Non au yoga

IV
Richesses insoupçonnées ?

Nous voici très loin d’une relaxation… défatigante, nom et qualificatif sous lesquels nous est si souvent présentée la pratique du yoga.

L’honnêteté, mais aussi la charité obligeaient à la démarche dont les pages précédentes sont le compte-rendu. Trop souvent le chrétien se fait contradicteur alors qu’il n’a pas pris l’élémentaire précaution d’écouter et de chercher à comprendre son interlocuteur. Et il s’étonne à son tour de n’être pas entendu.

Sans prétendre à une infaillible impartialité, nous croyons avoir rendu compte avec objectivité et — nous l’espérons — avec clarté, des origines, de la nature, des caractéristiques, des buts du yoga.

Il nous est maintenant loisible de discerner ce qu’un chrétien doit en penser, en garder, finalement peut-être en rejeter. Dans notre découverte, ça n’est pas l’aspect le plus facile, même si c’est le plus intéressant.

Le beau côté.

Au stade des intentions, il n’y a pas lieu d’être défiant. La condition humaine connaît trop de difficultés, d’entraves, d’oppositions, pour tout dire : de misères, pour qu’on ait à s’étonner de la volonté arrêtée et persévérante de libération que manifestent les yogins. Vus sous cet angle, les exercices de yoga se rangent parmi les tentatives d’amélioration de la condition humaine. Les moyens mis en jeu seraient même hautement recommandables, vu leur caractère discret, gratuit, modeste, respectueux de tout et de tous, dépouillé de toute ambition propre à gêner le prochain. En outre, dans sa visée vers l’Absolu, le yoga s’accompagne d’exercices qui se veulent favorables à la santé physique et à une certaine santé morale.

Qui redouterait d’avoir à retrouver un équilibre physique et psychique, un repos du corps et de la conscience ? Qui hésiterait à cultiver un état d’esprit paisible, à refuser tout ce qui trouble l’harmonie intérieure au service de la maîtrise de soi ?

A première vue, le yoga veut être un stimulant — pour ne pas dire un remède — non seulement adaptable à toutes les bourses (il ne coûte que la peine et le temps qu’on y consacre), mais adaptable également à routes les classes, les races, les climats, les cultures, les mentalités, voire toutes les religions.

Depuis la fin de la dernière guerre, il a littéralement conquis l’Europe ; il a gagné à sa cause d’innombrables intellectuels et beaucoup d’artistes ; il a pris sa place au programme quotidien de très nombreux sportifs, fonctionnaires, bureaucrates des deux sexes ; il a envahi la presse, reçu droit de cité en beaucoup d’universités et de collèges, de cliniques et d’hôpitaux ; il a même été adopté par des chrétiens et baptisé « pratique chrétienne ».

Succès indéniable.

Il y a beaucoup d’explications à ce succès.

On pourrait d’abord remarquer que le yoga trouve son crédit là où le christianisme a perdu le sien. Il pourrait donc être tenu pour un produit de remplacement. De fait, les atours avantageux que comporte sa carte de recommandation sont faits pour retenir l’attention et inviter pour le moins à un essai.

A une époque où l’élixir avant tout recherché est celui qui prolonge l’état de jeunesse et de santé, qui ne serait accroché par la prétention du yoga de délivrer de toute maladie, d’être capable de régénérer chacun des organes du corps humain, de vitaliser (mot magique) l’organisme jusqu’à en éliminer tous les éléments négatifs et vieillissants ?

Nous sommes dans un monde on ne peut plus agité. Le yoga enseigne la relaxation.

Nous sommes dans une civilisation bruyante, qui débilite les nerfs, attaque les centres nerveux. Le yoga enseigne la décontraction, offre sans médicaments ni traitements onéreux, la recharge d’énergie capable de rendre calme, dominateur des situations et des hommes.

Nous sommes entraînés dans un rythme de travail qui avilit et déshumanise jusqu’à transformer l’homme en machine à produire. Le yoga veut ramener à la nature, faire découvrir les forces curatives à même de rééquilibrer la personne, de la rétablir dans sa vraie dimension en attendant sa promotion au stade de surhomme.

