« L’éternité, mon amour, c’est maintenant. »
Telle est la vérité. Et il faudrait qu’on y prenne garde et qu’on y réfléchisse. Car si c’est maintenant, l’éternité a donc déjà commencé. Cela mérite réflexion, non ?
Mais aussi, cela élimine les fausses questions. Car si l’éternité c’est maintenant, il n’y a plus à nous laisser embarrasser par les interrogations connues (l’éternité, c’est où ? c’est quand ? c’est quoi ? c’est comment ?) qui étirent notre imagination vers des suppositions gratuites aux assurances trompeuses.
Dans l’Evangile du Christ, la question de notre éternité reçoit une réponse qui renverse nos raisonnements, même les mieux construits. Nous vivons dans l’attente illusoire d’un bonheur à venir et d’une vie meilleure. Une sagesse toute humaine nous fait vivre accrochés à ce que doit nous apporter la fin de la journée, la fin de la semaine, la fin du mois, la fin de l’année, et, ultime possibilité : la fin de la vie et du monde.
A tout cela l’Evangile oppose non pas une perspective, non pas des théories. mais une personne. « La vie éternelle — c’est-à-dire aussi la vie vraie, durable, ayant devant elle un authentique avenir — c’est qu’ils te connaissent toi le seul vrai Dieu. » Et cela s’explicite par cette parole : « C’est qu’ils connaissent celui que tu as envoyé, Jésus-Christ » 1.
1 Jean 17.3.
Ainsi l’écrit un pasteur :
« Jusqu’au Christ, l’humanité ne connaissait que le rythme des sept jours de la semaine, le rythme de la fatalité, du perpétuel recommencement du destin, de l’éternel retour des mythologies, des philosophies et des religions.
» Et voici qu’en ressuscitant le premier jour de la semaine suivante, le Christ a ajouté un huitième jour à la semaine de l’humanité, un huitième jour qui est venu se placer après la mort, un huitième jour qui échappe à la mort, un huitième jour après lequel il ne peut plus y en avoir d’autre parce qu’il débouche dans la vie, la vie éternelle, Celui qui entre dans ce huitième jour est vraiment sauvé de la mort. Celui qui marche vers ce huitième jour éclairé par la lumière de la résurrection — comme Abraham marchait vers la Terre promise sans l’avoir jamais vue mais la possédant déjà par la foi — celui-là entre dans la vie sans fin comme Abraham est entré, un jour, dans la patrie de la promesse. »
En ajoutant ce huitième jour à l’existence de l’homme, le Christ a vraiment « défatalisé » l’histoire. Dès lors, la foi c’est une manière d’entrer dès ici-bas dans ce huitième jour, un moyen de connaître cette réalité, cette réalité qu’on ne voit pas : la VIE.
Ainsi, à tous nos « Et après ? » issus de notre mentalité faussée et néanmoins inquiète, la Bible répond par un « Aujourd’hui ». A notre quête pour un diorama de l’éternité, elle répond en nous demandant si maintenant nous avons rencontré celui qui nous y donne accès. Telle est la révélation de l’Ecriture. La vie éternelle n’arrive pas après qu’ait cessé le temps de notre vie terrestre. Elle n’est pas non plus une nouvelle forme d’existence, sans relation avec la vie d’aujourd’hui. Au contraire, elle se manifeste dans le présent. Elle est immédiatement à notre portée. Tout ce que l’on peut désirer connaître de la vie éternelle est aujourd’hui accessible à tout homme qui rencontre Jésus-Christ. Il est — et il est lui seul — l’expression et la substance de cette vie surgie dans notre présent.
Bien sûr, cela ne s’avale pas d’un coup. Du reste, Jésus lui-même ne nous demande pas cet acte enfantin de fermer les yeux et d’avaler tout rond. Quand il s’est désigné lui-même comme le pain de vie, il ne sollicitait pas que nous le confondions avec une médecine anti-mort enrobée d’un sucre de sacristie à déglutir avec un peu d’eau bénite.
