Nous donnons le texte publié à Genève en 1562 avec une préface des éditeurs, qui raconte à quelle occasion cette Congrégation fut tenue. Le « maître brouillon » dont elle parle était Jérome Bolsec, moine réfugié près de Genève en 1550, qui avait embrassé la réforme mais rejetait absolument la prédestination, déclarant que sur ce point Calvin corrompait l'enseignement de l'Ecriture. Aucune accusation ne pouvait être plus grave contre celui qui n'avait d'autre fonction à Genève que celle d'interprète de la Parole de Dieu. A l'issue d'une Congrégation où les Ministres avaient essayé de le convaincre, en octobre 1551, Bolsec fut spontanément arrêté par un Auditeur de Justice présent, et un procès s'engagea, au cours duquel on sollicita l'avis des Eglises réformées de la Suisse.
Le 18 décembre eut lieu la Congrégation que nous imprimons ci-dessous, et le 23 du même mois, Bolsec lut banni à perpétuité, pour « ses opinions fausses, contraires aux saintes Ecritures et à la Pure religion évangélique ». C'était une victoire importante pour Calvin. Quant aux fidèles, nous dit Michel Roset, « sachant que leur salut est fondé dans le conseil éternel et invisible de Dieu, » ils reçurent de cette Congrégation assurance et consolation.
Aux lecteurs fidèles, Salut.
On dit communément qu'à quelque chose malheur est bon. La plus grande part de ceux qui parlent ainsi n'entendent pas quelle est la source de cette sentence commune. Car ils prennent les mots ainsi qu'ils sont couchés et ne pensent pas que le bien qui advient après le malheur vienne d'ailleurs que de malheur, comme si un mal se pouvait de soi-même convertir en bien. Il n'y a que l'homme fidèle qui puisse vraiment interpréter cela, à savoir que telle est la bonté et vertu de Dieu envers les siens, qu'il fait que ce qui de sa nature tendait à apporter ruine et dissipation est tourné en une fin toute contraire quant aux fidèles : c'est que quelque bien et profit excellent en revient, par la conduite de Celui qui sait bien tirer la lumière des ténèbres et obscurités.
Un maître brouillon sortant de je ne sais quelle mesnie (bande) de Carmes et de moines, fait tout en un moment triacleur (charlatan), songeant par quel moyen il se pourrait faire valoir, n'en trouva point de plus court ou expédient, selon son opinion, que de se fourrer à l'étourdie dedans l'église de Genève et y semer certain poison qu'il avait apporté d'Italie. Ce qu'il n'eût osé attenter s'il n'eût senti le flair (odeur) de la mauvaise volonté d'aucuns hommes qui se fussent volontiers, employés à renverser tout ordre et discipline ecclésiastique. Il avait un beau champ et bien ample et s'il fût venu à bout de son attente, il avait jà (déjà) gagné ce, point de rendre les hommes hardis contempteurs de Dieu et baillé cette liberté en la main d'un chacun de faire tout ce que bon lui eût semblé. Car renversant l'ordre de la prédestination ou élection de Dieu et la mettant après la foi, il faisait que la foi était en la puissance d'un chacun et par ce moyen chacun, se baillant la foi à soi-même, ne devait faire difficulté d'estimer qu'il obtiendrait salut, encore que sa vie fût remplie d'impiétés et toutes ordures.
Ce belâtre impudent outre mesure, voire si jamais il y eut homme effronté au monde, avait déjà attiré des complices (comme telles truies trouvent assez de cochons de mêmes) et combien que l'erreur de sa doctrine fût manifeste, que les petits même le pouvaient bien apercevoir, toutefois selon que cette doctrine est plausible à la nature vicieuse, elle fut aussi aisément reçue d'aucuns qui eussent bien voulu que toute crainte de Dieu et toute honnêteté de vie fussent chassées bien au loin. Mais Dieu par sa grande miséricorde y a si heureusement remédié que cette orde (vilaine) bête a été confuse et ses cochons, pour le moins, n'ont osé ouvrir le groin pour gronder. Or voici en quelle sorte ce malheur a été bon : c'est qu'il a donné occasion à l'éclaircissement de la matière tant nécessaire et tant salutaire de la prédestination. Car cela a ému les ministres de l'église de Genève à traiter un jour de vendredi, selon l'ordre qu'ils tiennent de faire leur congrégation à tel jour, d'exposer devant toute l'assemblée cette matière de laquelle M. Jean Calvin fit une déduction si brève, et en sa brièveté si claire, que quand on y voudrait ajouter, ce ne serait que répéter, ou pour le plus, dire une même chose plus amplement ; et d'autre part, quand on en voudrait diminuer, ce serait rendre la chose imparfaite. Et ce que les autres frères et ministres ont dit puis après, ça été une simple confirmation.
