On sait que la traduction des Septante renferme un certain nombre de livres qui ne se trouvent pas dans l’A. T. hébreu, et qui sont d’une origine postérieure. L’Église des premiers siècles s’est occupée de la question de savoir quel cas il convenait d’en faire, quelle position il fallait leur assigner vis-à-vis des livres contenus dans le recueil hébreu, et elle a décidé qu’ils pouvaient être lus dans les assemblées du culte. Le concile de Trente leur a accordé le caractère de canonicité, et une Théologie de l’A. T. faite par un catholique doit tenir compte de leur contenu. Le Protestantisme, adoptant une expression de Jérôme, qui n’est pas des meilleures, les a nommés Apocryphes (mis de côté) et les a exclus du canon. Il est ainsi revenu au sentiment de la synagogue palestinienne, tel qu’il s’était définitivement fixé à la fin du premier siècle de notre ère dans le sanhédrin de Jamnia. On a dit que ce sanhédrin s’était placé à un point de vue purement littéraire, et qu’il avait indistinctement fait entrer dans le canon tout ce qui existait alors en fait de livres hébreux. S’il en était ainsi, le livre de l’Ecclésiastique, par exemple, qui existait depuis longtemps, aurait évidemment dû être admis dans le canon. Il s’agissait bien plutôt, dans la fixation du canon, comme le pense Josèphe, de mettre à part les livres inspirés, δικαίως θεῖα πεπιστευμένα βιβλία.
Aujourd’hui il est de mode, même chez les théologiens protestants, d’effacer autant que possible toute distinction entre les livres canoniques et les livres apocryphes. Mais pourquoi tenir si peu de compte de l’opinion du Nouveau Testament à cet égard ?
1° Le Nouveau Testament rattache directement Jean-Baptiste à Malachie et passe les apocryphes sous un silence qui a évidemment quelque chose de significatif (Matthieu 11.13).
2° Le Nouveau Testament ne cite jamais que des livres canoniques. On a voulu trouver dans l’épître de Jacques des citations de l’Ecclésiastique et de la Sapience, mais Stier lui-même a dû reconnaître que ce ne sont là tout au plus que des allusions.
3° Jésus parle aux disciples d’Emmaüs de la loi de Moïse, des prophètes et des Psaumes ; ce sont là tous les livres qui ont écrit de lui (Luc 24.44). — Or l’Ancien Testament hébreu, par opposition à la version des Septante, se divisait en trois parties : La loi ou le Pentateuque ; les Prophètes, qui se subdivisaient à leur tour en prophètes antérieurs, comprenant les livres historiques depuis Josué jusqu’aux Rois, et en prophètes postérieurs, à savoir les 3 premiers grands prophètes et les 12 petits ; et enfin les Hagiographes (Psaumes, Proverbes, Job, Cantique des Cantiques, Ecclésiaste, Esther, Daniel, Esdras, Néhémie, Chronique). Il n’y a donc pas de doute possible sur la manière de voir de notre Seigneur et des apôtres à l’égard du canon de l’A. T.
Pour toutes ces raisons, nous pensons que les livres canoniques seuls sont un pur produit de l’Esprit qui a été le principe de vie de l’ancienne alliance. L’histoire de la Révélation s’y trouve tout entière et ne se trouve que là. Nous laisserons donc de côté les Apocryphes.
Quelques réflexions à l’appui de ce qui précède.
Que si l’on compare les livres de Moïse et les prophètes avec les apocryphes, on doit reconnaître qu’il convient d’établir une différence spécifique entre cette loi, qui revendique continuellement une autorité divine, ces prophètes qui ont conscience d’être des organes de l’esprit de Dieu, — et des ordonnances humaines qui viennent s’ajouter à la loi sans prétendre à une origine divine. Graf, dans son étude sur les livres historiques de l’A. T., prétend que plusieurs des ordonnances du Deutéronome sont plus anciennes que les lois de l’Exode ou du Lévitique, d’où il résulterait que le Pentateuque ne devrait sa forme actuelle qu’à un contemporain d’Esdras qui l’aurait profondément retravaillé. — Mais c’est un fait acquis par l’histoire que, dès après l’exil, le Pentateuque était un recueil auquel personne n’aurait osé toucher. Et c’est précisément ce respect qu’on avait pour le Pentateuque, qui a engagé les docteurs Juifs à le comparer à Sinaï, et à donner le nom de barrière, סיג (seyag) aux ordonnances qu’ils y ajoutaient, et que notre Seigneur regarde d’un tout autre œil que la loi elle-même.
On pourrait plutôt être tenté de contester qu’il y ait une différence réelle entre les Hagiographies et les Apocryphes. Quelques-uns des Hagiographes ne sont-ils pas contemporains des Apocryphes, et n’ont-ils pas été composés après le moment où la prophétie a été réduite au silence ? — Oui, mais même chez les meilleurs d’entre les livres apocryphes on ne peut méconnaître une déchéance considérable de l’Esprit de l’ancienne alliance et un mélange fort compromettant d’éléments profanes et de points de vue étrangers. Prenez, par exemple, le livre tant vanté de Jésus, fils de Sirach, l’Ecclésiastique. Ne voyez-vous pas, pour ne relever qu’un point, combien y est exagérée et matérialisée l’idée de la rémunération ? C’est là de l’eudémonisme tout pur, et un eudémonisme grossier, qui ne tient aucun compte des passages de l’A. T. où cette doctrine est sagement spiritualisée et pour ainsi dire tenue en bride. Parcourons encore la Sapience, le meilleur des Apocryphes. Vous y remarquerez le plus curieux mélange de la philosophie grecque et d’idées provenant de l’A. T. Ce syncrétisme, du reste, est un trait caractéristique de la Théologie judaïque postérieure à l’A. T. En revanche, dans les livres canoniques, la religion révélée a assez de force pour dompter et transformer les éléments étrangers, si elle en trouve qui lui paraissent valoir la peine qu’elle se les assimile. En disant ceci, je pense particulièrement aux antiques traditions qui avaient cours sur la création, aux cérémonies religieuses que Moïse a trouvées établies déjà chez différents peuples, et aux aperçus nouveaux que les livres postérieurs, composés hors de la Palestine, renferment sur la nature des anges ou de Satan.
En tous cas, si nous nous laissions aller dans notre étude à entrer dans le domaine des Apocryphes, nous ne saurions plus où nous arrêter. Par la Sapience nous serions conduits insensiblement à nous occuper de la philosophie alexandrine. Puis, il faudrait consacrer un chapitre, qui du reste ne serait pas le moins intéressant, à l’apocalyptique du livre d’Hénoch, du quatrième livre d’Esdras, du Psautier de Salomon ; après quoi il faudrait encore dire un mot des divers partis religieux qui existaient chez les Juifs, et des fragments de la vieille théologie rabbinique qui nous ont été transmis dans le Targoum. C’est ce qu’ont fait de Wette et Cœlln. Mais pourquoi surcharger la Théologie de l’A. T. d’un appendice aussi considérable ? Pourquoi ne pas faire de ces diverses matières l’objet d’une étude à part ?