L’histoire de la Bible

LES SAINTES ÉCRITURES AVANT L’ÈRE CHRÉTIENNE

5. 72 SAVANTS JUIFS À ALEXANDRIE

« …Tout ce qui est écrit de Moi dans la loi de Moïse, dans les prophètes et dans les psaumes » 1

1 Luc 24.44.



Vieux manuscrit grec trouvé en Egypte.

Lorsque les écrivains sacrés entrèrent dans le plan de Dieu, ils ne furent vraisemblablement pas conscients de l’ampleur de Ses objectifs. Peut-être ne comprirent-ils pas que leur contribution devait être incorporée à un ensemble cohérent et bien ordonné. Mais l’Architecte du temple de la Révélation agissait selon un dessein conçu de toute éternité ; Il assembla au fil des siècles des éléments que Sa prescience avait prévus depuis longtemps.

Dans la construction de cet édifice, chaque pierre avait sa place bien assignée ; l’organisme littéraire de la Bible peut être comparé à l’organisme spirituel de l’Eglise, décrit par l’apôtre en ces termes :

« C’est de Lui, et grâce à tous les liens de Son assistance, que tout le corps, bien coordonné et formant un solide assemblage, tire son accroissement selon la force qui convient à chacune de ses parties. » 2

2 Ephésiens 4.16.

L’Ecriture sainte était aussi au bénéfice d’une « force qui convenait à chacune de ses parties », force se traduisant d’abord par l’inspiration verbale des originaux ; puis ce fut la multiplication des copies effectuées sur les premiers manuscrits. Le texte primitivement rédigé par Moïse fut reproduit d’innombrables fois. En Israël s’est levée toute une cohorte de scribes, veillant jalousement sur la Révélation. Avant que les documents bibliques ne vieillissent ou que l’usure ne les rende illisibles, ils furent soigneusement relevés par des hommes dont l’histoire n’a pas retenu les noms. Dieu a employé l’érudition, les compétences, autant que la minutie d’innombrables croyants inconnus, entièrement dévoués à cette tâche ingrate, avant la venue de Christ aussi bien qu’après, des centaines, voire des milliers de scribes consacrèrent leur vie et leurs talents à la transmission de l’Ecriture. Si l’on considère qu’un rouleau de papyrus n’était guère utilisable plus d’un où deux siècles, l’on comprend mieux pourquoi les manuscrits originaux ne purent être conservés, et l’on apprécie d’autant plus tous ces copistes anonymes dans leur rôle indispensable à la préservation du texte sacré.

Pour mieux saisir l’importance de cette étape décisive dans l’histoire de la Bible, essayons de nous figurer les événements d’il y a 25 siècles. L’Ancien Testament n’est pas achevé, mais les livres de Moïse ont déjà été maintes fois recopiés. Ce travail est cependant subordonné aux circonstances sociales, politiques ou religieuses, qui bouleversent Israël. Il est des scribes particulièrement zélés qui réagissent contre le matérialisme du peuple ou contre l’apostasie du clergé ; plusieurs d’entre eux éprouvent le besoin de s’isoler dans les montagnes ou les déserts, pour se vouer plus entièrement à la transcription des Ecritures ; les auteurs des manuscrits de la mer Morte, réfugiés à Qumrân, feront de même dès le 8e siècle avant J.-C. Mais, 200 à 300 ans auparavant, d’autres hommes pieux d’un peuple apparenté les ont précédés dans cette voie ; animés de sentiments aussi fanatiques qu’hostiles envers les Juifs de Jérusalem, ils s’en sont éloignés, établissant leur résidence au sommet du mont Garizim, au-dessus de Samarie ; là, ils ont même élevé un temple dédié à l’Eternel. Ce sont les prêtres samaritains, dont l’ordre « monastique » — sans doute l’un des plus anciens du monde — subsiste encore au 20e siècle de notre ère.



Le mont Garizim, où les Samaritains élevèrent autrefois un temple.