Voilà comment ce moine triacleur, en cuidant (pensant) mettre tout en désordre, a toutefois été occasion d'un grand bien auquel il ne pensait pas ; et comment le malheur qu'il osait bien introduire a été bon. Si ce bien ne vous a été plus tôt offert, ne laissez pas pourtant de le recevoir, car cette doctrine tant bonne et tant pleine de consolation est aujourd'hui, pour le moins, autant nécessaire que jamais, pource qu'aujourd'hui elle n'a non plus faute (manque) d'ennemis, qu'elle avait alors. A Dieu soyez-vous.
Nous invoquerons notre bon Dieu et Père, le suppliant qu'il lui plaise nous pardonner toutes nos fautes et offenses et nous illuminer par son saint Esprit pour avoir la vraie intelligence de sa sainte Parole, nous faisant la grâce que nous la puissions traiter purement et fidèlement, à la gloire de son saint Nom, à l'édification de son Eglise et à notre salut. Ce que lui demandons au nom de son Fils unique et bien-aimé, notre Seigneur Jésus-Christ. Amen.
Pource que nous avons à recevoir la Cène prochainement et que nous ne pouvons pas la recevoir comme nous devons, sinon que nous ayons vraie unité de foi, qui nous conjoigne ensemble, et aussi que ces jours passés Satan a tâché de mettre troubles et divisions entre nous, comme vous savez, nous avons regardé d'un commun accord qu'il serait bon et utile de traiter de l'élection de Dieu, par laquelle il nous a choisis et élus, afin que cela soit tellement entendu des grands et des petits que nous en soyons en paix et repos de nos consciences.
Or la matière serait longue à déduire (exposer). Parquoi faudra que je m'étudie à brièveté tant qu'il me sera possible, passant beaucoup de choses qui se pourraient dire, pource que le temps ne pourrait point porter que le tout fût déduit au long, tant y a que je mettrai peine (par la grâce de Dieu), qu'il y aura un sommaire où l'on se pourra tenir et qu'il n'y aura si rude ni ignorant qui se puisse excuser que la chose ne lui soit connue. Et puis en la fin, si quelqu'un avait quelque doute ou scrupule, il le pourra déclarer, afin que le tout soit mieux déclaré et approuvé, c'est à savoir par l'Ecriture sainte.
Or voici par où il nous faut commencer : c'est à savoir que, quand nous croyons en Jésus-Christ, cela ne vient pas de notre propre industrie, ni que nous ayons l'esprit tant haut ni tant aigu pour comprendre cette sagesse céleste, laquelle est contenue en l'Evangile, mais que cela vient d'une grâce de Dieu, voire d'une grâce laquelle surmonte notre nature. Il reste maintenant à voir si cette grâce est commune à tous ou non. Or l'Ecriture sainte dit le contraire, c'est à savoir que Dieu donne son saint Esprit à qui bon lui semble, qu'il les illumine en son Fils. L'expérience le montre, et en sommes convaincus... Il faut donc conclure de cela que la foi procède d'une source et fontaine plus haute et plus cachée, c'est à savoir de l'élection gratuite de Dieu, par laquelle il choisit à salut ceux que bon lui semble.
Et c'est ce que saint Paul traite au premier chapitre des Ephésiens quand il bénit Dieu, non seulement de ce que nous croyons, ou bien de ce qu'il nous a donné, Jésus-Christ auquel il nous faut croire et que nous avons tout l'accomplissement et perfection de notre salut en lui, mais il dit : Béni soit Dieu qui nous a appelés et nous a illuminés, voire comme il nous avait élus devant la constitution du monde (Ephés. 1.4). Ainsi donc,. nous voyons comment la grâce de Dieu sera pleinement connue de nous, c'est à savoir non seulement quand nous serons persuadés et résolus qu'il nous a donné la foi, mais qu'il nous l'a donnée d'autant qu'il nous avait choisis devant la création du monde, par sa volonté.
Or saint Paul ne se contente point encore de cela, mais il ajoute qu'il nous a élus selon le propos de sa volonté qu'il avait délibéré en soi-même (ibid. vers. 9). Il nous faut bien peser ces mots ici. Car quand saint Paul parle du propos de Dieu, il l'oppose à ce qui pourrait être en l'homme pour dire qu'il y ait été induit. Quand il est question de ce mot de PROPOS, qu'est-ce sinon ce conseil que Dieu a eu ? Comme quand il dit (à Tite) que Dieu nous a élus d'une vocation sainte, voire non point selon nos œuvres mais selon son propos et selon sa grâce, c'est-à-dire selon son propos gratuit.