Mais il faut voir d’emblée que cela modifie singulièrement la portée de nos questions, y compris celle de nos intérêts. Car si Jésus est la vie éternelle offerte à l’homme maintenant, nous nous préoccuperons beaucoup moins de savoir comment nous allons mourir que de savoir comment, à cause de Jésus, nous allons maintenant vivre. Ainsi la question du « Et après » de notre vie se trouve ramenée au choix que nous faisons aujourd’hui, et tous les jours, et jusqu’à la fin, d’un face à face personnel qui est aussi un pas à pas avec Jésus-Christ.
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A dire ces choses toutes simples, il faut aussitôt constater que nous n ’enfonçons pas des portes ouvertes.
Une enquête auprès de personnes dans la rue, dans un immeuble ou un village, serait révélatrice. A la question : « Avez-vous la vie éternelle ? » quatre-vingt pour cent des gens interrogés répondraient ou bien qu’ils n’en savent rien parce qu’ils ne se sont jamais posé cette question, ou bien — et cela serait encore plus significatif — qu’ils ne peuvent répondre puisqu’ils ne sont pas encore décédés ! Et à supposer que vous vouliez être plus précis et amener vos interlocuteurs à exprimer leur engagement chrétien, vous découvririez avec étonnement que même parmi ceux qui disent connaître Jésus-Christ, nombreux sont-ils à demeurer sans certitude quant à leur avenir post-mortem.
Il faut donc de toute urgence revenir à la question fondamentale :
Répondre avec bon sens que c’est la condition d’un homme après qu’il a cessé de vivre, c’est donner satisfaction à Monsieur de la Palice mais nullement à notre interrogation. Ajouter que la science trouve devant la mort la limite de son savoir et de ses investigations, c’est être honnête au niveau de l’expérience mais, une fois de plus, laisser sans réponse l’homme désireux de savoir.
Quant à la réponse biblique à cette question, elle est importante à connaître.
Tout d’abord, la Bible ne confond pas le fait de mourir et le fait de décéder.
« Privée des énergies de Dieu, la vie présente n’est qu’une vie morte — et entre cette vie et celle qui suit ce que nous appelons la mort, il n’y a qu’une différence de degré. La mort est la mortalité même. Et inversement celui qui est vivifié par les énergies divines est un vivant aussi bien après ce que nous appelons la mort que pendant ce que nous appelons la vie La frontière entre les morts et les vivants ne passe plus entre la vie présente et la vie future mais entre ceux qui appartiennent au Christ et ceux qui lui sont étrangers. » 2
2 Jean Danielou dans « La survie après la mort », p. 27. Ed. Labergerie.
La mort est la condition commune de tout ce qui existe, et le décès n’est qu’un des derniers aspects visibles de cette condition mortelle. Selon les Ecritures, la mort est donc la caractéristique absolue de la création tout entière. Et à l’homme qui en douterait, l’écologie actuelle apporte de convaincantes démonstrations. Jusqu’ici on admettait communément que plantes, animaux, hommes, civilisations pouvaient mourir. On sait aujourd’hui que l’activité de l’homme non seulement épuise les réserves nécessaires à l’existence mais, par la pollution, menace de détruire toute forme de vie dans la création. Et l’on sait que cette menace n’a rien d’une hypothèse. Les dernières découvertes de la science enseignent, preuves à l’appui, que le cosmos tout entier est entraîné dans ce processus de perdition et de mort, confirmation de la parole biblique: « Le ciel et la terre passeront ».
On pourrait nous faire remarquer que cette constatation n’a rien de très original et ne répond nullement à la question posée. Car ce qui intéresse le questionneur, c’est de savoir ce qui lui arrivera lorsque, dans cette condition mortelle, il décédera.
