(21 décembre)
I. Thomas l’apôtre, pendant qu’il était à Césarée, le Seigneur lui apparut et lui dit : « Le roi de l’Inde Gondofer a envoyé son prévôt Abbanès à la recherche d’un homme habile dans l’art de l’architecture. Viens, et je te présenterai à lui ! » Et Thomas lui dit : « Seigneur je suis prêt à aller partout où tu m’enverras ! » Et Dieu lui dit : « Va donc en paix, car je serai ton gardien ! Et quand tu auras converti l’Inde, tu viendras à moi avec la palme du martyre ! » Puis comme le prévôt marchait dans le Forum, le Seigneur lui dit : « Que cherches-tu, jeune homme ? » Abbanès répondit : « Mon maître m’a envoyé ici afin que j’engage à son service d’habiles architectes, car il veut se faire construire un palais à la manière romaine. » Alors le Seigneur lui présenta Thomas, en lui assurant qu’il était très habile dans l’art de l’architecture.
Le vaisseau qui conduisait le prévôt et Thomas fit escale dans une ville où un roi célébrait les noces de sa fille. Ce roi ayant ordonné que la ville entière assistât à la fête, Thomas et Abbanès furent forcés d’y assister. Mais Thomas ne mangeait rien, et gardait les yeux levés vers le ciel. Or le sommelier, voyant que l’apôtre ne mangeait ni ne buvait, le frappa sur la joue. Et l’apôtre lui dit : « Mieux vaut pour toi que tu sois puni sur-le-champ d’une peine passagère, et que dans la vie future ton acte te soit pardonné. Sache donc que, avant que je me lève de cette table, la main qui m’a frappé sera apportée ici par des chiens ! » Et en effet, le sommelier étant sorti pour puiser de l’eau, un lion se jeta sur lui et le tua ; et les chiens déchirèrent son corps, et l’un d’eux apporta sa main droite dans la salle du festin. Cette vengeance est blâmée par saint Augustin dans son livre contre Faust, et déclarée apocryphe ; d’où vient que beaucoup tiennent la légende pour suspecte. Mais revenons à notre récit.
Sur la demande du roi, l’apôtre bénit l’époux et l’épouse, disant : « Seigneur, donne à ces jeunes gens l’appui de ta droite, et sème dans leurs âmes la semence de vie ! » Et quand l’apôtre fut parti, le jeune homme trouva dans sa main une branche de palmier toute chargée de dattes. Et, ayant mangé de ces dattes, l’époux et l’épouse eurent tous deux le même rêve. Ils virent un roi, paré de diamants, qui les embrassait et leur disait : « Mon apôtre vous a bénis afin que vous participiez à la vie éternelle. »
Ils se réveillèrent, et se racontèrent l’un à l’autre leur rêve. Et voici que l’apôtre Thomas leur apparut dans leur chambre et leur dit : « Mon Roi s’est montré à vous tout à l’heure, et me conduit à présent ici, malgré les portes fermées, pour que, fortifiés par ma bénédiction, vous gardiez la pureté du corps, qui est la reine de toutes les vertus, et qui mène au salut éternel. La virginité est la sœur des anges, la possession de tous biens, la victoire sur les passions, le trophée de la foi, la défaite des démons, le gage des joies éternelles. Mais, au contraire, de la volupté naît la corruption, de la corruption naît la pollution, et de la pollution naît la perdition. » Et, au moment où l’apôtre leur parlait ainsi, deux anges leur apparurent, qui leur dirent : « Dieu nous envoie à vous pour vous servir de gardiens, et, si vous observez bien l’enseignement de l’apôtre, pour Lui transmettre tous vos vœux. » Puis l’apôtre les baptisa et les instruisit dans la foi. Et, longtemps après, l’épouse, qui s’appelait Pélagie, subit le martyre, et l’époux, nommé Denis, fut ordonné évêque de cette même ville.