Nous voyons là une comparaison que fait saint Paul de deux choses opposites : c'est à savoir des œuvres des hommes et, de l'autre côté, il met le propos de Dieu. Et ainsi, quand nous oyons (entendons) ce mot de la bouche de saint Paul, comprenons un conseil que Dieu a eu quand il nous a choisis à soi, sans néanmoins avoir regard à ce qui est en nous pour dire qu'il ait été attiré de là ou ému à nous bien faire.
Vrai est que Dieu nous regarde bien en nous élisant, mais qu'est-ce qu'il y trouvera ? Rien que toute misère et pauvreté et de là il est ému à compassion. Or cependant il trouve cette misère-là en tous hommes en général, mais il fait miséricorde à qui bon lui semble. Et pourquoi ? La raison ne nous est point connue. Maintenant qu'il nous suffise de ce que nous pouvons concevoir, c'est-à-dire de ce que saint Paul nous dit et déclare que Dieu nous a élus selon le propos qu'il avait délibéré en soi-même, que par cela il veut mettre bas toutes les répliques qu'on pourrait amener pour dire : Eh ! Dieu serait injuste par telle occasion. Il faut donc que tout cela soit exclu. Quand il dit que Dieu a délibéré en soi-même ce propos, c'est à dire qu'il n'est point sorti hors de soi, qu'il n'a point jeté les yeux çà ni là pour dire : je serai ému à ce faire.
Or davantage il dit qu'il nous a élus en Jésus-Christ, signifiant que nous sommes indignes en nous-mêmes, comme aussi la vérité est telle, et ceux qui ne le confessent sont bien abusés d'outrecuidance quand ils estiment avoir quelque chose en eux pour quoi Dieu les a appelés,à soi. Et voilà pourquoi il a ajouté qu'il nous a adoptés en son Fils bien-aimé. Or ce n'est point sans cause qu'il attribue à notre Seigneur Jésus qu'il est le Fils bien-aimé. En nous-mêmes nous sommes haïs et dignes que Dieu nous ait en abomination ; mais il nous regarde en son Fils et lors il nous aime.
Au reste, afin qu'on sache que la foi est en degré inférieur et qu'elle dépend de l'élection de Dieu, saint Paul notamment ajoute que c'est afin que nous fussions saints et sans macule (souillure) (Ephés. 1.4). Or, il nous faut souvenir de ce que dit saint Pierre au 15 des Actes (vers. 9), que Dieu purge le cœur des hommes par foi. Ainsi donc, quand saint Paul dit en ce passage que nous avons été élus de Dieu pour être saints et sans macule, il comprend la foi sous cela. Car c'est autant comme s'il disait que nous sommes pleins de pollution (souillure) en nous et qu'une partie de cette pollution-là est quand nous sommes incrédules ; comme il dit que les incrédules ont leurs pensées corrompues et souillées devant Dieu.
Que faut-il donc ? Que nous venions à cette élection gratuite de Dieu si nous voulons avoir une seule goutte ou un seul grain de pureté. Ainsi donc nous voyons que la foi procède de la seule élection de Dieu, c'est-à-dire que Dieu illumine ceux qu'il avait choisis par sa bonté gratuite devant la création du monde.
Et c'est ce qu'il dit aussi bien au 8e chapitre des Romains. Il met cette sentence en premier lieu : que Dieu fait tourner toutes choses en bien à ceux qui l'aiment (Rom. 8.28). Or il ajoute puis après une correction, afin qu'il ne semble point aux hommes qu'ils se disposent à salut et qu'ils acquièrent un tel bien par leur vertu, il dit : Voire à ceux qui sont appelés selon le propos de Dieu, comme s'il disait : Vrai est que le tout nous sera converti en mal et en ruine si nous n'aimons Dieu ; et faut que cette amour de Dieu soit en nous si nous voulons que le tout nous soit en aide ; mais n'estimons pas pourtant que ce soit à nous de commencer, car il faut que Dieu nous prévienne. Et qu'ainsi soit, qui sont ceux qui aiment Dieu ? Ceux qui sont appelés de lui (dit-il), voire selon son propos. Il nous ramène encore à ce mot que nous avons exposé, c'est à savoir à ce conseil immuable qui est en Dieu, qui ne sort point de soi-même, mais prend la cause en sa pure bonté, pourquoi il fait ceci ou cela. Voilà comment il nous faut entendre cette élection que met saint Paul de ceux qui sont appelés selon le propos de Dieu.
