(Mars 1534)
Charles d Espeville et de Haulmont à Poitiers – Calvin aux disputes de l’université – Réveil et renouvellement – Adversaires et amis – Calvin enseigne avec succès – Invité chez le lieutenant général – Conversation sur Luther et sur Zwingle – Les jardins d’Académus – Le premier concile calviniste – La grotte de Calvin – Véhémente prière – Calvin parle contre la messe – Interruption – Invocation – Cène avec exhortations mutuelles
Calvin pensait à quitter le Midi. Il y avait trouvé une retraite à l’heure du péril ; mais l’orage paraissant apaisé, il pouvait donc sortir du lieu où il s’était caché et recommencer sa carrière si brusquement interrompue. Il n’était pas à l’aise à Angoulême. D’un côté la conversion de du Tillet et de quelques-uns de ses amis excitait quelque rumeur parmi le clergé et le peuple, et de l’autre certains éléments traditionnels que Marguerite et quelques-uns de ses auditeurs de Gérac voulaient conserver, déplaisaient au réformateur. Des autels, des images, des jours de fête consacrés à Marie et aux saints, des confesseurs et des confessions, aucune de toutes ces choses ne lui paraissait scripturaire, et il soupirait après le moment où il pourrait faire prévaloir le principe évangélique dans toute son intégrité. Avant tout, avait-il coutume de dire, il convient de confesser pleinement notre Seigneur, « sans fléchir pour rien que ce soita. »
a – Lettres françaises de Calvin, I, p. 119.
Où ira-t-il ? Ses pensées se portèrent d’abord sur Poitiers, d’où il se proposait de se rendre à Orléans, à Paris, puis en Allemagne ou en Suisse, pour étudier et s’éclairer dans le commerce des réformateurs. Le sieur de Torras, dans leurs conversations de Gérac, lui avait parlé souvent de Pierre de la Place, qui étudiait alors à Poitiers. Calvin y rencontrerait aussi le régent de l’université, Charles le Sage, originaire comme lui de Noyon. Une considération le retenait : Quitterait-il du Tillet ? « Où vous irez, j’irai, lui dit le jeune chanoine ; mon cœur est tout rempli de la foi qui vous animeb. » L’idée de jouir à tout moment de la société de Calvin, de voir en Suisse, en Allemagne les hommes généreux qui réformaient l’Église, le faisait tressaillir de joiec.
b – « Tilius haastis animo Calvini opinionibus. » (Florimond Rémond, Hist. de l’Hérésie, II.
c – « Miro desiderio eos videndi incensus, qui catholicæ Ecclesiæ bellum indixerant. » (Ibid.)
Les deux amis partirent ; Calvin sous le nom de Charles d’Espeville, et du Tillet sous celui de Hautmont, qui semble avoir été porté par quelques membres de sa famille. Ils arrivèrent (probablement vers la fin de mars 1534) dans ces plaines et ces bruyères du Poitou où tant de grandes batailles ont été livrées et dont un humble conquérant s’approchait alors pour de meilleurs combats. Peu de provinces en France étaient aussi bien préparées. Abeilard, qui avait vécu dans ces contrées de l’Ouest, y avait laissé quelques traces des doutes exposés dans son fameux Sic et non (Oui et non)d, sur la doctrine de l’Église. Un écrivain, étranger à la Réforme, y avait attaqué la papimanie, et le clergé qui formait, dit-on, un tiers de la population, irritait les deux autres tiers par son avarice et sa licence.
d – Voir la belle édition de M. Cousin.
