l’amertume de son cœur : Avais-je demandé, dit-elle, un fils à mon Seigneur ? Ne te dis-je pas : Ne fais point que je sois trompée ? Quelle confiance filiale dans ce reproche ! A peine Élisée l’a-t-il entendue qu’il sent s’éveiller au dedans de lui un ardent désir d’essuyer ses larmes. Espérant tout de l’éternel amour, il dit à Guéhazi : « Ceins tes reins ; prends mon bâton en ta main et t’en vas et si tu trouves quelqu’un, ne le salue point et si quelqu’un te salue, ne lui réponds point ; puis tu mettras mon bâton sur le visage de l’enfant ! A peine Guéhazi a-t-il entendu ces ordres, que déjà il est en route, le message lui plaît : Ah ! pense ce léger jeune homme, c’est moi qui porte le sceptre aujourd’hui ! Le cœur gonflé de joie il court vers la petite ville, et s’il eût osé, il eût crié, sans doute, aux passants : Venez aujourd’hui à Sunem, et vous verrez de grandes choses ! Il arrive. Quelle importance il se donne ! Avec quelle gravité il se présente ! Je viens, dit-il, arracher à la mort sa proie. On le conduit à la chambre funèbre. Il s’approche à pas mesurés, il pose, d’un air mystérieux, son bâton sur le visage de l’enfant. Il ne doute pas que le mort n’ouvre à l’instant les yeux et ne se relève de sa couche ! Les serviteurs rangés autour de la chambre attendent dans une palpitante émotion. Mais le mort ne bouge point. Patience ! se dit Guéhazi, et il dispose le bâton d’une autre manière. Mais en vain ! Le cadavre reste immobile. L’enfant est demeuré sourd dans les profondeurs de la mort, scène déplorable ! Les spectateurs sont confus. Guéhazi, triste objet de leur pitié, n’ose lever les yeux. Que ne donnerait-il pas pour n’avoir pas usurpé des airs de prophète ! Ah, je vois bien, pense-t-il, que le bâton n’est pas tout et que son effet dépend aussi des dispositions de celui qui le tient ! — Il paraît bien, Guéhazi, que la mort et le diable ne te redoutent point encore !
Il avait besoin de faire cette expérience. Élisée le savait sans doute et on serait tenté de croire que ce fut pour la lui procurer qu’il l’envoya avec son bâton à Sunem. Au reste la leçon que reçut Guéhazi dans cette circonstance nous est aussi adressée. Non, le bâton des hommes de Dieu n’est pas tout ! Qui tient le bâton, voilà ce qui importe. C’est un merveilleux bâton que la prière au nom de Jésus. Combien de fois n’a-t-il pas fendu les rochers et partagé les eaux ? Combien de fois cette arme n’a-t-elle pas vaincu les puissances infernales ? Oui, le monde lui est soumis lorsque c’est la foi qui s’en sert, mais lorsque c’est l’orgueil il n’en résulte qu’une caricature des choses saintes et des scènes ridicules à la Guéhazi. Souvenons-nous de l’histoire des fils de Scéva (Actes 19.13). C’est une chose aisée que d’imiter la prière de la foi ; une bagatelle que de commander au nom de Jésus ; un jeu d’enfant que de réclamer du Seigneur l’accomplissement de ses promesses. Mais la foi seule est puissante. Sans elle, les plus belles paroles ne sont que du vent. Aie de la foi comme un grain de moutarde et rien ne pourra te résister. Joue le croyant avec une habileté parfaite, tu devras te retirer plein de honte : ta folie n’aura point d’autre récompense.