Et là notamment il parle du propos de Dieu. Et pourquoi ? Afin que nous sachions que c'est une vocation certaine qui se fait avec efficace et vertu. Car Dieu appellera bien les incrédules, mais cette vocation-là ne suffit pas pour les convertir. Il ne touche point leurs cœurs au vif, il ne donne point une telle vertu à sa Parole qu'elle demeure en eux. Mais quand il nous appelle selon son propos, qu'il nous convertit à soi, c'est d'autant qu'il nous a élus, comme il ajoute puis après : que ceux qu'il a connus auparavant, il les a élus et qu'il les a appelés ; ceux qu'il a appelés, qu'il les a justifiés (Rom. 8.28,20). Saint Paul met ici divers degrés, mais le fondement commence par là : c'est à savoir que Dieu a connu les siens. Et comment connus ?
Il est vrai qu'aucuns calomniateurs diront qu'il a connu ceux qu'il a voulu élire, d'autant qu'il a prévu en eux qu'ils lui devaient être fidèles et qu'ils devaient bien user de ses grâces. Mais c'est une moquerie trop sotte que cela, car il est question ici d'une connaissance telle qu'il la met puis après. Il ne faut point d'autre expositeur que saint Paul même qui déclare son intention, il ne faut point chercher de glose ailleurs. Car il dit que Dieu n'a point réprouvé son peuple lequel il avait connu. Et comment connu ? Est-ce qu'il avait trouvé en son peuple qu'il fût digne d'une telle grâce ? Mais au contraire, il dit que le reste de cette grande multitude sera tant seulement sauvé, voire selon l'élection de grâce. C'est celle de laquelle avait parlé saint Paul aux Actes quand il est dit que Jésus-Christ a été annoncé selon la prescience de Dieu, et cette prescience-là emporte (comporte) délibération.
En somme saint Paul, en disant que Dieu a élu ceux qu'il a connus, ne signifie sinon ce qu'il dit aux Galates (4.9) : après que vous avez connu Dieu, ou plutôt après que vous avez été connus de lui. Saint Paul attribue aux hommes qu'ils ont connu Dieu par foi. Mais afin que les hommes entendent que cela ne procède point d'eux, il se modère et dit : voire d'autant que vous avez été connus de lui. Comme s'il disait : vous n'êtes point venus à Dieu, sinon d'autant qu'il s'est approché de vous. Comme aussi il est dit au prophète Isaïe (65.1) : J'ai été trouvé de ceux qui ne me cherchaient point, je suis apparu à ceux qui ne s'enquéraient point de moi ; et à ceux qui étaient éloignés, j'ai dit : Me voici, me voici. Ainsi donc, nous voyons comment les élus sont connus de Dieu et comme il élit ceux qu'il a connus, c'est-à-dire qu'il les marque comme sa possession pour dire : Vous êtes des miens. Or ceux-là étant connus, sont appelés de lui et cette vocation est quand Dieu nous donne la foi.
Nous voyons donc comment ce propos que j'ai déjà tenu est plus amplement confirmé, c'est à savoir que Dieu, voyant tout le genre humain être en ruine et perdition, retire ceux que bon lui semble par sa pure grâce, voire et en les retirant il les appelle à soi. Car voilà le moyen. Mais tant y a que cette élection est supérieure et faut qu'elle aille devant et que la foi suive en son ordre.
Or celui qui a voulu troubler cette église montre son impudence trop lourde quand il n'a point de honte de dire que le premier chapitre aux Ephésiens se doit tant seulement entendre de saint Paul et des apôtres. Quand saint Paul dit : Dieu nous a élus devant la création du monde, il nous a eu agréables en son Fils bien-aimé pour nous choisir en adoption, afin que nous soyons ses enfants. Oh ! cela (dit-il) n'est sinon que Dieu a élu les apôtres afin qu'ils prêchassent l'Evangile. Voire : il n'y aura donc que les apôtres qui soient enfants de Dieu, qui soient adoptés de lui, il n'y aura qu' eux qui soient aimés de Dieu ! Voilà une belle théologie pour traîner tout le monde en enfer ! Et aussi nous voyons que telles gens sont moqueurs de Dieu et sont chiens qui aboient, voire pour renverser et abolir toute raison. Que faut-il donc ? Que nous pesions bien ce qui a été déjà dit, pour connaître quelle est l'intention de saint Paul, laquelle n'est ni obscure ni douteuse.