II. Poursuivant leur voyage, l’apôtre et Abbanès parvinrent à la cour du roi de l’Inde. Thomas fit le dessin d’un palais admirable, et le roi lui donna un grand trésor afin qu’il pût diriger la construction du palais ; après quoi ce roi partit pour une autre province ; et l’apôtre distribua au peuple tout l’argent qu’il avait reçu de lui. Pendant les deux ans que dura l’absence du roi, l’apôtre ne fit que prêcher, et convertit à la foi une foule innombrable. Mais le roi, à son retour, ayant appris la conduite de Thomas, le jeta en prison ainsi qu’Abbanès, avec le projet de les faire brûler vifs. Là-dessus le frère du roi, nommé Gad, mourut, et l’on s’apprêta à lui faire de somptueuses funérailles. Or voici que, le quatrième jour de sa mort, il ressuscita, à la stupeur et à l’épouvante de tous ; et il dit à son frère : « Frère, l’homme que tu veux faire écorcher et brûler vif est un ami de Dieu, et tous les anges sont ses serviteurs. Ces anges m’ont conduit au paradis, où ils m’ont montré un palais merveilleux, fait d’or, d’argent, et de pierres précieuses, et ils m’ont dit :
« Ceci est le palais que Thomas avait construit à ton frère. Mais ton frère s’en est rendu indigne. Que si tu veux l’habiter à sa place, nous demanderons à Dieu de te ressusciter pour que tu rachètes ce palais à ton frère, en lui rendant l’argent qu’il s’imagine avoir perdu ! » Puis, ayant ainsi parlé, Gad courut à la prison de l’apôtre, fit tomber ses chaînes, et le supplia d’accepter un manteau précieux. Mais l’apôtre lui dit : « Ignores-tu donc que ceux qui aspirent au pouvoir céleste ne désirent rien des choses terrestres ? » Et, comme l’apôtre sortait de la prison, le roi vint au-devant de lui, se jeta à ses pieds, et lui demanda pardon. Et l’apôtre lui dit : « Crois dans le Christ et fais-toi baptiser, afin de participer au royaume éternel ! » Le frère du roi lui dit : « J’ai vu le palais que tu as construit pour mon frère, et j’ai obtenu la permission de l’acquérir. » Et l’apôtre : « Cela dépend de ton frère. » Et le roi : « Que ce palais soit pour moi, et que l’apôtre en construise un autre pour toi, ou bien encore, si c’est impossible, nous habiterons celui-là en commun ! » Et l’apôtre leur dit : « Il y a, dans le ciel, d’innombrables palais, préparés depuis l’origine des temps, et qui s’acquièrent par la foi et l’aumône. Et quant à vos richesses, elles peuvent bien vous précéder dans ce palais, mais elles ne peuvent absolument pas vous y suivre ! »
III. Un mois après, l’apôtre fit rassembler tous les pauvres de la région, et, quand tous furent rassemblés, il fit sortir de la foule les malades, les infirmes, et les faibles. Alors il pria sur eux, et ceux d’entre eux qui avaient reçu la foi répondirent amen. Alors une grande lumière descendit du ciel et se répandit sur l’apôtre et sur ces pauvres gens ; et, quand elle fut dissipée, l’apôtre dit : « Relevez-vous : c’est mon Maître qui est venu, pareil à la foudre, et qui vous a guéris ! » Et, en effet, ils furent tous guéris ; et, se relevant, ils glorifièrent Dieu et l’apôtre. Alors celui-ci se mit à les instruire, leur exposant les douze degrés de la vertu. Le premier degré est de croire en un Dieu unique d’essence en triple personne. Et l’apôtre leur expliqua, par trois exemples sensibles, comment une même essence pouvait avoir trois personnes : 1°la sagesse dans l’homme est une, et cependant elle est formée de l’intelligence, de la mémoire, et de l’imagination ; 2°une vigne est formée de trois éléments, le bois, les feuilles et les fruits, dont l’ensemble ne forme qu’une seule vigne ; 3°une tête contient quatre sens, la vue, le goût, l’ouïe et l’odorat. Le second degré de la vertu consiste à recevoir le baptême ; le troisième à s’abstenir de la luxure ; le quatrième à éviter l’avarice ; le cinquième à éviter la gourmandise ; le sixième à faire pénitence ; le septième à persévérer dans le bien ; le huitième à pratiquer l’hospitalité ; le neuvième à rechercher ce que Dieu veut que l’on fasse ; le dixième à rechercher ce que Dieu veut qu’on ne fasse pas ; le onzième à aimer amis et ennemis ; le douzième à veiller jour et nuit pour ne pas s’écarter de tous ces principes. Ainsi prêcha l’apôtre ; et, quand il eut fini, il baptisa neuf mille hommes, sans compter les enfants et les femmes.
IV. Thomas alla ensuite dans l’Inde Supérieure, où il se signala par d’innombrables miracles. Il convertit une certaine Sintice, qui était amie de Migdomie, femme d’un parent du roi de la contrée. Et Migdomie fut prise du désir de voir l’apôtre. Sur le conseil de Sintice, elle ôta ses riches vêtements, et se mêla à la foule des pauvres que l’apôtre instruisait. Or, l’apôtre était en train de prêcher la misère de cette vie hasardeuse et fugitive ; et il engageait ses auditeurs à recevoir la parole de Dieu, comparant celle-ci 1°à un collyre, parce qu’elle illumine les yeux de notre âme ; 2°à un emplâtre, parce qu’elle guérit les plaies de nos péchés ; 3°à une nourriture, parce qu’elle nous alimente des choses célestes. Et Migdomie, ayant entendu l’apôtre, reçut la foi, et, depuis