Calvin descendit à Poitiers chez Messire Fouquet, prieur des Trois-Moutiers, ecclésiastique savant, ami des du Tillet, qui avait une maison dans cette ville. L’université était alors florissante, comptait dans son sein des professeurs savants et avait une bibliothèque renommée. Le désir de comprendre, qui se réveillait partout en France s’y faisait particulièrement sentir. Le prieur des Trois-Moutiers entretint ses deux hôtes, des disputes publiques qui avaient lieu à l’université. Ceci excita fort l’attention de Calvin, qui s’y rendit aussitôt, s’établit sur un banc de la salle et prêta l’oreille. En voyant cet étranger, nul ne se doutait que sous cette figure pâle, et de peu d’apparence, se cachait un de ces héros qui allaient changer la face du monde, au nom de la seule vérité. Au milieu de beaucoup de subtilités et d’insipides fatras, le jeune docteur apercevait çà et là des éclats de lumière. Après la dispute, il se rendit chez ceux des combattants dont il avait entendu des paroles chrétiennes ; il leur exposa ses propres pensées, et bientôt la beauté de son génie et la candeur de son langage les gagnèrent. Calvin et ces hommes généreux se lièrent, ils se visitèrent mutuellement ; enfin, dit un historien, « ils se mirent à faire ensemble des promenades hors de la villee, » et tandis qu’ils cheminaient près de la petite rivière du Clain ou dans d’autres campagnes, le jeune docteur leur parlait ouvertement de l’éternité et de Christ.
e – Varillas, Hist. des Révolutions religieuses, II, p. 473.
Ce n’était pas en effet de théologie scolastique et de formules métaphysiques, qu’il était question entre eux ; Calvin allait à la conquête des âmes. Il demandait dans chaque homme la formation d’un nouvel homme et ne faisait cas d’autre chose. Au milieu des désespérantes faiblesses et des besoins immenses de l’humanité déchue, une grande restauration spirituelle devait s’opérer ; l’heure était venue, et pour accomplir cette œuvre, il fallait de nobles individualités, revêtues de la puissance d’en haut. Or Calvin a été l’un de ces hommes forts, que Dieu a envoyés au secours des défaillances humaines. Au moment du réveil, après le sommeil du moyen âge, le Père céleste faisait don à l’humanité de puissances créatrices. L’Évangile rendu alors au monde, avait une beauté qui attirait les âmes et une autorité qui produisait en elles une obéissance absolue ; ce sont là deux éléments régénérateurs. Partout en Europe, des prophètes paraissaient parmi le peuple, et ils ne prophétisaient pas de leur propre mouvement. Au-dessus d’eux était Dieu, souverain, libre, vivant, surnaturel, qui opérait avec une souveraine puissance.
Calvin allait commencer dans Poitiers même l’œuvre de régénération. En effet, il ne s’écoula pas longtemps sans que de nombreux auditeurs se pressassent autour de lui. Quelques-uns étaient repoussés par ses paroles. Il y en avait qui ne demandaient que « riotes et cavillations » (disputes et sophismes), et tourmentaient le jeune docteur par leur insolence accoutumée ; d’autres s’élevaient contre l’hérétique a « avec des arguments cornus et des surprises subtiles. » D’autres enfin qui se croyaient les maîtres de tout le monde, lui tournaient le dos « comme s’il était un bailleur de sornettes ordinaires. » Calvin étonné de toutes ces résistances, « au lieu de s’en tortiller dans des contestations superflues » repoussait avec gravité les subtilités frivoles, et mettait en avant ce qui est ferme. »
Mais si la doctrine qu’il annonçait rencontrait des adversaires, elle se faisait aussi des amis. La parole de Dieu sépare perpétuellement la lumière des ténèbres dans le monde spirituel, comme elle le fit lors de la création des cieux et de la terre. Des hommes généreux se groupèrent avec empressement autour du jeune et puissant docteur. C’était le jurisconsulte et poète, Albert Babinot, lecteur en droit ; Antoine Véron, procureur au siège présidial ; Antoine de la Dugie, docteur régent ; Jean Boisseau de la Borderie, avocat ; Jean Vernou, de Poitiers ; le sieur de Saint-Vertumien et Charles le Sage, docteur régent, homme de grande estime, qui avait possédé toute la confiance de Madame, mère du roif. L’un de ces hommes notables gagna surtout le cœur de Calvin ; c’était Pierre de la Place, natif d’Angoulême, ami de du Tillet, plus tard président de la Cour des aides et l’un des martyrs de la Saint-Barthélemy. Mais un autre de ces esprits éminents, le Sage, se tenait un peu à l’écart ; il était de Noyon, et n’était pas fort désireux de se mettre à la suite du fils de l’ancien secrétaire épiscopal ; de plus il croyait sincèrement au miracle de la transsubstantiation…
f – « Magnæ existimationis vir, præsertim apud Regis matrem. » (Florimond Rémond, Hist. de l’Hérésie, II, p. 251.)
