Une autre objection, qui viendra à la pensée de beaucoup, contre cette campagne de prière spéciale pour l’établissement imminent du royaume de Christ, c’est que nous n’avons nul sujet de l’attendre avant que ne s’accomplissent certains évènements prévus dans l’Écriture, à savoir un temps de grande calamité pour l’Église, écrasée par ses ennemis antichristiques ; ce qui entre autres est signifié dans le chapitre onze de l’Apocalypse, où les deux témoins sont mis à mort.
Et en vérité l’idée qu’une terrible période de persécution l’Église doive précéder son jour de gloire, lorsque Satan et l’Antéchrist triompheront d’elle, semble être devenue bien ancrée dans les esprits. C’est principalement à l’interprétation du passage concernant les deux témoins qu’elle doit son succès. Il faut admettre que si elle est vraie, elle n’encourage guère à prier pour la venue rapide du royaume de Dieu, puisque plus les chrétiens prieraient avec ferveur, plus ils s’approcheraient d’un sort terrible, tout sujet de joie leur serait ôté. Mais je ne crois pas que cette interprétation soit juste :
1°) Le temps où les deux témoins gisent morts dans les rues de la grande cité, est indubitablement celui où l’Église est à son point le plus bas, lorsque son témoignage a presque entièrement disparu du monde. Car avant leur mort les deux témoins prophétisent, revêtus de sacs ; et après leur mort le monde se réjouit d’avoir triomphé d’eux ; la lumière de la vérité s’éteint, c’est un temps de la plus grossière ignorance en matière de religion. Or à cet égard, est-il croyable que l’humanité puisse se retrouver bientôt dans une pire situation que celle d’avant la Réforme ? que les papistes reprenant leur ancien pouvoir parviennent à extirper le protestantisme de la surface du globe ? Un tel changement au sein des nations, non seulement protestantes mais catholiques, semble quasiment impossible.
2°) Au temps de Luther, de Calvin et de leurs contemporains, la destruction de l’Antéchrist, ce terrible ennemi qui avait si longtemps oppressé et persécuté les saints, avait débuté. Ce ne fut pas un petit évènement, l’Antéchrist en fut déchu de la moitié de sa hauteur. Puis les fiolesa de la colère de Dieu (dont il est question dans l’Apocalypse) commencèrent à se déverser sur le trône de la bête : le pape perdit la moitié de ses possessions et une bonne partie de son autorité et de son influence sur les royaumes. Dieu, en réponse aux longues et continuelles supplications de son Église, semblait comme un héros se réveillant enfin d’un long sommeil, pour la délivrer et la restaurer. Il ne serait pas conforme à l’analogie de la foi, telle que nous la comprenons d’après les Écritures, qu’après avoir délivré son peuple de Babylone ou de l’Egypte, Dieu le replace sous un pire esclavage ; autrement dit, après avoir donné à son Église une aussi grande victoire sur l’Antéchrist (à l’époque de la Réforme), Il ne va pas se cacher d’elle et permettre qu’elle subisse à nouveau l’oppression de l’ennemi. Dieu finit toujours ce qu’il commence, mais souvent de manière graduelle et progressive, comme on le voit par exemple avec Darius achevant le jugement sur Babylone que Cyrus avait initié, avec Antiochus Epiphane (autre type de l’Antéchrist) défait par les Maccabées, avec le persécuteur Haman, des Juifs, à qui sa femme dit : Si Mardochée, devant lequel tu as commencé de tomber, est de la race des Juifs, tu ne pourras rien contre lui, mais tu tomberas certainement devant lui. (Esther 6.13)
a – Fiole est en effet le mot français le plus proche du grec φιάλη dans l’original, plutôt que coupe, par lequel on le traduit généralement ; dans l’anglais d’Edwards il y a vial.
3°) Si la tyrannie de l’Antéchrist parvenait à anéantir l’Église protestante, cela ne pourrait pourtant pas correspondre à la prophétie d’une mise à mort des deux témoins, puisque ce nombre deux (quoique suffisant vis-à-vis de la loi) indique sans aucun doute que les témoins seront, à leur époque, peu nombreux. Tandis que le nombre des protestants aujourd’hui s’est grandement multiplié, et rivalise avec celui des papistes.
4°) Il semble, d’après l’Apocalypse, qu’après la Réforme, l’Antéchrist ne pourra plus jamais dominer sur l’Église. En particulier quiconque lit l’exposition du chapitre 16 par l’érudit M. Lowman sera certainement convaincu que la cinquième fiole de la colère de Dieu versée sur le trône de la bête est une prophétie de la Réforme. Or, verset 10, il est ajouté immédiatement : et son royaume fut plongé dans les ténèbres, et les hommes se mordaient la langue de douleur ; ce qui doit signifier que l’Antéchrist et ses acolytes perdront le pouvoir qu’ils avaient jusque là sur le reste du monde, et qu’ils ne pourront plus continuer à tenir assujettie sur l’Église de Dieu. En d’autres passages l’Écriture souligne l’organisation et la malignité des puissances qui soutiennent des antéchrists : et voici, il y avait à cette corne des yeux comme des yeux d’homme, et une bouche qui se vantait de grandes choses. (Daniel 7.8) quand le nombre des infidèles sera complet, s’élèvera un roi ferme de visage et sachant pénétrer les secrets… Et à cause de son habileté, la ruse lui réussira. (Daniel 8.23-25) Mais lorsque Dieu les frappe d’aveuglement, comme dans le cas des habitants de Sodome, ou des Syriens qui encerclaient Elisée, tous leurs moyens s’évanouissent et ils ne peuvent rien contre les justes. De la même manière, l’Église de Rome tente en vain depuis deux siècles d’anéantir l’Église protestante, mais Dieu a déjoué tous ses efforts, et nous avons une grande confiance qu’il la défendra jusqu’à la fin.
5°) L’hypothèse que le martyre des deux témoins reste à venir rendrait incohérentes les autres prophéties de l’Apocalypse. D’après ceux qui suivent cette interprétation, la bataille Apocalypse 11.7 au cours de laquelle la bête triomphe des témoins et les tue, est la dernière, et la plus grande entre l’Antéchrist et l’Église de Christ ; et en effet dans leur logique juste après, l’Église, typifiée par les deux témoins, se relève et monte au ciel. Ce grand conflit doit donc être le même que celui décrit en Apocalypse 16.13 et plus largement dans Apocalypse 19.11. Or cela est impossible, la bataille du chapitre 11 ne peut pas être la même que celle du chapitre 19. Dans la première, l’Église de Christ est revêtue de sacs, dans la seconde, de vêtements blancs ; ch. 11 l’Église est mise à mort par ses ennemis, ch. 19 elle triomphe d’eux et les tue. Aussi conclurai-je que la prophétie de la mise à mort des deux témoins n’est pas à venir, et qu’en aucune manière elle ne représente une objection contre le projet de prière que nous soumet le Mémoire, ou qu’elle doive engendrer un motif de découragement.