Le caractère biblique de la Dogmatique se démontre par le soin qu’elle apporte à retenir constamment l’Écriture Sainte du Nouveau Testament comme la règle suprême de son travail scientifique, et comme la pierre de touche qui, seule, lui fera reconnaître les traditions humaines, traditiones humanœ, qui pourraient se rencontrer dans le développement du dogme chrétien. On ne pourra donc considérer aucune doctrine comme chrétienne, si elle n’est pas conforme au type apostolique, et si elle ne trouve pas naturellement sa place dans le mouvement dogmatique qui procède des apôtres ; il faut qu’elle ait au moins pour elle une indication, un fait, qui la prépare et marque son origine chrétienne et primitive. Ce n’est pas seulement au sens critique et négatif, mais surtout au sens organique et affirmatif, que l’Écriture Sainte doit être l’autorité sans appel. L’Écriture ne doit pas être seulement la règle qui juge et modère le travail dogmatique, mais encore l’inspiration qui le féconde incessamment et le rajeunit au contact de la doctrine biblique, toujours pleine de fraîcheur et d’expansion. Il ne faut pas oublier que l’Écriture Sainte étant l’œuvre de l’Esprit qui prophétise toutes choses nouvelles, elle contient, par cela même ; tout un monde de vertus et de forces non encore écloses, et qui chaque jour donnent à pressentir de nouvelles perspectives. Aussi, tandis que tous les systèmes dogmatiques sont destinés à s’user et à vieillir, la Bible seule demeure éternellement jeune, parce que, au lieu d’être la vérité systématisée et pour toujours formulée, elle est la vérité dans sa plénitude, produisant sans cesse et ne s’épuisant jamais. On peut dire de l’Écriture, dans ses rapports avec la pensée humaine, ce que l’on a dit du royaume de Dieu lui-même : elle est le levain qui fait lever toute la pâte. N’oublions donc pas que jamais ne sera prescrit le vieil adage : « Theologus iti Scripturis nascitur, — la Bible fait le théologien. » La théologie doit constamment regarder à l’Écriture avec l’humble déférence du disciple, et avec la seule ambition de rester aux pieds du Seigneur, comme Marie, pour écouter et pour retenir sa parole.
Mais ce rapport de filiale dépendance du théologien avec l’Écriture implique que la doctrine énoncée, pour être fidèlement ? reproduite devienne la vérité propre de la conscience elle-même. Si nous disons que les principes dogmatiques empruntent à la Parole de Dieu toute leur raison d’être, nous devons ajouter qu’il faut aussi qu’ils puissent s’affirmer dans la conscience, comme des vérités vivantes et agissantes, démontrant par leur action leur valeur et leur autorité propre, indépendamment du texte qui les énonce. Ce n’est qu’à la condition de satisfaire à cette double exigence qu’ils deviendront réellement des principes dogmatiques. Aussi longtemps que la Dogmatique n’énoncera une vérité qu’au nom de la lettre des Écritures, sans lui assigner sa valeur intime et propre, ou aussi longtemps qu’elle ne pourra invoquer en sa faveur qu’une signification idéale et religieuse, sans pouvoir revendiquer pour elle le texte révélé, le problème attendra sa solution. L’usage de l’Écriture pour la Dogmatique ne doit pas se borner à citer et à mettre en regard des textes isolés, car ce serait accréditer cette conception étroite et fausse que, pour être vraie, une proposition doit d’abord pouvoir se démontrer telle par la lettre elle-même de la Bible. Nous sommes heureux de nous rencontrer ici avec Schleiermacher, et de pouvoir dire avec lui que notre discipline doit apprendre les Écritures, de manière à n’avoir plus à les citer à l’aide de textes arrachés au contexte, mais en se pénétrant de l’Esprit qui anime le Livre lui-même, et en s’appropriant sa véritable signification. A ce prix seulement on pourra conquérir un résultat dogmatique véritablement scripturaire.
Remarque. — Pour les chrétiens, l’Ancien Testament trouve sa sanction dans le Nouveau ; et en tant que le Testament de la préparation, il ne peut avoir d’autre autorité canonique que celle que lui confère la réalisation de l’économie qu’il préfigure. Par son union intime et vivante avec le Nouveau Testament, non seulement il conserve sa valeur pour l’explication et l’intelligence de ce livre, mais il est d’un prix infini comme étant l’exposé des desseins et du plan de Dieu pour l’éducation du peuple élu ; à ce titre, il est par excellence la loi et la prophétie. Envisagé comme le type ou la préfiguration des biens éternels, il sera toujours utile « pour enseigner, pour corriger, pour reprendre en toute justicea ». Si nous rejetons bien résolument la conception gnostique qui affranchit l’Église chrétienne de tout rapport avec l’Ancien Testament, nous n’acceptons pas davantage la conception judaïque qui voudrait lui conférer une autorité égale à celle du Nouveau. L’Ancien Testament ne peut pas être à lui-même sa propre explication ; il n’est pas, pour parler avec saint Pierre, d’une interprétation particulière (ἰδίας ἐπιλύσεωςb). Il ne sera pour le chrétien une vérité actuelle qu’à la condition d’être interprété spirituellement (πνευματικῶς), c’est-à-dire au point de vue du Nouveau Testament, ainsi que l’apôtre Paul nous en a donné l’exemple. Ce que nous disons ici s’applique tout particulièrement aux Psaumes et aux prophètes, la partie la plus évangélique de l’Ancien Testament. Le trésor inépuisable de lumière et d’édification, leur contenu essentiel, ne peut être utilisé et devenir une vérité présente que pour la conscience chrétienne régénérée et transformée par l’esprit nouveau du christianisme.
a – 2 Timothée 3.16.
b – 2 Pierre 1.20.