Mes frères,
Il n’y a jamais eu de religion au monde quelque extravagante qu’elle ait été qui n’est reconnue ces deux choses, comme de vérité constante, l’une que l’homme est pécheur, l’autre qu’il est exposé à la colère du Ciel. La première est du sentiment perpétuel de la conscience, et la seconde de l’expérience de tous les siècles, de sorte qu’il ne se peut qu’on en ait toujours été convaincu. Mais il faut pourtant avouer que l’esprit humain qui depuis longtemps est en possession de corrompre toutes sortes de vérités, n’a pas manqué d’abuser de celle-ci, et nous pouvons dire à la louange de la religion chrétienne, qu’il n’y a eu qu’elle seule qui les ayant bien considérées, pour en connaître toute l’importance les a réduites à leur juste et légitime usage. L’abus qu’on en fait consiste à aller regarder chacune à part, et séparée l’une de l’autre, et au contraire leur usage consiste à ne les séparer jamais. En effet si vous regardez les châtiments de la colère divine seule et détachés des crimes des hommes, vous vous formerez facilement l’idée d’une divinité cruelle, et impitoyable, qui est naturellement ennemie de sa créature, et qui se plaît à la tourmenter. Ce sont là les imaginations de la superstition noire et mélancolique qui conçoit un Dieu toujours armé de foudre, toujours menaçant, et toujours assis sur le trône de la mort. Mais si d’autre part vous regardez les péchés des hommes, seuls et détachés des châtiments de la justice divine, vous vous formerez aisément l’idée d’une divinité molle et négligente, qui prend peu d’intérêt dans nos fautes, et qui n’a presque que de l’indifférence pour le bien et pour le mal. C’est ce que pense d’ordinaire la débauche téméraire et emportée, qui conçoit un Dieu toujours facile et toujours indulgent.
Que faut-il donc faire pour éviter l’un et l’autre de ces deux écueils ? Mes frères, il faut sans cesse joindre les deux objets, ne considérer jamais le châtiment que par rapport au crime qui l’a précédé, ne regarder jamais le crime que par rapport au châtiment qui le suit infailliblement dans l’ordre de la justice divine. De cette manière on n’attribuera rien à Dieu qui ne soit digne de sa nature, on le concevra bon, accessible, tendre, aimant l’ouvrage de ses mains, mais aussi on le concevra saint, juste, pur, ennemi du péché, et ce sont les deux principales idées qu’on se doit former de lui. Jésus-Christ a suivi cette règle dans la célèbre parabole des noces, que nous vous expliquons, et il l’a suivie sans doute pour en établir l’usage au milieu de son Église, afin que son exemple nous serve de loi, et que désormais nous observions exactement l’ordre qu’il a bien voulu lui-même observer. Sa parabole a deux parties : l’une regarde la réjection de l’ancien peuple, et l’autre traite de la vocation du nouveau, mais dans l’une et dans l’autre partie de son discours, soit qu’il s’agisse des Juifs, soit qu’il s’agisse des Gentils, la peine et le péché vont ensemble. Nous vîmes il y a quelque temps la ruine entière du Juif, et comment il se l’attira par une rébellion ouverte. Aujourd’hui nous verrons la condamnation du Gentil, et que c’est une suite de sa fausse obéissance. Là, vous vîtes la fureur et la fierté punie. Ici, vous verrez la dissimulation et la fourberie châtiée. Là, le roi fit brûler la ville des révoltés, ici, il fait jeter l’hypocrite dans les ténèbres extérieures.
Le roi dit notre parabole, étant entré pour voir ceux qui étaient à table, vit là un homme qui n’était pas vêtu de la robe de noces, et il lui dit, comment es-tu rentré ici sans avoir une robe de noces ? Et il eut la bouche close. Alors le roi dit à ses serviteurs, liez-le pieds et mains et jetez-le aux ténèbres du dehors, où il y aura pleur et grincements de dents. Ce texte nous fournit distinctement quatre points, sur lesquels nous aurons à vous parler, l’entrée du roi dans le lieu de la noce, la rencontre qu’il y fit d’un homme qui n’avait pas la robe qu’il devait avoir, la manière dont il procéda contre ce misérable, et enfin l’arrêt qu’il prononça contre lui. Écoutez-nous je vous prie sur ces quatre points, et pensez à bien profiter de ce que nous vous dirons.
Le premier est l’entrée du roi dans le lieu des noces. Comme nous avons déjà expliqué pour la plupart les images qui composent cette parabole, vous vous souvenez sans doute que les noces dont il s’agit sont l’Évangile de Jésus-Christ, la communion et le règne du Fils de Dieu. Vous vous souvenez aussi que les Juifs ayant refusé de venir à ses noces, et s’en étant rendu entièrement indignes par leur incrédulité et par leur rébellion, Dieu y appela les Gentils. Pour cet effet il renvoya ses serviteurs, avec ordre de les retirer des carrefours, et de les faire entrer, bons et mauvais sans distinction, dans le lieu des noces, en sorte que le lieu des noces fut rempli de gens qui étaient à table. C’est la matière que nous avons traitée dans nos actions précédentes. Il est donc clair que le lieu des noces est la profession extérieure du christianisme, la société de ceux qui ont embrassé la religion de Jésus-Christ, en un mot l’Église visible en tant qu’elle est un corps qui subsiste sous l’ordre du ministère évangélique. C’est où le roi, c’est-à-dire Dieu entre pour voir ceux qui sont à table.
Il faut d’abord remarquer que ces termes de notre parabole, que le roi entre pour voir ceux qui étaient à table, ne signifie pas que Dieu entre dans son Église par un mouvement de simple curiosité, pour en avoir une connaissance nue et spéculative à peu près de la même manière qu’on entre quelquefois dans les palais des grands pour en voir seulement les beautés et les richesses. Il s’agit ici d’un roi qui entre dans sa propre maison pour y reconnaître l’état des choses, pour examiner les personnes qui y sont et pour les juger. C’est donc une entrée de jugement, une visite de maître, qui va jusqu’à prendre garde à ce qui se passe, et à y pourvoir selon sa prudence et sa justice. Le terme de voir dont la parabole se sert, se prend souvent en ce sens de l’Écriture. Ainsi Dieu parlant de Sodome dit au 18e chapitre de la Genèse : Je descendrai maintenant et je verrai s’ils ont fait selon le cri qui en est venu jusqu’à moi. Et au psaume 33 : L’Éternel, dit le prophète, regarde des cieux, il voit tous les enfants des hommes, il prend garde du lieu de sa résidence sur tous les habitants de la terre. Et de même au psaume 94 : Ils tuent la veuve et l’étranger, ils mettent à mort les orphelins, et ils disent l’Éternel ne le verra point, le Dieu de Jacob n’en entendra rien. Tous ces passages qui se doivent entendre d’une vue de providence et de jugement, donnent du jour à notre texte, il le faut prendre de même.
Mais quand est ce donc que le roi entre ainsi dans la chambre de son festin ? Je réponds qu’il y a trois divers temps, selon lesquelles il faut soigneusement distinguer trois différentes entrées de Dieu dans son Église visible. Le premier temps comprend toute la durée de cette vie, le second est celui de notre mort, et le troisième celui de la fin du monde, le dernier jour, le jour de la consommation de toutes choses. Durant la vie Dieu entre souvent dans la conscience de l’homme, souvent il y élève son trône, un trône de jugement devant lequel il cite l’homme, et l’oblige à y comparaître pour lui faire rendre compte de ses actions. Quand cela arrive, il n’y a point d’âme quelque rebelle qu’elle soit qui ne s’ouvre tout entière à ses yeux depuis un bout jusqu’à l’autre, sans qu’il y demeure rien de caché, ses lois lui servent de règles, nos propres pensées sont nos accusateurs, et nos œuvres sont les témoins qui déposent contre nous.
Pour ce qui regarde le temps de la mort, vous n’ignorez pas que dès que l’âme est détachée de son corps, elle comparaît devant la face de son Créateur qu’il examine et qui la juge. Quand nous sommes dissous, dit Salomon, la poudre s’en retourne en la terre, comme elle y avait été, mais l’esprit s’en retourne à Dieu qui l’avait donné, et c’est là le second jugement ou la seconde entrée du roi dans le lieu des noces.