Cette réunion d’hommes distingués qui entoura bientôt Calvin à Poitiers, comme cela avait eu lieu auparavant à Angoulême, attira l’attention de ceux qui entraient en rapport avec lui. La puissance attractive de Calvin, dont on se doute peu de nos jours frappait même ses ennemis. « La science ainsi que la vertu, disait l’un d’eux à cette occasion, se fait bientôt aimer et les excellents esprits, soit en bien soit en mal, n’ont pas besoin de temps pour être connus. Calvin, ayant pris sa retraite à Poitiers, fit en peu de temps provision d’amisg. » Il les rencontrait à l’université ; il allait les voir dans leurs maisons ; il les pressait de près, et leur parlait magnifiquement de la connaissance de Dieuh. Sur plusieurs points, on pensait dès l’abord comme lui. Quand il se plaignait « qu’on adorât les pierres et le bois, qu’on invoquât les morts, qu’on se fiât en choses vaines et qu’on voulût servir Dieu par cérémonies follement controuvéesi, » chacun lui donnait raison, même le Sage. Mais le jeune docteur allait plus loin. Sans doute il rejetait une austérité pleine de rudesse ; il recommandait que « les gens fussent amiables et fissent plaisir à leur prochainj. » Mais en même temps il était vrai, dût-il déplaire. Se trouvant un jour mis en présence de la doctrine de la transsubstantiation par des catholiques sincères, Calvin dit sans hésiter qu’il fallait recevoir Christ, et même son corps et son sang, par la foi, par l’esprit qui vivifie, et non par une manducation grossière. Le Sage indigné s’écria que c’était la doctrine de l’hérétique Wicleff, et de la Place lui-même, effrayé, « s’arrêta tout court, voyant tant grand relâchement de la religion, en laquelle il avait été rigoureusement nourrik. » Calvin en fut navré.
g – Florimond Rémond, Histoire des Hérésies, édition française, p. 890.
h – P. de Farnace. (Brief Recueil de la vie de Messire P. de la Place, p. 11 et suivantes. — Bayle, Dict. hist., article de la Place.)
i – Calvin, Lettres françaises, I, p. 70 et 71.
j – Calvin sur Jacques 4.17.
k – P. de Farnace. (Brief Recueil de la vie de Messire P. de la Place. p. 11 et suiv.)
Mais s’il perdait quelques amis, il en gagnait d’autres. Le premier magistrat de Poitiers, le lieutenant général, Pierre Régnier de la Planche, eut envie de le voir et l’invita à dîner avec de la Dugie, Babinot, Véron, Vernou et d’autres de ses connaissances. Calvin s’y rendit. Cette invitation étonna fort. « Ce novateur, disaient les catholiques, veut attirer les magistrats, pour qu’ils lui donnent du crédit par leurs complaisances. » Calvin ne fit jamais de tels calculs, mais il « était embrasé d’une grande ardeur de zèle pour étendre de tous côtés la gloire du Seigneur. » Il fut reçu avec égards ; il prit sa place à table ; la conversation pendant le dîner, ne roula, à ce qu’il semble, que sur des lieux communs. Le repas fini, la société se leva et passa dans le jardin. C’était dans ce lieu, appelé les Basses Treilles que le sieur de la Planche recevait souvent ses amis. Ce magistrat, Calvin, Babinot et les autres invités s’entretenaient en se promenant, et le maître du logis mit la conversation sur Luther, sur Zwingle, et blâma les réformateurs et surtout leur opinion sur la messe. « C’était l’ordinaire entretien, dit un écrivain du seizième siècle, non-seulement des gens de savoir, mais du commun peuple, et même le sujet des propos de table. » Calvin bien instruit et préparé entra dans le sujet et leur en déchiffra les points principaux. « Luther, dit-il, a vu la vérité, mais il a été comme ceux qui marchent dans un long et tortueux chemin, et aperçoivent de loin la lueur sombre d’une lampe, au moyen de laquelle ils trouvent comme à tâtons la route qu’il faut prendre. Zwingle s’est approché de cette clarté, mais il a fait comme ceux qui tendant au but avec trop de précipitation, passent au delàl. » Puis voulant faire comprendre ce qu’il y avait dans la sainte Cène, il exposa plus en détail la pensée d’une présence de Christ, réelle sans doute, mais qui était saisie par la foi et non par la bouche ; il prit une position moyenne entre Zwingle et Luther. Ces discours pleins de clarté et de force convainquirent le lieutenant général et les amis qu’il avait réunis. Calvin fut invité à les mettre par écrit et il le fit, ajoute l’historien, avec une éloquence qui lui amena de nouveaux disciples. Régnier de la Planche fut gagné au protestantisme, et son fils Louis joua plus tard un rôle dans les luttes avec les Guises. Ce fut lui que Catherine de Médicis interrogea un jour perfidement dans son cabinet, tandis que le cardinal de Lorraine était caché derrière une tapisserie.