Le Nouveau Testament évoque la haine farouche régissant les relations entre Samaritains et Juifs de Judée 3. Certains passages des Evangiles doivent être envisagés à la lumière de cette rivalité religieuse ; à titre indicatif, l’entretien du Seigneur avec la femme samaritaine prend un relief particulier, lorsqu’on le considère dans le cadre de cette tension séparant deux races « cousines ». « Nos pères ont adoré sur cette montagne » 4, répond-elle à Jésus, se retranchant ainsi derrière ses antécédents religieux. Elle fait allusion au temple que ses ancêtres du 6e siècle avaient dressé sur le mont Garizim, la montagne de la bénédiction 5, avec la prétention d’y célébrer un culte rival et de nuire ainsi à la réputation du temple de Jérusalem. En pleine connaissance des faits, le Seigneur détache cette femme de son horizon limité :

3 Luc 9.51-56 ; Jean 4.9.

4 Jean 4.20.

5 Deutéronome 27.12.

« Crois-Moi, l’heure vient où ce ne sera ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père. Vous adorez ce que vous ne connaissez pas. Mais l’heure vient, et elle est déjà venue, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité ; car ce sont là les adorateurs que le Père demande. » 6

6 Jean 4.21-23.



Prêtre samaritain en grand apparat.

Mais les sacrificateurs samaritains ne sont pas ces adorateurs qui s’approchent du Père en esprit et en vérité. Durant 15 siècles, ils ne veulent pas non plus entretenir de relations avec les autres prêtres. Et pendant tout ce temps, ils recopient la loi de Moïse au mont Garizim, en refusant obstinément tout contact avec ceux qui poursuivent cette même tâche ailleurs en Palestine. Aussi lorsque, beaucoup plus tard, les érudits prendront connaissance du Pentateuque Samaritain, ils pourront, tout à leur aise, le comparer au texte hébreu classique, ayant désormais en mains deux témoins corroborant la transmission des premiers livres de la Bible, durant la période la plus mouvementée de leur histoire. L’Ecriture a raison lorsqu’elle prescrit :

« Un seul témoin ne suffira pas… un fait ne pourra s’établir que sur la déposition de deux ou de trois témoins. » 7

7 Deutéronome 19.15.

Ces compilateurs l’expérimenteront alors sur les plans exégétique et analytique. Et, avec les siècles, ces « témoins » en papyrus ou en parchemin vont considérablement se multiplier.

Mais revenons en Palestine, à l’époque de l’exil. A la menace de l’Assyrie s’est substituée celle des Chaldéens. Un siècle auparavant, les dix tribus du nord avaient été emmenées captives dans la région de Ninive : l’élite des deux tribus du sud est maintenant déportée à Babylone. Lors de l’invasion des rois assyriens, beaucoup de Juifs ont déjà fui en Egypte, bravant ainsi l’interdiction de Dieu ; ils s’exposaient ainsi à Sa désapprobation 8. Après la prise de Jérusalem par Nebucadnetsar, nouvelle émigration collective vers l’Egypte ; le prophète Jérémie s’élève contre cette désobéissance à l’Eternel, mais il est emmené de force, sans pouvoir s’opposer à ses ravisseurs 9.

8 cp. Esaïe 30.1-2 ; 31.1.

9 Jérémie 42-44.

Au 5e siècle, la communauté juive est déjà très nombreuse en Egypte ; si nombreuse qu’elle songe à y élever un temple en l’honneur de l’Eternel. Il semble que cet événement ait été entrevu par Esaïe le prophète 10. Les archéologues ont retrouvé en Mésopotamie des documents mentionnant le soutien matériel que Cyrus, roi de Perse, s’était engagé à fournir pour la construction du temple que les Israélites d’Egypte dédiaient au Dieu des cieux. Cet acte de générosité allait de pair avec celui auquel il consentit pour la restauration du temple de Jérusalem et dont parlent les livres bibliques d’Esdras et de Néhémie.

10 cp. Esaïe 19.19.



Au moment où la Version des Septante fut écrite, on parlait le grec sur toutes les rives de la Méditerranée. L’empire romain au 1er siècle avant J.-C., selon l’une des quatre cartes exposées à Rome, à l’avenue du Fort-Impérial, à proximité du Colisée.

3e siècle avant J.-C. Quoique en disgrâce, Israël demeure responsable des oracles de Dieu 11. Cependant la Parole divine est destinée à tous les hommes. Comme nous allons le voir, elle va déborder les limites trop étroites du peuple élu, et son message se déversera sur le monde civilisé d’alors. La colonie juive d’Egypte s’est encore accrue de façon considérable. Deux des cinq quartiers d’Alexandrie sont réservés aux descendants d’Abraham : ils continuent à y parler la langue hébraïque et à étudier les textes sacrés de l’Ancien Testament. Le roi Ptolémée Philadelphe (285-246) s’intéresse à la vie de ses sujets israélites. De plus, ses goûts littéraires fort prononcés le poussent à vouloir connaître leurs documents historiques et religieux ; mais il ne sait pas l’hébreu. Or, à cette époque, un désir royal a force de loi : il ordonne donc la traduction en grec de tous les livres israélites, textes sacrés et narrations profanes. 72 savants juifs sont chargés de ce travail qui, en leur honneur, portera le nom de Version des Septante.