A tout prendre, il est loisible d’admettre qu’il n’existe rien au-delà de ce que nous percevons par les yeux et par l’intelligence. Rien ne nous oblige à croire à la survie, si nous reconnaissons pour vrai uniquement ce que notre savoir et nos sens limités peuvent concevoir et vérifier. Mais l’homme est-il la source unique de toute connaissance ?
Bien plus, il faudrait être insensible, volontairement aveugle et sourd, pour ne pas admettre que la situation de l’homme aux prises avec la mort est véritablement désespérante.
Jean Rostand le dit en termes saisissants :
« L’affreux, en mourant, c’est de disparaître sans avoir compris. Le crime de la mort n’est pas qu’elle nous tue, mais qu’en tranchant notre angoisse, elle lui confère l’éternité. »
A cette angoisse. la révélation chrétienne apporte une réponse. Par le récit d’Eve et d’Adam chassés du paradis — son apparente naïveté ne rebute ou ne déçoit que ceux qui le lisent superficiellement — puis par le développement non pas d’une théorie mais d’une réelle « histoire sainte » inscrite — et en quelles lettres tangibles et indélébiles ! — dans la chair et la terre d’Israël, elle rend l’homme attentif à des choses essentielles :
C’est là l’extraordinaire information — le bulletin de victoire — qui retentit déjà en Eden, puis tout au long de l’histoire d’Israël, et qui trouve son accomplissement significatif à Jérusalem au matin de Pâques de l’an 33. Ce dont l’apôtre Paul rend compte en disant :
« Jésus-Christ a vaincu la mort, et il a mis en évidence la vie et l’immortalité par l’Evangile. » 3
Est-il superflu de le relever et d’en prendre conscience ?
Contester ce que dit l’Ecriture, en particulier au sujet du Christ et du salut offert par lui à toute créature, c’est réduire à néant la Parole de Dieu. C’est déclarer qu’on lui refuse sciemment et volontairement tout crédit. On lui substitue ses propres idées. Autant dire qu’on se voue volontairement à la mort.
Peut-être le devait-il à un souvenir de catéchisme ? En tout cas, une des paroles de Lénine est absolument applicable à la révélation chrétienne :
« ll n’y a pas de vérité abstraite, la vérité est toujours concrète. »
Cela explique pourquoi la Bible, dès sa première page, rapporte le récit de la création, puis de l’histoire du salut de cette création, et non un exposé dogmatique sur la nature de Dieu. Car l’Ecriture s’intéresse non à nous convaincre de l’existence de Dieu, mais à nous révéler ce Dieu, dans sa relation avec le monde et avec les hommes. Ce qui fait dire à M. Zahrnt :
« Notre manière de parler de Dieu doit s’inspirer de la révélation biblique, Nous ne pouvons pas dire qui est Dieu en soi, mais annoncer ce qu’il fait pour nous. » 4
4 Op. cit., p. 105.
Mais ce serait nous condamner d’emblée à ne rien comprendre à la révélation que de refuser d’entendre d’abord à quel homme Dieu s’adresse par l’Evangile. En effet, son intervention ne vise pas une humanité volontiers considérée par la science, la littérature, la philosophie, la politique ou même la religion comme une humanité idéale, devenue majeure, donc libre d’agir ou de décider, ou encore de mener à sa guise son histoire présente ou à venir !
Non ! L’Evangile de Jésus-Christ s’adresse à une humanité déchue et en état de perdition :
« Tu as la réputation d’être vivant, mais tu es mort. » 5
Faute de l’avoir compris, l’homme non seulement reste sourd à la parole évangélique mais de surcroît reste aveugle devant les faits démonstratifs qui actualisent cette Parole.
La responsabilité de cet endurcissement en revient-elle à tous les hommes indistinctement, ou bien est-elle particulièrement imputable à ceux qui, ayant reçu mission de proclamer l’Evangile, ont laissé le pire des malentendus remplacer l’extraordinaire message de Jésus-Christ en le falsifiant ?