l – Florimond Rémond, Hist. de l’Hérésie, liv. VII, ch. 11. Rémond exagère le jugement porté par Calvin sur Luther et Zwingle.
Le jardin des Basses-Treilles devint dès lors un des lieux favoris de Calvin ; il avait coutume de s’y rendre librement et ouvertement. C’était là que comme les disciples de Socrate dans les jardins d’Académus, le jeune Platon chrétien cherchait la vérité avec ses amism. La vérité que la Réformation rendait alors au monde était d’un autre ordre et d’une plus grande puissance que celle des philosophes grecs. Partout où sa voix se faisait entendre, l’idée d’un sacerdoce clérical s’évanouissait, les prérogatives de la vie monacale disparaissaient et un christianisme personnel, individuel, vivant, prenait leur place. Les révélations divines étaient données aux laïques dans la langue de leur mère, et les sacrements dépouillés de leurs prétendues vertus magiques exerçaient sur les cœurs une influence spirituelle. Tels étaient les principes que Calvin professait dans les jardins du lieutenant général. Errant avec ses amis sous de beaux ombrages, il leur parlait du Père céleste, du Fils unique, de la grâce, de la vie éternelle. En l’entendant, ses disciples croyaient que toutes choses allaient devenir nouvelles et ils se disaient l’un à l’autre qu’à un stérile formalisme succédait maintenant dans l’Église une vie puissante, un souffle du ciel. Les catholiques de Poitiers étaient dans le deuil. « Comme nos premiers pères, disait-on, furent enchantés dans un jardin, ce fut aussi dans le jardin du lieutenant général, aux Basses-Treilles, que cette poignée d’hommes fut enjolée et coiffée par Calvin, qui faisait aisément brèche en l’âme de ceux qui lui prêtaient l’oreille. » Cet aveu est remarquable.
m – « Atque inter sylvas Academi quærere verum. » (Horace, Ep., II.)
Il s’y tint un jour une assemblée où Calvin et ses amis s’occupèrent de ce dont la France avait besoin. La réponse était aisée : de l’Évangile. Mais, hélas ! la France le rejetait. On ne s’en tint pas là, Calvin voulait substituer dans l’Église l’esprit à la forme ; la vie, la réalité aux apparences rituelles. Il s’acquitta dignement de sa tâche, et traitant le point principal, exposa spécialement sa doctrine spirituelle sur la présence du Sauveur. « Ce fut là, dit l’historien catholique, que se réunit le premier concile calviniste en Francen. » Le mot de concile est trop ambitieux, mais cette assemblée porta des fruits. La foi vivante qui animait le jeune docteur gagna quelques esprits rebelles. De la Place, qui d’abord faisait de nombreuses objections, mais qui était homme de bon esprit et de bonne conscience, pensa qu’il pouvait bien s’être trompé. « La semence tombée en son cœur commença à germer, et elle sortit en la saison ordonnée par Dieuo. »
n – « In horto illo primum calvinisticum celebratum fuit concilium in Gallia. » (Florimond Rémond, Hist. de l’Hérésie, II, p. 252.)
o – De Farnace, Vie de de la Place, p. 11.
