Après avoir établi la nature de cette surveillance, nous allons exposer la manière de l’exercer. Nous la considérerons dans son ensemble, sans nous appesantir sur les détails.
Quelque excellente que soit notre œuvre par elle-même, il suffit d’un mauvais motif pour la corrompre. Si nous agissons pour nous et non pour Dieu, c’est nous, et non pas Dieu que nous servons. Ceux qui s’engagent dans le ministère évangélique, afin d’avoir un métier pour vivre, s’apercevront qu’ils ont choisi un mauvais métier, quoique un bon emploi. Le renoncement à soi-même est nécessaire à tout chrétien, mais il est doublement nécessaire à un ministre, qui, sans cette abnégation, ne peut pas servir Dieu fidèlement, même pendant une heure. Des études sérieuses, des connaissances profondes, le talent de la prédication, si nos motifs ne sont pas purs, ne font que rendre notre hypocrisie plus éclatante. Bernard disait avec raison : « Il y a des hommes qui recherchent la science pour la science même, c’est une curiosité honteuse ; il y en a qui la recherchent pour la vendre, c’est un honteux trafic ; d’autres la recherchent pour la montrer, c’est une vanité ridicule ; il y en a qui veulent savoir pour édifier les autres, c’est de la charité ; ou pour s’édifier eux-mêmes, c’est de la prudence. »
Car, que voulons-nous faire ? sauver le monde et le préserver de la malédiction de Dieu, — perfectionner la création, — accomplir le but de la mort du Sauveur, — échapper à la damnation, — triompher du démon et renverser son royaume, — amener le règne de Jésus-Christ, — conduire les autres et arriver nous-mêmes au royaume de gloire. Or, pouvons-nous accomplir une telle tâche avec des mains inactives et un cœur insouciant ? Travaillez-y donc de toute votre force ! Etudiez avec ardeur, car le puits de la science est profond et notre esprit est superficiel. « Il est beau, dit Cassiodore, de travailler sans relâche et sans fin, c’est là une ambition honorable ; plus on creuse profondément pour chercher la science, plus il y a de gloire à la trouver. » Mais surtout appliquez-vous à mettre en pratique les connaissances que vous acquérez. Ayez toujours présentes à l’esprit ces belles paroles de Paul : « La nécessité me presse : oui, malheur à moi, si je ne prêche pas l’Évangile ! » Répétez-vous sans cesse : « Si je ne m’empresse pas, Satan peut triompher, mon troupeau peut périr éternellement, et son sang me sera redemandé. Pour m’épargner quelques peines et quelques souffrances, je m’en attirerai mille fois davantage. Si au contraire je travaille avec zèle, je me préparerai un bonheur éternel. »
Nous devons nourrir notre troupeau du lait de la parole, avant de lui donner une nourriture plus solide : il faut poser les fondements avant de construire l’édifice. Les chrétiens doivent être amenés à l’état de grâce avant de produire les œuvres de la grâce, et la première chose à faire est de leur prêcher la conversion, « la repentance des œuvres mortes et la foi en Jésus-Christ. » Nous devons proportionner notre enseignement à la capacité de nos fidèles, et ne pas demander la maturité à ceux qui ne connaissent pas les premiers principes de la religion : « Car, dit Grégoire de Nysse, avant d’enseigner aux enfants les préceptes élevés de la science, nous leur apprenons à connaître les lettres, puis les syllabes, etc., etc. » Ainsi les guides spirituels de l’Église exposent d’abord à leurs auditeurs les vérités élémentaires, et les conduisent par degrés à la connaissance des vérités plus profondes et plus mystérieuses.