Et pour confirmation plus ample, venons à ce que nous avons déjà vu en saint Jean, voire quand il est dit, au 6e chapitre : que nul ne peut venir à Jésus-Christ sinon que le Père l'y attire (Jean 6.44). Or regardons maintenant si cette attraction-là se fait en tous. Il est vrai que Dieu présente sa parole à tous et que par icelle il convie indifféremment tous hommes afin de l'ouïr, mais il ne parle point à tous dedans leurs cœurs, comme il est là aussi traité. Celui qui aura ouï et appris de mon Père viendra à moi (ibid-45). Je vous demande, tous viennent-ils à Jésus-Christ ? Nous voyons le contraire. Si tous ne viennent point à Jésus-Christ, il s'ensuit que tous n'ont point été enseignés du Père, car il dit que tous ceux qui ont été enseignés viendront à Jésus-Christ. Voilà un passage qui est assez clair et facile à comprendre. Et notre Seigneur Jésus pour probation (preuve) allègue ce qui est écrit au 54e d'Isaïe, là où le prophète dit que tous les enfants de l'Eglise seront enseignés de Dieu. Or quand il dit que tous les enfants de l'Eglise seront enseignés de Dieu, il n'y a nul doute qu'il ne parle d'un bénéfice (bienfait) particulier qu'il fait à ceux qui sont appelés en son troupeau. Et c'est une impudence trop lourde et vilaine de dire, comme ce brouillon, que tout ce qui est là dit est général. Comme aussi quand Dieu dit par Ezéchiel : je ferai que vous cheminerez en mes commandements (Ezéch. 37), c'est (dit-il) une promesse universelle qui appartient aux Turcs aussi bien qu'aux Chrétiens, Après, quand il est dit : je traiterai une alliance nouvelle avec vous, je vous donnerai un cœur de chair, cela est promis à tout le monde. Quand il est dit : J'engraverai ma Loi en vos cœurs, cela est promis à tous sans exception. N'est-ce pas bien se moquer de Dieu et de sa parole, puisque nous voyons que Dieu traite par le prophète Jérémie d'une alliance autre qu'il n'avait faite avec le peuple ancien ? Il dit : Cette alliance ne sera pas comme celle que j'ai faite avec vos pères, car ils l'ont transgressée. Et n'en peut advenir autrement aux hommes qu'incontinent ils ne soient déloyaux à Dieu, qu'ils ne se séparent de lui. Si donc Dieu veut avoir une alliance qui soit ferme et permanente avec nous, il faut qu'il engrave sa Loi en nos cœurs. Et fait-il cela en général à tous hommes ? Nous voyons (comme j'ai dit au commencement) le contraire, voire par expérience.
Il faut donc conclure que cela ne vient point de notre vertu, ni de notre dignité ou mérite, mais d'une pure grâce de Dieu. Nous voyons que tous n'ont point la Loi imprimée en leurs cœurs, que le cœur de pierre demeure en la plupart auxquels nous voyons une obstination plus que désespérée. Connaissons donc que cette promesse-là est spéciale et que Dieu ne besogne qu'en ceux qui sont de sa maison.
Au reste, notre Seigneur Jésus nous ôte toute difficulté. Car quand il allègue le passage d'Isaïe, est-ce pour dire que Dieu enseignera tous hommes ? Mais au contraire : car il dit qu'en cela est accompli ce que dit le prophète. Or quelle est l'intention de Jésus-Christ ? Voyant la stupidité de ceux qui cuidoyent (pensaient) être grands docteurs, lesquels rejetaient tout ce qu'il annonçait, que les grands prélats de l'Eglise ne le recevaient pas, il dit : Il ne se faut pas ébahir s'il y en a tant de rebelles et d'obstinés, car il n'est pas à tous donné de croire. Il faut que mon Père attire ceux qui viennent à moi. Et c'est ce qu'il dit que tout ce que le Père lui a donné viendra à lui, et que tout ce qui y sera venu, il le gardera, qu'il ne souffrira point que rien en périsse.
Voilà trois points qu'il nous faut noter : l'un est que quand nous venons à Jésus-Christ, que nous lui sommes donnés en héritage de Dieu son Père. Il ne sera point à nous que nous nous donnions à lui, mais il faut que le Père lui fasse cette donation-là. Il faut donc conclure que l'élection précède la foi. Car le Père donne à son Fils ce qu'il a déjà sien, c'est-à-dire que combien que tous soient ses créatures, que toutefois ne sont point toutes de son troupeau, mais qu'il a les siens qu'il a choisis comme il lui a plu. Il avait donc déjà élu tous ceux qu'il donne à Jésus-Christ.
Et de là s'ensuit le second point : c'est à savoir que Jésus-Christ reçoit en sa garde et protection ceux qui lui sont donnés du Père et ne souffrira point que rien en périsse ; que quand nous serons une fois en sa garde, il nous donnera une telle vertu que nous persévérerons jusqu'à la fin. Comme nous l'avons aussi bien vu au 10e chapitre de saint Jean, où il dit que nul ne ravira les brebis qui lui sont commises en charge. Or pourquoi est-ce que nul ne les ravira ? Le Père (dit-il), celui qui me les a données, est plus grand que tous (Jean 10.29). Et c'est ce qu'il nous faut bien considérer pour batailler contre tant de tentations que Satan nous fait pour nous divertir (détourner). Car autrement quand nous sommes assaillis de toutes parts, que nous avons cent mille morts à l'environ de nous, quelle sera notre force et résistance ? Or Dieu est invincible. Sachons donc que notre salut est certain. Et pourquoi cela ? Pource qu'il est en la main de Dieu. Et comment en sommes-nous assurés ? Pource qu'il l'a mis en la main de notre Seigneur Jésus qui nous manifeste que le Père, qui nous a élus, veut avancer son conseil à plein effet et perfection.