Que n’a-t-on écrit ou prêché quant à la bonté, la miséricorde, la justice et l’amour de Dieu ! Et sur sa grâce prévenante ! Et sur son secours aux malheureux !
Or, il faut le reconnaitre ouvertement : c’est quotidiennement et d’une manière toujours plus impressionnante que pourrait être relevée, comme autant de démentis à cette prédication, une liste de faits scandaleux.
Il y a l’horreur de certains événements accentuée par l’absence de tout signe qui laisserait percevoir une quelconque réprobation divine.
Il y a les indicibles souffrances qui en résultent.
Il y a les infirmités innées ou accidentelles au plan physique, moral, mental, personnel ou social.
Il y a les malheurs inexplicables. Il y a les malheurs provoqués par la méchanceté humaine et devant lesquels, apparemment, Dieu ne dit ni ne fait rien.
Il y a justement la mort révoltante, frappant sans distinction d’âge ou de situation.
Et dans ce contexte ? Au mépris de son sens profond, on a souvent fait servir la vérité évangélique à couvrir, quand ce n’était pas encore à justifier, tout ce que ce monde « renferme d’absurde, d’obscur, d’énigmatique et de contradictoire ».
Il faut donc ici prêter l’oreille au véritable Evangile.
A qui veut entendre la vérité, il dit clairement ce que nous avons déjà relevé : la mort est la seule perspective dans laquelle viennent s’inscrire les événements de la vie et de l’histoire de l’humanité déchue. C’est pourquoi, aujourd’hui plus que jamais, la liste des faits scandaleux s’allonge et se multiplie.
Mais avec la même clarté, l’Evangile fait savoir à qui veut l’entendre que la résurrection de Jésus n’est pas un miracle isolé, une simple trouée de lumière dans un ciel depuis longtemps et à toujours obscurci. Aussi vrai que sa mort scelle la vérité d’un jugement qui atteindra finalement cette création tout entière, sa résurrection liée à son enseignement et à sa vie renverse le cours de cette histoire et inaugure, dans la chair de ce monde, une vie aux possibilités nouvelles et à l’avenir assuré.
Par le Christ, et par lui seulement, il devient possible pour tout homme d’inscrire sa propre histoire dans une perspective où tous les événements, y compris les souffrances et les deuils, participent à ce destin nouveau auquel la création elle-même sera un jour universellement associée.
Là cesse le malentendu ! Car l’amour de Dieu et sa justice ne sont plus des promesses dont il y aurait lieu d’attendre la manifestation. Dans le déroulement des événements d’autrefois et d’aujourd’hui, cet amour et cette justice sont à l’œuvre. Par le St-Esprit, Jésus-Christ vivifie le cœur et l’esprit des croyants et les entraine dans une histoire qui contraste singulièrement avec celle du monde déchu.
Devenus « chrétiens », attachés à Jésus-Christ comme les sarments le sont au cep, les hommes sont alors animés d’une vie nouvelle. Leur foi ne les tient pas à l’écart du monde. Au contraire, elle les y maintient et les mobilise comme témoins du Christ Sauveur et Seigneur. Associés à la destinée de l’Eglise et d’Israël, leur témoignage et leur service les rendent participants d’une nouvelle économie. La force qu’ils en reçoivent, la richesse qu’ils y trouvent sont autant de signes de cet amour que le monde ignore mais qu’ils savent, eux, plus fort que la mort. Auraient-ils à l’affronter un jour, elle les laisserait sans peur. Car Christ l’a vaincue.
On dit volontiers d’un chrétien qu’il est passé de la mort à la vie. Et on l’illustre souvent par des épisodes marquants de l’histoire biblique : la fameuse nuit de la Pâque suivie, un peu plus tard, du passage de la mer Rouge.