En enseignant Christ à nos fidèles, nous leur enseignons tout. En les conduisant au Ciel, nous les aurons instruits suffisamment. Les vérités de la religion les plus universellement reconnues sont celles dont les hommes doivent se nourrir, celles qui ont le plus de puissance pour détruire le péché et pour élever le cœur à Dieu. Ayons toujours devant les yeux les besoins de notre troupeau. Songeons à « la seule chose nécessaire », et nous ne serons pas tentés de nous jeter dans des controverses inutiles. Il y a sans doute beaucoup d’autres choses désirables à connaître, mais celle-ci est indispensable au salut. La nécessité doit être pour un ministre le guide de ses études et de ses travaux. Si nous étions suffisants pour tout, nous pourrions tout entreprendre, et embrasser le cercle entier des connaissances humaines ; mais notre vie est courte, nos facultés sont bornées, les intérêts éternels sont pressants, et les âmes que nous devons instruire sont d’un prix infini. C’est la nécessité, je le confesse, qui a dirigé mes travaux et ma vie. C’est elle qui m’a guidé dans le choix de mes lectures, et dans celui des moments que je devais y consacrer. C’est elle qui m’impose mon texte, le sujet de mes sermons, la manière de le traiter, autant du moins que ma faiblesse et ma corruption me le permettent. Je dois sans doute attribuer cette conduite à l’attente continuelle où j’étais de la mort ; mais je ne vois pas pourquoi l’homme auquel Dieu aurait accordé la meilleure santé ne s’assurerait pas d’abord des choses les plus nécessaires, en songeant à l’incertitude et à la brièveté de la vie. Xénophon pensait qu’il n’y avait pas de meilleur « maître que la nécessité, qui nous enseigne tout de la manière la plus prompte et la plus sûre. » Qui pourrait, en étudiant, en prêchant, en travaillant, s’occuper d’autres choses, s’il sent qu’une seule chose soit indispensable ? Qui pourrait perdre son temps en frivolités, quand il sent les aiguillons de la nécessité ? En présence de l’ennemi, le soldat sait qu’il faut combattre et non disputer ; c’est un devoir pour lui, et à plus forte raison pour nous, car notre œuvre est plus importante que la sienne. Le meilleur moyen de racheter le temps, c’est de ne pas perdre une heure, c’est de nous occuper des choses essentielles. C’est ainsi que nous ferons le plus de bien aux autres, quoique nous puissions ne pas leur plaire et ne pas exciter leurs applaudissements ; car telle est la fragilité des hommes, « qu’ils préfèrent souvent ce qui est nouveau à ce qui est utilea. »
a – « Nova potius miramur quam magna. » (Sénèque.)
Il résulte de là qu’un prédicateur doit revenir souvent sur les mêmes vérités, parce que les vérités essentielles sont en petit nombre. Nous ne devons pas, pour satisfaire ceux de nos auditeurs qui aiment la nouveauté, traiter comme importants des points tout-à-fait secondaires, quoique nous puissions mettre de la variété dans nos enseignements par la manière de les transmettre. Ces gros volumes de controverse qui nous font perdre tant de temps, roulent plutôt sur de simples opinions que sur des vérités essentielles : « Les vérités utiles, dit Ficin, sont renfermées dans d’étroites limites : les opinions sont sans fin. » — « Les choses essentielles, disent fréquemment Grégoire de Nazianze et Sénèque, sont communes et à la portée de tous ; ce sont les superfluités qui consument notre travail, sans que nous puissions y atteindre. » — En conséquence, les pasteurs doivent examiner attentivement les besoins de leurs troupeaux, afin de s’assurer de ce qui leur est le plus nécessaire, et pour le choix des sujets à traiter et pour la manière de les traiter ; ils doivent se persuader aussi que le fonds est plus important que la forme. Dans le choix de vos lectures, ne vous attachez-vous pas aux auteurs qui vous apprennent ce que vous ne savez point et qui vous exposent avec le plus de simplicité et de clarté les vérités essentielles, plutôt qu’à ceux qui, bien que supérieurs par l’élégance du style, n’enseignent cependant que des doctrines vaines ou erronées ? Pour ma part, je suivrai plutôt le conseil d’Augustin, qui préférait les pensées aux mots, comme l’âme au corps, et qui, dans un discours, faisait plus de cas de la vérité que de l’élégance, comme dans un ami il faisait plus de cas de la sagesse que de la beauté. Et ce que je fais dans mes lectures pour ma propre édification, je dois le faire pour l’instruction des autres. Ce sont communément les hommes dépourvus de connaissances solides qui recherchent avec le plus d’avidité les ornements du langage ; ceux au contraire qui possèdent une expérience et une science réelles expriment avec simplicité les vérités fondamentales. Suivant l’opinion d’Aristote, les femmes ne sont si curieuses de leur parure que parce qu’elles ont la conscience de leur peu de culture intellectuelle ; il en est de même de ces prédicateurs futiles qui cherchent à déguiser la stérilité de leurs pensées par le luxe et l’éclat des expressions.