lors, eut horreur de la couche de son mari. Celui-ci, dont le nom était Carisius, porta plainte au roi, et fit jeter l’apôtre en prison. Alors Migdomie vint le trouver dans sa prison, et lui demanda pardon d’être la cause de son incarcération ; mais l’apôtre, la consolant avec bonté, lui dit qu’il était heureux de souffrir tout cela. Cependant Carisius pria le roi d’envoyer la reine, sœur de sa femme, auprès de celle-ci, pour essayer de la ramener à lui. Mais la reine fut convertie par celle qu’elle voulait pervertir ; et, à la vue des miracles de l’apôtre, elle dit : « Maudits soient ceux qui refusent de croire, en présence de tant de signes et d’œuvres ! » Quand elle revint près de son mari, celui-ci lui dit : « Pourquoi es-tu restée si longtemps absente ? » Et la reine lui répondit : « Je croyais que Migdomie était folle, mais elle est au contraire très sage, et, en me conduisant à l’apôtre de Dieu, elle m’a fait connaître le chemin de la vérité ; ceux là seuls sont fous qui refusent de croire au Christ ! » Et, depuis lors, elle refusa de s’accoupler avec son mari. Et, le roi stupéfait, dit à son beau-frère : « En voulant te ramener ta femme, j’ai perdu la mienne ; elle est même devenue pire pour moi que la tienne pour toi ! » Et il se fit amener l’apôtre, les mains liées, et le somma de faire en sorte que sa femme et sa belle-sœur reprissent la vie conjugale. Alors l’apôtre lui démontra que, aussi longtemps que son beau-frère et lui persisteraient dans l’erreur, leurs femmes auraient le devoir de ne pas reprendre la vie conjugale. « Toi qui es roi, lui dit-il, tu tiens à ne pas avoir des serviteurs impurs, mais, au contraire à avoir des serviteurs purs. À plus forte raison Dieu aime à avoir des serviteurs chastes et purs. Il aime, dans ses serviteurs, ce que tu aimes dans les tiens. Comment ! J’ai édifié une haute tour, et tu me dis, à moi qui l’ai édifiée, de la détruire ? J’ai fait surgir une source du sol, et tu me dis de la faire tarir ? »
Alors le roi, furieux, fit apporter des lames de fer rougies au feu, et ordonna à l’apôtre de mettre sur elles ses pieds nus. Mais aussitôt, sur un signe de Dieu, une source jaillit du sol et refroidit le fer. Puis le roi, conseillé par son beau-frère, le fit plonger dans une fournaise ardente ; mais celle-ci s’éteignit aussitôt, et l’apôtre en sortit, le lendemain, sain et sauf. Et Carisius dit au roi : « Ordonne-lui de sacrifier au dieu du soleil, afin qu’il encoure la colère de son dieu, qui le protège ! » Le roi suivit son conseil, mais Thomas lui dit : « Tu t’imagines que, comme le dit ton beau-frère, mon Dieu se fâchera contre moi, si j’adore le tien ; mais c’est plutôt contre ton dieu qu’il se fâchera, et il le détruira au moment où je l’adorerai. Si donc mon Dieu ne détruit pas le tien au moment où je l’adorerai, je consentirai à lui sacrifier ; mais si mon Dieu détruit le tien, promets-moi que tu croiras en lui ! » Et le roi dit : « Tu oses encore me traiter comme si j’étais ton égal ! » Alors l’apôtre ordonna en hébreu au démon qui était dans l’idole de détruire celle-ci aussitôt qu’il fléchirait les genoux devant elle. Puis, fléchissant les genoux, il dit : « J’adore, mais non pas cette idole, j’adore, mais non pas ce métal, j’adore, mais non pas ce simulacre : j’adore mon maître Jésus-Christ, au nom duquel je t’ordonne, démon de cette idole, de la détruire aussitôt ! » Et aussitôt l’idole fondit comme de la cire. Sur quoi tous les prêtres poussèrent des mugissements, et le grand prêtre du temple, levant son épée, transperça l’apôtre, en disant : « Je venge l’injure faite à mon dieu ! » Et le roi et Carisius s’enfuirent, voyant que le peuple voulait venger l’apôtre et brûler vif le grand prêtre. Mais les chrétiens enlevèrent le corps, et l’ensevelirent solennellement.
Longtemps après, vers l’an du Seigneur 230, le corps de l’apôtre fut transporté par l’empereur Alexandre, sur la prière des Syriens, dans la ville d’Édesse, qu’on appelait autrefois Ragès des Mèdes. Or, c’est une ville où ne peut vivre aucun hérétique, aucun juif, aucun païen, et où aucun tyran ne peut faire le mal, parce que jadis un roi de cette ville, nommé Abgar, a eu l’honneur de recevoir une lettre écrite de la propre main de Notre-Seigneur. Et, en effet, si quelque mal est tenté contre cette ville, un enfant, debout sur la porte, lit la lettre du Seigneur, et aussitôt les méchants sont mis en fuite ou font pénitence.
V. Dans sa Vie et mort des Saints, Isidore dit de saint Thomas : « Thomas, disciple du Christ, et qui ressemblait au Sauveur, fut incrédule en entendant, mais crut dès qu’il vit. Il prêcha l’Évangile aux Parthes, aux Mèdes, aux Perses, aux Hircaniens, et aux habitants de la Bactriane. Abordant à la plage de l’Orient et pénétrant jusqu’aux nations de l’intérieur, il y poursuivit sa prédication jusqu’au jour de son martyre. Il mourut transpercé d’un coup de lance. » Et Chrysostome dit aussi que Thomas parvint jusqu’aux régions des Rois Mages, qui jadis étaient venus adorer le Christ, qu’il les baptisa, et fit d’eux des soutiens de la foi chrétienne.