La troisième sera au dernier jour, car vous savez qu’au dernier jour Dieu viendra pour juger les vivants et les morts. C’est le jour où ce sera la grande séparation de son froment d’avec l’ivraie de l’ennemi. Saint Paul l’appelle pour cette raison le jour de la colère de Dieu, et de la déclaration de son juste jugement, ailleurs il dit que c’est le jour que Dieu a marqué pour juger le monde universel selon sa justice.
Ces trois différentes entrées sont suivies de trois différentes sortes d’arrêt, tant pour les bons que pour les méchants. La première en produit un de justification ou de condamnation selon l’état où Dieu trouve l’homme. Mais cet arrêt n’est ni général ni public, ni même décisif ou irrévocable, Dieu le prononce pour chacun de nous en particulier, il le prononce dans le secret de notre conscience, et si l’homme change, le jugement change aussi car le jugement dépendant de l’état de l’homme, et c’est pourquoi l’exécution en demeure suspendue jusqu’à la fin de la vie. La seconde en produit de même un de justification ou de condamnation, et à la vérité celui-ci est décisif et irrévocable, c’est un arrêt qui ne peut jamais changer, et qui est exécuté en partie, il n’est pourtant ni général, ni public, il demeure caché dans le conseil de Dieu, et il n’y a que Dieu et l’homme qui en aient la connaissance. Pour le troisième qui sera celui du jugement dernier, il sera non seulement décisif et irrévocable, mais aussi général et public, et il sera exécuté pleinement et entièrement. Car au dernier jour Dieu nous jugera tous, il nous jugera à la face de toutes ses créatures. Après cet arrêt il n’en faut pas attendre d’autre, c’est pourquoi l’exécution en sera faite sur-le-champ : les justes seront élevés dans la gloire éternelle, et les méchants seront abîmés dans les peines de la damnation.
Jésus-Christ parle ici de ces trois entrées, et de ces trois sortes d’arrêt, et comme cette distinction est importante et qu’elle sert de fondement à tout ce qui nous reste à dire, vous la devez soigneusement remarquer. Il y a l’entrée du jugement de la conscience qui produit un arrêt de justification ou de condamnation présente. Mais cet arrêt n’est ni général, ni public, ni décisif ou irrévocable, et il demeure sursis à l’égard de son exécution. Il y a l’entrée du jugement de la mort qui produit un arrêt décisif et irrévocable, mais cet arrêt particulier et secret. Il aura l’entrée du jugement dernier, où Dieu donnera son arrêt décisif, irrévocable, public, et général, après lequel il n’y en peut avoir aucune autre. C’est assez pour le premier point point passons maintenant au second.
Le roi, dit la parabole, étant entré ville à un homme qui n’était pas vêtu de la robe de noces. Jésus-Christ fait allusion à la coutume ancienne des peuples, qui était que dans la célébration de leurs noces, non seulement l’époux et l’épouse, mais ceux aussi qui étaient conviés au festin ; ils paraissaient non dans leurs habits ordinaires, mais avec des vêtements magnifiques, pour marquer leur joie, et pour répondre en quelque sorte à l’honneur qu’on leur avait fait de les appeler à cette solennité. Ils nommaient ces sortes de vêtements des robes de fête, ou des robes nuptiales, et c’est dans cette vue qu’il est dit au 18e chapitre de l’Apocalypse, que le temps des noces de l’Agneau étant venu, son Église se trouva parée, vêtue de crêpe fin et luisant, et que ce crêpe était les justifications des saints. On pourrait peut-être rapporter sur le sujet de cette coutume plusieurs choses curieuses, mais cette critique nuirait plutôt qu’elle ne contribuerait à votre édification. Il faut seulement remarquer que quand notre Seigneur parle ici d’un homme au nombre singulier, il ne veut pas dire qu’il y ait en effet dans les noces évangéliques, qu’un seul homme, ou si vous voulez un petit nombre d’hommes qui ne se trouvent pas vêtus de la robe mystique que Dieu nous demande. Ce n’est pas là son sens, l’expérience de tous les siècles, y résiste, et lui-même nous dira par la suite, il y en a beaucoup d’appelés et peu d’élus, ce qui signifie comme vous voyez que le nombre des mondains et des hypocrites excède toujours celui des justes et des vrais fidèles. Il a donc voulu simplement désigner un certain nombre de personnes qui sont dans l’Église visible, par opposition à notre ordre qui s’y trouve aussi, et par cet homme au nombre singulier il avait dessein de nous faire comprendre que la vocation extérieure rassemble de deux sortes de gens, les uns qui honorent la profession du christianisme par des qualités et des actions qui s’y rapportent, et d’autres qui la déshonorent par une conduite malhonnête, injurieuse au Fils de Dieu et indigne de la grâce qu’il leur a fait de les appeler. En un mot par cet homme qui n’avait pas la robe de noces, il a voulu en général marquer tous ceux qui ne sont pas dans les termes de la condition évangélique, quels qu’ils soient, soit vivants, soit mourants, c’est-à-dire tous ceux qui ne sont pas actuellement dans un état agréable à Dieu, ni tels qu’ils doivent être pour obtenir de lui la justification et le salut.
Mais il faut quitter ces notions générales et dire quelque chose de plus précis. Pour cet effet il faut examiner deux questions, l’une, qu’elle est cette robe de noces, l’autre, qui dépend de la première, qui est cet homme qui se trouve ainsi sans la robe de noces.
Pour la première de ces questions, la foi est la robe de noces, mais non la foi quelle qu’elle puisse être, ni en quelque état qu’elle soit, donnez-vous de garde une si pernicieuse pensée. Pour être digne de ce nom la foi doit nécessairement avoir six qualités, ou six caractères que nous désignons par ces six termes, la pureté, la chasteté, la sincérité, la vie, l’efficace, et la perfection. Nous employons ces termes pour une plus grande facilité, et s’ils ont quelque chose ou d’impropre ou d’obscur cela s’éclaircira et se rectifiera, par l’explication que nous en allons donner. Je dis donc qu’elle doit avoir de la pureté par égard aux dogmes qu’elle embrasse, de la chasteté par égard au culte qu’elle pratique, de la sincérité par égard à la persuasion de l’esprit elle doit produire, de la vie par égard à la régénération du cœur qui la doit accompagner, de l’efficace par égard aux bonnes œuvres qui en sont les fruits, de la perfection par égard à la plénitude des bonnes œuvres.
Il faut qu’elle soit pure par opposition aux hérésies qui en sont la corruption, chaste par opposition aux superstitions et aux idolâtries qui sont incompatibles avec la communion de Dieu, sincère par opposition à la profanation et à l’hypocrisie qui peut quelquefois faire semblant de croire, mais qui en effet ne croit rien, vivre par opposition à une certaine espèce de foi morte, infirme, et temporelle qui ne fait que des demi-chrétiens, qui en apparence met le cœur en partage entre Dieu et le monde, mais qui en effet le laisse tout entier au monde, efficace par opposition à une foi négligente et endormie, qui ne se soucie pas de faire de bonnes œuvres, et enfin parfaite par opposition à l’état de certaines gens qui joignent ensemble la justice avec l’injustice, et qui en plusieurs choses veulent être gens de bien, mais qui en d’autres ne laissent pas d’être pécheurs et vicieux. Elle sera pure si elle n’embrasse que les mystères de la révélation divine, et qu’elle rejette toutes ces folles et fausses doctrines que le caprice ou l’artifice des hommes a inventées pour altérer la religion. Elle sera chaste si elle n’a qu’un seul Dieu pour l’objet de son culte sans se détourner en aucune manière vers les créatures, et qu’elles ne reconnaissent que la seule parole de ce Dieu pour la règle des actes de la conscience. Elle sera sincère quand elle ne trompera personne par des mines et des apparences, mais quelle sera en effet et intérieurement ce qu’elle paraîtra au-dehors. Elle sera vive quand elle détachera l’homme des vanités mondaines, et en l’attachant à Dieu elle établira le règne de Jésus-Christ dans le cœur. Elle sera efficace lorsqu’elle ne se contentera pas de nous faire abstenir de pécher, mais qu’elle nous fera faire de bonnes actions. Enfin elle sera parfaite lorsque non seulement elle nous fera faire de bonnes œuvres, mais qu’elle ne permettra pas que nous en fassions de mauvaise, ni que nous la déshonorer aux parts des crimes et des énormités. Voilà quelle doit être la robe de noces que Dieu demande de nous.