La vérité aime la lumière ; elle brille d’autant plus qu’elle est moins chargée d’ornements. Celui qui la cache est son ennemi ; celui qui la déguise sous prétexte de la révéler est un hypocrite. Si un prédicateur ne veut pas instruire, que fait-il dans la chaire ? S’il veut instruire, pourquoi ne parle-t-il pas de manière à être compris ? Je sais qu’il est des sujets que leur élévation même rend difficiles à comprendre ; mais c’est un motif de plus pour ne pas augmenter cette difficulté par l’obscurité du langage. Celui qui enveloppe sa pensée au point de la rendre inintelligible peut se donner aux yeux des ignorants l’apparence de la profondeur ; il ne sera jamais pour des hommes sensés qu’un orgueilleux ou un hypocrite. Quelques-uns voilent leur pensée sous prétexte que le commun des esprits est rempli de préjugés et n’est pas suffisamment préparé à recevoir la vérité. Mais la vérité triomphe des préjugés par la seule force de son évidence, et le meilleur moyen de faire prévaloir une bonne cause est de la rendre aussi claire que nous le pouvons. On doit croire qu’un prédicateur n’a pas étudié son sujet à fond, s’il ne peut l’exposer clairement à ses auditeurs, aussi clairement du moins que sa nature le comporte, et en supposant qu’il s’adresse à des esprits qui possèdent l’instruction nécessaire pour le comprendre. Je sais en effet que certaines vérités, quelque clairement qu’elles soient exposées, sont au-dessus de la portée des intelligences communes, comme les règles les plus simples de la grammaire sont inintelligibles à un enfant qui commence seulement à connaître l’alphabet.
Nous devons avoir de la douceur et de la condescendance pour tous ; nous devons être aussi prêts à recevoir l’instruction qu’à la donner. Gardons d’imposer orgueilleusement nos idées et de repousser la contradiction, comme si nous avions atteint au comble du savoir, et comme si les autres hommes n’étaient destinés qu’à écouter nos oracles au pied de la chaire. L’orgueil sied mal à celui qui doit conduire les âmes au ciel par le chemin de l’humilité : prenons garde en conséquence qu’après y avoir amené les autres, nous ne trouvions la porte trop étroite pour nous. « L’orgueil, dit Grotius, est né dans le ciel ; mais ne reconnaissant plus la route par laquelle il en est descendu, il n’a pu y remonter. » Si la superbe en a fait exclure un ange, Dieu sans doute n’y admettra point un prédicateur orgueilleux. Rappelons-nous que nous sommes ministres, c’est-à-dire serviteurs. L’orgueil est l’aliment et la source de tous nos autres péchés. De là procèdent l’envie et l’esprit de contention ; de là viennent tous les obstacles à la réformation du cœur ; tous veulent conduire, aucun ne veut obéir. De là l’insuccès d’une foule de ministres, trop fiers pour se persuader qu’ils ont quelque chose à apprendre. Et cependant, même les plus âgés pourraient prendre pour eux le conseil que saint Augustin adresse à saint Jérôme : « Quoiqu’il convienne mieux aux vieillards d’enseigner que d’apprendre, il leur convient cependant mieux d’apprendre que d’ignorerb. » Ce sont là des vérités que nous reconnaissons volontiers ; mais quand nous venons à les appliquer aux pécheurs, et quand nous voyons qu’ils sont plus disposés à s’irriter de nos conseils qu’à nous en savoir gré, à quels dégoûts ne sommes-nous pas exposés, et avec quelle opiniâtreté les restes du vieil homme ne luttent-ils pas contre la douceur et la patience de l’homme régénéré ! ll est bien peu de ministres qui sachent résister à de semblables épreuves.
b – « Et si senes magis decet docere quam discere : magis tamen decet discere quam ignorare. »Notre œuvre exige plus d’habileté et surtout plus de vie et plus de zèle que nous n’y en apportons communément. C’est une chose grave, que de se placer en face d’une congrégation et de lui apporter de la part de Dieu, au nom du Rédempteur, un message de condamnation ou de salut. Ce n’est pas chose facile, que de parler assez clairement pour être compris, même des plus ignorants ; assez sérieusement pour faire impression sur les cœurs endurcis, assez fortement pour réduire les contradicteurs au silence. Nous devons être nous-mêmes bien éveillés, si nous voulons réveiller les autres ; nous devons employer un langage bien pénétrant si nous voulons entamer ces cœurs de pierre. Il vaudrait mieux ne point parler des choses célestes que d’en parler avec légèreté et avec froideur.