L’agitation que Calvin causait dans Poitiers, l’admiration des uns, l’inquiétude des autres, croissaient de jour en jour. Les amis de l’Évangile en s’assemblant commençaient à courir quelque danger. Si certains fanatiques se rendaient maîtres de la populace, ils pouvaient la lancer sur le jardin des Basses-Treilles, et la police, sous prétexte de mettre l’ordre, irait peut-être jusqu’à saisir l’étranger. Il y avait souvent de fausses alarmes. Les amis de Calvin résolurent de chercher quelque lieu solitaire où ils pussent s’assembler en paix. L’un d’eux indiqua, dans les campagnes environnantes, un désert, des grottes isolées et profondes qui les déroberaient à toutes recherches ; ils décidèrent de s’y rendre en petits groupes et par divers chemins.
Dès le lendemain ce projet fut mis à exécution. Calvin et deux ou trois d’entre eux partirent ; ils traversèrent le joli bourg de Saint-Benoît, suivirent quelque temps un sentier pittoresque et arrivèrent après une grande heure de marche dans un lieu d’un aspect sauvage, en face des ruines d’un aqueduc romain. La rivière du Clain y roulait tranquillement ses eaux ; des rochers recouverts d’arbres élevaient au-dessus des flots leurs masses imposantes, et au-dessous se trouvaient plusieurs cavernes de diverses profondeurs. Calvin fut charmé de cette solitude. Peu à peu d’autres arrivèrent et bientôt l’assemblée fut au complet. Calvin entra avec ses amis dans l’une des plus vastes de ces cavernes. On les appelle généralement grottes de Saint-Benoît ou des Croutelles, mais celle-ci a porté dès lors et porte encore maintenant le nom de grotte de Calvinp.
p – Crottet, Chronique protestante, p. 105. — Voir aussi A. Lièvre, Histoire du Protestantisme du Poitou, I, p. 23.
Le réformateur se plaça à l’endroit le plus élevé ; ses disciples l’entourèrent, appuyés en partie contre le rocq ; et au milieu d’un solennel silence il commença à les enseigner, leur exposant ce qu’il y a de plus grand, leur prêchant Christ. C’était le sujet sur lequel il revenait sans cesse. « Mieux vaut, disait-il un jour, être privé de tout et posséder Christ. Si le navire est en danger, on jette tout à l’eau, afin qu’il parvienne en sûreté au port. Faites de même. Richesses, honneurs, noblesse, justice extérieure, tout doit être sacrifié pour posséder Christ. Il est notre seule béatitude. » Calvin parlait avec beaucoup d’autoritér ; il entraînait ses auditeurs, et il était entraîné lui-même. Tout à coup, sentant sa faiblesse spirituelle et le besoin qu’ils avaient tous de l’Esprit-Saint, il se jette à genoux sous ces voûtes solitaires ; toute l’assemblée se prosterne avec lui, et il fait monter devant le trône de Dieu une prière si touchante et si véhémente, que ceux qui l’écoutaient se croyaient transportés au ciels.
q – « In locis secretis frequenter convenerunt. » (Florimond Rémond, Hist. de l’Hérésie, II, p. 253). Florimond Rémond déclare n’avoir rien épargné pour connaître les faits et gestes de Calvin en France. « In conquirendis variis quæ eo pertinent documentis, nulli labori peperci. » Ceci n’a point empêché Florimond Rémond de joindre quelquefois à ses récits l’injure et la calomnie.
r – Florimond Rémond, ibid., liv. VII, chap. 11.
s – « Precem magna vehementia et devotione. » (Ibid., II, p. 252.)
Ces pèlerinages aux grottes de Saint-Benoît furent bientôt remarqués ; des malveillants pouvaient suivre de loin les groupes qui s’y rendaient et surprendre l’assemblée ; les amis de Calvin résolurent de changer souvent le lieu de leur réunion, et tantôt ils allaient dans quelque village, tantôt dans quelque maison de campagne isoléet ; des habitants des lieux voisins se joignaient au petit troupeau et le prédicateur mettait en avant cette vérité chrétienne qui doit éclairer tout le monde et l’homme tout entier. Quand on se quittait, il donnait à chacun des livres « et même des prières écrites de sa main. »
t – « Per pagos etiam et villas. » (Florimond Rémond, Hist. de l’Hérésie, II, p. 253.)