Cette première question étend ainsi vidée il n’est pas difficile de répondre à la seconde. On demande qui est cet homme qui n’a pas la robe de noces. Nous avons déjà dit qu’en général cette expression comprend tous ceux qui ne sont pas entièrement dans les termes de la condition évangélique, et qui par conséquent ne sont pas dans l’approbation de Dieu ni en état de salut ou de justification présente. Mais il faut remarquer que quand on dit d’un homme qu’il n’est pas en état de justification présente, cela veut dire nécessairement qu’il est au contraire en état de condamnation. Car il n’y a pas de milieu entre ces deux choses, il faut être ou en état de salut actuel, ou en état de ruine et de mort éternelle. Il y a trois états où l’homme se peut trouver, celui d’ennemi de Dieu, celui d’enfant désobéissant et rebelle, et celui d’enfant obéissant. Je dis celui d’ennemi de Dieu, dans cet état sont tous ceux qui n’ont jamais été vraiment convertis, ni élevés à l’adoption salutaire. Tels sont dans l’Église visible les profanes, les mondains, les hypocrites, ceux qui n’ont nul sentiment de la grâce divine, ceux aussi qui n’ont touchant les mystères de la religion qu’une opinion flottante et douteuse, ou une fois humaine et historique, ceux enfin que l’Écriture appelle temporels, qui a la vérité ont fait quelques progrès vers la régénération, mais qui n’en ont pas encore reçu la vraie forme. Tous ceux-là n’ont nulle part à la justification ou à la réconciliation avec Dieu, et ils ne peuvent être comptés que dans le nombre des ennemis.
Après je mets les enfants désobéissants et rebelles, et dans cet état sont tous ceux qui ayant été vraiment convertis, régénérés, justifiés, et élevés à l’adoption divine, déshonorent par des péchés énormes la grâce qu’ils ont reçue, et tombent dans des crimes sales et odieux par lesquels ils attirent sur eux la juste indignation de leur Père. J’avoue que ceux-ci doivent encore en quelque sorte être distingués des ennemis, Dieu n’a pas absolument révoqué son adoption à leur égard, et comme ils n’ont pas entièrement abandonné la justice, ni tout à fait perdu la foi, la charité, la piété, bien qu’il les aient cruellement violés, Dieu n’a pas aussi entièrement cassé leur première justification. Il demeure leur Père, mais il demeure leur Père irrité, et l’effet salutaire de leur première justification reste nul, est suspendu, jusqu’à ce qu’il se soient relevé par une véritable repentance.
Le troisième état et celui des enfants obéissants, et ce sont ceux qui après leur conversion conservent entièrement la forme de leur justice, qui ne faisant rien qui les rende entièrement indignes de l’amour de leur Père, ou dignes de sa colère, jouissent paisiblement des avantages de sa communion, ou qui du moins après avoir péché se sont rétablis en grâce par la repentance et par un retour sincère à la sainteté.
De ces trois états ceux qui sont sous les deux premiers ne peuvent qu’ils ne soient soumis à la condamnation de Dieu. Bien qu’il y ait une grande différence à d’autres égards entre un ennemi et un enfant rebelle, ils ne laissent pourtant pas d’être l’un et l’autre, dans l’état où ils sont, incapables de recevoir l’héritage céleste, l’un parce qu’il n’y a aucun droit, et l’autre parce qu’il a rendu son droit inutile. La colère paternelle ne justifie pas non plus que la haine, au contraire les arrêts de l’une et de l’autre prive l’homme des biens éternels et l’expose à la damnation. La haine le fait parce qu’elle ne trouve rien de bon en l’homme, et la colère paternelle parce que ce qu’il y a de bon en lui est corrompu par le mélange d’un mal qui empêche l’effet du bien. Il n’y a donc que l’enfant obéissant ou repentant qui soit pleinement en état de justification présente, c’est-à-dire, qui puisse être agréable aux yeux de Dieu, pour en obtenir un arrêt de salut et d’absolution. Et de là s’ensuit qu’il n’y a que lui qui ait la véritable robe de noces. L’ennemi n’a point de robe il est misérable nu, ou pour mieux dire il n’est pas nu, mais il a la robe d’un traître qui cache des armes sous une apparence d’amitié. L’enfant rebelle a une robe, mais une robe déchirée, et une robe souillée qui fait déshonneur aux sacrées noces du Fils de Dieu. La vraie robe nuptiale est une justice sans crime, ou du moins une justice accompagnée d’une repentance sincère qui recouvre la miséricorde de Dieu pour couvrir et effacer les crimes passés.
Mais pour descendre encore un peu plus dans le particulier, je dis que l’homme qui n’a pas la robe de noces, c’est premièrement l’hérétique qui joint ensemble les mystères du Ciel et les inventions impures de la terre. L’hérésie est une peste mortelle à la foi. Comment serait-il possible que des gens qui nient les principes du christianisme, ou qui en les recevant sont en même temps imbus d’erreurs grossières par lesquelles il renverse ces principes, des gens qui corrompent la véritable idée qu’on doit concevoir de Dieu ou qui détruisent la personne et les natures de Jésus-Christ, ou qui ruinent la vérité et l’unité de sa charge de médiateur, ou qui combattent l’opération du Saint Esprit en nous, comment serait-il possible que des personnes de cette sorte fussent agréables à Dieu, et en état de justification ? Si cela était, saint Paul n’aurait pas dit à son disciple Tite : Rejette l’homme hérétique après la première et la seconde condition sachant que celui qui est tel est renversé et qu’il pèche étant condamné par soi-même.
En second lieu je mets dans ce rang les superstitieux, et par ce terme j’entends ou ceux qui font consister le culte divin en des actions basses, puériles, indignes de Dieu et de l’homme, et honteuses à la religion, ou ceux qui non content de servir Dieu s’échauffent après le service des créatures, qui leur communiquent ou leur attribuent ce qui ne peut appartenir qu’au Créateurs. Saint Paul appelle ces services des dévotions volontaires, c’est-à-dire des dévotions qui dépendent de la simple volonté, éducatrice de l’homme, et qui n’ont pas Dieu pour auteur. Il appelle aussi une vaine philosophie, qui est, dit-il, selon la tradition des hommes et non selon Jésus-Christ. Il est certain que ceux qui s’y attachent n’ont pas la véritable robe nuptiale. Ils se sont faits une robe bigarrée d’une composition folle ou le bon drap est cousu avec des haillons, ou si vous voulez une robe monstrueuse et faite d’une étoffe extravagante dont la chaîne est en partie du paganisme, en partie du judaïsme, et la trame est du christianisme. Ce n’est pas le vêtement nuptial. Il faut ajouter à ces gens-là les profanes et les mondains, une troisième espèce d’hommes qui au fond n’ont aucune impression de religion ni de piété, mais qui pourtant couvre leur libertinage du voile de la profession extérieure. Saint Jude les décrit de cette manière :
Ceux-ci, dit-il, font des taches en vos repas de charité, ils mangent avec vous, et ils se repaissent eux-mêmes sans crainte, mais ce ne sont que des nuées sans eau, emportées deçà et delà par les vents, des arbres dont le fruit se pourrit, ou qui sont sans fruits, deux fois morts et déracinés, des vagues impétueuses de la mer dont l’écume n’est qu’impureté, des étoiles errantes à qui l’obscurité des ténèbres éternelles est réservée. Il dit ensuite que ce sont des mutins et des querelleurs qui suivent leur passion, que leur bouche prononce des discours fiers et enflés, et qui admirent les personnes selon leur intérêt. C’est ainsi que saint Jude parle des profanes de son temps. Mais saint Paul passe plus avant que lui, car il décrit ceux de nos derniers siècles, et voici de quelle sorte il en parle à son disciple Timothée :
Sache, dit-il, qu’aux derniers jours il viendra des temps fâcheux, car les hommes seront amateurs d’eux-mêmes, avares, vantards, orgueilleux, médisants, désobéissants à père et à mère, ingrats et profanes, perfides, calomniateurs, incontinents, cruels, ennemis des gens de bien, traîtres, téméraires, superbes, amoureux de leur plaisirs plutôt que de Dieu, ayant l’apparence de la piété mais en ayant renié la force.