Nous sommes constamment orientés vers des attitudes, des comportements, des embrigadements qui, à la longue, nous uniformisent de pensées et d’expressions. En faisant émerger la conscience de sa gangue commune, le yoga veut rendre à l’homme sa liberté, au point que le sympathique, ce « système nerveux périphérique qui commande la vie organique et végétative », s’avère soumis dorénavant à la volonté personnelle.

Nous baignons dans une atmosphère chargée de poussières, de fumées, polluant les énergies vitales contenues dans l’air. Le yoga veut réapprendre aux citadins en particulier la vraie respiration dont est tributaire l’esprit, et pas seulement le corps.

Nous sommes tous engagés dans une forme d’existence qui contrevient sans cesse à une juste et heureuse manière de vivre et de dormir. De plus, notre époque est marquée par la violence, la constante menace de mort ; aussi est-elle hantée par la peur, les inquiétudes métaphysiques et religieuses. Le yoga assure que ces maux seront épargnés à l’homme s’il donne libre cours à la « Force vitale » latente dans les profondeurs de son Moi et laisse s’épanouir autant sur le plan matériel que mental et spirituel, les « Pouvoir supérieurs » appelés à devenir son lot.

Nous sommes à l’heure d’une remise en question de toutes les notions, de toutes les valeurs, de tous les fondements. Beaucoup de nos contemporains ne supportent plus cette mise à sac d’une existence traditionnelle. Cette démystification de valeurs qu’ils croyaient sacrées les laisse angoissés. Et voici qu’à portée de mains, sans avoir à se déplacer, au contraire à l’endroit même où ils sont, on leur dit : il suffit de vous arrêter, de vous détourner de ce que vous voyez, de porter vos regards vers ces richesses insoupçonnées que vous portez en vous, pour qu’aussitôt vous soyez mis en possession de valeurs nouvelles, bénéfiques à votre corps, à votre jugement, à vos affaires, à votre présent, à votre avenir. Finie la mise en condition, restituée votre autonomie, retrouvée la confiance ! Sans qu’il vous soit imposé ni dogme ni sacrifice, vous êtes réintégré d’abord en vous-même avec des possibilités jusqu’ici insoupçonnées ; puis, vous vous trouvez projeté en une société nouvelle, aux dimensions exaltantes puisque le rythme de votre existence s’accorde à celui de l’univers.

Voilà les promesses. Elles sont alléchantes.

Qu’en est-il en réalité ?

A juste titre, on pourrait manifester déjà quelque étonnement du fait qu’aux Indes même où le yoga a depuis des siècles, sinon des millénaires, liberté de fleurir et de porter tous les fruits annoncés, il y ait, entre les promesses et la réalité, cet abîme qui s’appelle la misère physique, morale, sociale, spirituelle, dont les Indes nous offrent le triste tableau. Le yoga a émigré des Indes en bien d’autres pays de l’Orient. Nulle part il apporte la démonstration de libération dont il prétend être l’instrument.

A ce sujet, on peut faire deux remarques :

La première est un fait d’histoire.

Il serait faux de rendre le yoga seul responsable de la misère sociale des Indes et de beaucoup d’autres pays orientaux. Bien avant le yoga et bien plus que lui, le brahmanisme, avec ses castes, son rituel, sa notion du destin, puis le bouddhisme, sont à l’origine de ce sous-développement. Mais pour autant, il ne faut pas méconnaître la part réelle du yoga dans ce désintéressement de l’homme vis-à-vis de ses semblables. Cette part est évidente. En effet, selon ses origines, sa nature, sa technique, ses buts, le yoga est une école supérieure et incomparable d’égocentrisme.

Sa réussite est liée à l’éloignement qu’il recommande par rapport au prochain. Car il n’y a possibilité de conscience dirigée, de contrôle progressif de tout l’être, de répression du vagabondage mental et finalement de concentration, que si l’on s’isole du bruit, de la distraction, et se tient à l’écart de tout ce qui pourrait entraver la recherche persévérante du calme, du silence et de la détente.