Il faut que nos fidèles soient bien convaincus que nous n’avons en vue que leur avantage spirituel, que nous ne recherchons que ce qui peut leur être utile, que nous ne redoutons que ce qui peut leur nuire. Nous devons avoir pour eux l’amour de la plus tendre mère ; nous devons rester « en travail jusqu’à ce que Christ soit formé en eux. » Il faut qu’ils voient bien clairement que, pour nous, le soin de leur salut passe avant tout, et que nous sommes prêts, comme Moïse, à voir « notre nom effacé du livre des vivants, » pourvu que leurs noms soient inscrits dans le livre de l’Agneau. » Nous devons, comme saint Jean, « être prêts à perdre la vie pour nos frères, » et comme saint Paul, ne la compter pour rien, « afin d’achever notre course et le ministère que nous avons reçu du Seigneur Jésus. » Lorsque vos fidèles seront bien persuadés de votre amour pour eux, ils entendront et supporteront mieux tout ce que vous leur direz. « Aimez, et dites ce que vous voudrez, » a dit Augustin. Nous supportons tout d’une personne qui nous aime. Les conseils de l’affection, s’ils ne sont toujours suivis, sont au moins souvent écoutés. Aimez donc votre troupeau, et que cet amour éclate dans vos paroles et dans vos actions. Prouvez à vos fidèles que vous vous consacrez entièrement à eux, et que tout ce que vous faites, vous le faites pour eux et non pour vous. Dans ce but, vous devez exercer des œuvres de charité, autant du moins que vos ressources vous le permettront ; car les hommes ne s’en rapporteront pas à votre seule parole. Si vous ne pouvez donner, montrez au moins que vous y êtes disposé et faites tout le bien que vous pourrez. Mais prenez garde que votre amour ne soit charnel, prenez garde de vous chercher vous-mêmes plutôt que Christ, et de n’aimer que parce que vous vous sentez aimés ou parce que vous voulez être aimés. Gardez-vous en conséquence de fermer les yeux sur les péchés des hommes, sous prétexte de charité : ce serait aller contre le but même de la charité. En fermant les yeux sur les péchés de vos frères, vous montrez que vous êtes ennemis de Dieu, et dans ce cas vous n’aimez point vos frères. Si vous êtes leurs amis, défendez-les contre leurs plus dangereux ennemis ; ne croyez point que la sévérité soit incompatible avec l’amour. Les parents châtient leurs enfants, et Dieu lui-même n’épargne pas ceux qu’il admet parmi les siens. « Il vaut mieux, dit Augustin, aimer avec sévérité que de tromper avec douceur. »
Quand nous avons travaillé et prié pour eux, quand nous les avons exhortés avec persévérance, quand nous les avons traités comme nos enfants, nous n’aurons à attendre de plusieurs d’entre eux que haine et que mépris : ils nous regarderont comme « leurs ennemis, parce que nous leur aurons dit la vérité. » Nous devons le souffrir patiemment et persévérer à leur être utiles et « à les instruire avec douceur dans l’espoir que Dieu leur donnera la repentance et leur fera connaître la vérité. » Ce sont des malades qui s’emportent contre leur médecin, et toutes leurs injures ne doivent pas nous faire abandonner le soin de leur guérison.