C’est là la juste image de ce que nous voyons aujourd’hui, la prophétie de l’apôtre n’a été que trop véritable et à mon avis nous nous reconnaissons assez bien en ce tableau. Quoi qu’il en soit il n’y a nulle apparence d’attribuer à de tels gens la robe de noces dont il s’agit, leur état en est infiniment éloigné.
On ne saurait non plus l’accorder à un quatrième ordre d’homme que nous pouvons appeler des demi-convertis. Ce sont des personnes en qui l’esprit lutte souvent contre la chair, mais qui dans cette lutte font toujours succomber l’esprit et triompher la chair. Jésus-Christ a parlé d’eux dans une de ses paraboles. Il dit qu’il y en a qui reçoivent la semence mystique de la parole comme entre des épines, ou parmi des pierres, où elle ne prend pas de racines, ni ne porte aucun fruit. Combien y-a-t-il dans l’Église visible de gens de cette sorte qui ne sont pas entièrement abandonnés au mal, mais qui pourtant n’ont que des désirs imparfaits pour la sanctification. Ils veulent servir Dieu, mais ils le veulent faiblement. Le salut et la damnation se présentent quelquefois devant eux, ils en sont touchés, et ils font même des efforts pour se dégager du monde. Mais dès que les objets contraires de l’intérêt, de la vengeance, de la volupté, d’un vain honneur, ou d’un engagement reviennent à leurs yeux, tous ces bons mouvements de piété et de vertu qu’ils avaient eu s’évanouissent. Leur cœur est comme un misérable esclave attaché par des chaînes de fer, il va, il vient, il agit, mais ce qu’autant que sa chaîne se peut étendre, et s’il veut prendre plus de liberté, sa chaîne l’arrête et le fait revenir. Il n’y a point de robe de noces pour ces personnes-là.
Mais ne serez-vous pas surpris si nous vous disons que quelquefois il n’y en a pas non plus pour de vrais fidèles vraiment convertis, et des personnes vraiment régénérées. Et en effet il y a quelque sujet d’être surpris de cette proposition, car pendant qu’on ne met dans ce rang que des hérétiques, des superstitieux, des profanes, des gens engagés dans les vices du siècle qui ne s’en peuvent départir, il n’y a pas lieu de s’en étonner, qui pourrait leur attribuer la robe de noces ? Mais comment l’ôter à des fidèles, à des personnes à qui Dieu a fait la grâce de les séparer du monde et de les faire siens ? Cependant c’est une vérité constante que quelque régénérés que nous soyons nous pouvons perdre notre robe nuptiale, et cela peut arriver de deux manières.
Premièrement il arrive quelquefois qu’un vrai fidèle tombe dans une espèce de léthargie pour les actes de la sainteté et de la piété. Dans cet état il ne commet point de crimes, mais il ne fait pas aussi de bonnes œuvres, il ne se jette pas dans des erreurs, mais il ne s’avance pas aussi dans la connaissance de la vérité, il n’outrage pas Dieu, mais il ne le glorifie pas. Le sentiment de sa propre justice l’endort, et comme s’il n’y avait plus rien à faire de ce côté-là, il marche avec confiance dans le chemin ordinaire des hommes, il s’applique aux choses de sa vocation, aux affaires de sa famille, à des divertissements innocents, sans songer que très peu à l’ouvrage de son salut. C’est ainsi que nous sommes faits pour la plupart, contents de ce que notre conscience ne nous reproche pas de grands péchés, nous ne nous mettons pas en peine de pratiquer de grandes vertus. L’artisan fait son métier, le marchand s’applique à son trafic, le noble vit du revenu de ses maisons, le magistrat instruit ses procès, on ne fait ni violence, ni injustice, on ne se précipite pas dans les débauches du monde. Mais on ne s’empresse pas aussi à faire le bien, la piété demeure paresseuse, la prière languit, la charité devient négligente, le zèle n’a plus d’action. Le pire est que nous nous faisons souvent de cela même un principe ou une maxime que nous trouvons fort raisonnable. Il ne faut pas, dit-on trop faire l’homme de bien, la dévotion a ses excès comme toutes les autres choses, on se rend par ce moyen incommode et méprisable dans le monde, et on s’attire quelquefois de fortes méchantes affaires. Cependant qu’y a-t-il en matière de religion de plus misérable que cet état de tiédeur et de négligence ?
Je voudrais, dit Jésus-Christ, que tu fusses ou froid, ou bouillant, et parce que tu es tiède je te vomirai hors de ma bouche. Vous n’ignorez pas que dans la parabole des talents, le maître ne punit pas son serviteur, pour avoir employé contre son service le talent qu’il avait reçu, mais parce qu’il avait mis le talent dans la terre sans le faire profiter. A quoi j’ajoute que c’est une illusion grossière que de s’imaginer qu’on puisse longtemps conserver sa foi, sa piété, sa justice quand on n’en fait pas les actes. Il en est de ces habitudes comme des autres, si on ne les exerce pas, si on ne les met pas en pratique elles s’effacent insensiblement, et la plus sûre disposition pour devenir bientôt méchant, c’est de ne pas faire les actions de l’homme de bien. Il ne faut donc pas croire que dans cet état on ait encore la robe de noces.
Il la faut encore moins chercher dans un autre état où le fidèle peut quelquefois tomber, qui est de se laisser surprendre par la tentation, et d’y succomber dans des occasions importantes. On dira peut-être qu’il n’est pas possible que cela arrive. Mais après les exemples de David, et de saint Pierre que Dieu lui-même nous a voulu remettre devant les yeux comme des témoins de la faiblesse humaine, qui doutera que de semblables accidents ne soient possibles ? Nous ne sommes ni plus aimés du Ciel que David qui était l’homme selon le cœur de Dieu, ni plus attaché à Jésus-Christ que saint Pierre qui voulut mourir pour lui, et si le premier commit un adultère et un meurtre, si le second renia lâchement son maître, en quoi pouvons-nous être assurés de nous-mêmes ? On ne peut pas dire aussi que dans ces tristes chutes les fidèles perdent entièrement leur foi et leur charité, et qu’ils retombent absolument dans l’état où ils étaient avant leur régénération. L’Écriture, la raison, et l’expérience y résistent. Dans le même moment que Jésus-Christ prédisait à saint Pierre son péché, ne lui disait-il pas, j’ai prié pour toi que ta foi ne défaille point.. Et si saint Paul a dit de ceux qui n’ont rien que des commencements imparfaits de régénération, que s’ils tombent il n’est pas possible qu’ils soient renouvelés à repentance, combien plus cela serait-il véritable d’un homme parfaitement régénéré, s’il lui arrivait de perdre entièrement la forme de sa régénération. Cependant il est faux que les fidèles ne se puissent relever de leur chute. L’Écriture est donc contraire à cette supposition. La raison et l’expérience ne s’y opposent pas moins, car qui ne sait que des habitudes déjà fortement établies dans l’esprit et dans le cœur ne s’effacent pas ainsi tout d’un coup, par un ou deux actes contraires, et beaucoup moins quand ces actes ne leur sont pas directement contraires à tous égards. Quelle apparence que David dans son adultère ait perdu toute habitude de religion qu’il avait auparavant, et qu’il soit subitement devenu un athée, un profane, ou un idolâtre ? Quelle apparence que la victoire que sa passion obtint sur sa vertu dans le funeste moment de sa chute, aient d’abord étouffé toutes les semences de foi, de piété, d’équité qu’il avait dans l’âme sans qu’il en soit demeuré rien de reste. D’ailleurs ces prompts retours vers Dieu, ces vifs sentiments de repentance, que l’on remarque dans les fidèles à qui ces sortes de malheur sont arrivés, ne témoignent-ils pas clairement qu’il y avait encore dans leur âmes plusieurs étincelles de ce feu céleste que Dieu y avait au commencement allumé ? Si la grâce avait souffert en eux une éclipse, elle n’avait pourtant pas entièrement été éteinte. C’est ce qu’on doit conclure de leur repentance, comme l’on conclut du retour des fonctions de la vie dans un homme évanoui, que ce qu’il a souffert n’a été qu’un simple évanouissement, et non une mort entière.