11 Romains 3.2.



L’île de Philae sur le Nil.

La tradition prétend que le souverain sacrificateur de Jérusalem n’acquiesça à la demande de Ptolémée qu’à une condition : l’affranchissement par le monarque d’un million de Juifs précédemment réduits à l’esclavage en Egypte ; ces Israélites libérés seraient entrés pompeusement en cortège à Jérusalem, tandis que les 72 savants — 6 par tribu — prenaient le chemin de l’île de Philae où, dans un cadre enchanteur, Ptolémée avait disposé 72 cellules pour garantir au mieux la tranquillité des traducteurs. La légende pousse la fantaisie jusqu’à prétendre que les 72 savants auraient achevé en 72 jours 72 textes qui, confrontés, se seraient tous prouvés identiques…



Route romaine en Orient.

Quelles qu’aient été les véritables circonstances de cette élaboration, il est certain que 72 érudits de Jérusalem se sont rendus en Egypte pour satisfaire les désirs de Ptolémée. Or, la Version des Septante connut un retentissement extraordinaire. Le grec, première langue « universelle », s’était progressivement imposé sur toutes les rives de la Méditerranée et bien au delà. Très nombreux étaient les amateurs de nouveaux textes : les copies de la Version des Septante se multiplièrent donc et se répandirent largement. Le 3e siècle ne s’était pas achevé que déjà certains poètes grecs se référaient aux citations bibliques 12. Le livre des Actes des Apôtres signale la lecture régulière de l’Ancien Testament dans toutes les synagogues d’Asie-Mineure et de Grèce 13 ; or, il s’agissait vraisemblablement de la Version des Septante, recopiée maintes et maintes fois ; cette Parole divine atteignait également Rome et l’Occident, comme elle pénétrait en Syrie et en Mésopotamie, et plus loin encore en Orient. Les routes que les légions romaines construisaient un peu partout ne favorisaient pas seulement les échanges commerciaux ou les conquêtes militaires ; elles profitèrent à la circulation des saintes Ecritures. Dieu le permit, car c’était une heure stratégique au cadran de l’horloge de l’histoire : Il préparait ainsi le monde à la venue de Son Fils bien-aimé ici-bas. Si l’Ancien Testament hébreu devait prévenir les Juifs de Palestine, il appartenait à la Version des Septante d’informer les Israélites dispersés comme les païens, de l’imminente réalisation du plan rédempteur de Dieu.

12 Un exemple : Un traité grec datant des environs de l’an 200, intitulé : « Sur la sublimité du style » (auteur inconnu) cite Genèse 1 : « Dieu dit : Que la lumière soit ! Et la lumière fut. »

13 cp. Actes 15.21 ; 17.11 ; 18.28, etc.



Texte de la Version des Septante (Codex Sinaïticus).

Ainsi, des mages d’Orient, habitués à scruter le firmament de Mésopotamie, apprirent par l’Ancien Testament traduit en grec, qu’un astre particulier devait briller à la venue du Messie promis 14. Reconnaissant dans le ciel le signe annoncé, ils se mirent en route et arrivèrent à Jérusalem, disant : « Où est le Roi des Juifs qui vient de naître ? car nous avons vu son étoile en Orient, et nous sommes venus pour L’adorer » 15.

14 Nombres 24.17.

15 Matthieu 2.2.

Peut-être est-ce aussi grâce à la Version des Septante que des Grecs vinrent à Jérusalem pour y célébrer la fête et tenter de voir Jésus 16 ; qu’un ministre de Candace, reine d’Ethiopie, se rendit à la ville sainte pour adorer 17 ; ou encore que des représentants de toute nation s’y rassemblèrent au jour historique de la Pentecôte 18.

16 Jean 12.20.

17 Actes 8.27.

18 Actes 2.5-11.



Le Jourdain, où Jean-Baptiste entendit le message de Dieu au sujet de Jésus-Christ : « Celui-ci est Mon fils bien-aimé, en qui j’ai mis toute Mon affection » (Matthieu 3.17).

Quoi qu’il en soit, l’Esprit de Dieu était à l’œuvre à la veille de l’ère chrétienne. Au près comme au loin, la Parole de Dieu travaillait les cœurs et les consciences. Si Jean-Baptiste fut un héraut proclamant aux foules l’imminente venue du Messie, la Version des Septante remplit à sa manière un rôle de précurseur, en préparant alors l’élite intellectuelle au plus grand événement de l’histoire.

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