Cette illustration est exemplaire, en effet, si elle nous fait saisir ce que les Juifs, en grand nombre, refusèrent de comprendre. Dans le dessein de Dieu, la Pâque puis le franchissement de la mer Rouge leur avait ouvert une condition et des perspectives d’existence absolument nouvelles. Or, dès leur arrivée sur l’autre rive de la mer, l’essentiel de leur quête alla non vers la vie nouvelle qui leur était préparée, mais vers les retrouvailles et le prolongement de celle qu’ils avaient quittée.
Les Israélites libérés voulaient retrouver l’Egypte, son standard, sa civilisation, sa culture, ses « pots de viande ». En dépit de l’expérience de nombreuses générations, ils ne reconnaissaient pas que cette existence-là se soldait par deux seules certitudes : l’esclavage et la mort.
Ainsi d’innombrables chrétiens qui, après leur baptême — signe du passage de la mort à la vie — font de leur foi et de leur espérance en Christ dans ce monde et dans le monde à venir, non une existence nouvelle, mais une manière de survie. Celle-ci n’est menée — transposée jusque dans l’au-delà — qu’en une édition renouvelée de leur mortelle existence.
Il faut le souligner aussi : à moins d’être malade, momentanément dépressif et tenté par le suicide, chacun « choisit de vivre ». Même instinctivement. Donc quand nous sommes invités à « choisir la vie », il ne s’agit nullement de prolonger celle qui est déjà la nôtre inexorablement mortelle, mais d’ouvrir notre vie à l’existence nouvelle que Christ révèle et dans laquelle lui seul peut nous faire entrer. Telle est la révélation du Seigneur, telle est donc la vie chrétienne « choisie ».
La question primordiale que peut alors se poser tout interlocuteur enfin justement informé c’est de savoir comment, après avoir fait le « passage » et pris pied sur « l’autre rive », il va vivre dorénavant.
A l’odieux slogan des pompes funèbres américaines cité par Jean Guéhénno :
« Mourez, nous ferons le reste »,
l’Ecriture répond :
« Vivez, et Dieu fera le reste. »
Encore faut-il ici ne pas laisser se glisser un nouveau malentendu très en cours dans notre chrétienté du XXe siècle, Le malheur de cette chrétienté tient au fait qu’au lieu de se nourrir quotidiennement de la Parole de Dieu, elle se contente de l’utiliser tel un colorant incorporé selon son idée à certains aspects de sa vie. Sa foi (si c’en est encore une !) consiste à accrocher ses certitudes à quelques versets bibliques sortis de leur contexte et auxquels elle fait dire souvent le contraire de ce qu’ils signifient.
Le verset connu parce que souvent cité : « Choisis la vie, afin que tu vives », est précisément l’un de ces textes accroche-foi (comme on dit « accroche-cœur ») dont l’interprétation largement répandue n’a qu’un lointain rapport avec le véritable sens de ce texte.
D’abord il faut remarquer que « choisir la vie » n’est pas un tri à faire entre vivre ou décéder. A preuve : à moins que le Seigneur ne soit revenu d’ici un proche avenir, tous ceux qui ont « choisi la vie » savent que ce choix ne leur évitera pas d’avoir encore à décéder.
Si l’on caractérise la vie et la mort par deux routes superposées, ou encore parallèles, « choisir la vie » n’est pas non plus négliger l’une des routes ou n’en laisser subsister qu’une seule. « Choisir la vie », c’est décider à laquelle de ces deux routes nous accorderons dorénavant la priorité.