C’est donc une chose possible qu’un homme de bien qui d’ailleurs aimera Dieu, sa religion et son salut, tombe quelquefois dans un péché énorme, et qu’engagé dans les pièges d’une passion violente ou d’un intérêt considérable, il en demeure vaincu, sans que pourtant il perde absolument toutes les impressions de justice qu’il a reçue. Dans tout le reste il marchera droit, il sera équitable, charitable, zélé, il s’acquittera bien des autres devoirs de sa vocation, mais ce sera là sa pierre d’achoppement qui le fera trébucher. Quel jugement faut-il faire d’un homme dans cet état ? A-t-il encore la robe de noces ? Non sans doute. La robe de noces est pure, entière, et luisante partout, la sienne est souillée, déchirée, couverte d’une tache sale et puante devant Dieu. Il est donc pour tout le temps de son péché, dans un état de mort et de condamnation.
C’est ce qui vous paraîtra évident ainsi après avoir considéré l’homme qui se trouve privé de la vraie robe de noces, vous voulez bien écouter Dieu qui étant entré dans la chambre de son festin, et voyant ce misérable entre les conviés, lui adresse sa parole de cette sorte : Compagnon comment es-tu entré ici sans avoir une robe de noces. Sur quoi la parabole dit que l’homme eut la bouche close. C’est notre troisième point.
Ce discours que Jésus-Christ attribue à Dieu nous enseigne premièrement que si l’on n’a pas cette robe de noces telle que Dieu la demande, tout le reste est inutile quand il s’agit d’être jugé. Quand nous aurions reçu d’ailleurs mille grâces et milles avantages qui nous distingueraient sensiblement du reste des hommes cela ne nous servirait de rien, si nous n’avons cette foi pure, chaste, sincère, vive, efficace, et parfaite comme je viens de la décrire. Soyez donc dans la profession du christianisme, soyez dans une communion orthodoxe, pratiquez un culte pur et légitime, si vous n’y êtes vraiment régénéré il n’y a aucune espérance de salut pour vous. Soyez régénéré dans le fond du cœur, chassez de votre âme les habitudes du vice, si votre foi tombe dans la langueur et dans la négligence, si vous perdez le soin de faire des bonnes œuvres, si vous tombez dans un seul crime qui souille votre conscience, et que vous n’en reveniez pas bientôt par la repentance, Dieu ne saurait vous justifier. Que vous sert-il d’être ici, vous n’avez pas la robe de noces.
En second lieu ce discours contient un mouvement d’indignation et de reproche : Comment es-tu entré ici sans avoir une robe de noces ? C’est comme s’il disait : Téméraire que fais-tu dans ce lieu sacré, qui t’a donné la hardiesse de te trouver au milieu de mes saints, et dans mon banquet céleste ? Hérétique, pourquoi usurpes-tu le titre et le nom de Chrétien ? Pourquoi te vantes-tu de mon alliance pendant que par tes sales erreurs tu gâtes ce qu’il y a de plus pur et de plus inviolable dans mes mystères. Superstitieux, que fais-tu dans ma maison, ni tu n’y es venu que pour exciter ma jalousie par des services illégitimes ? Profane, pourquoi foules-tu de tes pieds mes parvis et quelle est ton audace de me venir déshonorer jusque dans mon sanctuaire ? Mondain, qui ne peut délivrer ton cœur de l’amour des choses terrestres, quel droit as-tu de porter encore les enseignes de ma religion ? Et toi, disciple endormi, que fais-tu dans mon jardin, si tu ne veux veiller avec moi ? Disciple pécheur, enfant rebelle, quelle alliance monstrueuse as-tu faite de l’injustice avec la justice, du crime avec la piété, de mon amour avec l’iniquité ? Comment êtes-vous tous tant que vous êtes entrés ici sans avoir la robe de noces ?
En troisième lieu nous apprenons de ce discours quel est le but naturel de la vocation extérieure, non seulement à l’égard de ceux qui se convertissent actuellement, mais aussi à l’égard de ceux qui ne se convertissent pas, savoir de leur commander de croire, je dis de croire véritablement et sincèrement en joignant avec la foi la sainteté et la pratique des bonnes œuvres, et non de faire une simple profession extérieure de l’Évangile. La prédication de la parole appelle les hommes à la foi, de la part de Dieu, et elle leur leur déclare que leur foi lui sera agréable, et qu’au contraire leur incrédulité sera un crime horrible devant ses yeux. Tout cela est contenu dans ce reproche que Dieu fait à ceux qui n’ont pas la robe de noces, puisque par cela même il leur fait comprendre qu’il était de leur devoir de croire en lui, et que c’est pour cela qu’il les avait invités à son festin nuptial, et non pour les y voir pécheurs et méchants comme il les y trouve. C’est, mes Frères, ce que vous devez remarquer soigneusement, pour ne pas tomber dans cette pensée odieuse qui impute à Dieu d’avoir appelé la plupart des hommes à son Évangile dans l’intention seulement de leur tendre un piège, et de les attirer par ce moyen dans la rébellion, et dans l’incrédulité pour avoir ensuite plus d’occasions de les condamner et de les perdre. Comment peut-on concevoir de Dieu une chose si opposée à sa vérité, à sa bonté, et à sa sincérité ? Ne vous imaginez jamais, je vous prie, rien de semblable, mais soyez persuadés au contraire que tout ce qu’il fait il le fait sincèrement, qu’il commande, qu’il appelle, qu’il exhorte, qu’il promette, c’est toujours de bonne foi.
Mais il faut considérer ce que la parabole ajoute que l’homme à qui le roi parla eut la bouche close. Vous voyez bien que cela veut dire qu’ils n’eut rien à répliquer, qu’il ne peut alléguer nulle raison pour se mettre à couvert de l’indignation du roi, nulle excuse pour l’adoucir. Quand l’esprit de l’homme s’entretient avec soi-même sur le sujet de ses péchés, il ne manque jamais de raison pour se satisfaire. Son cœur et ses passions se mettent de la partie, et il se fait au dedans de lui un secret dialogue où l’on conclut toujours à la décharge de l’homme, et en faveur de son péché. S’il faut même comparaître devant un tribunal humain quelque sévère et éclairé qu’il soit, il aura toujours assez de chicanes et de subterfuges pour éluder le jugement, ou pour l’éloigner. Mais il n’en est pas de même quand il faut comparaître devant Dieu, car alors les fausses couleurs se dissipent, les fuites, et les excuses non plus de lieu, les prétextes, et les méchantes raisons s’évanouissent. Alors l’esprit et la conscience reviennent à la vérité, et tout ce qui reste à l’homme c’est le silence et la confusion. La parole de Dieu, dit l’apôtre, est vivante, efficace, et plus pénétrante qu’une épée à deux tranchants, elle atteint jusqu’à la division de l’âme, des jointures, et des moelles, et elle juge des pensées et des intentions du cœur.