Au reste, notre Seigneur Jésus nous montre bien là ce que nous avons déjà dit plusieurs fois et qu'il nous faut retenir, c'est à savoir que Dieu nous fait ses brebis, voire nous ayant élus, et puis il nous appelle à son troupeau ; le moyen de nous appeler est par foi, et alors nous sommes manifestés et déclarés brebis. Car la vocation qui est trouvée en l'Ecriture n'est sinon le témoignage que Dieu rend de son conseil qui était auparavant caché, comme il en sera tantôt parlé plus à plein (amplement).
Tant y a que nous sommes brebis de Jésus-Christ avant de l'avoir connu, après il nous appelle à soi et puis nous commençons d'ouïr sa voix.
Ce que saint Paul en traite au 9e des Romains est encore plus clair. Car là il en est fait une résolution tout entière, voire et telle qu'on ne saurait répliquer à l'encontre. Tout ce qu'il nous en dit est manifeste. Vrai est que Satan s'est toujours efforcé de caviller (ruser) et inventer beaucoup de subtilités frivoles pour obscurcir ce qui est là dit, mais la vérité surmonte toujours, quoi qu'il en soit. Saint Paul montre que combien qu'il ait choisi les enfants d'Abraham pour être son héritage, toutefois que tous ceux qui sont descendus de la race d'Abraham selon la chair ne sont pas enfants de la promesse, dit-il, c'est-à-dire qu'ils ne sont point contenus ni compris en l'élection de Dieu, pour dire qu'ils soient vraiment héritiers de Dieu et de son Royaume. Comme, si maintenant on disait que Jésus-Christ a bien été ordonné Roi de tout le monde afin que tous viennent lui faire hommage. Comme il en est parlé en tant de passages des prophètes et surtout au Psaume 2 que j'allègue comme le plus notable et le plus commun : Demande-moi, et je te donnerai toutes les fins de la terre pour ton héritage (Ps. 2.8). Depuis le soleil levant jusqu'au soleil couchant tu seras adoré des rois et des princes. Voilà donc comment tout le monde est appelé à salut, au Nom de notre Seigneur Jésus-Christ, mais ce n'est pas à dire pourtant que tous soient héritiers de la promesse en vérité. Et pourquoi ? Saint Paul pouvait bien alléguer que tous ne croient point et ne l'a pas fait par oubli, mais il laisse cela à dire que c'est d'autant que Dieu élit ceux que bon lui semble.
Or, mes frères, notons bien ce point ici. Premièrement avisons qui est celui qui parle. C'est saint Paul, lequel proteste (déclare) en un autre passage, à savoir au chapitre 12 de la 2de aux Corinth., qu'il a été ravi jusqu'au tiers (troisième) ciel, qu'il a vu des secrets de Dieu qu'il n'est point licite à l'homme d'exprimer. Saint Paul ne sait-il pas quelle mesure il faut tenir en révélant les secrets de Dieu ? Car il dit qu'il n'est point licite de révéler aucuns secrets qu'il a vus là-haut. Il s'ensuit donc que ce secret ici peut être manifesté aux hommes, autrement il se fût bien gardé de le mettre en avant, autrement jamais il ne l'eût révélé si hardiment comme il a fait. Car ici, de propos délibéré, sans grande contrainte, il entre en ce propos de l'élection et veut que nous soyons enseignés jusque là que nous connaissions ce qu'il met, c'est à savoir : deux enfants qui sont au ventre d'une même mère et qui sont engendrés d'un même père, c'est à savoir du patriarche Isaac. Ils ont tous deux la promesse qui a été prêchée extérieurement, ils sont nés en une même maison qui est le peuple et le sanctuaire de Dieu qui était le chef de son Eglise, et néanmoins il est dit du temps que la mère les porte au ventre : Que le plus grand servira au moindre. Or ici ceux qui veulent calomnier disent que cela s'entend de la bénédiction terrienne. Voire, mais c'est se moquer pleiment du saint Esprit qui a parlé par la bouche de saint Paul. Saint Paul traite-t-il là lequel doit être le plus à son aise en ce monde, lequel devait avoir du pain blanc ? Traite-t-il des voluptés et autres choses semblables ? C'est une moquerie ! Mais du salut éternel de toutes âmes. Ils n'allèguent cela aussi que pour pervertir l'Ecriture sainte. Nous voyons donc qu'une telle exposition qu'en veulent faire ces moqueurs de Dieu, n'est qu'une pure sottise, voire une malice effrontée. Car il est ici parlé d'être héritiers de l'alliance qui est du tout spirituelle, voire de l'alliance que Dieu avait faite avec Abraham quand il lui a dit : je serai ton Dieu et le Dieu de ta semence après toi. Qu'emporte (signifie) cela ? C'est-à-dire : tu vivras en mon Royaume éternellement, comme Jésus-Christ nous en donne aussi l'exposition.