L’une des étonnantes paroles de l’apôtre Paul 6 nous y rend attentifs :
« Partout et toujours, nous subissons dans notre corps « la mise à mort » que Jésus a endurée. Mais c’est pour que la vie à laquelle il fut ressuscité apparaisse, elle aussi, manifestement dans ce même corps ! Tout au long de notre vie, nous sommes livrés à la mort à cause de Jésus, afin que la vie de Jésus transparaisse aussi à travers notre nature mortelle. C’est ainsi que la mort fait son œuvre en nous et que la vie peut alors s’épanouir en vous. »
En effet, si l’explosion de l’Evangile a ramené Jésus d’entre les morts et, de ce fait, laissé vide le tombeau, elle n’a pas pour autant démoli ou volatilisé ce dernier. Si par rapport au calendrier sabbatique juif la semaine chrétienne est une semaine tout à fait nouvelle, c’est que Dieu y intervient en vainqueur dès l’aube du premier jour et non par un repos donné du septième jour seulement. En plein cœur d’une huitième nuit qui devait prolonger à toujours notre asservissement à la mort, Jésus se dresse bien vivant, attestant que cette mort a perdu son aiguillon. Dès lors, sa présence éclaire et donne un sens et un contenu nouveaux à l’histoire de toutes les semaines qui font le compte de nos jours.
Peut-être devrions-nous écrire : devrait donner un sens et un contenu nouveaux. Car il est humiliant de constater à quel point la mort, liée à l’ancienne notion du sabbat, par rapport à la vie que manifeste la fête du dimanche, jour de la résurrection, est encore prioritaire dans la pensée et le comportement de nos contemporains soi-disant chrétiens.
On se souvient du refus de Jésus à l’endroit du sabbat mal compris et mal vécu par ceux qui, respectueux de la loi sainte, voulaient s’en faire les défenseurs. Hélas ! En dépit de l’événement pascal, aujourd’hui encore on continue dans une certaine chrétienté, contre Dieu lui-même, à vivre en fonction sinon du sabbat du moins de son esprit. On aime le permis et le défendu : on louche sans cesse vers le légalisme exigeant : on comptabilise ce à quoi on a ou aura droit ; on suppute ce qui nous reviendra en fin de compte, en fin de vie, après qu’auront été déterminés le travail fait, les services rendus, la part des mérites du bon époux, du bon père, du bon citoyen, du bon soldat, du bon sociétaire et — couronnement du tout — du bon membre d’église. « …Messieurs, la cérémonie est terminée ! »
Faut-il s’étonner qu’en dépit de l’Evangile, les christianisés de notre Occident aient autant que des païens ce visage tendu, ce regard inquiet, ce teint jauni de gens soucieux, vivant à l’ombre de leur boutique intérieure, où, chaque soir, ils font les comptes de leur espoir quand même déçu parce que trompé dans son attente ?
Il faut le dire : dans cette caricature du christianisme, nous sommes à mille lieues du commandement « choisis la vie » et à une distance plus grande encore de sa mise en pratique.
Le Ressuscité qui se montre à Thomas a encore des plaies bien visibles dans ses mains et à son côté. Cela revient à dire que le choix d’une priorité donnée à la vie s’accompagne d’une seule certitude — la seule importante du reste — : La mort a perdu son aiguillon et notre être intérieur, encore animé d’une vie naturelle, est à toujours revivifié par une vie éternelle. Mais pour le reste, il peut arriver que la vie du serviteur soit celle-là même du Maître ou de son disciple Paul. 7
7 Jean 15.20 ; 1 Corinthiens 4.9-13.
Comment pourrait-on mieux, et de manière accessible à chacun, décrire cette vie sinon en cédant la parole à Sophie la blanchisseuse, dont H. B. Gibbud a transmis le témoignage :
« J’étais née prédicateur 8, et comme j’étais pauvre j’ai appris à travailler. Moi, je me représente un Jésus travailleur. Il n’avait pas peur du travail. Ses mains étaient rudes, et quand mes mains se durcissent à force de jouer sur mon piano (c’est ainsi que j’appelle ma planche à laver), je me dis qu’elles sont celles de Jésus. Laver des vêtements, frère, c’est travailler pour la pureté, et plus on a de pureté, plus on a de puissance dans les choses spirituelles. Eh bien, je travaille tant que le diable me donne mal au dos. Il vous attaque au dos, à la tête, n’importe où. Vous vous souvenez qu’il couvrit Job d’ulcères de la tête aux pieds…
8 « Le sermon de Sophie », Imp. Delachaux et Niestlé S.A. Neuchätel. Sophie n’est pas un personnage fictif. D’origine suédoise, femme du peuple, blanchisseuse de métier, elle fut, au début de ce siècle, une chrétienne très connue de l’Eglise du Gospel Tabernacle dont le Dr A.B. Simpson était le pasteur.