C’est ce que nous voyons dans l’exemple de Job, pendant que ce ne sont que ses amis qui lui parlent et qui l’accusent, il conteste contre eux, il se défend, il les accuse à son tour. Mais dès que Dieu lui fait entendre sa voix du milieu du tourbillon, il est confus et épouvanté, je suis, dit-il, de vile condition, que te répondrais-je ? Je mettrais ma main sur ma bouche, j’ai parlé une fois, mais je ne répondrai plus, j’ai parlé une seconde fois, mais je n’y retournerai plus. David de même, lorsqu’il considère ses afflictions par égard à ses ennemis, que ne dit-il pas contre eux, il se plaint de leur perfidie, il exagère leur malice, il leur attribue de la rage et de la fureur, il va quelquefois jusqu’aux imprécations, soutenant toujours son innocence, mais dès qu’il élève ses yeux jusqu’à Dieu et qui le regarde comme son juge et l’auteur de son châtiment, il n’a plus de voix ni de langue : Je me suis tu, dit-il, je n’ai point ouvert la bouche parce que c’est toi qui l’as fait. C’est l’effet non seulement de la puissance, et de la majesté divine, devant laquelle les anges couvrent leur face de leurs ailes, mais c’est principalement l’effet de sa justice, aux yeux de laquelle il n’y a rien de caché. Éternel, dit le prophète, si tu prends garde aux iniquités, qui est-ce qui subsistera ?
Mais si la confusion et le silence sont l’effet de la justice divine quand elle procède contre l’homme et qu’elle fait l’enquête de son péché, que sera-ce quand elle prononcera son arrêt terrible de la manière dont Jésus-Christ l’exprime dans notre texte : Alors le roi, dit-il, dit à ses serviteurs, liez-le pieds et mains, et jetez-le aux ténèbres du dehors, ou il y a pleur, et grincement de dents. Ces paroles n’ont pas besoin de commentaire, elles portent comme vous voyez l’arrêt de la damnation de l’homme tel qu’il part de la bouche de Dieu, et elles le portent avec plus de clarté et plus de force que n’en aurait notre explication.
Il faut faire pourtant quelques réflexions. Ses serviteurs à qui le roi parle ne sont pas les mêmes que ceux à qui auparavant il avait donné l’ordre d’aller au carrefour des chemins pour appeler à son festin autant de gens qui n’en trouveraient. Car ainsi les premiers sont bien les ministres de son Évangile, et les hérauts de la grâce, mais ils n’ont point de part dans l’exécution de ses jugements. J’avoue qu’ils peuvent déclarer aux pécheurs les droits de la justice divine, et ceux de la miséricorde aux fidèles, ils peuvent faire voir de loin aux méchants les supplices qui leur sont préparés. Mais ils ne sont pas les dispensateurs de l’enfer non plus que du paradis, Dieu se sert d’autres mains que des leurs, pour sauver actuellement les hommes, ou pour les damner. Quels sont donc ces serviteurs à qui le roi ordonne de lier le criminel et de le jeter aux ténèbres du dehors ? Je réponds qu’il faut prendre ces paroles comme appartenant à l’image de la parabole. Un roi a accoutumé d’en user ainsi, il donne ordre à ses serviteurs d’exécuter les arrêts de sa justice, et si dans l’application qu’on fera de cette image de Dieu, on veut trouver quelque chose qui réponde, il faut dire que ces serviteurs sont les mauvais anges que Dieu emploie pour la punition du pécheur, ou en général toutes les voies de sa puissance qu’il fait servir à cette fin.
Liez-le, dit-il, pieds et mains. Ces paroles représentent la force invincible que Dieu déploie quand il veut punir, force qui est telle que la créature ne la saurait éviter ni par la fuite, ni par la résistance. Les pieds marquent la fuite, les mains marquent la résistance, et l’expression tout entière signifie que les peines de la justice divine sont inévitables. Où irai-je, dit David, arrière de ton Esprit, et où fuirai-je arrière de ta face ? Si je monte aux cieux tu y es, si je me trouve couché au sépulcre, t’y voilà. Si je prends les ailes de l’aube du jour, et que je me loge derrière la mer, ta main n’y aura conduit, et ta main aussi m’y empoignera. Si je dis, au moins les ténèbres me couvriront, voilà la nuit qui servira de lumière autour de moi, les ténèbres ne me cacheront pas devant toi, car la nuit resplendira comme le jour, et autant te sont les ténèbres que la lumière. Il n’y a donc nulle espérance d’échapper à la vengeance de Dieu par la fuite, puisqu’il est partout. Il n’y en a pas non plus de s’opposer à lui par la voie de la résistance, quand il démolit, dit Job, il y a personne qui rebâtisse, quand il ferme sur quelqu’un, on n’ouvre point. S’il retient les eaux tout est à sec, et lorsqu’il les lâche elles inondent la terre.
Mais ne pourrait-on pas dire, outre cela, que ces paroles liez-le pieds et mains, qui marquent le premier acte d’un juge sur un criminel pour le préparer au dernier supplice, représentent les frayeurs de la conscience que Dieu par sa justice excite dans l’âme des pécheurs, et qui sont comme les avant-coureurs de l’enfer ? Car il est vrai que les frayeurs de la conscience précèdent le plus souvent la damnation, et ce sont comme des liens qui attachent l’âme, et des chaînes d’airain qui l’accablent, et qui l’arrêtent au pied du tribunal de Dieu.
Mais voyons la suite de ce jugement, liez-le pieds et mains, et le jetez aux ténèbres de dehors. Ces ténèbres sont l’enfer, une véritable Égypte qui se trouve ensevelie dans une profonde nuit, pendant que la bienheureuse Gossens jouit de la lumière de Dieu, et le terme des ténèbres donne des idées d’horreur, de solitude, d’angoisse et de mort, qui sont les véritables caractères de la damnation. Il les appelle les ténèbres de dehors, c’est-à-dire, des ténèbres d’exil, et de proscription, où l’on est pour toujours privé de la communion de Dieu, éloigné de sa face et de sa présence, et séparé de la compagnie des saints. Là, dit-il, il y a pleur et grincement de dents, ce qui veut dire qu’il y aura là deux choses perpétuellement jointes ensemble, la dernière douleur, et la dernière fureur, le désespoir et la rage, le tourment et le blasphème, le règne de la justice de Dieu et le règne de l’injustice de l’homme. Le pleur marque le sentiment de l’affection, et le grincement de dents signifie le mouvement de l’imprécation. État funeste où Dieu déploiera sur l’homme toutes les peines de sa colère, et où l’homme déploiera contre Dieu tous les efforts de sa haine et de son impiété, ou à peine ne pourra-t-on juger lequel sera le plus grand, ou le châtiment de la vengeance divine ou l’impétuosité de la corruption humaine, qui s’irritera contre les jugements de Dieu.
C’est donc là le grand arrêt de Dieu, liez-le pieds et mains et le jetez aux ténèbres de dehors, où il y a pleur et grincement de dents. Mais souvenez-vous de ce que je vous ai dit au commencement, que Dieu prononce trois fois cet arrêt, le jour de l’épreuve de la conscience, le jour de la mort, et le jour du dernier jugement. Quand il le prononcera ces deux dernières fois, il sera irrévocable, et suivi de l’exécution. Après le dernier jugement il n’y aura plus de retour, car il n’y a point de lieu de repentance dans l’enfer, se sont des liens éternels, comme parle l’Écriture, le ver n’y meurt point, et le feu ne s’éteint point. Il n’y a nulle espérance non plus après le jugement de la mort, il est décisif et irrévocable de même que celui du dernier jour. De quelque côté que l’arbre tombe, dit Salomon au livre de l’Ecclésiaste, soit vers le midi, soit vers le septentrion, il demeurera au lieu auquel il sera tombé. Le mauvais riche a beau crier à Abraham, père Abraham, aie pitié de moi, et envoie vers moi Lazare. Abraham répond : Il y a un grand abîme entre vous et nous, de sorte que ceux qui veulent passer d’ici vers vous ne le peuvent, dit ni de là passer ici.
Mais pour ce qui regarde le jour de l’épreuve de la conscience, l’arrêt de Dieu quoique prononcé, et prononcé en sa juste colère ne laisse pas d’être révocable, et c’est pourquoi l’exécution en demeure suspendue. Toute la vie de l’homme est à l’égard de Dieu un temps de patience et de vocation, il dresse à la vérité son trône dans l’âme, il juge, il condamne, il prononce son arrêt, mais il demeure pourtant dans les termes de sa longue attente, comme parle l’Écriture, prêt à recevoir l’homme quand l’homme retournera vers lui. Il lui tend encore les bras de sa miséricorde, il l’appelle, il le convie d’y venir, il lui propose encore toutes les promesses de son amour. C’est ce qui lui faisait dire autrefois par Ésaïe : Venez et débattons nos droits, quand vos péchés seraient comme le cramoisi, ils seront blanchis comme la neige, et quand ils seraient comme le vermillon, ils deviendront blancs comme la laine. Et de même par Jérémie : Si en un instant je parle contre une nation, et contre un royaume pour l’arracher, pour le dissiper, et le détruire, et que cette nation-là, contre laquelle j’aurais parlé, se détourne du mal qu’elle aura fait, je me repentirai aussi du mal que j’avais résolu de lui faire.