Ce n'est pas aussi sans cause que saint Paul dit qu'Isaac a eu deux enfants d'une même ventrée de sa femme Rebecca, que l'un a été préféré à l'autre ; sur cela il amène le témoignage du prophète Malachie. Il est vrai qu'en Malachie il est parlé de la terre de Canaan et de la montagne de Seir. Mais la terre de Canaan n'était-elle pas une figure et une image de l'héritage céleste ? Saint Paul donc nous représente, comme en un miroir, que Dieu a choisi Jacob et l'a préféré à son frère Esaü.
Jacob, dis-je, qui était moindre, a été préféré au plus grand et a été constitué au-dessus d'Esaü, afin qu'on n'attribuât rien à l'ordre de nature, mais à ce conseil éternel duquel nous traitons maintenant. Saint Paul ne dit pas cela seulement, mais il dit : Devant qu'ils eussent fait ni bien ni mal, que Dieu a parlé ainsi, c'est à savoir qu'il a élu Jacob et l'a constitué en héritage et en a destitué Esaü. Devant, dit-il, qu'ils eussent fait ni bien ni mal, voire afin qu'on connût que cela procédait du côté de Dieu qui appelle et non point du côté des hommes.
Les théologiens papistiques ont une distinction entre eux : c'est à savoir que Dieu n'élit point les hommes selon les œuvres qui sont en eux, mais qu'il élit ceux qu'il prévoit être fidèles. Et cela contrevient à ce que nous avons déjà dit de saint Paul. Car il dit que nous sommes élus et choisis de lui, afin que nous soyons saints et sans macule devant sa face. Il fallait que saint Paul eût parlé tout autrement : Pource que Dieu avait prévu que nous serions saints, il nous a élus. Or il n'a point usé d'un tel langage, mais il dit : Il nous a élus afin que nous fussions saints. Il conclut donc que cette foi dépend d'icelle élection.
Et ceux qui en sentent autrement ne connaissent point que c'est (ce qu'il en est) de l'homme et de notre nature humaine. Parquoi regardons un petit ce qui est en notre nature et ce qu'on en peut tirer quand Dieu l'aura laissée comme elle est. Or il est certain que nous sommes tellement corrompus et pervertis que nous ne pouvons faire que tout mal. Il est vrai qu'il est bien dit qu'à ceux qui aiment Dieu, toutes choses leur seront converties en bien, mais il dit quant et quant, au même chapitre, que toutes les vertus de notre nature sont autant d'ennemis à l'encontre de Dieu. Et ainsi donc, qu'est-ce que Dieu prévoit aux hommes s'il nous laisse tels que nous sommes ? Qu'est-ce qu'il trouvera en nous sinon que toute puantise et abomination, qu'il faut qu'il nous, soit ennemi mortel et qu'il nous précipite jusqu'au profond d'enfer ? Voilà ce que Dieu peut prévoir. Et ainsi donc, quand il prévoit le bien, c'est ce qu'il a ordonné d'y mettre, il ne prévoit donc que ses dons. et ses grâces. Or maintenant, qui est celui qui se pourra enorgueillir ? qui se pourra élever pour dire : je suis quelque chose ?
Qu'ainsi soit, venons à l'autre passage que dit saint Paul : Et qui es-tu qui te discernes ? et qui te rends plus excellent ? Saint Paul montre deux choses : c'est à savoir que, combien que nous soyons tous d'une même condition et nature, néanmoins nous sommes séparés l'un de l'autre, mais que cette différence-là vient de Dieu, car le mot emporte (signifie) cela. Discerner, c'est rendre plus excellent. Et ainsi il nous montre qu'il n'y a rien du nôtre en cela, que nous ne prévenons point Dieu ; que nous n'approchons point de lui, mais au contraire c'est lui qui fait tout ; que c'est à lui que nous devons tout attribuer. Et ainsi donc, nous voyons quelle est l'intention de saint Paul en ce 9e des Romains, quand il déduit (expose) qu'Esaü a été rejeté et que Jacob a été élu, que cela n'est point venu des œuvres, mais de Dieu qui appelle, dit-il.