Si nous remplissons ces saintes fonctions avec irrévérence, nous donnons à penser que nous ne sommes que des hypocrites, et que notre cœur n’est point d’accord avec notre bouche. Celui qui, dans ses prédications, parle comme s’il était en présence de Dieu, me fait plus d’impression, malgré la simplicité de son langage, que le prédicateur le plus éloquent qui ne paraît pas frappé du sentiment de cette présence. La plus inefficace de toutes les prédications est celle qui tend à plaire aux auditeurs en chatouillant leurs oreilles, plutôt qu’à les frapper d’un saint respect pour le nom de Dieu. « Que vos enseignements, dit saint Jérôme, excitent les gémissements du peuple, mais non ses acclamations : les larmes de vos auditeurs sont votre plus beau triomphe. » Plus Dieu se manifeste dans nos exhortations, plus elles ont d’autorité. Nous devrions, pour ainsi dire, supposer que nous voyons le trône de Dieu et les milliers d’anges qui l’entourent, afin que sa majesté nous imprime un saint respect, et nous préserve de prendre son nom en vain.
Il y a dans les discours de certains prédicateurs une spiritualité qui se fait sentir aux auditeurs pieux ; d’autres, au contraire, en sont tellement dépourvus, qu’ils parlent des choses spirituelles du même ton qu’ils parleraient des choses les plus communes. En expliquant et en établissant les vérités divines, nous devons tirer nos preuves de l’Écriture Sainte plutôt que des ouvrages des hommes. Il ne faut pas que la sagesse du monde s’élève contre la sagesse de Dieu ; il faut que la philosophie s’abaisse et se soumette à l’empire de la foi. Que ceux qui ont été élevés à l’école de la philosophie humaine se gardent de mépriser ceux qui ont été instruits à l’école de Jésus-Christ. Ils peuvent paraître grands aux yeux des hommes ; mais ils seront petits dans le royaume de Dieu. Qu’ils ne se glorifient que de la croix de Christ, et qu’ils s’attachent avant tout à connaître Jésus crucifié ; qu’ils se souviennent de ces paroles de saint Grégoire : « Dieu a recueilli d’abord les ignorants, et ensuite les philosophes ; il ne s’est point servi des orateurs pour instruire les pêcheurs, mais il s’est servi de ceux-ci pour soumettre les premiers. »
Ayons pour les écrits des hommes l’estime qu’ils méritent ; mais n’en mettons aucun en parallèle avec la parole de Dieu. Acceptons leurs services ; mais n’en faisons jamais des compétiteurs ou des rivaux. Celui qui ne goûte pas l’excellence de l’Écriture Sainte a le cœur et l’intelligence corrompus. Un cœur régénéré se plaît à se nourrir de cette parole qui a été l’instrument de sa régénération. C’est cette divine parole qui imprime dans le cœur des croyants l’image de Dieu ; elle doit en conséquence leur être toujours très précieuse.
Si vous ne mettez pas tout votre cœur à ce que vous faites, si vous n’aspirez vivement à la conversion et à l’édification de vos auditeurs, si l’espoir ne vous soutient pas dans vos études et dans vos travaux, vous n’aurez probablement que peu de satisfaction. Celui qui peut se résigner à travailler sans cesse sans voir aucun fruit de son travail ne peut s’attendre à le voir béni de Dieu : c’est le propre d’un Judas de faire plus de cas de l’argent que de l’œuvre elle-même ; et tel est le caractère de ceux qui se tiennent pour satisfaits quand ils ont reçu leur salaire, et que leur troupeau leur témoigne quelque considération. Mais ceux qui prêchent le salut au nom de Christ, ne doivent point avoir de repos qu’ils n’aient atteint au but de leur prédication. Quand un homme ne s’occupe que de ce qu’il doit dire, quand il n’a pour but que de donner à ses auditeurs une haute idée de ses talents, et quand il peut continuer à prêcher ainsi d’année en année, je suis tenté de croire que, quoiqu’il prêche Christ, il prêche pour lui-même et non pas pour Christ. Un médecin honnête et consciencieux ne peut trouver sa satisfaction à prescrire continuellement des remèdes, sans voir aucune amélioration dans l’état de ses malades ; un bon instituteur ne peut se résigner à instruire sans cesse et à ne voir aucun progrès chez ses élèves. Je sais néanmoins qu’un ministre fidèle peut éprouver quelque consolation dans ses travaux, tout en obtenant peu de succès ; car, « quoique Israël ne soit point rassemblé, notre œuvre est auprès de l’Éternel, » et nous sommes agréables à Dieu suivant ce que nous faisons, et non suivant ce que nous obtenons ; mais celui qui n’aspire point au succès n’éprouve point cette consolation, puisqu’il ne travaille pas fidèlement. D’ailleurs, nous ne travaillons pas seulement en vue de notre récompense, mais en vue du salut de nos frères. Et pour ma part, je ne puis sans étonnement voir des pasteurs qui ont passé vingt, trente ou quarante ans dans une église, livrés à des travaux infructueux, se résigner si patiemment à y rester. Si telle était ma position, peut-être n’oserais je pas quitter la vigne du Seigneur ou renoncer à ma vocation. Je soupçonnerais cependant que la volonté de Dieu m’appelle ailleurs, et que je dois céder la place à un meilleur ouvrier, et je ne me déciderais que bien difficilement à continuer une vie aussi inutile.