Mais n’est-ce pas direz vous attribuer à Dieu de l’inconstance que de dire qu’il révoque ainsi si facilement les arrêts de sa justice ? Non, car il faut concevoir que tous ces arrêts prononcés dans la conscience, ont toujours la clause de révocation annexée, pourvu que l’homme se repente. Ainsi quand la repentance de l’homme arrive, Dieu demeure ferme dans sa première volonté, il est toujours égal à soi-même, et ce n’est pas lui qui change, mais l’homme. Car quant à Dieu le droit de sa justice évangélique est toujours qu’il punira le pécheur s’il ne se repent pas, ce qui ne s’oppose pas au droit de sa miséricorde, qui est qui lui pardonnera, si par une heureuse conversion il revient à son devoir. L’homme a donc lieu jusqu’à la fin de sa vie de se remettre en grâce avec son Dieu, de faire révoquer le jugement de condamnation, et d’en faire donner un d’absolution et de salut, sans qu’on puisse imputer à Dieu aucune inégalité. Quand le méchant, dit Dieu par son prophète Ézékiel, se détournera de sa méchanceté, et qu’il fera ce qui est juste et droit, il fera revivre son âme, et s’étant ravisé et détourné de tous ses péchés, pour vrai, il vivra, il ne mourra pas.. Et de même, quand le juste se détournera de sa justice, et qu’il commettra iniquité, il mourra pour son iniquité qu’il aura commise. C’est ce que portent les lois de Dieu.
Mais c’est assez insister sur l’explication de ce texte, il est temps de le considérer dans une vue d’usage et de pratique, et de voir à quoi se rapportent les grandes et importantes vérités que nous venons de vous mettre devant les yeux.
Premièrement donc cette table du festin des noces dont notre parabole parle, nous avertit de bien considérer la grâce que Dieu nous fait de conserver au milieu de nous le ministère de sa parole. Combien y-a-t-il de peuples au monde qui n’en ont jamais joui, et de ceux qui en ont joui, combien y-en-a-t-il qui l’ont perdue ? Pendant que ces premiers vivent dans une ignorance profonde des mystères du Ciel, sans en avoir aucun désir parce qu’ils ne les connaissent pas, et que les autres qui les connaissent soupirent après eux, et forment pour eux des désirs inutiles, Dieu nous les fait dispenser avec abondance, et si j’ose dire avec quelque profusion. Que lui avons-nous fait qu’il ait tant de bonté pour nous, en sommes-nous plus dignes que les autres ? Non sans doute, c’est un pur effet de sa miséricorde, à laquelle seule il faut dire : Tu as dressé une table devant moi, à la vue de ceux qui m’environnent, tu as répandu sur ma tête une huile odoriférante, tu as comblé ma coupe.
Gardons-nous bien d’abuser d’une si grande faveur, et pour cet effet souvenons-nous en second lieu, que Dieu entre de temps en temps dans la chambre de son festin pour regarder ceux qui y sont, et pour voir de quelle manière ils en usent. Il nous a donné son ministère, il est vrai, mais il ne l’a pas abandonné à notre discrétion pour en faire ce qu’il nous plaira. Il y a trop de dignité dans sa parole, et il y prend lui-même trop d’intérêt, pour la laisser ainsi exposé à l’injure des hommes sans la venger. Il nous l’a donné de la même manière qu’il donna son ange aux Israélites dans le désert, savoir pour nous régler, pour nous consoler, pour nous conduire, et pour nous défendre, mais il nous a dit comme à eux : Prenez garde de l’outrager, écoutez-la, ne la méprisez point, car elle ne vous pardonnera pas votre péché, mon nom est en elle. Si nous l’écoutons avec obéissance Dieu sera notre protecteur, pour l’amour d’elle, mais si elle se plaint de nous, et qu’elle nous accuse, il sera juge entre elle et nous, et le même flambeau qui nous servait de guide sera celui qui nous consumera.
Je laisse à part la grande et la dernière rentrée que Dieu fera dans son Église pour nous juger, je ne parlerai pas aussi du jugement de notre mort. Le Seigneur veuille nous faire trouver miséricorde dans ces deux importantes journées, où il prononcera des arrêts éternels, après lesquels n’ayant plus d’espérance, il n’y aura plus de lieu à l’exhortation. Je demeurerai dans les termes du temps où nous sommes, qui est encore un temps de vocation, quoique ce soit aussi un temps de jugement. Combien peu de personnes y-a-t-il parmi nous qui puissent en attendre un arrêt favorable, un arrêt de grâce et de justification lorsque Dieu entrera dans nos consciences et qu’il examinera la question, si nous avons la robe de noces, ou si nous ne l’avons pas ? Combien peu en trouvera-t-il qui aient cette fois dont nous avons parlé, pure chaste, sincère, vive, efficace, et parfaite, cette robe entière, uniforme, sans taches et sans défaut tel qu’il la demande, qui seule peut plaire à ses yeux ? Mais il faut pourtant supposer qu’il en trouvera quelques-uns, car comme nous l’avons dit ailleurs sa parole ne retourne jamais à lui sans effet. Si elle ne réussit pas dans les uns elle a des succès plus heureux dans les autres, et notre parabole ne dit pas aussi que le roi trouva généralement tous ceux qui étaient assis à table dépourvus de la robe de noces, elle se contente de le dire d’un seul homme pour marquer la distinction. Je ne doute donc pas qu’il n’y ait au milieu de nous, je veux dire même dans cette assemblée-ci qui me voit, et qui m’écoute, plusieurs bonnes et saintes âmes, qui non seulement sont dans la voie de la conversion et du salut, mais qui en effet sont vraiment converties, et actuellement en état de paix avec Dieu, et de justification présente, et ce sera par elles que je commencerai mon exhortation.
Que vous êtes heureux de posséder votre conscience en repos, et de pouvoir avec joie et avec assurance élever vos yeux au Ciel, et jouir du sentiment de l’amour de votre Père, et de l’espérance de sa protection. Les noces du fils du Roi sont pour vous, avec toutes les viandes exquises dont sa table divine est couverte, et quand le Roi même entre dans le lieu de son festin, il vous y voit avec des yeux d’approbation et d’acquiescement. Mais quelque avantage que soit votre état, gardez-vous bien de tomber dans la sécurité, de vous imaginer jamais que vous n’en puissiez pas déchoir quoi qu’il arrive. Plus votre bien et précieux, et plus il est exposé au danger, car le démon entre dans le paradis, et il y entre en séducteur, en serpent qui se cache sous de belles apparences, et quand il ne vous tenterait par par les objets ordinaires, il ne manquera pas de le faire par votre propre justice. Il vous la peut tourner en piège par deux voies, par l’orgueil, et par la vaine confiance. Par l’orgueil si vous revêtez un esprit de pharisiens qui vous fassent dire à vos frères : Tenez-vous loin de moi, car au prix de vous je suis saint. Par une vaine confiance, lorsque que vous direz, si je suis enfant de Dieu, je puis me jeter en bas, car il donnera charge de moi à ses anges, qui me porteront entre leurs mains, de peur que mon pied ne heurte contre la pierre. C’est ce que David lui-même confesse qui lui est arrivé : Quand j’étais, dit-il, en ma prospérité, je disais, je ne serai jamais ébranlé. Éternel, part ta faveur, tu avais fait que la force se tint en ma montagne, mais sitôt que tu as caché ta face je suis devenu tout éperdu. Songez donc à vous conserver votre pays, tenez ferme ce que vous avez, afin que nul ne prenne votre couronne, affermissez votre vocation et votre élection par de bonnes œuvres, et continuer à travailler à votre propre salut avec crainte, et avec tremblement, en un mot que celui qui est juste soit justifié encore.