L’opposition de Calvin à la messe excitait des colères toujours plus vives ; les catholiques lui faisaient un crime d’oser nier que le prêtre offrît alors Jésus-Christ lui-même en sacrifice, comme victime d’expiation pour les péchés du peuple. Il était ému de ces discours, mais n’en était pas ébranlé. Un jour que ses amis et lui étaient réunis dans la grotte, Calvin exalta le sacrifice de la croix offert une seule fois selon l’Écriture, puis il parla avec tant de force contre la messe qu’il n’était pas possible, disaient d’ardents catholiques, de l’entendre sans horreur. Il est vrai que Calvin n’épargnait pas cette cérémonie romaine. Il l’appelait parfois « une pure singerie et batellerie. Je l’appelle singerie, disait-il, parce qu’on y contrefait la cène du Seigneur comme un singe contrefait sans discernement ce qu’il voit faireu. Je l’appelle conte de bateleurv parce que les fatras et les mines qu’on y fait conviennent plutôt à une farce qu’à un mystère aussi sacré. » Il y avait dans la grotte des hommes qui croyaient sincèrement à la transsubstantiation, et qui assistaient habituellement à la messe avec des sentiments pieux. Les paroles de Calvin, — si ce n’étaient pas celles que nous venons de rapporter, c’étaient d’autres semblables, — les blessèrent, les indignèrent, et le Sage, l’interrompant brusquement, s’écria : « Notre Seigneur, vrai Dieu et vrai homme, est réellement et substantiellement sous l’apparence du pain et du vin !… Dans tous les siècles, partout où l’on a connu Jésus Christ, le sacrifice de la messe a été offert. » Calvin, étonné de cette hardie exclamation, se demandait s’il était coupable de mettre la Parole de Dieu au-dessus de la tradition de Rome ? Il garda quelques moments le silence ; puis levant la main et la posant sur la Bible ouverte devant lui, il s’écria vivement : « Voilà ma messew ! » Alors découvrant sa tête et posant sur la table son bonnet de martrex, il leva les yeux au ciel et dit avec émotion : « Seigneur, si au jour du jugement tu veux me punir de ce que j’ai quitté la messe, je te dirai : O Dieu ! tu ne m’as pas commandé de la célébrer. Voilà ta loi… voilà ta sainte Écriturey… C’est pour être une règle que tu l’as donnée, et je n’ai pu y trouver d’autre sacrifice que celui qui fut accompli sur l’autel de la croix. » Les auditeurs sortirent émus, touchés de la foi si simple et si forte du réformateur et ce fut avec des convictions nouvelles que quelques-uns franchirent ce jour-là les sentiers solitaires qui les ramenaient à Poitiers.
u – « Quod sicut simiæ hominum opera perperam, ita bi sacram cœnam imitantur. » (Opusc. lat., p. 123.)
v – « Histrionicam actionem appello quod ineptiæ gestusque histrionici illic visuntur. » (Ibid.)
w – Monstrato Bibliorum codice, dixisse : Hæc est missa mea. » (Florimond Rémond, Hist. de l’Hérésie, II, p. 261.)
x – « Projecto in mensam pileo ; sublatis in cœlum oculis, exclamavit… » (Ibid.)
y – « Ecce enim hic legem tuam. » (Ibid.)
Dès lors plusieurs manifestèrent le désir de recevoir la cène, selon l’institution du Seigneur. Les rites divers, les encensements, les chants des choristes ne leur suffisaient plus ; ils voulaient avoir une simple et réelle communion avec le Sauveur. Un jour donc fut assigné. Ils se réunirent dans l’une des grottes de Saint-Benoîtz. Le ministre lut la Parole de Dieu, il demanda au Seigneur de répandre son Esprit sur ce petit troupeau. Il rompit le pain, il donna la coupe ; puis il invita les fidèles à se communiquer mutuellement leurs réflexions et leurs expériences utiles à la foia. Ces simples exhortations après la cène subsistèrent quelque temps dans l’Église réformée.
z – In locis illis secretis prima calvinistica cœna celebrata fuit. » (Florimond Rémond, II, Hist. de l’Hérésie, II, p. 253.)
a – « Non ipse solum explicabat, sed aliorum sententias requirebat. » (Ibid.)