C’est à Jésus-Christ que nous devons demander la lumière, la vie et la force. Et quand nous sentons notre foi faible, notre cœur languissant, nous devons recourir à lui et lui dire : « Comment avec un cœur incrédule puis-je amener les hommes à croire ? Faut-il que je leur parle sans cesse de la vie éternelle et de la condamnation éternelle, et que je sois moi-même si peu touché de ces importantes vérités ? Daigne me donner les dispositions qui me sont nécessaires pour remplir la tâche que tu m’as confiée ! » La prière doit concourir au but de notre œuvre non moins que la prédication. Nous ne pouvons exhorter sérieusement nos fidèles, si nous ne prions ardemment pour eux ; si nous ne demandons à Dieu de leur donner la foi et la repentance, nous ne les amènerons jamais à croire et à se repentir ; si nous ne le prions de changer nos cœurs et ceux de nos fidèles, tous nos efforts seront infructueux.
L’union est indispensable pour la prospérité de l’Église chrétienne, pour le bien spirituel de chacun de ses membres, pour l’accroissement du royaume de Christ. Les ministres doivent ressentir toutes les blessures que reçoit l’Église, et loin de favoriser les divisions, ils doivent tout faire pour les prévenir, proposer des mesures d’union et les exécuter, accepter la paix qu’on leur offre, et la rechercher quand elle s’éloigne. Ils ne peuvent y réussir qu’en s’attachant à la simplicité primitive de la foi chrétienne et au solide fondement de l’unité catholique. Qu’ils aient en horreur la présomption de ceux qui, sous prétexte de détruire l’erreur et de défendre la vérité, n’inventent que des projets de désunion et de bouleversement ; qu’ils établissent la foi sur l’Écriture seule, et qu’ils ne se soumettent à aucune autre autorité. Si les papistes nous demandent quelle est la règle de notre foi, montrons-leur la Bible plutôt que tout ouvrage des hommes. — Apprenons à distinguer les vérités certaines, essentielles et universelles, de celles qui sont accessoires, ou du domaine des opinions particulières, et établissons la paix de l’Église sur les premières plutôt que sur les secondes. — Gardons-nous de confondre les erreurs réelles avec les erreurs purement nominales, et n’imitons pas ces théologiens irritables qui condamnent comme hérétiques des opinions qu’ils n’ont encore ni examinées ni comprises. Dans toutes les controverses, cherchons le véritable nœud de la difficulté, et ne leur attribuons pas plus de portée qu’elles n’en ont réellement. — Au lieu de disputer avec nos frères, unissons-nous contre nos ennemis communs ; lions-nous étroitement, au moyen de communications et de réunions fréquentes, sans nous inquiéter de quelques légères différences d’opinions. Les pasteurs doivent, autant que possible, travailler de concert à l’œuvre de Dieu, et c’est dans ce but que les synodes ont été institués. Ces assemblées ont été établies, non pour dominer et faire des lois, mais pour prévenir les divisions, pour maintenir la charité et l’union, et pour faire concourir les efforts de tous les ministres à l’accomplissement de l’œuvre que Dieu a remise entre leurs mains. Si les ministres de l’Évangile avaient été des hommes de paix, s’ils eussent été moins dominés par l’esprit de parti, l’Église de Christ serait plus florissante ; les différentes sectes n’auraient pas cherché à se renverser mutuellement ; elles ne se seraient point tenues dans cette défiance réciproque qui n’a eu pour résultat que de fortifier l’ennemi commun, et de nuire à l’édification et à la prospérité de l’Église.