La Sunamite n’a point été satisfaite de voir Guéhazi chargé d’une telle mission. Que pourra-t-il faire pour elle ? Elle pressent que la mort ne reculera pas devant lui. Élisée lui-même doit venir. Avec toute l’impétuosité d’un cœur angoissé, elle le conjure de le suivre. — « L’Eternel est vivant, s’écrie-t-elle, et ton âme est vivante que je ne te laisserai point. » — Une demande aussi instante eût ébranlé un cœur de pierre ; mais le cœur compatissant d’Élisée n’eût pas eu besoin de cette impétuosité. Il la suivit volontiers. Il y fût allé de lui-même. Oh ! quelle joie pour la pauvre mère, lorsqu’elle le voit se mettre en marche avec elle ! Déjà il lui semble que son fils lui est rendu. Elle voit déjà la lumière briller sur sa demeure. Le sombre nuage est dissipé ; l’aurore d’un nouveau bonheur lui succède. La vue de l’homme de Dieu, marchant à ses côtés, dissipe toutes ses inquiétudes. Ah ! si la présence d’un ami terrestre, en qui ne brillait qu’un pâle reflet de la grâce pouvait ainsi la fortifier, quel ne devrait pas être notre courage puisque la foi nous montre à nos côtés Celui en qui habite toute plénitude, celui dont Élisée ne se fût pas cru digne de porter les souliers ! Non loin de Sunem ils retrouvent Guéhazi qui, tout honteux, raconte à son maître que l’enfant ne s’est point réveillé ! Ils entrent dans le bourg. Plusieurs de ceux qu’ils rencontrent sont peut-être surpris de voir la pauvre mère si consolée. Ne dirait-on pas, pensent-ils, qu’elle se rend à un festin de noces ? D’autres, devinent sans doute la cause de ce changement. — De grandes choses vont se passer aujourd’hui à Sunem, car l’homme de Dieu est avec elle. — Élisée entre dans la maison de deuil. Le mari de la Sunamite est revenu, sans doute, dans l’intervalle, et la reçoit en pleurant. Mais elle lui dit : Ne pleure pas, le Seigneur nous sera en aide. Le prophète se fait ouvrir la chambre, mais loin d’agir comme Guéhazi, il reste grave, simple et, sans prononcer une parole, il s’enferme près du mort et commence à assiéger le trône de la grâce ! Préparez-vous maintenant au combat, puissances des ténèbres ! Il y a ici plus que Guéhazi ! plus qu’un morceau de bois, plus que de vaines formules. Il y a ici l’assurance fondée sur le Tout-Puissant, il y a ici la foi qui transporte les montagnes et le parfum miraculeux de la prière ! Les liens de la mort ne cèdent point aux premières supplications du prophète ; alors il s’étendit, se coucha sur l’enfant et mit sa bouche sur la bouche de l’enfant, et ses yeux sur ses yeux, et ses paumes sur ses paumes, et se pencha sur lui ; et la chair de l’enfant fut échauffée. Pourquoi donc agit-il ainsi ? Il le fait dans l’impétuosité de son émotion et peut-être aussi comme type de Christ. N’est-ce pas comme s’il disait : L’enfant et moi nous ne sommes plus qu’un ; il faut que la bénédiction qui est en moi vienne reposer sur lui ? Cependant cette prière fervente, ce symbole frappant reste encore sans résultat ! Alors il se retire, il va de chambre en chambre par la maison ; puis il remonte et se penche do nouveau sur l’enfant. Dieu éprouve son prophète. Il s’agit pour lui de faire violence au Très-Haut ; il faut qu’il brise les verrous des portes du ciel ! Sans doute qu’il présente à Dieu toutes ses promesses, qu’il l’implore au nom de sa gloire, de sa miséricorde et de tout ce qui peut le toucher. Il serre le mort dans ses bras et persiste avec toute l’ardeur d’un homme résolu à remporter la victoire. Enfin, ô prodige ! ô moment désiré ! l’enfant éternue sept fois, il ouvre les yeux, il vit ! Élisée appelle son serviteur et lui donne l’ordre d’aller chercher la Sunamite. Guéhazi va lui dire : Le maître t’appelle ; l’heureuse mère tressaille de joie, car elle ne doute pas que son enfant ne lui soit rendu. Elle accourt. Son espérance ne l’a point trompée. Déjà le prophète le lui montre du seuil paré des couleurs de la vie. « Prends ton fils, » lui dit-il. Elle tombe à ses pieds, et les arrose sans doute de ses larmes. Les alléluia se pressent hors de ses lèvres émues. Elle n’a pas seulement retrouvé son fils, elle a retrouvé son Dieu, qui vient de lui dire, bouche à bouche, avec une force nouvelle ! Ne crains point, je t’ai aidée ; je t’aiderai encore ! — Elle prit l’enfant et sortit. Où donc alla-t-elle ? On le présume bien. Mais cette fois nous ne pouvons la suivre. Elle ferme la porte sur elle et sur son fils. Ecoutons cependant : Qu’indiquent ces soupirs, la contrition ou la joie ? On croit entendre, tour à tour, des paroles d’humiliation, d’adoration et d’actions de grâces. Elle se consacre, elle consacre tout de nouveau son enfant au Seigneur ! Moment imposant et sacré ! Quant à nous, mes amis, réjouissons-nous de ce que Dieu se glorifie de la sorte parmi les fils des hommes, et de ce que sa bonté demeure à toujours sur ceux dont Il a écrit les noms dans son Livre de vie !