Pour les autres qui ne sont pas dans cet heureux état de justice, quoi que nous les ayons distingués en plusieurs ordres, je ne prétends pas pourtant m’adresser indifféremment à tous. Je laisse à présent les hérétiques, les superstitieux, et les profanes, car il faut pour eux une voix plus forte que celle de l’exhortation ; Dieu veuille leur ouvrir les yeux, et leur toucher le cœur, et ne permette plus que des personnes qui d’ailleurs ont des lumières, et de l’honnêteté morale, demeurent comme ensevelis sous le poids, ou de la coutume, ou de la naissance, ou des préjugés.
Je me tourne vers vous mon frère, qui avez fait déjà quelques pas du côté de la régénération, mais qui n’avez encore que des commencements imparfaits. Comment se fait-il qu’ayant entrepris une si bonne œuvre vous demeurez en chemin ? Il ne faut plus que quelques efforts pour atteindre à la forme entière de la justice à laquelle vous aspirez. Ne perdez pas le fruit de ce que vous avez déjà fait, ayez courage, implorez le secours de la grâce de Dieu, un ou deux pas de plus vous mettent dans sa communion, pourquoi la refuseriez-vous puisque vous la désirez ? Sauvez-vous au moins par la vue des peines qui vous menacent, considérez ces ténèbres de dehors, ces pleurs, ce grincement de dents, cette damnation éternelle, qui est le destin de ceux qui n’ont pas la robe de noces, et pourquoi n’achevez-vous pas de vous arracher du monde pour éviter de si grands malheurs ? C’est à quoi la religion que vous professez vous convie, et non seulement elle vous y convie, mais elle y travaille de tout son pouvoir, et quand elle n’y réussit pas elle arrose au moins des larmes de sa tendresse les tombeaux de ceux qu’elle perd, Rachel pleurant ses enfants a refusé d’être consolée parce qu’ils ne sont plus.
Pour vous, mon frère, en qui Dieu avait déjà formé le nouvel homme, mais qui depuis êtes tombé dans la froideur et dans la négligence à quoi songez-vous ? J’avoue que vous n’avez pas entièrement renoncé à la régénération, mais si les principes du cœur ne sont pas encore tout à fait corrompus, ils sont en voie de l’être. Et que vous sert votre foi si elle n’est opérante par la charité ? Vous ne faites pas de mal, dites-vous, mais vous ne faites point de bien, et croyez-vous que cela même ne soit pas un grand péché de ne point faire de bonnes œuvres ? Avez-vous été appelé à la vigne du Seigneur pour y demeurer fainéant, et suffit-il de ne pas arracher les ceps, ne faut-il pas les y planter, et les y provigner ? Que répondrez-vous à Dieu quand il vous demandera compte de votre vocation, et où seront les fruits de votre justice ? Car ce seront ses fruits qu’il vous demandera, et c’est pourquoi David et Jérémie compare les fidèles, non à des buissons ou à des arbustes infertiles, mais à des arbres qui portent du fruit, le premier dit que le juste est comme un arbre planté près des ruisseaux, et qui porte son fruit en sa saison, et le second de même, que c’est un arbre planté près des eaux, qui étend ses racines le long d’une eau courante, lequel quand la chaleur viendra, ne s’en apercevra pas, qui ne sera pas en peine au temps de la sécheresse, et qui ne cessera de faire du fruit. Relevez donc vos mains qui sont lâches et raffermissez vos genoux qui sont déjoints, secourez l’affligé, tendez la main aux misérables, tachez de relever ceux qui sont abattus, ayez pitié de la veuve et de l’orphelin, fréquentez les saintes assemblées avec dévotion et avec assiduité, établissez un bon ordre dans votre maison, faites y pratiquer la piété, priez Dieu, lisez son Écriture, cherchez les occasions de déployer votre zèle et votre charité, confirmez autant qu’il dépendra de vous ceux que vous verrez chanceler dans la voie de la vérité, empêchez leur chute et prévenez leur tentation. Enfin s’il y a quelque chose de saint, de juste, de pur, de louable, et d’honnête, pensez-y et vous y appliquez, car c’est de ces choses que se compose la robe de noces, que vous n’avez pas, et sans laquelle pourtant il n’est pas possible d’être sauvé.
Mais ne dirons-nous rien à ceux d’entre nous à qui malheureusement il est arrivé de souiller l’honneur de leur vocation, et de troubler la paix de leur conscience par quelque méchante action, soit qu’elle soit publique et connue, soit qu’elle soit particulière et secrète. Ce sont des personnes qui d’ailleurs ont le fonds bon, ils craignent Dieu, ils ont de la piété, ils font de bonnes œuvres, ils seraient bien marris d’avoir abandonné l’espérance de leur salut, et avec tout cela ils ont eu la faiblesse se laisser vaincre à une tentation. Les charmes d’un objet, l’impétuosité d’une colère, la surprise et la crainte, un engagement, l’imprudence, un désir trop échauffé les ont fait tomber dans un crime, et la même tentation qui les a vaincus, déploie encore sa force sur eux, et empêche la repentance. Misérables qu’avez-vous fait, vous êtes déshonorés devant Dieu, vous avez irrité contre vous les yeux de sa gloire, vous avez contristé son Saint Esprit, vous avez rompu les tables de son adoption, et vous avez outragé sa grâce, violé les lois de son Évangile, offensé Jésus-Christ son Fils, et faussé la foi que vous lui aviez si solennellement promise. Qu’un tel homme ne s’imagine pas qu’il ait encore la robe de noces, je veux dire qu’il soit en état de salut ni de justification présente, sous prétexte qu’il n’a commis qu’un seul crime, car l’effet naturel d’un seul crime, si on ne s’en relève pas par la repentance, est la damnation.
Mais direz-vous cet homme-là a d’ailleurs tant de vertus. Il n’importe, un seul crime empêche l’effet de mille vertus, et mille vertus ne sauraient empêcher l’effet d’un seul crime. Il y a donc qu’un conseil à donner, ni qu’un chemin à prendre qui est de revenir à Dieu par un prompt et sincère repentir. C’est l’unique planche qui nous reste après le naufrage, c’est le rétablissement de notre robe de noces. Repentez-vous donc, qui que vous soyez, à qui cette espèce de malheur est arrivé. Hâtez-vous d’apaiser Dieu par vos larmes, et retournez à votre première justice. Mais comment peut-on avoir besoin d’exhortation, sur cela, faut-il que notre voix vous réveille, êtes-vous assez insensible pour ne voir pas le funeste état où vous êtes, tout le bien que vous avez fait jusqu’à présent est perdu, et une seule de vos actions a renversé tout ce que la bonne main de Dieu avait bâti jusqu’ici pour votre salut. Que deviendront tant de belles espérances que vous aviez conçues, tant de douces consolations que vous aviez senties, tant de tendresses que Dieu avait eues pour vous, tant d’actes de piété que vous aviez fait ? Sera-t-il dit que tout cela se fonde et s’évanouisse en un instant. Non, mes frères, David se repentit à la voix de Nathan, et Pierre pleura amèrement à un seul des regards de son Sauveur. J’espère que vous en ferez de même, non simplement à notre voix, mais à celle de votre souverain Juge qui vous menace, et au regard de son Fils éternel qui de dessus son trône de gloire daigne encore tourner ses yeux vers vous. De quelque ordre que nous soyons, ou justes ou pécheurs, ou mondains, ou négligents, le Seigneur veuille nous faire à tous miséricorde, car soit qu’il nous convertisse, ou qu’il nous ramène seulement de quelque égarement, soit qu’il nous tire de notre paresse, ou qu’il conserve notre justice, il nous fera toujours grâce, et s’il nous la daigne faire, il nous donnera dès cette vie une véritable robe de noces, et un jour il nous élèvera dans la félicité de son royaume céleste, où remplis de joie et de gloire nous donnerons au Père, au Fils et au Saint Esprit, un seul Dieu béni éternellement, l’honneur et la louange qui lui est due aux siècles des siècles. Amen.