» Je prends Christ tout entier, Il est ma sainteté. Certaines personnes sont si sanctifiées qu’il est désagréable de vivre avec elles. Ce sont des anges à l’église et des diables à la maison ! Il y a une grande différence entre la « religiosité » et la « religion ». Des choses très douces à l’église sont tout à fait aigres à à la maison. J’aime une religion de maison dont je puisse parler sur le pas de ma porte…
» Tous les chrétiens devraient être doux, car ce sont des gens « en conserves », conservés en Christ, Mais il y en à qui doivent être tombés dans le bocal des cornichons, tant ils sont aigres…
» je trouve que le seul moyen de vivre la vraie vie, c’est de se suicider chaque jour. Il vous faut mourir journellement et aller à votre propre enterrement, Vous mourez à votre mauvais MOI, puis à votre bon MOI, et le plus tôt vous mourez, le mieux vous vivrez. Je suis allée à mes propres funérailles et j’en suis revenue vivante. J’ai été ensevelie et je suis sortie de l’autre côté. C’est la vie de la résurrection que je vis maintenant…
»Un homme me dit un jour : Il n’y a pas de vie future ! — Eh bien, lui dis-je, il y a un brillant « à présent » si vous servez Jésus.
» il y a des chrétiens qui sont comme l’enfant quand on le menace d’un bâton : il s’en va en pleurant. De telles gens perdent leur sérénité quand ils voient venir les ennuis. Ce sont des chrétiens pluvieux, de l’espèce nuageuse, avec les yeux pleins de pluie. J’essaie d’avoir des rayons de soleil avec moi, Si l’on veut luire pour Jésus, il faut le laisser mettre en vous le rayonnement.
» Naturellement le diable m’éprouve aussi. Il lui a été permis d’éprouver Job. Mais Dieu mit une haie autour de Job et tout ce que le diable pu faire, ce fut d’attraper des cors aux pieds en trottant autour de la haie sans pouvoir toucher à Job !
» Il a aussi la permission d’éprouver Sophie, mais quand il vient tirer ma sonnette, j’envoie Jésus lui répondre. Je lui dis : Seigneur, je t’en prie, réponds à la sonnette, c’est ce vieux coquin qui est là, et tu sais bien comme il faut le traiter. Il essaie de m’en- voyer sa carte de visite. Vous le savez, le découragement est la carte de visite du diable, mais je ne l’accepte pas. Le diable, on l’a tellement sucré de nos jours, qu’on le reconnait à peine, mais au fond il est toujours le même ; ses promesses sont comme des choux à la crème — sans la crème — gonflées mais creuses.
» Quelquefois il s’approche et me dit : Comment vous sentez-vous, Sophie ? Comment vous sentez-vous ? — Je réponds : Ne vous en inquiétez pas, je ne m’associe pas avec votre Mme Sentiment. Je marche avec Mme Foi. C’est de cette manière que je mène la vie de l’aigle…
» Dans le tram était un homme riche. Je lui donnai un traité. — Pensez-vous que vous allez me convertir ? demanda-t-il. Je répondis : — Cela ne ferait pas de mal à votre teint, si vous vous convertissiez ! — Ah mais, vous êtes polie ! dit-il. — Pourquoi ne le serais-je pas ? Voici 30 ans que le Seigneur me passe au papier de verre ; il est grand temps que mes angles soient effacés. — C’est ainsi, frère, qu’il faut prêcher dès que l’occasion se présente. Je le fais depuis trente ans…
» Je demande toujours aux gens de venir à la réunion. Le tenancier d’un bar me dit : Je viendrai moi aussi, j’ai un réfrigérateur, je l’apporterai. — Très bien, lui dis-je, mais quand vous irez en enfer, vous ne pourrez pas prendre votre réfrigérateur avec vous…
» Oui, je puis parler de Jésus à tout le monde, Pourquoi pas ? Il a dit : Annoncez l’Evangile à toutes les créatures, de sorte qu’on ne puisse pas se tromper. Des gens prétendent m’avoir entendue alors que je parlais de Jésus à un de ces Indiens de bois qui servent d’enseignes aux magasins de cigares. C’est possible, je n’en sais rien, ma vue est si mauvaise. Mais ce n’est pas si terrible que d’être un chrétien de bois qui ne parle de Jésus à personne. Le diable a bien ses agents qui vont travailler pour lui et qui ne craignent pas de parler aux gens ; pourquoi craindrions-nous ?