Il n’y a rien de moins communautaire, de moins communicatif, de moins « pour les autres », qu’un homme désireux de devenir un yogin. Au reste, comment pourrait-il être tourné vers le prochain ? Il se cherche lui-même ; suivant le stade de sa gestation, il est peut-être encore fort éloigné de sa propre découverte. Quand encore il y parviendrait dans un laps de temps beaucoup plus court, il n’a rien à donner. Au maximum peut-il tracer l’itinéraire possible de votre cheminement. Mais encore se doit-il d’ajouter que n’étant pas dans votre peau, et ne sachant rien de vos vies antérieures, il se peut que le passage indiqué vous soit un fourvoiement. En fait, il ne peut pas davantage vous aider qu’il ne peut respirer à votre place.

Quant à la seconde remarque, elle est aussi un fait, mais cette fois d’actualité.

En Orient, le yoga n’a nullement le crédit que lui prête l’Occident, et les Hindous eux-mêmes s’étonnent de l’intérêt stupéfiant que cet Occident — la Russie pas moins que les autres pays — réserve à cette technique. Car il n’est bientôt pas une cité de quelque importance qui n’ait son école de yoga ; Maîtres petits ou grands se multiplient alors qu’aux Indes, en particulier, ils sont aussi rares que les rois en Europe.

Il faut la superficialité de jugement de l’Occidental moyen et sa crédulité conditionnée et habituée aux propagandes pour croire que « l’exploration du cosmos intérieur » et la libération des forces qui y seraient en attente, puissent s’accommoder de la gymnastique décontractante et anticellulite avec laquelle elles sont confondues. Il est évident que les exercices du yoga relèvent d’une thérapeutique psycho-somatique. Mais il est tout aussi évident que les techniques qu’elle met en œuvre sont sans effet quand l’esprit qui les inspire est méconnu.

On n’obtient rien mécaniquement. Il est aussi vain d’attendre quelque bénéfice du yoga dépouillé de la pensée qui l’anime, qu’il est vain d’espérer d’un aveugle qu’il recouvre quelque perception de la lumière par le clignement répété de ses paupières.

La pensée fondamentale sous-jacente à toute pratique yogique, c’est la relation sujet-objet, c’est le rétablissement des mécanismes intérieurs présidant à l’harmonie entre le corps et l’esprit, entre l’être physique et l’être métaphysique. A quelque échelon qu’on le pratique, même à cette école maternelle qu’est le hatha-yoga, c’est dans cette perspective que respiration et poses trouvent leur justification.

Or, il faut bien le dire, rares sont ceux qui dépassent les préliminaires du hatha-yoga. C’est pourquoi, au reproche qui leur est fait de promettre plus qu’ils ne tiennent, les vrais « Maîtres » objectent qu’au niveau où ils se pratiquent, les exercices préparent à la purification et la libération du Moi, mais ne l’opèrent pas davantage que ne s’édifierait une maison dont le constructeur referait sans cesse le coffrage de bois, sans jamais couler le béton.

Il est juste de le souligner : cette volonté d’édification du Moi est une véritable école disciplinaire, aux exigences à la fois physiques, morales, mentales, touchant par certains de leurs aspects au légalisme le plus astreignant qui se puisse imaginer. Et il faut toute la naïveté de l’Occidental — il faut aussi sa prétention à obtenir aussitôt, sans effort et sans persévérance, ce que d’autres conquièrent de haute lutte — pour croire qu’à imiter les yogins, il goûtera à ce qu’ils promettent.

En bref, ces deux remarques paraissent donner raison aux yogins contre les amateurs que seraient la plupart des Occidentaux.

En vérité, le problème reste entier.

Le christianisme — et non le brahmanisme ou le bouddhisme — est sous-jacent à la culture occidentale, même quand il y apparaît défiguré par les philosophies ou les idéologies. Or, le yoga se présente comme une vérité et une pratique universelle.

Adapté à la culture et à la spiritualité européennes, apporte-t-il ce qu’il promet : ce souverain bien, ce tonique du corps, de l’âme et de l’esprit, aux pouvoirs si miraculeux qu’ils affranchiraient l’homme même de la mort ? A un niveau moins élevé, pourrait-il être associé à la morale et à la doctrine chrétiennes et devenir, sous le drapeau de l’Evangile et avec la caution du Christ, le chemin qui mène à la vie ?

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