Et aussi il nous faut conséquemment conclure que ce n'est point ni du voulant ni du courant mais que c'est de Dieu qui fait miséricorde ; c'est-à-dire qu'il ne faut point que les hommes s'élèvent ici pour ravir la gloire à Dieu, ni pour s'attribuer rien de leur salut, car il dit que tout est en la miséricorde de Dieu. Or, il y en a qui cavillent (subtilisent) ce passage et disent que ce n'est ni du voulant ni du courant, c'est-à-dire que notre course ne nous suffirait point pour notre salut, mais que Dieu y aide par sa miséricorde. C'est bien à propos ! Si ainsi était, on pourrait bien dire le contraire. Car s'il y avait une concurrence entre Dieu et les hommes, c'est-à-dire que Dieu fît la moitié et nous l'autre, il faudrait donc conclure que ce n'est point de nous du tout, mais de Dieu en partie et aussi que ce n'est point de Dieu du tout, mais de nous en partie ; et par cela nous voudrions faire Dieu sujet à nous, qui est un blasphème trop exécrable et duquel il n'y a celui (personne) qui n'ait horreur, voire tant méchant soit-il. Comme saint Augustin même le traite, saint Paul parlant en ce passage du voulant et du courant, ne nous attribue pas un tel vouloir, ni une telle puissance que nous puissions rien de nous-mêmes ; mais il montre que l'homme est comme captif et qu'il ne peut rien du tout, mais ce, qu'il a procède de la grâce de Dieu qui nous tend la main pour nous attirer à soi, voire dès le temps que nous étions éloignés, bannis et rejetés du tout.
Et maintenant nous voyons le propos que j'ai amené être assez confirmé par l'Ecriture sainte, c'est à savoir que Dieu nous a élus, voire non seulement devant que nous le connaissions, mais devant que nous fussions nés et avant que le monde fût créé ; et qu'il nous a élus par sa bonté gratuite et qu'il n'a point cherché la cause ailleurs ; qu'il a délibéré ce propos en soi-même et qu'il faut que nous connaissions cela afin qu'il soit glorifié de nous comme il appartient.
Or la gloire telle qu'elle lui est due, ne lui peut être rendue sans cela, comme il nous est montré au 2d de la seconde aux Thessaloniciens : Nous devons toujours rendre grâces à Dieu (dit l'apôtre) qui nous a élus devant la constitution du monde, voire en Esprit et en sanctification. (2 Thess. 2.13). Comment est-ce que là saint Paul rend grâces à Dieu ? Il ne dit pas seulement de ce qu'ils croient, mais de ce que Dieu nous a élus. Et puis il ajoute que Dieu les a élus pour les sanctifier par son saint Esprit et les a amenés à la connaissance de la foi. Comme aussi nous l'avons déjà traité en ce passage des Ephésiens qui est du tout conforme à celui-ci.
Or il y a des objections qui se meuvent au contraire, car nous savons quelle est l'audace des hommes, et il n'y a celui (personne) qui n'en ait l'expérience en soi, qu'il est bien difficile de dompter nos esprits, tellement (en sorte) que nous recevions en paix et humilité tout ce qu'on nous déclare. Il faut qu'un homme soit bien maté de Dieu devant qu'il se règle là. Voilà pourquoi saint Jacques nous exhorte de recevoir la parole de Dieu qui nous est annoncée, voire avec une mansuétude, avec un esprit débonnaire. Il ne se faut point donc ébahir si les hommes s'élèvent contre cette doctrine, s'il y a beaucoup de contradictions. Mais tant y a que tous ceux qui sont enfants de Dieu reçoivent ce qu'ils oyent (entendent) être procédé de sa bouche, sans aucune contradiction, pour dire : Il nous faut en tenir là, car Dieu l'a prononcé.
De fait, voilà comment Dieu veut éprouver notre humilité. Il est vrai que toute la doctrine de l'Ecriture tend bien là, mais tant y a qu'il n'y a nulle doctrine si propre pour humilier les hommes que celle-ci, c'est à savoir que nous connaissions que Dieu nous a élus par sa bonté gratuite, voire en tant qu'il lui a plu. Pourtant ces objections qui se font doivent être repoussées par ce mot seulement de l'autorité de Dieu, à savoir quelle maîtrise et prééminence est-ce qu'il doit avoir par-dessus nous. Quand nous n'aurions que cela, c'est assez pour abattre tout l'orgueil de ceux qui veulent aboyer contre la doctrine que nous avons en l'Ecriture sainte bien résolue. Et c'est aussi pour repousser toutes fantaisies méchantes que le diable nous pourra souffler à l'oreille, comme on dit.