» Un soir, comme je rentrais tard de la réunion, une cigarette avec quelqu’un au bout me dit : Ma chère, voulez-vous que je vous accompagne chez vous ? — Non, répondis-je, Jésus-Christ est avec moi, il me suffit. — Oh ! dit-il, excusez-moi, vous n’êtes pas la femme que je croyais ! — Non, mais vous, vous êtes bien l’homme que je croyais que vous étiez. J’ai votre nom ici dans mon livre. — Vous avez mon nom ici dans votre livre ? Voyons, qu’est-ce ? Et il tirait très fort sur sa cigarette. Alors j’ouvris ma Bible, et je lui dis : Oui, votre nom est « Pécheur » et vous êtes perdu, vous allez à l’endroit où vous aurez autant de fumée que vous pourrez en désirer car là, « la fumée de leur tourment montera aux siècles des siècles ». — Il dit alors : Excusez-moi, madame, je suis pressé. — Vous feriez mieux d’être pressé de trouver le Seigneur. — Je vous demande sincèrement pardon, madame, voici un dollar pour les pauvres. Et, ôtant son chapeau, il s’en alla.
» Des amis me disent : « Sophie, vous brûlez la chandelle par les deux bouts ». — Oui, je le sais, mais l’un des bouts est éternel, ainsi cela n’a pas d’importance. »
Sophie avait « choisi la vie ». Cela ne lui épargna ni la peine, ni la fatigue, ni le travail, ni les luttes. Avec joie, humour et dans la paix, à travers sa rude nature mortelle, elle saisissait toutes les occasions de laisser paraître Jésus. Elle avait la répartie prompte, une vue intelligente des situations, un sens aigu de l’à-propos.
Il y a tout lieu de penser que Sophie a terminé son labeur et a été maintenant « promue à la gloire ». Pourrait-elle encore s’exprimer qu’elle mettrait sans doute à profit la possibilité de dire son mot. Il pourrait être une juste conclusion à ce chapitre intitulé : L’Eternité, mon amour, c’est maintenant.
Dans sa situation d’aujourd’hui, Sophie dirait simplement : Oui, mon amour, maintenant c’est l’éternité !
IL EST FIDÈLELa vieille Mélanie n’en avait plus pour longtemps, mais elle attendait patiemment et d’un cœur heureux le moment de son départ pour être avec le Christ qu’elle avait servi pendant de longues années. Parmi ceux qui venaient la voir se trouvait un jeune chrétien qui lui posa un jour cette question troublante : — « Si après tout, malgré vos prières et votre confiance en Dieu, vous alliez être perdue, pour finir !… La vieille femme mit sa main droite sur sa Bible et regarda le jeune homme dans les yeux : — Eh ! monsieur, n’en êtes-vous que là ? Mais c’est Dieu qui y perdrait le plus ! C’est vrai que la pauvre Mélanie perdrait son âme… Mais Dieu perdrait sa réputation ! » La Bible affirme en effet que Dieu qui a fait les promesses est fidèle. |